13 décembre 2022

Jean Jaurès. Idéalisme et matérialisme dans la conception de l'histoire

 Conférence de Jean Jaurès devant les Etudiants collectivistes, décembre 1894, salle d’Arras, à Paris

Citoyennes et citoyens, 


Je vous demande d’abord toute votre patience, parce que c’est à une déduction purement doctrinale que j’entends me livrer ce soir devant vous.

Je veux aussi, tout d’abord, vous prémunir contre une erreur qui pourrait résulter de ce fait que le sujet que je vais traiter devant vous, j’en ai déjà parlé il y a quelques mois. J’ai, alors, exposé la thèse du matérialisme économique, l’interprétation de l’histoire, de son mouvement selon Marx ; et je me suis appliqué à ce moment à justifier la doctrine de Marx, de telle sorte qu’il pouvait apparaitre que j’y adhérais sans restriction aucune. [*]

Cette fois-ci, au contraire, je veux montrer que la conception matérialiste de l’histoire n’empêche pas son interprétation idéaliste. Et, comme dans cette deuxième partie de ma démonstration, on pourrait perdre de vue la force des raisons que j’ai données en faveur de la thèse de Marx, je vous prie donc, pour qu’il n’y ait pas de méprise sur l’ensemble de ma pensée, de corriger l’une par l’autre, de compléter l’une par l’autre, les deux parties de l’exposé que nous avons été obligés de scinder.

J’ai montré, il y a quelques mois, que l’on pouvait interpréter tous les phénomènes de l’Histoire du point de vue du matérialisme économique, qui, je le rappelle seulement, n’est pas du tout le matérialisme physiologique. Marx n’entend pas dire, en effet, le moins du monde, que tout phénomène de conscience ou de pensée s’explique par de simples groupements de molécules matérielles ; c’est là même une hypothèse que Marx et plus récemment Engels traitent de métaphysique et qui est écartée aussi bien par l’école scientifique que par l’école spiritualiste.

Ce n’est pas non plus ce que l’on appelle parfois le matérialisme moral, c’est-à-dire la subordination de toute l’activité de l’homme à la satisfaction des appétits physiques et à la recherche du bien-être individuel. Au contraire, si vous vous rappelez comment, dans son livre Le Capital, Marx traite la conception utilitaire anglaise, si vous vous rappelez comment il parle avec dédain, avec mépris, de ces théoriciens de l’utilitarisme comme Jérémie Bentham, qui prétendent que l’homme n’agit toujours qu’en vue d’un intérêt personnel consciemment recherché par lui, vous verrez qu’il n’y a rien de commun entre ces deux doctrines. Bien mieux, c’est l’inverse ; car précisément parce que Marx estime que les modes même du sentiment et de la pensée sont déterminés dans l’homme par la forme essentielle des rapports économiques de la société où il vit, par là, Marx fait intervenir dans la conduite de l’individu des forces sociales, des forces collectives, des forces historiques dont la puissance dépasse celle des mobiles individuels et égoïstes. Ce qu’il entend, c’est que ce qu’il y a d’essentiel dans l’histoire, ce sont les rapports économiques, les rapports de production des hommes entre eux.

C’est selon que les hommes sont rattachés les uns aux autres par telle ou telle forme de la société économique, qu’une société a tel ou tel caractère, qu’elle a telle ou telle conception de la vie, telle ou telle morale, et qu’elle donne telle ou telle direction générale à ses entreprises. De plus, suivant Marx, ce n’est pas selon une idée abstraite de justice, ce n’est pas selon une idée abstraite du droit, que les hommes se meuvent : ils se meuvent parce que le système social formé entre eux, à un moment donné de l’histoire, par les relations économiques de production, est un système instable qui est obligé de se transformer pour faire place à d’autres systèmes ; et c’est la substitution d’un système économique à un autre, par exemple de l’esclavage à l’anthropophagie, c’est cette substitution qui entraine une correspondance naturelle, une transformation équivalente dans les conceptions politiques, scientifiques et religieuses : en sorte que, selon Marx, le ressort le plus intime et le plus profond de l’histoire, c’est le mode d’organisation des intérêts économiques.

