31 octobre 2013

Garaudy-Césaire



Sur le site de l’INA, un documentaire (payant : 2,99€) sur Aimé Césaire avec deux interventions de Roger Garaudy :  http://boutique.ina.fr/notice/voir/id_notice/CPC95004858

En voici  la notice de présentation :

Le deuxième volet de ce documentaire intitulé "Au rendez-vous de la conquête" débute par les années de formation intellectuelle d'Aimé CESAIRE et finit avec las années 50. Témoignages, archives, banc-titres et lectures de textes du poète et de l'homme engagé ponctuent les interviews d'Aimé CESAIRE.
- Jean Henrik CLARKE, professeur au Hunter College aux Etats Unis, évoque la jeunesse des années 20. Pour Aimé CESAIRE, la rencontre avec l'univers des écrivains américians a été un choc. Howard DODSON rappelle les fissures du colonialisme provoquées par la première guerre mondiale. Les blancs n'étaient désormais plus invincibles. Aimé CESAIRE profite de ces années de formation pour voyager, en particulier en Yougoslavie.
- Jean TOUSSAINT DESANTI, philosophe, évoque le personnnage du poète en qui il voyait un homme libre et enraciné.
- Selon Aimé CESAIRE, les guerres d'Espagne et d'Ethiopie étaient des préfaces. L'Europe était conquérante. Il fallat que la négritude soit dite.
- Roger GARAUDY, philosophe, se souvient de la voix de révolte et d'espérance diffusée par Aimé CESAIRE, qui a vu dans SENGHOR le fondateur de la négritude. Il est rentré au PC comme en religion. Jorge AMADO, écrivain, souligne que rentrer au PC était le moyen le plus efficace pour changer la société. Quant à Dominique DESANTI, elle rappelle l'engagement d'Aimé CESAIRE dans son action politique. Albert MEMMI, écrivain, pense qu'il n'avait pourtant pas la connaissance vécue de la colonnisation. René DELEPINE lit une lettre d'Aimé CESAIRE.
- Les années 50 sont ensuite abordées avec les principaux événements (archives).
- Aimé CESAIRE conclut en précisant que "la négritude est un humanisme situé dans l'histoire, un enracinement".

29 octobre 2013

Une révolution aujourd’hui a plus besoin de transcendance que de déterminisme. Une rencontre inédite du socialisme et de la foi.



Marxisme, matérialisme et liberté, par Roger Garaudy 
(dans Appel aux vivants, pages306 à 314)

Le besoin fondamental du monde, aujourd'hui, surtout en Occident,
c'est un réveil de responsabilité.

27 octobre 2013

En finir avec les lois mémorielles. La liberté pour l'histoire est la liberté de tous

Loi sur les génocides : une bataille perdue, pas la guerre
Lundi 02 janvier 2012
Par Pierre Nora, Président de Liberté pour l’histoire.

[Article paru dans Le Monde le 28 décembre 2011 sous le titre Lois mémorielles : pour en finir avec ce sport législatif purement français]

