30 octobre 2015

Réflexions sur la défense. Le point de vue de Diogène

Les attentats du mois de janvier ont le mérite d'obliger nombre de groupes qui, jusqu'alors dédaignaient ces questions, à s'intéresser aux thèmes de la défense nationale. Il est rare que des sites ou des blogs de gauche traitent de ces questions. La gauche a longtemps entretenu l’ambiguïté sur ses positions. Antimilitariste depuis les guerres coloniales, elle a ensuite milité pour la suppression du service militaire. Arrivée aux affaires en 1981, elle a, depuis, fait le chemin inverse en mettant en avant des difficultés techniques pour la réduction du temps de conscription puis, en s'en réclamant au moment où la droite a fait ce que personne n'attendait d'elle : sa suppression pure et simple. Le parcours d'un Jean-Pierre Chevènement est à ce titre significatif. Partisan du désarmement unilatéral lorsqu'il était chef du Cérès (qui regroupait les jeunes socialistes) au début des années 1970, il est resté spécialiste des questions de défense au PS avant de devenir Ministre en charge. Il est vrai que ce qui gênait la gauche, c'était l'alliance atlantique et une stratégie dirigée exclusivement vers la riposte à une attaque de l'URSS. À partir du moment où l'Union Soviétique est tombée, il reste encore cette alliance qui, pour beaucoup, ressemble à un alignement de la politique étrangère de la France sur les intérêts des États-Unis. La réintégration de la France dans tous les dispositifs de l'OTAN n'est pas faite pour réconcilier la gauche avec la Défense. Pendant les années de la guerre froide, l'équilibre de la terreur favorisait un certain confort intellectuel puisque le danger d'un conflit impliquant la France était essentiellement rhétorique. La guerre sur le terrain se déroulait sur des champs de bataille éloignés tandis qu'on manifestait sincèrement ici. Régis Debray demeure une figure exceptionnelle d'engagement, au péril de sa vie, pour la défense de ses convictions, sur les théâtres d'opération

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29 octobre 2015

Où en est le débat sur la pertinence de la dissuasion nucléaire ?

Les douze derniers mois ont vu le débat français sur la pertinence de la dissuasion nucléaire s'ouvrir un peu plus. Plusieurs colloques ont été organisés qui ont tenté en général de justifier le maintien du statu quo actuel. On peut citer le colloque du CEA en novembre 2014 : « 50 ans de dissuasion nucléaire : exigences et pertinence au 21e siècle » ainsi que celui de la Fondation pour la Recherche stratégique  « La dissuasion nucléaire française en débat » en juin.
Le président Hollande a rappelé en février dernier la volonté gouvernementale de ne rien changer : "le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé. Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la garde".
Pour autant, la presse française s'est fait l'écho, ce qui est un phénomène relativement nouveau, des voix critiques comme celle du général Norlain ou de l'ancien ministre de la défense Paul Quilès.

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28 octobre 2015

Deux mois avant Noêl, préparons nous à accueillir un migrant exilé politique, Jésus de Nazareth