Le nom du matérialisme économique s’explique donc en ce que l’homme ne tire pas de son cerveau une idée toute faite de justice, mais qu’il se borne à réfléchir en lui, à réfléchir dans sa substance cérébrale, les rapports économiques de production.

En regard de la conception matérialiste, il y a la conception idéaliste sous des formes multiples. Je la résumerai ainsi : c’est la conception selon laquelle l’humanité, dès son point de départ, a pour ainsi dire une idée obscure, un pressentiment premier de sa destinée, de son développement.

Le principe Transcendance (suite) - 7/- De quoi Dieu est-il le nom

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«Dieu est circonférence et centre, lui qui est partout et nulle part».

Nicolas de Cues

 

On ne peut pas prouver que Dieu existe. Pascal a tenté, par un «pari», de trouver remède à cette impossibilité. «Qui m’aime me crée», dit Aragon, résolvant ainsi en partie le problème de Pascal : Dieu est créé par l’amour. L’amour donne sens à la vie humaine et existence à Dieu. L’hypothèse Dieu est une façon de poser la question du principe Transcendance, mais affirmer «par l’amour, Dieu existe» ne démontre rien quant à l’hypothèse Dieu. De même affirmer que «Dieu n’existe pas» ne démontre rien quant à l’hypothèse «non- Dieu». Dire «Dieu est mort» ne nie pas son existence, mais l’affirme, car ne peut mourir que ce qui vit. Au-delà de la question toujours irrésolue de son existence, question que Les Lumières, fondées sur le rationalisme et l’anti- métaphysique, avaient tenté de trancher au 18e siècle, poser l’hypothèse Dieu est donc exercer une certaine façon de penser, qui ne refuse ni la grandeur ni les postulats et qui interpelle aussi bien les athées que les «croyants».

 

L’existence ou la non-existence de Dieu n’est pas un problème dès lors que n’est pas défini le contenu du mot «Dieu», et il ne peut pas l’être, sauf éventuellement en négatif (théologie négative : ce que Dieu n’est pas). C’est dans cette zone de doute que se cache Dieu, puisqu’en définitive, quel que soit le préjugé de chacun, l’hypothèse de son existence n’est jamais qu’une façon de nommer une transcendance.

 

L’amour de Dieu, fait de fusion entre le monde et l’au-delà du monde, entre immanence et transcendance n’est pas radicalement différent de l’amour humain.

 

L’amour divin n’est abandon total dans le transcendant qu’à travers l’expérience mystique qui, par une profonde méditation - l’oraison -, permet à l’amant d’accéder sans intermédiaire à la connaissance de Dieu. Rousseau lui-même aspire à cette expérience : «Que d’hommes entre Dieu et moi !» regrette le Vicaire savoyard dans «L’Emile». Thérèse d’Avila et Jean de la Croix l’ont pratiquée, jusqu’à la mort pour ce dernier, sans pouvoir en établir un manuel de savoir-faire car les «choses de l’oraison» sont «bien obscures pour celui qui n’en a pas l’expérience».

 

Jean de la Croix ne peut que décrire l’oraison. Retrait total du monde et de soi- même et abandon dans les mains de Dieu. Sensibilité d’abord, puis raison, s’effacent dans une «nuit obscure» s’achevant en radieuse aurore. Même «prier vocalement» ou pratiquer quelques dévotions devient impossible pendant l’oraison.

 

L’expérience mystique est par définition incommunicable. Pour paraphraser Wittgenstein, la transcendance absolue ne peut être dite, elle se montre. L’Eglise catholique proposant une méthode pour «savoir faire oraison», assimilant celle-ci à une simple variété de la prière, en en déterminant les conditions matérielles et le déroulement, met de la lumière il faut l’obscurité, du rite où il faut de l’informulé. En vérité, bien qu’ignorant tout de l’oraison, Aragon en parle infiniment mieux lorsque, dans «Le Fou d’Elsa», il glorifie ainsi Jean de la Croix : 

«Jean de la Croix je te reconnais tu ressembles

A tous ceux pour qui le rite et le dogme étaient prisons

Et qui cherchèrent chemin droit vers Dieu laissant les lacets interminables de la raison

Jean de la Croix tu n’es que le nom chrétien de tous ceux qui se damnent d’amour».

