27 février 2017

Marx et les luttes politiques (5). Par Roger Garaudy



Marx distinguait profondément la situation en France
Un autre livre de R.G sur le marxisme.
A acheter ici

et la situation en Allemagne. En Allemagne la Bastille
était encore à prendre et Marx n'hésitait pas à réaliser
tous les compromis nécessaires pour ne pas affaiblir
l'union des forces démocratiques : il écrivait dans un
article du 30 juillet 1848 : « la preuve la plus éclatante
que la Révolution allemande n'est que la parodie de
la Révolution française la voilà : le 4 août 1789, trois
semaines après la prise de la Bastille, le peuple en finit
en un seul jour avec les charges féodales, le 11 juillet,
quatre mois après les barricades de mars, ce sont les
charges féodales qui ont raison du peuple. »

26 février 2017

Tribune libre. L'indifférence, notre ennemi principal

Voici une info qu'aucun média traditionnel prétendument libre, indépendant, et surtout au service du peuple en tant que contre-pouvoir, n'osera diffuser et commenter : http://www.panamza.com/190217-presidentielle-attaque/

Il faut prévenir sans tarder la nation du mégadanger qui la guette !

Voici une intéressante et fort pertinente analyse de l'affaire Théo : https://www.youtube.com/watch?v=2n6tTOV-js8

Hélas ces quelques propos de Gramsci sont toujours d'actualité : « Des faits mûrissent dans l’ombre, quelques mains, à l’abri de tout contrôle, tissent la toile de la vie collective, et la masse l’ignore, car elle ne s’en soucie point. Les destins d’une époque sont manipulés selon des visions étriquées, des buts immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petits groupes actifs, et la masse des hommes ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. (…) Mais personne ou presque ne se sent coupable de son indifférence. » (Antonio Gramsci, "La Cité future", 1917)

Comment réveiller les dormeurs et je-m'en-foutistes laïques et postmodernes ?


A.D

Vivre simplement...

Pause du dimanche dans la série "Marx et les luttes politiques", série qui continue lundi.
Aujourd'hui des extraits significatifs d'Elaine St james choisis par Ahmed 

« J’ai compris une chose. Si on fait en sorte de vivre des vies éternellement compliquées, c’est parce que ça nous évite de nous poser les questions essentielles. Je ne dis pas que c’est le cas pour tout le monde. Mais pour beaucoup, ça explique la surenchère. L’idée de se retrouver face à soi-même peut faire froid dans le dos. Tant qu’on arrive à se convaincre qu’on est débordé, qu’il n’est pas question de freiner, on peut continuer à se voiler la face, sans se poser des questions trop personnelles : une relation qui part en eau de boudin, une carrière peu reluisante, des enfants qui se détachent de nous, des amis qu’on délaisse, un jardin secret qu’on n’a jamais pris la peine de cultiver, des peurs enfouies au plus profond de nous-mêmes, ou des traumatismes d’enfant qui nous ont toujours empêchés de vivre des vies pleinement épanouies. (…)

Acheter le livre
C’est au cours de l’été 1990 que j’ai pris la décision de me simplifier la vie. Je venais de passer une douzaine d’années à investir dans l’immobilier. (…) Ma vie était régentée par un gros agenda gainé cuir, qui devait bien peser trois kilos et qui prenait la moitié de mon bureau. Chaque jour, c’était la même galère. Et chaque matin, le même défi : descendre un maximum de boulot dans un minimum de temps. Il serait à peine exagéré de dire que j’étais devenue une espèce de yuppie, toujours à courir contre la montre. (…) Gibbs, qui est plus âgé et plus avisé que moi, n’a jamais été un yuppie, à proprement parler. Mais le fait d’en avoir épousé une a suffit à lui compliquer l’existence. De son côté, sa carrière de rédacteur en chef, parallèlement à laquelle il écrivait une série de romans, le tenait pleinement occupé. A nos carrières envahissantes venaient s’ajouter toutes les responsabilités et les devoirs liés à une vie normale. (…)

Au beau milieu de juillet 1990, je me suis soudain calmée cinq minutes. Et là, comme si le temps s’arrêtait, j’ai regardé mon agenda (…). Alors que je parcourais la liste de tous les appels que j’avais à passer, de tous les gens que j’avais à voir et de tous les endroits où je devais aller, ça a fait tilt. Ma vie était tout bonnement devenue un enfer. C’est là que j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes. J’en étais arrivée à un point où plus rien ne semblait justifier un rythme aussi dingue. Une telle masse de boulot, tant d’heures passées sur le pont, nous avaient menés à quoi, finalement ? Un beau train de vie, c’est sûr, mais à quoi bon quand on n’a ni le temps ni l’énergie pour en profiter ? Pire, quand on n’a pas un instant pour l’autre, et encore moins pour soi-même ? (…)