On ne pouvait imaginer pire. Et si le Sénat devait confirmer cette funeste loi sur « la pénalisation de la contestation des génocides établis par la loi », ce sont les espoirs de tous ceux qui ont désapprouvé la généralisation des lois mémorielles et tous les efforts de l’association Liberté pour l’histoire depuis sa création, en 2005, qui se trouveraient anéantis. À peine y avait-il une cinquantaine de députés en séance pour voter à main levée. Je ne doute pas que les plus conscients d’entre eux ne tarderont pas à se mordre les doigts devant les conséquences de leur initiative. L’ampleur du désastre est telle qu’il faut reprendre la question à zéro.
Il y a en effet dans cette loi deux aspects très différents : la question arménienne, sur laquelle on s’est focalisé ; et un aspect de portée beaucoup plus générale, qui n’a pas été mis en relief.
Versant arménien, l’affaire est claire. Le parallèle historique entre le « génocide » arménien et la Shoah, qui justifierait l’alignement de la législation française sur la loi Gayssot — pénalisant en 1990 la contestation du génocide juif —, ne tient pas. Pour la Shoah, en effet, la responsabilité de la France vichyste est directement engagée, alors que, dans le cas de l’Arménie, la France n’est pour rien. Et s’il s’agissait de faire pression sur la Turquie, le résultat est concluant : la décision française ne peut qu’exacerber le nationalisme turc et bloquer toute forme d’avancée vers la reconnaissance du passé. La Turquie avait proposé en 2005 la création d’une commission d’historiens bipartite et l’ouverture des archives ; les Arméniens avaient refusé au nom de leurs certitudes : génocide il y avait, et donc rien à ajouter, comme si le mot seul dispensait d’explorer les conditions de la chose. Le gouvernement français aurait dû faire pression pour qu’Ankara installe une commission internationale, dont la Turquie se serait engagée à suivre les conclusions, pour sortir du fatal tête-à-tête.
Le mot génocide a une aura magique, mais il faut rappeler que tous les historiens sérieux sont réticents à l’utiliser, lui préférant, selon les cas, « anéantissement », « extermination », « crimes de  masse ». L’expression, élaborée pendant la guerre, a été dotée d’une définition juridique en 1948, fondée sur une intention exterminatrice. Elle a pris une connotation extensive, aux frontières floues, et son utilisation n’a plus qu’un contenu émotif, politique ou idéologique. Si les Arméniens souhaitent l’utiliser, pourquoi pas ? Il peut se justifier. Mais ce génocide était déjà reconnu par la République française depuis 2001. Alors ? Ce qui frappe dans la loi adoptée ce jeudi 22 décembre, son urgence, son téléguidage par l’Élysée, c’est le cynisme politicien, la volonté de couper l’herbe sous le pied d’une initiative parallèle de la gauche au Sénat, son arrière-pensée d’en finir avec toute candidature à l’Europe de la Turquie, ainsi diabolisée, et pratiquement « nazifiée ».
Il en va de même de la notion de crime contre l’humanité, associée dans la loi à celle de génocide. La notion est entrée dans le droit en 1945 au procès de Nuremberg, et son imprescriptibilité signifiait qu’aucun des auteurs du crime n’était à l’abri de poursuites jusqu’à sa mort. On l’a vu pour les nazis. Mais l’Arménie ? Aucun des acteurs n’étant encore en vie et le crime datant de près d’un siècle, faut-il que ce soient les historiens qui en portent la responsabilité ? Ou commencera-t-elle et qui l’appréciera ? Comment ceux-ci pourraient-ils travailler sur un sujet désormais tabou ?
L’aspect arménien n’est malheureusement pas le plus grave. Cette loi prétend n’être que la mise en conformité du droit français avec la décision-cadre européenne du 28 novembre 2008 portant sur « la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal ». C’est faux : elle va beaucoup plus loin. Devant la décision de Bruxelles, la France avait choisi une « option » qui consistait à ne reconnaître que les crimes contre l’humanité, génocides et crimes de guerre déclarés tels par une juridiction internationale. C’était admettre l’éventualité d’une criminalisation des auteurs du génocide au Rwanda, au Kosovo et autres crimes internationaux contemporains, mais mettre les historiens qui travaillent sur le passé à l’abri de toute mise en cause. La loi actuelle s’applique à tous les crimes qui seraient reconnus par la loi française.
En termes clairs, la voie est ouverte pour toute mise en cause de la recherche historique et scientifique par des revendications mémorielles de groupes particuliers puisque les associations sont même habilitées par le nouveau texte à se porter partie civile. La criminalisation de la guerre de Vendée était d’ailleurs sur le point d’arriver sur le bureau de l’Assemblée en 2008 lorsque la « commission d’information sur les questions mémorielles » instaurée par le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, avait conclu à la nécessité pour la représentation nationale de s’abstenir de toute initiative future en ce sens. D’autres propositions de loi se pressaient : sur l’Ukraine affamée par le pouvoir stalinien en 1932-1933 et plus généralement les crimes communistes dans les pays de l’Est, sur l’extermination des Tziganes par les nazis, et même sur le massacre de la Garde Suisse, aux Tuileries, en 1792 ! À quand la criminalisation des historiens qui travaillent sur l’Algérie, sur la Saint-Barthélemy, sur la croisade des Albigeois ? Mesure-t-on à quel degré d’anachronisme on peut arriver en projetant ainsi sur le passé des notions qui n’ont d’existence que contemporaine, et de surcroît en se condamnant à des jugements moraux et purement manichéens ? D’autant plus que la loi n’incrimine plus seulement la « négation » du génocide, comme on se contente de le répéter, mais introduit un nouveau délit : sa « minimisation », charmante notion que les juristes apprécieront.
La loi Gayssot avait sanctuarisé une catégorie de la population, les Juifs ; la loi Taubira une autre catégorie, les descendants d’esclaves et déportés africains ; la loi actuelle en fait autant pour les Arméniens. La France est de toutes les démocraties la seule qui pratique ce sport législatif. Et le plus comique — ou plutôt tragique — est de voir l’invocation à la défense des droits de l’homme et au message universel de la France servir, chez les auteurs, de cache-misère à la soviétisation de l’histoire. Les responsables élus de la communauté nationale croient-ils vraiment préserver la mémoire collective en donnant à chacun des groupes qui pourraient avoir de bonnes raisons de la revendiquer la satisfaction d’une loi ? Faut-il leur rappeler que c’est l’histoire qu’il faut d’abord protéger, parce que c’est elle seule qui rassemble, quand la mémoire divise ?
C’est ce que défend Liberté pour l’histoire. Nous avions lancé en octobre 2008, aux Rendez-vous de l’histoire de Blois, un Appel aux historiens européens que plus d’un millier d’entre eux avaient signé en quelques semaines. « L’histoire, proclamait-il, ne doit pas être l’esclave de l’actualité ni s’écrire sous la dictée de mémoires concurrentes. Dans un État libre, il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique et de restreindre la liberté de l’historien sous la menace de sanctions pénales […]. En démocratie, la liberté pour l’histoire est la liberté de tous. »
C’est le moment de rappeler cet Appel. Que tous ceux qui l’approuvent prennent l’initiative de nous rejoindre. Il est des revers qui ne font que relancer l’ardeur au combat. Il est des lois que d’autres lois peuvent défaire, des institutions politiques que d’autres institutions politiques peuvent corriger. Rien ne peut davantage prouver le bien-fondé de notre cause, appuyée sur le simple bon-sens, que cette attaque en rase campagne. Ou plutôt en pleine campagne électorale. 

Pierre Nora

26 octobre 2013

Aujourd'hui la politique...