Le mystique n’est pas du domaine de la compréhension mais de l’adoration, pas de la communion mais de l’extase ; oraison n’est pas raison, ni déraison, mais au-delà de la raison. Difficile d’être en oraison vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le reste du temps, le mystique utilise les ressources «normales» d’un être humain pour mettre en actes son amour de Dieu, sa foi en lui. L’indicible laisse place au logos, la transcendance absolue à une transcendance relative, celle qui passe un compromis avec l’immanence, avec le réel.

03 novembre 2022

Sur l'affaire Rushdie (1989)

 

Alors que Salman  Rushdie a été l'objet d'une tentative d'assassinat 32 ans après la publication des Versets et la Lettre de Khomeiny, il n'est pas sans intérêt de publier ce que fut alors la réaction de Roger Garaudy. Ici une tribune dans le magazine "L'Evènement du jeudi".

11 octobre 2022

(NOËL 2020) : L'ESPÉRANCE EN UN ROYAUME QUI N'EST PAS DE CE MONDE. Reprise d'un article de Loïc Chaigneau

 « La foi consiste au fond à tenir ferme la possibilité. C'était ce qui plaisait tant au Christ dans le malade (cf. Jean 5,5-9) quand, après avoir souffert pendant tant d'années, il croyait toujours, avec la même fraîcheur et jeunesse, que pour Dieu le secours était possible. » Kierkegaard 

 

Notre royaume n'est pas de ce monde :

 

            Dans la troisième lettre à Malesherbes du 26 Janvier 1762, Rousseau écrit  « J'allais alors d'un pas plus tranquille chercher quelque lieu sauvage dans la forêt, quelque lieu désert où rien, ne montrant la main des hommes, n'annonçât la servitude et la domination ». La nature apparaît ici pour Rousseau à la manière non pas d’un retour dont il nous dit par ailleurs dans le Contrat social, qu’on « s’en arracha à jamais », mais tel un recours. Un recours, un lieu du possible, en dehors d’une certaine société, d’une formation sociale dans laquelle règne la servitude et la domination. Il ne s’agît pas là alors d’un rejet de la société en tant que telle, mais des formes préhistoriques de la société telles que décrit par Marx, et donc le rejet de ce qui n’est pas encore une société. Rousseau est de ceux qui dans le même temps jettent les fondements d’une nouvelle société possible. Cela ne se fait pas à partir de l’imaginaire, de l’utopie, mais en inscrivant le développement de l’homme dans l’histoire : le contrat social doit être l’expression de la volonté générale, c’est-à-dire la liberté élevée au rang du collectif. Ainsi, il récuse d’abord l’acception d’une liberté qui ne serait que l’expression du désir comme manifestation inconsciente des pulsions et donc d’une aliénation par la chaire. Mais il récuse aussi l’acception de la liberté comme stricte volonté individuelle, parce que « quand chacun fait ce qui lui plaît, on fait ce qui déplaît aux autres » rappelle encore Rousseau. Il y a donc un monde possible, expression de la liberté par l’intermédiaire de la volonté qui soit l’expression commune des hommes en dehors du carcan dans lequel ils semblent emprisonnés. Cette formation sociale où règne la servitude et la domination n’attend pas un retour en arrière mais une marche avant.

            De la même manière lorsque Jésus-Christ dit « mon royaume n’est pas de ce monde » (Jean 18 :36), nous ne devrions pas nous hâter d’interpréter ce « monde » comme « l’univers ». Au contraire, le langage courant nous indique bien qu’il s’agît de deux concepts différents, le premier renvoyant d’abord à un rapport social (κόσμου), le second aux lois physiques (σύμπαν). Pour preuve, s’il fait sens de dire : «  nous ne sommes pas du même monde », pour signifier une différence de classe sociale, ce sens n’est absolument pas le même si nous disons «  nous ne sommes pas du même univers », et la première acceptation est étrangère à la seconde. Il semble donc que Jésus-Christ nous indique, comme plus tard Paul Eluard « qu’il y a un autre monde, mais il est déjà dans celui-ci ». Cet autre monde n’attend que nous, il se réalise dans l’immanence et non dans la transcendance et c’est en ce sens que Dieu, comme reflet de la liberté, est présent en chacun de nous.