Cela fait maintenant plus de cinq ans que Gibbs et moi avons pris la décision de mener une vie simple. Avec le recul, il s’avère que c’est l’une des meilleures décisions que nous ayons jamais prises. Non seulement cela a été pour nous une aventure rigolote et stimulante, mais cela nous a donné la chance incroyable de prendre du recul et de prendre la vie un peu moins au sérieux. Nous avons réalisé que, même si l’on n’arrive jamais à faire tout ce qu’on a envie, cela n’empêche pas d’être heureux et comblé. La vérité, c’est que la plupart du temps, ce sont les moments simples qui donnent un sens, et de la profondeur à la vie.

Si vous aussi songez à changer des choses et à vous simplifier la vie, ou que vous avez déjà commencé, sachez que vous n’êtes pas les seuls. (…) Le courrier que je reçois des quatre coins du pays montre clairement que ce besoin de vie simple touche toutes les générations, tous les milieux et toutes les professions. Adolescents, célibataires hommes ou femmes, mariés ou retraités, ils sont riches, moins riches, et d’origines diverses : professeurs, infirmières, informaticiens, acteurs, journalistes, psys, hommes de loi, avocats, cadres, agents de sécurité, étudiants, personnalités des médias. Ils font partie de ces millions d’hommes et de femmes qui, volontairement ou non, ont mis la pédale douce sur les heures passées à justifier leur salaire, sur le nombre de mètres carrés qu’il leur faut à la maison, et sur les dépenses en tous genres, qu’elles soient d’ordre matériel ou logistique. (…)

Autant dire que c’est un changement profond qui s’opère aujourd’hui dans les mentalités. Cela veut dire que beaucoup d’entre nous en ont assez de foncer la tête baissée et de ne vivre que pour travailler. En clair, nous sommes des millions à vouloir vivre autrement. (…)

Si l’idée de vous simplifier la vie vous interpelle quelque part, accordez-moi une chance. Et laissez-moi vous donner un avant-goût de la sensation de liberté inouïe que peuvent donner deux ou trois bénins petits coups de ciseaux dans le marathon quotidien qui est le vôtre. Vous allez voir qu’il ne s’agit pas de bazarder tout ce pour lequel vous avez travaillé si dur ; il s’agit juste de faire le bon choix parmi les différentes options qui s’offrent maintenant à vous. Eh oui, à force d’en vouloir trop, on finit par passer à côté de l’essentiel. Reste donc à savoir ce qui l’est vraiment pour vous. Et à se dégager en douceur de ce qui ne l’est pas. (…)

Il se passe un truc extraordinaire, quand on calme le jeu. On a des éclairs d’inspiration. On accède à un état supérieur de conscience, et même à une certaine forme de sagesse. Dans les moments de paix, on peut soudain avoir un accès de lucidité qui va inverser les perspectives de notre vie, et de celles et ceux qui nous entourent, d’une façon incroyablement positive. Et ces perspectives peuvent être celles de notre vie toute entière. Vivre plus simplement permet de les créer, ces moments de paix. Et de ces moments de paix naissent des miracles. (…)

Oh, vivre simplement n’est pas une panacée. Ce n’est pas ça qui va résoudre tous nos problèmes. Ce n’est pas ça qui changera la face du monde. Mais c’est déjà un début. (…) Histoire de pouvoir se consacrer un peu à sa famille, à ses amis, à son environnement et pourquoi pas, au reste du monde. »

Elaine St James, "Vivre simplement", Ed. First, Paris, 1996.


25 février 2017

Marx et les luttes politiques (4). Tactique et stratégie, suite



Marx distinguait profondément la situation en France

et la situation en Allemagne. En Allemagne la Bastille

était encore à prendre et Marx n'hésitait pas à réaliser

tous les compromis nécessaires pour ne pas affaiblir

l'union des forces démocratiques : il écrivait dans un

article du 30 juillet 1848 : « la preuve la plus éclatante

que la Révolution allemande n'est que la parodie de

la Révolution française la voilà : le 4 août 1789, trois

semaines après la prise de la Bastille, le peuple en finit

en un seul jour avec les charges féodales, le 11 juillet,

quatre mois après les barricades de mars, ce sont les

charges féodales qui ont raison du peuple. »

Le premier objectif de Marx c'est l’accomplissement

de la Révolution allemande, de la Révolution bourgeoise,

du 89 allemand, et cela exige l'étroite union

de toutes les forces démocratiques.