La philosophie politique nous permet de réaliser une herméneutique [1] philosophique des narrations contenues dans des textes religieux. Ce qu'on appelle Noël est une festivité des cultures méditerranéennes et d'autres peuples qui célébraient le 21 décembre, le jour le plus court de l'année, parce qu'à partir de cette date, le soleil irait en «croissant». C'était le natale solis.
A partir du troisième siècle, le christianisme a adopté cette fête, qui n'était ni juive ni chrétienne, pour y célébrer la naissance de Joshua de Nazareth. Les circonstances de cette naissance passent souvent inaperçues, et sont fétichisées sous des sens totalement superficiels.
On sait que l'empereur romain de l'époque a ordonné un recensement afin de pouvoir encaisser les impôts de ses sujets coloniaux. La Palestine était une colonie romaine. La famille de Joshua, descendante de la dynastie de David, roi du petit royaume coincé entre celui de l'Egypte et ceux de la Mésopotamie, ont dû se rendre à Bethléem, lieu de naissance et de résidence de ce roitelet. N'ayant pas de ressources, ils étaient comme des immigrés pauvres, Marie a dû accoucher dans des conditions d'indigence: «elle l'emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu'ils ne trouvèrent pas de place dans l'auberge.» (Luc 1.7). Pauvres immigrants, les équivalents des Latinos ou des Mexicains dans l'Empire états-unien! Et bientôt la situation ne ferait qu'empirer.
Lorsque le monarque colonial collaborationniste de l'Empire romain – Hérode étant un usurpateur sans ascendance royale – a appris qu'un descendant de David était peut-être né, et craignant qu'un jour il lui contesterait le pouvoir, il donna l'ordre de«tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethlehem et dans tout son territoire» (Matthieu 2.16). Joseph apprit que «Hérode cherchait l'enfant pour le tuer. [Pour cette raison] Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère [comme un persécuté qui a peur], (et) partit en Egypte, où il resta jusqu'à la mort d'Hérode.» (ibid. 13-14).
Nous voyons donc Joshua a commencé sa vie sous la menace de la pauvreté, de l'humiliation, de l'oppression (il est né dans une crèche), et à peine né, il a failli être assassiné (ce sort n'a pu être évité que grâce aux bons informateurs de Joseph). Il était donc un réfugié politique! Et je dis bien politique et non pas religieux. En effet, s'ils ont tenté de l'assassiner, c'est parce que dans la «généalogie de Joshua, l'Oint, [figurait le fait qu'il était] descendant de David» (ibid, 1.1.).
Au cours d'un de mes voyages au Caire, en Egypte dans les années 1980, j'ai eu l'occasion au cours de mon passage dans l'ancien quartier copte [2], de visiter une petite église où la communauté byzantine célèbre le séjour de Joshua en Egypte. Ce jour-là, j'ai pris conscience du fait que ce Joshua avait été un exilé politique en Egypte, donc un immigrant sans défense. Il faut noter que le séjour en Egypte n'a pas été inutile à Joshua. Il a dû apprendre beaucoup de choses pendant son séjour dans cette grande civilisation - immensément plus développée que sa petite patrie palestinienne. Entre autres il s'est familiarisé avec les critères éthiques universaux qu'il énumère comme des principes dans le Jugement final - évènement fêté dans les traditions égyptiennes. Selon ces traditions, la Grande déesse Maât [3], juge suprême, demandait au mort qui réclamait la résurrection ce qu'il avait fait de bien dans son existence, et le mort répondait: J'ai donné du pain à l'affamé, de l'eau à celui qui a soif, j'ai habillé celui qui était nu et donné une barque au pèlerin» (chapitre 125 du Livre des morts en Egypte). Les propos de Joshua au sujet de ces principes sont rapportés dans Matthieu 25, dans un énoncé beaucoup plus complet que celui d'Isaïe.