Ce qu'on appelle aujourd'hui « la politique », avec ses électeurs, ses partis, ses droites et ses gauches, ses défilés et ses « manifestations », n'est plus que squelette, ou plutôt fantôme [...]
Au 19e  siècle s'affrontaient encore, comme des séquelles de la Révolution française, des conservateurs partisans plus ou moins avoués d'un retour à l'Ancien Régime monarchique, avec ses hiérarchies traditionnelles et sa sacralisation par une théologie de la domination, et, en face, les héritiers d'un messianisme du « progrès » par l'essor des sciences et des techniques nécessaires à l'expansion de l'économie nouvelle, contre les survivances féodales et cléricales.
L'enjeu principal était donc la conquête de l'Etat, c'est-à-dire, alors, du Parlement, avec la géographie de son amphithéâtre (la droite et la gauche), dominant le paysage politique du pays tout entier. La liturgie électorale culminait dans la grand-messe devant l'urne : l'acte de déposer son bulletin était l'expression de la souveraineté du citoyen, comme autrefois le sacre celle de la souveraineté du roi.
[…]Tous les acteurs, tous les moteurs, et toutes les significations de la politique du 19e  siècle ont disparu de la scène, et des histrions battent le rappel des badauds devant les décors du théâtre vide, comme si rien n'avait changé.
Les « conservateurs » de la droite séculaire ont été refoulés du côté jardin ; du côté cour, les « pères fondateurs » de la gauche et du « progrès » ont été « progressivement » métamorphosés en chiens de garde de l'économie de marché, devenue l'héritière du « droit divin ».
Désormais, le drame véritable, c'est-à-dire notre vie et notre avenir, se joue dans les coulisses des montreurs de marionnettes.
Là, sous la garde vigilante d'une monarchie élective, se trouve toute la réalité du pouvoir. Il s'exerce à tous les niveaux, sans intervention de ceux qu'on appelle encore des « citoyens », bien qu'ils n'aient plus aucun contrôle sur la gestion de la cité.
Les uns se réclament d'une droite brandissant l'étendard du « libéralisme » (celui de Reagan et de Thatcher, comme de Bush), les autres d'une gauche baptisant « progrès » ce que l'un de leurs maîtres, Léon Blum, appelait déjà, i l y a un demi-siècle, une politique de « gérants loyaux du capitalisme ». Les « énarques » des deux bords régnent depuis les cabinets ministériels jusqu'aux directions des préfectures, assurant avec continuité le fonctionnement de la grande machine d'État.
Les grandes décisions […] sont prises dans les comités, inconnus du public et irresponsables devant le peuple, où de hauts fonctionnaires de l'État rencontrent de grands « managers » du privé. Les uns et les autres ayant la même formation et la même religion : le monothéisme du marché, et le même avenir de retraite et de « pantouflage » dans les Conseils d'administration des multinationales, s'ils ont été dociles à leurs lobbies et à leur pression.
« L'État », dans ses manifestations extérieures (sa police et sa justice, ses administrations, ses réglementations et ses prisons), n'est plus seulement le « veilleur de nuit » dont rêvaient les « libéraux » du siècle dernier, mais l'appareil de répression de tout ce qui pourrait entraver le libre jeu de l'économie de marché telle qu'on l'enseigne à la Business School de Harvard, ou qu'on l'impulse à travers le monde au Council of Foreign relations de New York, sous le nom de « nouvel ordre international ».
Cette « économie politique » est une science des choses et non des hommes. La notion même de « science politique » est entendue au sens de l'empirisme de Bentham, Locke, et du positivisme d'Auguste Comte. Elle repose sur le dogme implicite d'un « ordre naturel » (celui du marché), que l'homme ne peut transformer, mais seulement gérer.
Ce système ressemble de plus en plus à celui des États-Unis : la société est assimilée à une entreprise commerciale où la culture et la réflexion sur les fins ne jouent aucun rôle.
Telle est la « science » qu'on enseigne à Sciences-Po ou à l'ENA.