Par contre Marx prenait résolument parti, dans ses

colonnes, pour l'insurrection des ouvriers parisiens au

mois de juin.

24 février 2017

Marx et les luttes politiques (3). Stratégie et tactique



La stratégie et la tactique de Marx sont la mise en oeuvre d'une méthode rigoureuse, matérialiste et dialectique.
Matérialiste en ce sens qu'elle ne se fonde pas sur une conception subjective mais sur une étude objective
des classes et de leurs rapports scientifiquement définis par les études économiques de Marx.
Dialectique en ce sens qu'elle tient compte de la totalité des diverses classes et fractions de classes et de leurs actions réciproques dans une société donnée, qu'elle tient compte du degré de développement de chacune des forces sociales en chaque moment et qu'elle tient compte enfin des rapports entre cette société et l'ensemble des autres sociétés, par exemple de la conjoncture internationale.
Une telle méthode, seule capable de fonder scientifiquement la lutte de classe du prolétariat, permet, grâce
au matérialisme historique :
1. d'ouvrir les perspectives proches et lointaines de la lutte de classes ;
2. d'analyser en chaque moment, de façon objective, le rapport des forces ;
3. de déterminer la stratégie et la tactique de cette lutte, c'est-à-dire de fixer en chaque moment, en fonction
des perspectives et du rapport des forces, la direction du coup principal à porter, de déterminer les alliances
possibles et les forces de réserve, et enfin de définir les objectifs et les moyens mis en oeuvre suivant que
l'on se trouve dans une période d'essor ou de reflux du mouvement.

23 février 2017

Marx et les luttes politiques (2). De l'utopie à la lutte de classe



Après l'élimination de Hermann Kriege, ami de
Weitling et propagandiste d'un communisme sentimental,
typiquement petit-bourgeois, Marx dut encore, ea
juillet 1847, dénoncer et réfuter, dans Misère de la philosophie,
le réformisme petit-bourgeois et l'utopie anarchisante
de Proudhon.
Dans un mémoire retentissant sur la propriété où
éclatait la formule : « La propriété c'est le vol », Proudhon
élabora une forme de socialisme exprimant les aspirations
utopiques des classes moyennes. A la fin de
son livre De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise
Proudhon résume son expérience fondamentale :
«Sorti des études j’avais atteint ma vingtième armée,
Mon père avait perdu son champ ; l'hypothèque l’avait
dévoré. Qui sait s'il n'a pas tenu à l'existence d'une
bonne institution de crédit foncier que je restasse toute
ma vie paysan et conservateur. » On ne saurait mieux
définir le point de vue de classe dont Proudhon ne se
départira jamais. Fils d'un petit paysan ruiné qui devint
artisan tonnelier après la liquidation de ses terres, il
gardera toute sa vie la nostalgie de la propriété perdue.
Il définira le socialisme : « la constitution de fortunes
modérées, l'universalisation de la classe moyenne. »
Le problème du crédit est pour lui central ; la panacée
de tous tes maux pour cette petite bourgeoisie condamnée
par la révolution du capitalisme et la tyrannie des
banques, c'est le prêt sans intérêt.
A partir de là se multiplient tes contradictions dans
l'oeuvre de Proudhon. Les formules outrancières aboutissent
à l'apologie de l'ordre établi.

22 février 2017

Karl Marx et les luttes politiques (1), par Roger Garaudy





« Le but final de mon travail écrivait Marx dans la
préface du Capital c'est de découvrir la loi économique
du développement de la société contemporaine. »
De cette loi découle le passage nécessaire du capitalisme
au socialisme, ce que Marx appelait, dans « Le
Capital », l'expropriation des expropriateurs. Mais
Marx n'a jamais confondu nécessité et fatalité. L'action
de l'homme est l'un des éléments par lesquels s'accomplit
là nécessité. Marx définit le mouvement ouvrier :
" la participation consciente au processus historique qui
bouleverse la société."

DE L'UTOPIE A LA LUTTE DE CLASSE
Le concept fondamental de la politique marxiste
comme de la philosophie et de l’ économie marxistes
c'est le concept de classe. Les analyses du Capital ont
permis de donner à ce concept un fondement scientifique.