Ce qui est certain, c'est que lorsque cette famille d'immigrants exilés politiques et sans défense a appris que «Hérode était mort [Joseph] se leva, prit l'enfant et sa mère et rentra dans le pays d'Israël» (ibid. 2.21). Mais, comme toute famille d'exilés politiques, «ayant appris qu'Archélaüs régnait sur la Judée à la place d'Hérode, son père, il craignit de s'y rendre». Il a donc préféré s'établir loin de Jérusalem, dans une région où les services de renseignements de l'époque étaient moins actifs, et pour cette raison «il se retira dans le territoire de la Galilée.» (Ibid. 22-23)
Mais ce n'est pas tout. A la fin de sa vie, ce laïque (Joshua n'a jamais été prêtre, il a célébré des cultes comme tout père de famille, comme le hagada, qu'on a appelé «la dernière cène») a dirigé sa critique en premier lieu contre la corruption de la religion de son peuple («toute critique commence par la critique de la religion» dira un descendant juif allemand des siècles plus tard, Marx). C'est ainsi qu'il est entré dans le temple de Jérusalem et «il renversa les tables des changeurs et les échoppes des vendeurs de pigeons, en disant "Ma maison sera appelée une maison de prière, mais vous en faites une caverne de voleurs.» Matthieu 21.13). Nous pouvons dire que Joshua était anticlérical, dans un contexte où le sacerdoce se bureaucratisait et devenait un complice politique du pouvoir, lui-même également fétichisé.
Ce messie (dans le sens de Walter Benjamin [4]) prophétique (et non pas davidique ou politique) a vécu toute sa vie, depuis l'expérience «du temps qui reste» (dans le sens de Giorgio Agamben [5]), comme quelqu'un ayant une telle responsabilité envers les pauvres et les victimes qu'il accordait peu de valeur au fait de sauver sa propre vie, qu'il avait engagée dans la lutte contre l'injustice et la domination des puissants (du temple, de la patrie coloniale et de l'Empire).
C'est la raison pour laquelle, à la fin, il a été accusé de «soulever le peuple en enseignant» (Luc 23.5) contre le roi palestinien Hérode, son fils, et l'Empire romain lui-même. A la fin il a été crucifié (la croix étant l'équivalent de la chaise électrique de l'époque). La croix était une condamnation politique contre les terroristes qui s'insurgeaient contre la loi sacrée de l'Empire. Et il s'agit encore d'une accusation politique, et non religieuse (car Pilate ne l'aurait pas acceptée – ou ne lui aurait pas accordé la même importance – s'il ne s'était agi que d'une accusation religieuse.
C'est pour cela que l'exilé politique en Egypte a fini assassiné sous l'inculpation de rébellion politique. D'ailleurs, le panneau sur sa croix indiquait: «Joshua de Nazareth, roi des Juifs» (Mathieu 27.38), titre politique et non religieux, que Joshua lui-même a accepté(«-Es-tu le roi des Juifs? [...] - Tu le dis» répondit Joshua (ibid.11).
Ce qui a le plus dérangé les traîtres politiques et religieux coloniaux juifs et les soldats de l'Empire, c'était la prédication prophétique politique de Joshua qui, en donnant aux pauvres et aux humiliés un fondement à leurs luttes contre la domination, permettait à ces pauvres et humiliés de devenir acteurs de l'histoire en partant du postulat d'un Royaume de justice fraternelle. Ce qui est certain, c'est que ce postulat finira par transformer depuis en bas tout l'Empire romain, et par la suite d'autres.
Noël est une étrange festivité, totalement fétichisée et dont le sens fort, politique, prophétique, critique, a été inversé. Le marché et les complicités des politiques, des chrétiens et de leurs hiérarchies l'ont dénaturée! 