Roger Garaudy, Les fossoyeurs, L'Archipel éditeur, 1992, pages 173 à 175

25 octobre 2013

Marx et le dogmatisme


 
            Le caractère dogmatique des régimes se réclamant du marxisme a fortement déteint sur Marx lui-même. Or, rien n’est plus étranger à la pensée de Marx que le dogmatisme. Dans son jeune âge, Marx a renié les deux formes de dogmatismes les plus influents de son époque : l’un fondé sur l’idéalisme de Hegel et l’autre sur le matérialisme de Feuerbach. Feuerbach fait remarquer que l’homme de  Hegel projette en dehors de lui l’idéal de bonté, de perfection etc … qui se trouve normalement dans son esprit, transformant cet idéal en Dieu, pour ensuite se mettre à l’adorer. C’est un phénomène d’aliénation, en tant que perte d’une partie de soi. La solution serait de retrouver l’homme, au lieu de chercher Dieu. En fait, Feuerbach renverse l’idéalisme de Hegel mais garde toujours le cadre dogmatique de sa pensée. Il remplace une théologie par une autre, matérialiste cette fois. « Lhomme » de Feuerbach est une entité abstraite, iréel, flottant dans l’éther d’un système philosophique. Le matérialisme de Marx rattache cet homme à un cadre concret : la société dans laquelle il se trouve, et à une vie concrète par le travail qu’il y fournit. Par son travail l’homme vit et participe à la vie, et par sa sociabilité, il est capable d’agir collectivement. Son action lui permet d’intervenir sur le réel, tout en étant aussi déterminé par le réel. Cet ancrage dans le réel, le concret, fait que la pensée de Marx est bien loin de tout dogmatisme.
            En effet, chacune des théories et « lois » marxistes est assortie d’un cadre d’application précis en dehors duquel elle ne peut se vérifier. Autrement dit un « réel » l’attestant ou le réfutant. Ce « réel » ne cessant d’évoluer dans le temps et de varier selon le lieu, une théorie ou une « loi » ne saurait être appliquée de façon dogmatique partout et en tout temps. Un exemple en est la « loi de la valeur ». Elle prétend que la valeur d’une marchandise dépend uniquement de la quantité de travail nécessaire pour la fabriquer. Marx précise que cette « loi » n’est valable que dans un environnement où l’offre et la demande sont illimitées et où la machine ne fait que transmettre la valeur sans participer à la produire. A l’ère de la machine à vapeur, Marx était conscient que sa « loi » atteindra ses limites quand la science en progressant va intervenir directement dans la création de la valeur. Il écrit : « en même temps que le développement de la grande industrie, la production de marchandises dépendra de moins en moins du temps de travail et de plus en plus de l’efficacité de la machine (…). La production sera déterminée par le progès scientifique et technique (…). Quand le travail, directement, ne sera plus la principale origine de la richesse, alors le temps de travail ne sera pas non plus la mesure de cette richesse » (Fondements de la critique de l’économie polotique t II). Plus loin, il tient compte en plus du facteur « organisation de la production », disant : « bien qu’il soit indispensable, (l’effet direct du travail) va être réduit à un rôle modeste par rapport à l’action de la science (..) ainsi que celle de la productivité découlant du modèle d’organisation sociale de l’ensemble des forces productives ». Si la « loi de la valeur » ainsi énoncée peut s’avérer fausse, et reconnue comme telle par Marx lui-même, il pourrait en être de même de la loi de la « baisse tendancielle du taux de profit ». Ainsi, dans certaines conditions, l’entreprise capitaliste ne serait pas forcément emprisonnée dans le cercle viscieux : plus la production augmente plus le taux de profit diminue et plus le taux de profit diminue, plus il faut augmenter la production. …
            De la même façon, on se réfère souvent aux « cinq stades de l’Histoire » énoncés par Marx : celui du communisme primitif, de l’esclavage, de la féodalité, du capitalisme et du communisme civilisé, comme une vision générale de l’Histoire. A ce propos, dans une lettre répondant à Michailovski en 1877, Marx conteste les « déformations du schéma (qu’il) a esquissé pour décrire la constitution du capitalisme en europe occidentale en le transformant en une théorie de l’Histoire (…) à caractère universel, s’appliquant de façon inéluctable à tous les peuples, sans considérer les circonstances historiques les concernant … ». Dans la post face du Capital 2è édition, en 1873, Marx citait déjà une revue russe (Le Mesager Européen), disant : « on prétend que les lois de la vie économique sont toujours universelles, immuables, elles s’appliquent au présent comme au passé. C’est justement ce que Marx réfute : d’après lui les lois abstraites sont iréelles (…) Au contraire, chaque étape de l’Histoire ont des lois qui lui sont spécifiques ». Bref, en matière de Marxisme, dogmatiques, s’abstenir.

23 octobre 2013

Ainda é Tempo de Viver



               
                       por  Pedro Luso de Carvalho  
       
       
        O filósofo francês, ex-integrante do Partido Comunista da França, Roger Garaudy, autor de mais de 50 livros, uma grande parte dessa produção sobre a filosofia política e marxismo, deu como título de uma de suas obras Est enconre temps de vivre ('Ainda é tempo de viver’), esta, escrita em cooperação com Pierre-Luc Seguillon (Paris: Editions Stock, 1980); no Brasil, o livro foi publicado em 1981, com tradução de Aulyde Soares Rodrigues, pela Editora Nova Fronteira.

        O título da obra, Ainda é tempo de viver, não antecipa, como o leitor poderia pensar, tão-somente uma mensagem de esperança e de otimismo, mas, antes de tudo, uma forte crítica sobre ausência da fé pelos povos - não a fé pregada pelas igrejas cristãs. E, essa é mesmo a intenção de Garaudy, que no início do livro pergunta: “Existe um futuro para o homem?” E, após, convida o leitor para, com ele, ler um pequeno artigo de jornal, sobre um homem que morreu dilacerado por um trem do metrô, logo acrescentando: “Um homem livre, entre homens livres, foi dilacerado por essa liberdade”.

        Mais adiante, Garaudy diz o motivo que o levou a contar essa história: “Porque ela nos conduz ao problema central. Não apenas ao problema de viver, mas ao problema central do nosso tempo: as vidas sem objetivo. Vidas que levam apenas à morte”. Após essa afirmação, indaga o que se deve fazer para mudar isso; e afirma que pelo menos quinze mil suicídios são cometidos na França, por ano – ‘quase tanto como o número de mortes nas estradas’ -; e que as tentativas de suicídios ficam em torno de cem mil – ‘muito menos do que o número de inválidos por desastres de carro ou de moto’ -; e que, por alcoolismo, morrem quarenta mil pessoas, bem menos que as mortes pelo fumo, que atingem vinte mil; e menciona que morrem menos pelas drogas – ‘Falo das drogas que não o álcool, o fumo ou o automóvel’.

        É evidente que esses dados estatísticos não valem para os dias atuais, para este início do ano 2009, bem distante desses levantamentos mencionados por Garaudy, na França de 1980. E, se esses números de suicídios e das suas tentativas de suicídio, das mortes nas estradas por acidentes de carro e das mortes pelo vício do álcool e do fumo são demasiadamente elevados, o que poderíamos dizer sobre uma estatística francesa atualizada, cujos números devem ter aumentado em razão da taxa populacional, aumento astronômico do número de veículos rodando pelas ruas e estradas, além do aumento do número de alcoólatras, fumantes, etc. O mesmo vale para o Brasil e para as principais metrópoles do mundo.
 