21 février 2017

" Il faut tout révolutionner, mais en conservant les trésors de notre culture" (Edgar Morin)


Ludwig Meidner. Ville apocalyptique. 1913
M. -C. N. : Il est temps de s’interroger sur ce mot d’« intellectuel ». Dans votre livre Mes démons, vous avez la dent extrêmement dure sur le milieu intellectuel parisien. Surtout sur ce que vous appelez le « crétinisme du haut ». Pour vous, s’il existe un crétinisme de la culture du bas, il y a un crétinisme du haut. Cela explique aussi pourquoi vous êtes atypique dans votre parcours.
E. M. : Tout d’abord je n’ai pas le mépris élitiste pour la culture populaire. (…) Certes je pense qu’il y a un crétinisme « du bas », qui vient des médias, mais je pense aussi qu’il y a le crétinisme « du haut », celui qui règne dans le monde des spécialistes, des universitaires refermés sur leurs disciplines, chez les technocrates. Je lutte sur deux fronts : contre le crétinisme du bas et contre le crétinisme du haut. Tout en appréciant ce qu’il y a d’intéressant en haut et en bas.
M. -C. N. : Vous allez plus loin. Tout en le défendant, vous établissez une psychologie de l’intellectuel, hanté par la création, par ses propres stéréotypes, par son conformisme, et qui produit une autre sous-culture, laquelle, aujourd’hui, avec les médias, a de véritables réseaux, carrément mafieux, dites-vous, ce qui n’est pas faux. Ce qui empêche l’exercice d’une pensée.
E. M. : On avait fait un numéro d’"Arguments" qui s’intitulait « Intellectuels et penseurs ». Un des thèmes développait ceci : les intellectuels, à une époque donnée, font régner un certain nombre d’idées qui leur semblent évidentes ; le penseur, lui, s’oppose aux idées évidentes des intellectuels. Premier exemple : Socrate contre les sophistes. Deuxième exemple : Rousseau contre les philosophes des Lumières. Il y a encore Marx contre les philosophes universitaires. Le penseur n’est pas seulement créateur de quelque chose, il est nécessairement en rupture avec ce que la caste d’intellectuels a fini par croire évident à un moment donné. Je pense qu’effectivement le monde des intellectuels en tant que tel est un monde dans lequel la pensée est raréfiée. Le penseur peut naître, il naît souvent chez l’intellectuel, mais il rompt les barrières, il quitte le groupe.
Toutefois, l’intellectuel devrait jouer un rôle capital dans la cité. Pourquoi ? Parce que, dans un monde de plus en plus spécialisé, livré aux experts, il est le seul qui porte sur la scène publique les problèmes fondamentaux, généraux, universels. C’est, par exemple, avec Zola et l’affaire Dreyfus, le problème de la raison d’Etat ou de la vérité. C’est Camus, avec "L’Homme révolté", qui pose le problème du destin humain. C’est le mérite de l’intellectuel de poser des problèmes dans un monde où ils sont de plus en plus escamotés. Mais les intellectuels, notamment dans la seconde moitié du XXe siècle, et même dès sa première moitié, ont de plus en plus manqué d’esprit critique. Ceux qui ont adhéré à l’Union soviétique, croyant à l’avènement du paradis des travailleurs, à une terre de libertés, ont manqué d’esprit critique. Par manque d’information, par refus de s’informer ou simplement par besoin de foi ou d’espérance, ces intellectuels ont failli à ce qui devait être leur mission, et qui impliquait, aussi, un devoir d’élucidation.
Et puis, autre chose, encore, me paraît très important : c’est que nous sommes possédés par des forces obscures, même si nous croyons juger en toute sérénité et en toute lucidité. Pour ma part, je suis obsédé par le risque permanent d’erreur, c’est le point de départ de "La Méthode". C’est aussi l’un des thèmes majeurs des "Sept Savoirs nécessaires à l’éducation du futur", que vient de publier l’Unesco. Le premier de ces savoirs fondamentaux, c’est la connaissance de la connaissance. En effet, si l’on enseigne des connaissances, on n’enseigne jamais ce qu’est la connaissance. Et la connaissance, c’est ce qui, partout, toujours, risque l’erreur et l’illusion. Quand nous considérons les idées des gens du passé, elles nous semblent un tissu d’erreurs et d’illusions, mais nous restons aveugles sur nos illusions contemporaines. C’est pourquoi le fait de pouvoir reconnaître le processus de formation d’erreurs et d’illusions m’apparaît comme un devoir fondamental. (…)
M. -C. N. : D’où votre dernier combat, en date en tout cas - car il y en aura d’autres probablement -, qui est celui de l’éducation. Un de vos tout derniers livres, "La Tête bien faite", en collaboration avec l’Unesco, développe une idée qui vous est chère : la nécessité de réformer la pensée.
E. M. : En un an, j’ai publié ma « trilogie pédagogique ». (…) Le premier livre a été "La Tête bien faite", où je développe l’idée qu’on oublie toujours la réforme fondamentale, celle qui doit lutter contre la fragmentation du savoir, et cela d’autant que les problèmes se font de jour en jour plus transversaux, voire planétaires. Le deuxième livre a pour titre "Relier les savoirs". Il est le fruit de journées thématiques, où une soixantaine de scientifiques et de littéraires se sont efforcés de montrer qu’on doit lier tous les savoirs pour mieux comprendre la condition humaine et les problèmes humains.
M. -C. N. : La culture des humanités, liée au savoir scientifique d’une façon générale.
E. M. : Je m’oppose à l’idée qu’il faudrait réduire la culture des humanités au profit des sciences. Et je trouve pareillement stupide qu’on minimise l’enseignement des sciences. Je soutiens que ces deux pôles forts doivent être maintenus ensemble, et j’affirme l’importance de la littérature, de la poésie, du cinéma et des arts. Le troisième livre est "Les Sept Savoirs nécessaires à l’éducation du futur". J’y expose les sept thèmes fondamentaux encore inexistants dans les systèmes d’éducation, alors qu’ils devraient être traités de façon prioritaire. (…)