1. Qui a pour objet l'interprétation des textes (réd)

2. En référence à l’Eglise chrétienne orthodoxe d’Egypte qui s’opposait aux décisions christologique du concile de Chalccédoine en l’an 451 ; cette comunauté défendait l’unité de l’humain et du divin dans le Christ. (réd)

3. Maât : déesse égyptienne de la Vérité et de la Justice qui garantit l’ordre de l’univers. (réd)

4. Walter Benjamin, né à Berlin en 1892, fuyant la France où il s’était réfugié en 1933, il cherche à passer en Espagne et se suicidera à Porbou en 1940. On peut lire, entre autres, les 3 volumes publiés cher Folio, Gallimard, intitulés Œuvres.

5. Giorgio Agamben, philosophe italien qui a été, entre autres, le traducteurs des œuvres complètes de Walter benjamin en Italie. Auteurs de très nombreux ouvrages, dont Le Temps qui reste. Un commentaire de l'Epitre au Romains, Payot 2000.

* Enrique Dussel est l’une des figures les plus marquantes de la théologie de la libération en Amérique latine. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages publiés en espagnol, anglais, allemand. En français, on ne trouve que Histoire et Théologie de la libération, Ed. de l’Atelier, 1989.

(6 janvier 2008)

[Le titre de cet article, comme pratiquement celui de tous les articles ici publiés, est de l'administrateur du blog]

27 octobre 2015

Décapiteurs

Décapitations des combattants de la résistance camerounaise par l’armée coloniale française lors de la guerre d’indépendance (1956-1971)

26 octobre 2015

De la capitulation de Rethondes à la forfaiture de Lisbonne...



Hitler a gagné la guerre d'abord en France et avec facilité par
la ruée de ses politiciens vers la servitude. La déchéance
actuelle de la Vème République ressemble étrangement à la
décomposition de la III éme.
 
Picasso. La guerre. Huile sur bois. 1952
La parallélisme est saisissant entre le passage des abandons de Munich à la capitulation de Rethondes, et le chemin qui mène des abandons de Maastricht aux capitulations
d'Amsterdam et de l'Euro [j'ajoute du Traité de Lisbonne, faisant entrer par la fenêtre une "Constitution rejetée par le peuple - NDLR], qui marquent l'abdication de toute
indépendance de l'économie et de la politique françaises
devant le diktat des Banques et des multinationales enlevant
à la France le signe le plus évident de la souveraineté : le droit
de battre monnaie afin de rester maître de sa législation sociale
comme de sa politique extérieure d'exportation.

Le parallélisme est saisissant entre le reniement de de Gaulle
et de la Résistance française en une seule phrase prononcée
par le chef de l'État sous la pression du lobby américano-sioniste
(et sous la Présidence du Grand Rabbin Sitruk, celui qui
assurait à Shamir, le 12 juillet 1990 : « Chaque juif français est un
représentant d'Israël ») Le chef actuel de l'État français [Jacques CHIRAC, NDLR], se
réclamant du gaullisme, déclare : « La folie criminelle de l'occupant
a été secondée par les français et par l'État français. »
Le contraire exact de ce que disait de GAULLE de notre
peuple : « Fût-ce aux pires moments, notre peuple n'a jamais
renoncé à lui-même » (Mémoires III, 194) et de ce qu'il disait de
Vichy « écume ignoble à la surface d'un corps sain. » (III, p.142) :
« j'ai proclamé l'illégalité d'un régime qui était à la discrétion de
l'ennemi » (1,167), « Hitler a créé Vichy. » (I, 389)
Le lobby organisateur de la manifestation salue avec enthousiasme
ce reniement par lequel était reconnue : « la continuité
de l'État français entre 1940 et 1944. »

Même retournement en ce qu'il est convenu d'appeler la
gauche, dont les dirigeants socialistes, tournent le dos à Jaurès
et au socialisme (comme d'autres à De Gaulle et à la
Résistance française), par leur ralliement à l'Europe des banquiers,
sans souci (sauf en paroles) du chômage et des inégalités
qui découlent de ce ralliement, et de la perte de toute
indépendance en matière de politique sociale et de politique
tout court.

La similitude entre les deux décadences de la République ne
s'arrête pas là : alors que des journaux fascistes, comme
Gringoire, ne cessaient de vilipender la France, sa culture, son
peuple, sa morale, jusqu'à voir dans Hitler un élément de
régénération et écrire : « Plutôt Hitler que le Front Populaire ! »
et qu'un autre considérait la défaite comme une divine surprise,
aujourd'hui Bernard-Henri Levy considère que le régime
de Vichy est la résultante nécessaire de l'histoire et de la culture
de la France dans sa totalité. Selon lui, de Voltaire à la
Révolution française, de toute la tradition chrétienne à Péguy,
sans épargner même Bernard Lazare, l'analyste juif de l'antisémitisme
et en l'égratignant au passage, tout notre passé fait
de la France « la patrie du national-socialisme. » (L'idéologie française
p. 125). Il insiste : « la culture française ... témoigne de notre
ancienneté dans l'abjection. » (ibidem p. 61). De cette France « Je
sais son visage d'ordure, la ménagerie de monstres qui y habitent. »
(p. 293) comme si la France était avant tout la patrie de Pierre
Laval, de Philippe Henriot et de la milice.