         Garaudy pergunta, depois de dizer que a metade das neuroses é provocada pelo ruído, que oitenta por cento por câncer ambiental, e, ainda, as doenças cardíacas, em conseqüência da vida agitada que se leva. Depois se pergunta se tudo isso faz sentido. E mais: ‘Nossa vida quotidiana significa alguma coisa? Quem é o chefe da orquestra invisível que rege essa cacofonia?” A resposta a essas perguntas de Garaudy, é ele mesmo quem as dá: “O crescimento. Isto é, o domínio de toda a sociedade por este modelo de organização de empresa, exatamente como foi concebido na primeira metade do século XX, denunciada por Chaplin em Tempos modernos. Uma empresa cuja única finalidade é produzir seja lá o que for e fabricar o mais possível”.

        Segue parte da crítica ao crescimento, por Garaudy: “Minha crítica ao crescimento não tem fundo ‘moral’, nem mesmo ‘ecológico; é uma crítica feita em nome de um outro modo de agir no mundo. A tese central do meu ‘Apelo aos vivos’ é a de que o problema do crescimento não é apenas um problema econômico e político, mas acima de tudo um problema de fé, uma vez que o crescimento é o deus oculto de nossas sociedades e que a publicidade é sua liturgia demente. Toda a minha argumentação baseia-se neste princípio: ‘podemos viver de outro modo’. Saber que podemos nos livrar desse mergulho suicida do atual modelo de crescimento é um ato de fé”.

        Garaudy fala mais dessa fé, para ele indispensável para que se possa viver melhor no mundo conturbado de hoje, com todo o tipo de violência, como as que foram por ele mencionadas, e que, por certo, deve fazer menção também ao morticínio que nos dias atuais ocorre na Faixa de Gaza, entre judeus e palestinos, com vítimas inocentes, como crianças, mulheres e velhos - além dos combatentes -, que não tiveram nenhuma ingerência nas decisões políticas tomadas pelos líderes responsáveis por essa barbárie:

        “Em uma palavra, a fé é a alma de toda a política que está à altura do homem, de toda a política sem dogmatismo e sem dominação, desde que cada um aja com a consciência de ser pessoalmente responsável pelo destino de todos os outros”. E aduz o filósofo: “E essa fé pode ser a de um hindu, de um judeu, de um cristão, de um mulçumano ou de um ateu”.

        No capítulo “Do crescimento cego à fé no homem”, o primeiro de seu livro Ainda é tempo de viver, já perto do final do texto, escreve Garaudy: “Toda a revolução profunda nasce da conjunção da miséria e da revolta com a esperança e a fé. A grande fraqueza das igrejas cristãs é o seu distanciamento dos movimentos populares e a degradação da fé transformada em religião. Dessa dupla mutilação, a revolução de um lado, e as Igrejas de outro, decorre nossa incapacidade atual de operar as mutações necessárias à nossa sobrevivência e à nossa vida”. [Alguns dados biográficos de
Roger Garaudy.]

21 octobre 2013

Le bouddhisme zen vu par Roger Garaudy


Le bouddhisme zen, c'est d'abord un bouddhisme chinois, ou, plus
exactement, un bouddhisme taoïste.
Son point de départ est celui du bouddhisme : le désir d'être délivré
du cycle de la douleur de la naissance et de la mort, en découvrant
notre être véritable au-delà des illusions et des désirs du « moi ».
Son point d'arrivée est celui du bouddhisme, ce qui en constitue
l'essentiel : le samadhi, c'est-à-dire le parfait abandon de l'illusion du
« moi » et de ses désirs. Dans le samadhi, la pensée se retire des
choses qui nous entourent ; les chaînes causales qui nous ligotent au
monde sont coupées. Le Soutra du Diamant dit : « Être libéré de
toutes les formes [i-e. : du monde des phénomènes] c'est avoir atteint
la nature du Bouddha. »
Mais le samadhi n'est encore que l'aspect négatif de l'illumination :
se ressaisir et aboutir à cette reconstruction de « soi » qui est la
condition de notre indépendance à l'égard du monde. Le vide est ainsi
fait en nous par l'illumination : le satori , intuition de l'Être, qui n'est
plus seulement intégration de « soi », mais intégration de « soi » au
tout, et vision de l'unité de ce tout dans laquelle le « moi » se résorbe.
Toute distinction entre le sujet et l'objet s'abolit. C'est en quelque
sorte le tout qui prend conscience de lui-même.
Cet aspect essentiel du bouddhisme est très proche de l'illumination
taoïste. En Chine, elle ne fera plus qu'un avec elle.
Déjà, dès le 2e  siècle de notre ère, le patriarche bouddhiste indien
Nagarjuna, partant de l'analyse des relations d'interdépendance qui
régissent les « agrégats » du « moi » et des choses, avait développé le
thème dominant de tout le bouddhisme ultérieur : chaque chose
n'existe que par toutes les autres, c'est-à-dire qu'elle est relative et
sans nature propre. La doctrine de Nagarjuna est essentiellement celle
du vide de substance de chaque chose, qui n'existe que par la loi de
production et de destruction incessante et des relations mutuelles des
choses, loi qui est leur unique réalité.
Le bouddhisme se rapproche ainsi du taoïsme. Mais la synthèse ne
s'opérera vraiment qu'un demi-millénaire plus tard avec l'arrivée en
Chine d'un moine indien : Bodhidharma, dont les disciples ont
résumé les enseignements en trois principes :
1. ne pas se fonder sur les textes ;
2. révéler directement à chaque homme son esprit original ;
3. contempler sa propre nature pour s'identifier au Bouddha.
Ce mouvement s'implante très vite en Chine, d'abord parce que le
premier principe faisait sauter l'obstacle de la langue : il n'était plus
nécessaire de s'instruire dans les textes en pali du Bouddha, mais de
retrouver en soi-même l'expérience directe du Bouddha. L'accent mis
sur l'expérience directe, concrète, et non sur les spéculations métaphysiques
et les visions, était plus proche du caractère pratique des
Chinois. Et surtout les conditions historiques étaient propices pour ce
renouveau.
Nous avons eu déjà l'occasion de remarquer que les grands
mouvements spirituels naissent souvent à un moment de fracture de
l'histoire, en des époques de troubles où une mutation véritable n'est
possible que par une initiative créatrice capable de surmonter les
contradictions les plus profondes. Or, les trois grands sommets du
bouddhisme zen se situent à de semblables périodes : les années
autour desquelles se situe l'arrivée de Bodhidharma correspondent
aux luttes sanglantes entre les dynasties du Nord et du Sud, où la ruse
et le crime étaient les moyens normaux de la politique. Le « sixième
patriarche du bouddhisme zen », Houeï Neng (677-744), est contemporain
des grandes crises de l'empire T'ang, et Li Tchi (que les
Japonais appellent Rinzaï) vit, au milieu du i x e siècle, l'agonie de cet
empire ; le pouvoir central s'effrite par suite de rébellions militaires et
de sécessions, notamment en 782. Les structures sociales et économiques
se transforment. Un mouvement sauvage de xénophobie
proscrit le bouddhisme comme doctrine étrangère au profit du
conservatisme confucéen.
Il convient de ne pas oublier cette atmosphère qui appelait à une
remise en cause fondamentale de l'ordre et des valeurs établies pour
comprendre le caractère véritable du Tch'an, sa signification, et pour
nous, en cette fin du x x e siècle, où un autre ordre et d'autres valeurs
agonisent, la très grande actualité de cette contestation.
Le Tch'an (qui se prononcera zen en atteignant le Japon vers le
11e   siècle), prolongeant en ceci l'esprit du taoïsme, vise à se dépouiller
de tout ce qui, en l'homme, a été artificiellement surajouté à sa
nature, qu'il s'agisse des ritualismes religieux ou des contraintes
sociales, lorsque l'ordre et les valeurs ne sont plus que des mots, vidés
du sens qu'ils ont pu avoir en d'autres temps et en d'autres
circonstances. (Songeons aux contenus qui sont mis aujourd'hui sous
des mots comme : liberté, socialisme, patrie, morale, etc., et nous
comprendrons à la fois la fureur iconoclaste des grands maîtres tch'an
[zen] contre la tyrannie des textes et des mots, et la vogue dont jouit
aujourd'hui le Zen en Occident, même sous des formes parfois
dévoyées.)
Ils attaquent tous les formalismes, les mythes, les conventions
religieuses, morales ou sociales. Et, au-delà, les concepts, les logiques
et les mots, pour tenter de retrouver, par leur comportement « casse dogmes
», des « commencements absolus », une expérience vécue
au-delà du langage. (Ici encore, les victimes des délires « linguisticomaniaques
», tendant à réduire toute réalité au « discours » et aux
structures du « discours », peuvent trouver dans le Zen un antidote
heureux pour redécouvrir les dimensions de la vie sous son dessèchement
linguistique.)
Le moment décisif de l'extension du Tch'an, en Chine, se produisit
avec Houeï Neng, que la tradition présente parfois comme un moine
illettré et qu'une peinture Song montre en train de déchirer des liasses
d'écrits « sacrés ». Houeï Neng, d'après les textes qui nous en sont
parvenus (notamment les Soutras de l'Estrade), développe les thèmes
majeurs attribués à Bodhidharma : la transmission de l'esprit du
Bouddha en dehors des textes de son enseignement, d'un homme à un
homme, sans la médiation de l'écriture. Selon Houeï Neng les livres
n'ont fait qu'emprisonner dans des récipients l'eau d'une source qui
est en chacun de nous : « La Bodhi (sagesse), dit-il, existe dans notre
nature originelle. Elle y est pure. Il nous suffit de la percevoir
directement pour parvenir à l'état d'un Bouddha. » Déjà l'on pouvait
lire dans le Soutra du Diamant, qui joua un rôle décisif dans
l'orientation de Houeï Neng : « Laissez votre esprit évoluer librement
sans qu'il demeure nulle part. »
Dans sa lutte contre l'intellectualisme et les mots, il met l'accent sur
la voie négative et le « saut brusque » pour atteindre l'illumination :
Dans mon enseignement, tout est établi sur la non-pensée
comme doctrine principale , la non - forme comme substance et l a
non - demeure comme base. La non - demeure est la nature
originelle de l 'homme . Être non souillé par tout ce qui nous
environne est appelé non-pensée1...

La réalité est au-delà de tous les couples de contradictions :
La véritable nature n'est ni impermanente ni permanente ;
elle ne va ni ne vient ; elle n'est ni au centre, ni à l'intérieur, ni à
l'extérieur ; elle n'est pas née et ne meurt pas ; son essence et ses
manifestations résident toutes deux dans l'état absolu de
l'inéluctable. Éternelle et immuable, nous l'appelons le Tao2.
Le surgissement de l'illumination, non pas au terme d'une méditation
méthodiquement organisée, mais par un « saut brusque »,
découle du principe même du Zen : il n'y a aucune commune mesure
entre le raisonnement logique par concepts et la vision de l'absolu.
L'entraînement zen consiste donc non à apprendre mais à désapprendre.
A nous déprendre de nos démarches intellectuelles coutumières
: on ne peut « voir en soi la nature du Bouddha », c'est-à-dire
saisir l'univers comme tout, et soi-même à l'intérieur de ce tout, qu'en
éliminant toute activité de l'esprit procédant par enchaînement de
logique ou de causalité. Le Dharmapada Soutra dit : « En un éclair
pénétrer dans le vide ultime, voilà la sagesse. »
Cette « absence de pensée », cette « non-pensée », si proche du
« non-agir » du taoïsme, n'est pas pure négation. Tout au contraire
elle est la propédeutique nécessaire à d'autres modes d'accès à la
réalité véritable.
La peinture, nous l'avons vu pour le taoïsme, est l'une de ces voies.
Et des oeuvres de peintres zen, comme le moine japonais Sesshue
(1420-1506), en sont témoins.
Il en est de même pour la poésie. Dès la fin du 8ee  siècle, Taï
Chamlouen écrivait que « l'esprit poétique ouvre la porte du
Tch'an ». Dans la période Song, Li Tche-yi écrit à Sou Tong-p'o :
« Entre Tch'an et poésie, pas de différence : l'illumination du pinceau
est pareille à l'illumination du Tch'an. »
La poésie propre du Tch'an, telle qu'elle va s'exprimer, à l'époque
Song, dans le Koan, c'est-à-dire dans les énigmes, apparemment
absurdes, qui, en cassant la logique et les associations habituelles
d'images ou d'idées, ouvrent la voie à l'illumination, évoque souvent
le surréalisme, lui aussi « casse-dogmes ».
Le maître du Zen sous lequel s'épanouit le Koan, au 9e e siècle, est
Rinzaï.
Rinzaï définit quatre sortes de relations possibles entre l'homme et
la nature :
1. on peut supprimer l'homme sans supprimer l'objet. Cela signifie2. Ibid.
se perdre dans la nature. Réalisme dans lequel le « moi » devient
irréel : c'est le monde sans l'homme ;
2. on peut supprimer l'objet mais non l'homme. C'est l'idéalisme
radical, tel, par exemple, celui de Çankara en Inde : le monde entier
se joue à l'intérieur de ma conscience et n'est rien que la conscience
que j'en ai ;
3. on peut supprimer à la fois l'homme et l'objet. C'est l'anéantissement
de toute conscience et de toute réalité, de l'intérieur et de
l'extérieur, comme dans un sommeil sans rêve ;
4. on peut ne supprimer ni le sujet, ni l'objet, ni l'homme, ni la
nature. C'est un retour à la réalité, après la double critique du sujet et
de l'objet. Ce réalisme, qui n'est plus « naïf », est celui de Rinzaï.
Cette dernière relation caractérise « l'homme vrai », l'homme
solidement enraciné dans un monde dont on ne met pas en doute
l'existence, comme totalité et comme unité. Cet homme vrai est
également confiant en lui-même parce qu'il a su étreindre la réalité
au-delà de l'écran artificiel des concepts, des mots et de leur logique.
Cet homme est autonome en ce double sens qu'il a surmonté l'illusion
qu'il existe un autre monde, et que les choses ou le « moi » ont une
réalité en soi, indépendamment de la totalité qui leur donne leur
réalité et leur sens.
De là les paradoxes célèbres de Rinzaï qui tous tendent à montrer
au disciple qu'aucune réalité séparée, fût-ce celle du Bouddha, n'a de
sens en dehors du tout :
N e vous laissez égarer par personne. Tout ce que vous
rencontrerez [comme réalité séparée. — R . G . ] , au-dehors et
au-dedans de vous-mêmes, tuez - le . Si vous rencontrez le
Bouddha , tuez le Bouddha ! Si vous rencontrez les patriarches
et les saints, tuez les patriarches et les saints ! Si vous rencontrez
vos père et mère, tuez vos père et mère ! [ . . . ] C'est le moyen de
vous délivrer, d'échapper à la servitude des choses et des êtres ;
c'est là la liberté, c'est là l'indépendance [ . . . ] Aucun de vous ne
s'exprime librement ; vous tombez tous dans le vain piège tendu
par les anciens. Moi , je n ' ai aucune Loi à donner aux hommes ;
je ne fais que soigner la maladie et délier les liens . Essayez
donc, vous qui venez à moi , de ne dépendre de rien.
Les voies, pour atteindre cette liberté, sont multiples : il y a
l'attention rigoureuse portée aux actes les plus quotidiens, et l'art de
vivre l'acte de chaque instant. Un moine, arrivant au monastère,
demande au maître Joshu :
— S'il vous plaît, donnez - moi votre enseignement.
— Avez - vous mangé votre riz ?
— Oui, dit le moine .
— Alors, ce que vous avez de mieux à faire c'est de laver
votre bol, répond Joshu.
Il y a la méditation zazen (méditation assise, généralement dans la
position dite du lotus) qui a pour objet non point de « centrer » sur
soi, mais au contraire de s'arracher au « moi », enchâssant de l'esprit
toutes les images, toutes les idées, tous les désirs, afin d'abolir toute
séparation et même toute distinction entre le sujet et l'objet, le
« moi » se résorbant dans le monde et son unité.
Il y a enfin et surtout le rapport humain direct, du maître au
disciple, qui ne s'exprime pas dans un enseignement discursif mais
dans des paradoxes ou des gestes dont l'apparente absurdité oblige