Parmi les sept savoirs, je traite donc de la « connaissance de la connaissance ». Il est incroyable que l’on enseigne des connaissances sans jamais enseigner ce qu’est la connaissance, laquelle comporte sans cesse les risques d’erreur et d’illusion.
M. -C. N. : Dans tous les enseignements ?
E. M. : Oui. Je ne parle pas seulement pour l’université, il y a aussi le lycée et le primaire.
Premièrement, donc, il y a la connaissance.
Deuxièmement, il y a la connaissance pertinente - c’est-à-dire la connaissance qui permet non seulement de distinguer et de séparer, mais encore de réunir et de contextualiser.
Troisièmement, il y a l’étude de la condition humaine, aujourd’hui complètement désintégrée, alors qu’elle est le problème central de notre identité.
Quatrièmement, il y a la compréhension humaine : non seulement on ne comprend pas les autres, mais on ne se comprend pas soi-même, et il faut savoir pourquoi on ne comprend ni les autres ni soi-même (…) si l’on veut que les relations humaines progressent.
Cinquièmement, il faut affronter les incertitudes : non seulement l’humanité a toujours vécu dans l’incertitude, mais notre temps est lui aussi rempli d’incertitudes ; nous ne savons pas ce qui se passera dans les six prochains mois. Il faut donc armer les esprits afin qu’ils puissent affronter les incertitudes personnelles et les incertitudes historiques.
Sixièmement, il faut enseigner l’« identité terrienne », l’époque planétaire ; on est dans une époque et dans un monde où tout est en interaction. Il s’agit d’un problème central, et il faut que s’élabore une conscience du monde dans lequel nous sommes.
Enfin, il y a l’anthropo-éthique, qui concerne les rapports individu/société et individu/espèce. L’être humain ne se définit pas seulement par l’individu. Il est partie d’une société. Il est partie d’une espèce. En même temps, l’espèce ne peut se maintenir que grâce aux individus, puisqu’il faut que ceux-ci la reproduisent. Quant à la société, elle disparaît dès que cessent les interactions entre individus. Donc nous portons et l’espèce et la société à l’intérieur de nous. Et en plus nous disposons de la conscience. Autrement dit, la morale n’est pas seulement pour l’individu. Elle régit aussi la relation individu/société. Et la bonne relation serait celle qui pourrait développer une démocratie, car, la démocratie, c’est ce qui permet aux individus contrôlés de devenir eux-mêmes contrôleurs, et d’assumer ainsi responsabilité et solidarité. Et il y a aussi l’éthique à l’égard du genre humain, qui exige d’œuvrer pour la citoyenneté planétaire. Elle a ses avant-gardes, comme l’Alliance pour un monde responsable et solidaire (…), Survival international, Greenpeace... Bref, tous ceux qui militent pour cette citoyenneté terrienne, sans nier les autres citoyennetés. De multiples mouvements se développent, encore minoritaires, encore isolés les uns des autres. Ils devraient se relier pour dessiner le visage d’une nouvelle politique de l’homme, et une politique de civilisation. (…)
Ces problèmes clés, je les porte de plus en plus au niveau de l’éducation. Si l’on n’examine pas ces problèmes, on est condamné à toujours se tromper et à vivre dans le monde des illusions.
M. -C. N. : Diriez-vous qu’aujourd’hui les intellectuels sont particulièrement menacés, et que le travail que vous faites est menacé par le totalitarisme technoscientifique de notre époque, pour lequel seuls comptent la quantité, et non la qualité, le rapide et non la durée ?
E. M. : Il y a, c’est incontestable, une hégémonie de ce mode de pensée qui réduit tout au calcul. Et ce mode de pensée, qui règne dans l’économie et dans la technique, est une forme nouvelle de barbarie, venue de notre civilisation même et qui, aujourd’hui, coopère avec les vieilles barbaries venues du fond des âges. (…) C’est pour cela que le travail de réflexion et de pensée est menacé. Mais il est menacé à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. De l’intérieur parce qu’on vit dans un monde chronométré, précipité, et que le temps de la réflexion nous manque - il n’y a pas d’investissement réflexif, pas plus en politique qu’ailleurs, on vit au jour le jour, on est pris dans des planifications, des programmations. Mais il est aussi menacé de l’extérieur ; à la télévision, par exemple, toute forme de débat vraiment argumenté est devenue impossible. Il fut un temps où l’on pouvait discuter pendant une heure avec un interlocuteur ; aujourd’hui, on veut du spectacle. Quant au livre, il devient une marchandise, et son circuit se fait de jour en jour plus rapide et court. On l’envoie chez les libraires, ceux-ci n’en veulent pas, le renvoient, et nombre de livres meurent aussitôt nés. Bref, le livre est de plus en plus intégré dans les circuits d’une machine énorme, anonyme et mercantile, et la critique de plus en plus dominée par des clans, qui peuvent saluer des navets comme des chefs-d’œuvre. Bien sûr, et c’est heureux, on publie quand même quelques livres intéressants, et qui embrassent tous les domaines, surtout dans les petites maisons d’édition. Tout n’est donc pas perdu (…).
M. -C. N. : Diriez-vous qu’un des grands devoirs, c’est le devoir de résistance ? Résistance à soi-même, résistance au déterminisme, et résistance à ces nouvelles formes de barbarie ?
E. M. : Oui, nous sommes condamnés à la résistance. (…) Je suis devenu un conservateur révolutionnaire. Je ne prends plus le mot révolution dans une acception où, à mon avis, il a été pollué et souillé. Il faut tout révolutionner, mais en conservant les trésors de notre culture.