Dans la décomposition de l'oligarchie politique, au lieu du
« ni à gauche, ni à droite : la France », qui fut l'appel de de Gaulle
à la Résistance et à la Résurrection, l'on voit aujourd'hui,
comme hier à l'Assemblée de Bordeaux, se mêler les voix de
tous ceux qui se ruent à la servitude. Ce fut autrefois l'honneur
du Parti Communiste de pouvoir dire qu'il n'était pas
« un Parti comme les autres » ; aujourd'hui, avec les contorsions
politiciennes traditionnelles, il se rallie, avec le Parti
Socialiste, à l'Europe, c'est à dire à la trahison des espérances
de tout ce qui, en France, travaille au lieu de spéculer.
Le même phénomène se produit à droite […]

La réaction de rejet du système, dans le peuple français, est
significative : il commence à percevoir l'imposture de la
démocratie déléguée, aliénée, et le front du refus des équipes
politiciennes se renforce chaque jour.
 
Picasso. La paix. Huile sur bois. 1952
Roger Garaudy, L’avenir mode d’emploi, 1998

25 octobre 2015

Spiritualité et question du sens

Par Camille Loty Malebranche 
Pour l'Homme, le seul sens qui soit, est transcendant spirituel, car toute signification de l'action humaine dans le réel, si elle peut dépasser l'individu pour la collectivité voire l'humanité à travers le temps et l'espace, ne peut être pour l'individu matériel et mortel, que distraction éphémère dans l'insignifiance.
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23 octobre 2015

L'athéisme, opium d'une certaine gauche ?


Faut-il avoir "la haine" de la religion ?

Interview de Pierre Tevanian
Quentin Vanbaelen
"Solidaire" le 1 octobre 2013.

« La religion, c’est l’opium du peuple. » Pour beaucoup, la question des liens entre le marxisme et la religion se résume à cette citation de Marx.
Pierre Tevanian, professeur de philosophie et animateur du site “Les mots sont importants”, nuance.
Dans son ouvrage « La haine de la religion », il bat en brèche les idées reçues sur les liens entre marxisme et religion. Sa source ? Marx himself.