l'esprit à s'éveiller des rêves de la raison et à s'orienter vers ce qui ne
peut être compris par la logique du concept, ni exprimé par des mots,
vers ce qui transcende la raison.
Le monde entier est une question sans parole. Lorsque nous
parvenons à coïncider avec cette question, il devient inutile de
répondre. La vraie réponse à la question d'un Koan, c'est cette même
question lorsque nous-même ne faisons qu'un avec elle.
Le plus ancien recueil de ces Koans, le « Recueil de la falaise
verte » ( Pi Yenhou , en chinois, ou Hekigan Roku en japonais) a été
rassemblé par deux moines bouddhistes du Sseu Tch'ouan, au 11ee et
au 12e  siècle, à partir de propos ou d'énigmes de maîtres célèbres
dont la compréhension par les disciples permet de mesurer la
profondeur de leur expérience de l'illumination zen.
Il existe aujourd'hui 1700 Koans. Mais le recueil évoque cent
« cas » tirés de l'histoire des maîtres. Le premier exemple est celui de
l'entretien du premier patriarche zen, l'Indien Bodhidharma, lorsqu'il
se présenta devant l'empereur Wou, fondateur de la dynastie éphémère
des Leang (502-556), qui avait jusque-là favorisé le taoïsme et
qui se convertit au bouddhisme en 527.
Voici le dialogue rapporté dans le « Recueil de la falaise verte » :
L'empereur Wou, des Leang, demanda au grand maître
Bodhidharma :
— Qu'est-ce que le principe ultime de la vérité sacrée ?
Bodhidharm a répondit :
— Un vide insondable et rien de sacré.
L'empereur poursuivit :
— Mais qui ai-je donc en face de moi ?
Bodhidharma lui répondit :
— Je ne sais pas.
L'empereur ne comprit pas.
Après cet entretien, Bodhidharm a traverse le fleuve [le Yang -
Tsé-Kiang] pour se rendre au royaume de Weï.
L'auteur du recueil, le moine Houan Wou (1063-1135) — Engo, en
japonais —, donne ce commentaire :
Jusque-là l'empereur avait embrassé l'idée qu ' il existe deux
vérités, l'une absolue, l’autre relative [ . . . ] la vérité absolue
mettant en lumière la non-existence, alors que la vérité relative
révèle seulement le monde sensible, tangible [.. .]Se référant à ce
haut enseignement, l'empereur Wou a posé la question : « Quel
est le principe ultime de la vérité sacrée ? » En répondant : « Un
vide insondable et rien de sacré », le Premier Patriarche [ . . . ]
tranche tout cela d'un coup d'épée décisif [. . .] car la dualité de
l'absolu et du relatif est irréelle.
Mais l'empereur était borné. C'est pourquoi il posa cette autre
question qui , elle aussi, se fonde sur un dualisme , celui du sujet
et de l’objet : « Mais qui donc ai-je en face de moi ? » La
compassion et la commisération de Bodhidharma était sans
limites , aussi répondit-il une fois encore : « Je ne sais pas »[...]
car la discrimination entre , par exemple, action et non - action ,
être et non-être, n'a plus de sens. L'empereur n'avait rien
compris . Alors Bodhidharma quitta le pays.
[…]
Si vous commencez à penser en termes de « il a », « il n'a
pas »,
Vous êtes d'avance un homme mort. »
Car il suffit de poser les questions sous la forme dualiste de l'avoir et
du non-avoir, pour perdre l'unité avec la vie. Et ne plus s'identifier et
identifier toute chose avec l'unité et la totalité de la vie, c'est cela la
mort. Le maître Joshu, avec son « Mou ! », a signifié la présence de la
barrière, de « la porte sans porte » que ne peut franchir aucun homme
qui demeure sous l'emprise du dualisme, de la possession et des mots.
Quant à la nature du Bouddha, le Nirvana Soutra indique que tout
être vivant et sentant, que toute chose, peut devenir Bouddha.
L'erreur consiste à séparer, comme si ils étaient des entités réelles,
existant en soi, avec leurs propriétés, des êtres dont l'expérience du
vide et de l'illumination montre l'inexistence en dehors de l'unité du
tout.
Le maître zen est un « passeur » qui nous aide à franchir le fleuve
de la vie : vu de la rive de départ, c'est-à-dire du point de vue dominé
par l'argent, l'esprit de possession, les hiérarchies sociales, les
honneurs, l'autorité, leur langage et leur logique, tout nous semble
séparé, classé, étiqueté, en réalité dévitalisé par le découpage des
conventions. « Si l'on ne peut franchir la barrière, c'est-à-dire tarir la
naissance des pensées, on est comme un fantôme qui s'accroche aux
arbres et aux herbes. » La barrière établie par les patriarches, c'est le
« Mou », la barrière de l'illumination suprême. Ce passage accompli,
vu de l'autre rivage, le monde apparaît dans son unité, au-delà du
découpage des désirs, des images, des concepts et des mots, au-delà
des dualismes de l'être et du non-être, de la vie et de la mort, du divin
et de l'humain.
Les voies de passage, les expériences déjouant les pièges des mots
pour retrouver l'unité sont diverses, et le Japon en offre de multiples
exemples : la peinture zen dont le moine japonais Sesshu, par
exemple, a montré la grandeur ; les jardins zen des temples offrant par
la seule disposition des rochers, ou les sillons tracés par ratissage dans
le gravier, des pistes sans fin à la méditation ; l'art du bouquet créant,
dans le microcosme de quelques branches, une image plénière de
l'univers, expressive de mille émotions, comme un visage ; la cérémonie
du thé où l'attention rigoureuse à chaque geste, comme en un
rituel, permet d'atteindre la concentration ; les arts martiaux où, dans
le tir à l'arc par exemple, le tireur ne fait plus qu'un avec sa cible.
Le sens japonais de la beauté, comme force d'identification avec le
tout, doit l'essentiel de sa fascination à cette expérience zen de la vie.

Roger Garaudy, Appel aux vivants, Seuil, 1979, pages 140 à 147

 1. Houeï Neng, Discours et Sermons, Paris, Albin Michel, 1963