Edgar Morin, "Itinérance" (entretiens avec Marie-Christine Navarro), Ed. Arléa, Paris, 2000 (extrait choisi par A.D).


Lire aussi  cet entretien avec Edgar Morin: Le temps est venu de changer de civilisation

20 février 2017

Michel Collon: Les 10 commandements du parfait diaboliseur

04 Avr 2016

« Antisémite », « complotiste », « ami des dictateurs », « rouge-brun »,  « confusionniste » ! De nombreux journalistes ou écrivains qui critiquent les Etats-Unis ou Israël sont victimes de ces accusations graves répandues en boucle sur Internet. Alors, vous vous dites peut-être : « Il n’y a pas de fumée sans feu, cet auteur doit quand même avoir quelque chose à se reprocher. Je m’abstiens de le lire ou de l’écouter. ».
Attention ! Tel est peut-être justement le but recherché par une campagne de rumeurs : dresser un cordon sanitaire autour d’auteurs qui dérangent ! Sur Internet, où on trouve à boire et à manger, nous avons donc tous intérêt à nous poser les questions que, dans un tribunal, doit se poser un juge intègre et consciencieux :
  1. Ai-je entendu les deux parties ?
  2. M’a-t-on présenté des preuves fiables ?
  3. Essaie-t-on de me manipuler ?
Alors, pour permettre à chacun de se faire librement une opinion sans être manipulé, voici une petite observation des trucs et procédés qu’on retrouve dans toutes ces campagnes de diabolisation. Dix critères pour juger si le dossier est sérieux ou bidon.

Les 10 commandements du parfait diaboliseur :

  1. NE DONNE PAS LA PAROLE A L’ACCUSE !
Le diaboliseur ne vérifie jamais auprès de « l’accusé » l’exactitude des faits reprochés, ni s’il existe une explication différente de ces faits ou si l’accusé aurait éventuellement changé d’avis. Tout se passe comme si connaître la vérité ne l’intéresse pas.
  1. CACHE LES TEXTES QUI TE CONTREDISENT !
Le diaboliseur ne fournit pas de preuves. Même quand « l’accusé » a écrit exactement le contraire de ce qu’on lui reproche, le diaboliseur cache soigneusement ces textes à son public.
  1. CACHE TES MOTIVATIONS !
Le diaboliseur fait semblant de s’attaquer à une seule cible, qui serait dangereuse mais isolée. Cependant, quand on considère l’ensemble des cibles, tout le monde devient « conspi » ou « antisémite » : Ziegler, Chavez, Castro, Le Grand Soir, Lordon, Ruffin, Kempf, Carles, Gresh, Bricmont, Bourdieu, Wikileaks, Morin, Mermet, Boniface, Enderlin, Cassen, Siné, Bové, Péan, Godard, Jean Ferrat, Seymour Hersh et même des analystes juifs Hessel, Chomsky, Finkelstein. Vous ne l’aviez pas remarqué mais ce sont tous des « complotistes », des « antisémites » ou les deux ! En fait, on diabolise ainsi tous ceux qui critiquent les Etats-Unis ou Israël.
  1. RECOPIE LES MEDIAS !
Le diaboliseur ne remet jamais en cause l’info des médias officiels. Bien qu’il ait été prouvé que chaque guerre est accompagnée de désinformation, le diaboliseur recopie cette version médiatique officielle comme si elle était totalement fiable. Et si l’accusé la met en doute, c’est la preuve de son « complotisme » et de sa mauvaise foi. Même quand il se prétend de gauche, le diaboliseur ne se gêne pas pour réutiliser les positions et arguments de la droite.
  1. FAIS SEMBLANT DE NE PAS COMPRENDRE !
Le diaboliseur supprime toute nuance dans le discours de sa cible. Par exemple, quand Washington attaque la Libye ou la Syrie, si vous démontrez que des intérêts économiques ou stratégiques sont en jeu, que la guerre ne fait qu’aggraver les problèmes et qu’il vaut mieux chercher une solution négociée, alors vous « soutenez les dictateurs ». Même si vous avez écrit exactement le contraire.
La confusion est systématiquement créée entre « s’opposer à la guerre » et « soutenir un dictateur ». Le diaboliseur fait semblant de ne pas comprendre la différence entre les deux. Son vrai but est de manipuler l’émotion légitime du public et l’empêcher de raisonner.
  1. EMPECHE LE DEBAT SUR TES PROPRES OPINIONS !
Le diaboliseur prend soin de ne pas dévoiler ses propres positions, et parfois aussi ses financements. Il n’avoue jamais qu’il s’appuie sur des think tanks et lobbies financés par des grandes puissances. Il ne dit jamais qu’il soutient tel gouvernement, telle guerre ou telle politique néolibérale et pourquoi. Ce n’est pas le débat qui l’intéresse, mais d’exclure « les mauvais » du débat.
Pour cette raison, la plupart des diaboliseurs avancent masqués. Parfois la même personne utilise divers pseudonymes. Autre technique de manipulation : les diaboliseurs se citent les uns les autres en boucle afin de donner l’impression que « tout le monde le dit ».
  1. COLLE DES ETIQUETTES !
Pour discréditer, le diaboliseur cache la véritable position et les arguments du diabolisé. Il se contente de lui coller des étiquettes : « antisémite », « complotiste », « ami des dictateurs ». Ou des termes flous sans valeur objective : « controversé », « peu crédible ». La véritable position du diabolisé est ainsi caricaturée.
  1. INSINUE PLUTOT QUE D’EXPLIQUER !
Pour éviter d’être poursuivi en justice pour diffamation, le diaboliseur remplace souvent l’accusation claire et nette par une insinuation indirecte. Il crée une impression générale de suspicion pour refuser la discussion franche.
  1. PRATIQUE L’AMALGAME POUR NOIRCIR !
Son dossier étant vide d’arguments pour critiquer la cible, le diaboliseur pratique l’amalgame. Il associe sa cible – sans aucune logique – à d’autres personnes ou mouvements : « Machin a rencontré Chose qui lui-même a rencontré Truc qui est lié à l’extrême droite, donc Machin est d’extrême droite ». Variante : Machin a soutenu Truc il y a dix ans, et depuis Truc est devenu d’extrême droite, alors Machin est responsable de cette évolution et est aussi d’extrême droite. Aberrant ! Sauf si le but est de noircir à tout prix.
  1. FRAPPE ET FOUS LE CAMP !
Le diaboliseur applique à sa manière un principe de la guérilla : « Frappe et fuis ». Il refuse soigneusement tout débat contradictoire. Il consacre de longs textes ou des émissions entières à dénigrer en prenant soin que le diabolisé ne puisse se défendre. Les sites diaboliseurs censurent les droits de réponse et même les questions de leurs propres sympathisants. Car toute discussion franche les démasquerait.

Source: Investig’Action

19 février 2017

Un livre et une matraque

Des faits divers récents ont, une fois de plus, mis sur le devant de l’actualité des actes de répression disproportionnés. Forcément, ils choquent d’autant plus que chacun se dit qu’il aurait pu en être la victime expiatoire.
Le plus léger, celui sur lequel nous allons nous attarder, c’est cette dame verbalisée par la nouvelle brigade anti-incivilités mise en place par la Mairie de Paris. Déjà, on avait compris qu’il s’agissait surtout de faire la chasse aux sans-abris et aux mendiants mais on voit que, comme il fallait s’y attendre, elle va éviter les quartiers, les rassemblements où les incivilités, les dégradations sont fréquentes pour traquer les étourdis et quelques vrais indifférents au bien public mais isolés, donc faciles à aborder et à sanctionner.

L’avenir sera-t-il celui de nos espérances ou bien celui de nos cauchemars ?


Aujourd’hui on sait que l’Histoire ne suit jamais le chemin qu’on lui trace. Non qu’elle soit par nature erratique, ou insondable, ou indéchiffrable, non qu’elle échappe à la raison humaine, mais parce qu’elle n’est, justement, que ce qu’en font les hommes, parce qu’elle est la somme de tous leurs actes, individuels ou collectifs, de toutes leurs paroles, de leurs échanges, de leurs affrontements, de leurs souffrances, de leurs haines, de leurs affinités. Plus les acteurs de l’Histoire sont nombreux, et libres, plus la résultante de leurs actes est complexe, difficile à embrasser, rebelle aux théories simplificatrices. (…)
L’avenir sera-t-il celui de nos espérances ou bien celui de nos cauchemars ? Sera-t-il fait de liberté ou bien de servitude ? La science sera-t-elle, en fin de compte, l’instrument de notre rédemption ou bien celui de notre destruction ? Aurons-nous été les assistants inspirés d’un Créateur ou bien de vulgaires apprentis sorciers ? Allons-nous vers un monde meilleur ou bien vers « le meilleur des mondes » ? Et d’abord, plus près de nous, que nous réservent les décennies à venir ? une « guerre des civilisations », ou la sérénité du « village global » ? Ma conviction profonde, c’est que l’avenir n’est écrit nulle part, l’avenir sera ce que nous en ferons. Et le destin ? demanderont certains, avec un clin d’œil appuyé à l’Oriental que je suis. J’ai l’habitude de répondre que, pour l’homme, le destin est comme le vent pour le voilier. Celui qui est à la barre ne peut décider d’où souffle le vent, ni avec quelle force, mais il peut orienter sa propre voile. Et cela fait parfois une sacrée différence. Le même vent qui fera périr un marin inexpérimenté, ou imprudent, ou mal inspiré, ramènera un autre à bon port. (…)
Je ne voudrais pas me contenter de cette image marine, qui a ses limites ; il me paraît nécessaire d’exprimer les choses plus clairement : la formidable avancée technologique qui s’accélère depuis quelques années, et qui a profondément transformé nos vies, notamment dans le domaine de la communication et de l’accès au savoir, il ne servirait à rien de se demander si elle est « bonne » ou « mauvaise » pour nous, ce n’est pas un projet soumis à référendum, c’est une réalité ; cependant, la manière dont elle affectera notre avenir dépend en grande partie de nous. (…)
Bien que la population de la planète ait presque quadruplé en cent ans, il m’apparaît que, dans l’ensemble, chaque personne est plus consciente que par le passé de son individualité, plus consciente de ses droits, un peu moins sans doute de ses devoirs, plus attentive à sa place dans la société, à sa santé, à son bien-être, à son avenir propre, aux pouvoirs dont elle dispose, à son identité - quel que soit par ailleurs le contenu qu’elle lui donne. Il me semble également que chacun d’entre nous, s’il sait user des moyens inouïs qui sont aujourd’hui à sa portée, peut influencer de manière significative ses contemporains, et les générations futures. A condition d’avoir quelque chose à leur dire. (…)
A condition, surtout, de ne pas se blottir chez soi en marmonnant : « Monde cruel, je ne veux plus de toi ! »


Amin Maalouf "Les identités meurtrières", Ed. Grasset, Paris, 1998.



(Texte proposé par A.D)