21 octobre 2015

Non à la "tolérance", oui au dialogue



Une longue continuité dans la domination n'a-t-elle
pas créé une continuité perverse ? Autrefois : une
Église, un Dieu, un roi. Aujourd'hui : une culture,
une technique un ordre mondial.
Hors de l'Église pas de salut. Hors de l'Occident
pas de civilisation. Et toujours : hors de ma vérité,
l'erreur. Toujours un peuple élu : hébreu, chrétien,
occidental.
Dans cette perspective, aucun dialogue n'est possible.
Aucun dialogue entre les religions, car la religion
est l'expression de la foi dans le langage d'une
culture.
Il n'y a de dialogue véritable qu'à l'intérieur de la
foi. Un dialogue interreligieux, bien souvent, est un
dialogue de sourds, puisque chaque religion institutionnelle,
par exemple le christianisme ou l'Islam,
s'estime dépositaire de la vérité absolue. Il n'y a plus
dès lors dialogue, mais controverse, désir de prosélytisme
et de conversion, pour réduire l'autre à sa
propre et unique vérité. La « tolérance » reconnaît
seulement à l'autre le droit à l'erreur, comme condescendance
ou pitié à l'égard d'un infirme ou d'un
malade.
Il n'y a de dialogue véritable que lorsque chacun,
au départ, admet qu'il a quelque chose à apprendre
de l'autre, qu'il est donc prêt à remettre en cause telle
ou telle de ses certitudes. C'est pourquoi celui qui
s'engage dans cet authentique dialogue apparaît parfois
comme un dissident en puissance à l'égard de sa propre
communauté.
Il n'y a de dialogue qu'à partir de la conscience de ce
qui manque dans notre foi, lorsque le dialogue devient
un échange et un partage dans l'expérience de la
recherche commune de Dieu, et donc du sens.
Cet abandon si rare est pourtant la seule forme
possible de dialogue sur l'essentiel : comment accepter
la suffisance à l'égard de la transcendance ? Quelle foi
peut prétendre, comme le font les religions, posséder la
vérité exclusive et totale d'une réalité qui, par son
principe même, déborde, transcende toutes nos expériences
partielles, relatives, des « dimensions » de Dieu,
de celles de l'homme, « fait à son image » comme disent
les chrétiens, « en qui Dieu a insufflé de son esprit » est-il
écrit dans le Coran ?
L'Esprit est en l'homme et en tout être, non comme
leur propriété ou leur intériorité, mais comme le
mouvement qui, à travers la multiplicité et la dispersion
des êtres, les oriente vers le Père en un cycle sans fin :
« Tout vient de Dieu et tout revient à Lui », indique
aussi le Coran.
Cette relation d'intériorité réciproque, ce mouvement
circulaire par lequel passent incessamment l'un dans
l'autre, et s'impliquent mutuellement les trois aspects
de la Trinité, les théologiens chrétiens l'appellent la
« périchorèse ».
Cette prise de conscience de la relativité, de la « non-suffisance»
des perspectives, n'implique nullement un
relativisme ou un éclectisme démobilisateurs. Elle rappelle
seulement la diversité et les richesses inépuisables
des relations à Dieu. Elle permet seulement d'échapper
à l'ethnocentrisme colonialiste qui appelle trop facilement
universelle sa propre culture et sa propre religion.
Elle permet de comprendre qu'une même foi a pu,
s'exprimant à travers diverses cultures, donner naissance
à de multiples religions, et que cette multiplicité
même est une richesse car elle permet, par la fécondation
réciproque d'expériences « religieuses » différentes,
d'approfondir notre propre foi, de prendre conscience
de sa spécificité : de perdre seulement l'illusion que
notre religion est la seule vraie parce que nous ignorons
toutes les autres.
La réalité totale que nous vivons ne peut être saisie à
partir d'une perspective seulement. Nous ne pouvons la
saisir pleinement que si nous savons vivre du dedans
l'expérience des autres.
Plusieurs peintres peuvent s'efforcer de dessiner le
même modèle, placé entre eux, mais aucun tableau ne
sera identique à l'autre. L'un aura reproduit le sujet de
face, un autre de dos ou de profil. Je ne puis juger de la
fidélité de l'image à partir d'une perspective unique,
mais seulement à partir de la perspective propre à
chaque participant.
Il en est de même pour les sagesses et les religions :
chacune a essayé de traduire son expérience du sens de
la vie ou de l'Un, en fonction d'une culture particulière,
d'une histoire et d'une civilisation. Cette multiplicité et
cette relativité des « prises de vue » sur le divin n'exclut
nullement la valeur absolue et unique de ce qui est visé
et dont l'inépuisable totalité ne peut être saisie par
personne.
Il ne s'agit pas de « tolérance », ce qui implique un
certain mépris à l'égard des « déviants » par rapport à
un modèle unique de culture, de sagesse ou de foi, mais
de respect envers des expériences, différentes des nôtres,
d'une présence qui nous dépasse. Un dialogue ne peut
conduire à une fécondation réciproque que si chacun
accepte loyalement de « se mettre à la place » de
l'autre, donc à retrouver son angle de vue, la perspective
propre à partir de laquelle il a essayé d'exprimer
son irremplaçable expérience.
Ceci exclut le parti pris de conversion : ne pas
demander au chrétien de devenir bouddhiste, ni au
musulman de devenir chrétien. Mais aider le bouddhiste
à devenir un meilleur bouddhiste, le chrétien un
meilleur chrétien, le musulman un meilleur musulman.
« Meilleur » signifiant : capable d'approfondir sa propre
foi, sa propre saisie de Dieu, en l'enrichissant de
l'expérience des autres hommes de foi.

Roger Garaudy, extrait de « Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants »