25 janvier 2017

Un monde cassé


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Nous vivons dans un monde cassé. Un monde cassé par le déchirement de l’unité humaine où les inégalités ne cessent de s’aggraver à la fois entre le Nord et le Sud, et, à l’intérieur des pays dits "développés", entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Nous vivons dans une nature en voie de destruction par épuisement et par pollution.
La planète Terre ne peut pas supporter indéfiniment le train de vie de l’Occident, qui n’est d’ailleurs pas universalisable. Si tous les pays du monde avaient autant de voitures que les pays dits "développés", non seulement les ressources pétrolières seraient taries en quelques années, mais les "trous" creusés dans l’atmosphère par nos vapeurs élèveraient plus vite le réchauffement de l’air, et la fonte des glaces arctiques conduirait à la submersion de nos ports. Si tous les pays du monde gaspillaient en tracts publicitaires et en pages de publicité dans les journaux, autant de papier que dans les pays dits "développés", les forêts du monde - poumons des hommes - seraient rasées en quelques années.
Ce ne sont là que des exemples de cette marche vers un suicide planétaire. Nous vivons dans une histoire sans finalité, où le marché n’est plus un lieu d’échange entre les productions et les services des hommes, mais une jungle où s’affrontent les volontés de puissance, de jouissance et de croissance des individus, des Etats, et de monopoles géants. (…)
A l’aube du capitalisme, Hobbes répétait déjà : « L’homme est un loup pour l’homme. » Dans la deuxième moitié du vingtième siècle, le monothéisme du marché a étendu à l’échelle de la planète cette possibilité pour les plus forts de dévorer les plus faibles. (…) Il en est ainsi d’institutions dites internationales comme l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C), qui ont pour objet, sous prétexte de "libéralisme" économique, de donner aux plus forts le droit de dévorer "librement" les plus faibles en faisant du monothéisme du marché la religion (qui n’ose pas dire son nom) régulatrice de tous les rapports sociaux à l’échelle des individus comme des nations. (…)
La logique du marché va à l’encontre de la logique de la vie : ce qui est hors du marché n’existe pas. Par exemple ceux qui n’ont même pas le privilège d’être exploités : chômeurs, exclus, ou sous-développés condamnés par la faim. Ceux qui refusent de s’inscrire dans le marché, en refusant, par exemple, les diktats du F.M.I, doivent disparaître. (…) Lorsque M. Bush proclame : « Il faut créer une zone de libre marché de l’Alaska à la Terre de Feu », et lorsque son secrétaire d’Etat, James Baker, ajoute : « Il faut créer une zone de libre marché de Vancouver à Vladivostok », le plus grand débat du siècle est celui-ci : laisserons-nous crucifier l’humanité sur cette croix d’or ?
Pour inverser les actuelles dérives et réaliser une véritable unité humaine, il est non seulement nécessaire d’en finir avec cette "mondialisation", qui n’est qu’un masque aux prétentions hégémoniques mondiales de l’oligarchie économique américaine et des dirigeants politiques qui en sont l’expression, mais aussi avec toutes les tentatives de résoudre, par exemple, les problèmes du chômage, de la faim ou de l’immigration (qui est un passage du monde de la faim à celui du chômage) à une échelle régionale, provinciale, même comme celle de l’Europe (…). Il apparaît de plus en plus clairement aujourd’hui qu’aucun problème ne peut être résolu dans le cadre national ou même continental, pas plus les problèmes de l’économie, que de l’environnement, de la défense ou de la culture.
Tous les problèmes se posent à l’échelle planétaire, condamnant tous les tribalismes et toutes les idolâtries du partiel. Le couplage mortel du missile et de l’atome engendre une menace totale : l’archaïque équilibre des forces est devenu équilibre de la terreur, où chacun a le pouvoir de détruire l’autre et de se détruire lui-même. Le satellite, relayant la télévision, rend le monde présent en chaque point du globe. Le marché mondial fait du sous-développement des uns le corollaire de la croissance des autres.
L’Un et le Tout ne sont plus seulement un appel ou une utopie. La conjoncture historique suggère des orientations claires : l’interdépendance universelle ne peut se traduire par la dépendance des uns à l’égard des autres. Le développement, le véritable développement : celui de l’homme, de tous les hommes, sera un développement solidaire, universel, ou ne sera pas.





Roger Garaudy, « Les religions et la foi au XXIe siècle », dans l’ouvrage collectif "Le XXIe siècle : suicide planétaire ou résurrection ?", Ed. L’Harmattan, Paris, 2000.




[Choix d'extraits de notre ami Ahmed]