            Mais encore une fois, la raison ne conçoit bien que ce qu’elle produit elle-même, et si nous ne nous donnons pas les moyens d’abord de voir le déjà-là présent de cet autre monde mais plus encore les moyens de le poursuivre, alors il nous apparaît comme étranger ou ailleurs. Or, cet autre monde n’est ni là-bas, ni ailleurs, mais bien en acte derrière les mythifications idéologiques. Et puisqu’il est question de Noël, arrêtons-nous un instant sur un exemple compréhensible par tous : lorsque nous étions enfants, il nous était tout à fait possible d’imaginer un monde dans lequel le père Noël existât, parce que malgré les absurdités logiques d’une telle existence, cela nous paraissait vraisemblable, à la manière d’une fiction dans laquelle on pénètre un temps et dont on peine à sortir si l’auteur nous guide correctement. Pourtant, il nous était possible de déceler un certain nombre d’incohérences que nous ne tardons pas avec l’âge à découvrir. Une fois que nous apprenons l’inexistence du Père Noël il nous apparaît alors évident que tout ce en quoi nous avions cru jusqu’ici était faux. Nous découvrons par la même occasion que nous aurions pu nous en rendre compte à de multiples reprises, mais comme nous ne concevions pas bien un monde sans père Noël, cela nous était alors inaccessible. Nous avons grandi depuis et les voiles idéologiques, la religion du capitalisme, tissent en nous des modèles vraisemblables, quoique faux, qui nous empêchent d’accéder à un monde pourtant déjà-là mais que nous ignorons.

 

Il n’y a plus d’espoir, vive l’espérance :

 

            En cette année 2020, nombreux sont ceux qui perdent espoir. Et pour cause, nous n’allons pas revenir ici sur l’évidence des dégâts de tous ordre, tant sanitaire que politique et humains que cette année a rendue possible.

            Toutefois, nous pouvons peut-être nous réjouir du fait qu’il n’y ait plus d’espoir. Parce que là-encore l’espoir est un désir, au mieux un sentiment et comme tout désir, il est d’abord un manque, le manque de ce que nous jugerions meilleur. Or, Spinoza nous signalait très justement déjà que ce n’est pas parce que les choses sont bonnes que nous les désirons mais bien parce que nous les désirons que nous les jugeons bonnes. Le désir n’est donc pas derrière nous, mais devant. L’espoir ne parvient jamais à sa fin, puisqu’il vise quelque chose qui toujours déjà manque. Or, le réel désir ne peut se porter que sur ce qui est déjà. Mais l’espoir  est une abstraction, un désir élancé vers quelque chose qui en même temps est ignoré. C’est en ce sens que l’espoir n’est pas de l’ordre de la raison. Or, seule la raison peut nous déterminer selon une fin. Lorsque nous nous donnons une fin raisonnable à poursuivre, parce que délibérée, nous faisons acte de raison et c’est elle qui guide notre volonté et non plus nos passions ou nos pulsions.

            Il n’y a plus d’espoir, alors vive l’espérance. Là-encore, si l’espérance est l’une des trois vertus théologales avec la foi et la charité, il nous semble nécessaire de la comprendre autrement qu’à la manière d’une confiance pure et absolue dans ce qui advient comme si cela ne relevait ou ne dépendait pas de nous. L’espérance est dialectique, elle perdure y compris dans les moments où l’espoir tend à s’estomper au gré des circonstances. Or, trop souvent espoir et espérance sont opposés comme deux formes d’irrationalisme. L’espoir en tant qu’émotion chancelante et dépendante de l’extérieur, l’espérance comme confiance mise dans la transcendance et qui nous place comme spectateur d’un monde déjà organisé par Dieu. À les considérer ainsi, nous récusons ces deux approches. Mais plutôt que de voir dans l’espérance une confiance absolue dans la transcendance nous voulons y voir une confiance dans notre capacité à nous organiser pour poursuivre et prolonger un monde qu’on ne saurait encore voir. Dès lors, il ne suffit pas de le vouloir ou et d’y placer notre espérance mais de comprendre que ceux-ci puisent leur source dans l’histoire et donc dans les actions de ceux qui nous ont précédé et qui ont posé les premiers jalons de cet autre monde.

            Ce que Marx nous enseigne de l’histoire ce n’est pas qu’elle fonctionne telle un mécanisme dont les rouages nous conduisent à la Révolution. Marx nous enseigne plutôt que « l’histoire ne fait rien » pour reprendre la formule de Engels, mais que nous faisons l’histoire, dans des conditions bien sûres déterminées mais à partir desquelles nous posons une fin. L’histoire est le lieu du possible, d’un autre monde possible en dehors de la religion capitaliste et du fétichisme de la marchandise. Si 2020 nous a fait perdre espoir, gageons que 2021 soient l’année de l’espérance en tant qu’expression consciente d’une classe révolutionnaire en acte qui s’efforce de produire le mouvement réel d’abolition du capitalisme.

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Sur ces questions, lire aussi le communiqué de décembre 2019 de l'I.H.T : https://instituthommetotal.fr/bibliotheque/PDF/communiques/heureux-les-artisans-de-paix.pdf

Ces deux vidéos :

 Christianisme et communisme :

https://www.youtube.com/watch?v=CNDl8IFmntY

Sciences, foi et christianisme :

https://www.youtube.com/watch?v=TDeYV9700eA

la question de la religion chez Marx, traitée dans notre séminaire de deuxième année :

https://instituthommetotal.fr/institut-pack-chouette-deuxieme-annee

 

Loïc Chaigneau, tous droits réservés.

le 19/12/2020


https://instituthommetotal.fr/affranchi/noel-2020-l-esperance-en-un-royaume-qui-n-est-pas-de-ce-monde-198

25 juillet 2022

"Le principe Transcendance", suite. 6 – Les caravanes de l’amour.

Par Alain RAYNAUD . ©Alain Raynaud 2021 . Tous droits réservés. M'écrire (formulaire colonne de gauche) pour reprise éventuelle. 

POUR ACHETER LE LIVRE : Le principe Transcendance - Alain RAYNAUD (thebookedition.com)

6 – Les caravanes de l’amour

«Je crois en la religion de l’amour, où que se dirigent ses caravanes, car l’amour est ma religion et ma foi». Ibn’Arabi

 

Dans «Eloge de l’amour», Alain Badiou rappelle que, dans sa «République de Platon», il fait dire à ce dernier : «Qui ne commence pas par l’amour ne saura jamais ce que c’est que la philosophie». Badiou fait référence à l’amour en tant qu’attirance, sentimentale et physique, entre deux personnes. Pour Platon pourtant l’amour est d’abord aspiration à l’Idée, à l’Absolu, absolu bien ou absolue beauté. Mais les deux penseurs en font l’indispensable de la philosophie, soit dans le langage d’Alain Badiou une «procédure de vérité», procédure qui a à voir non avec l’Un, mais avec la différence puisque c’est une construction entre deux personnes. Cette inscription dans le monde à partir de la différence fonde l’universalité de l’amour. Tout amour personnel comporte une part d’universel dont se nourrit la transcendance.

Si la transcendance est, ainsi que nous le pensons avec Garaudy, «non…un attribut de Dieu mais…une dimension de l’homme», alors l’amour humain en est le principal ressort en même temps que la manifestation la plus éclatante : «l’effusion qui assemble, en esprit, deux êtres de chair, écrit Georges Bataille, n’est [pas] moins profonde que celle qui élève le fidèle à Dieu: et peut-être le sens de l’amour divin est-il de nous donner le pressentiment de l’immensité contenue dans l’amour d’un être mortel» . 

Dans «Eloge de l’amour» encore, Alain Badiou décrit ce qu’il y a de transcendance dans l’amour humain : «C’est dans l’amour que le sujet va au-delà de lui-même, au-delà du narcissisme. Dans le sexe, vous êtes au bout du compte en rapport avec vous-même dans la médiation de l’autre. L’autre vous sert pour découvrir le réel de la jouissance. Dans l’amour, en revanche, la médiation de l’autre vaut pour elle-même… Vous partez à l’assaut de l’autre, afin de le faire exister avec vous, tel qu’il est. Il s’agit d’une conception beaucoup plus profonde que la conception selon laquelle l’amour ne serait qu’une peinture imaginaire sur le réel du sexe»

Amour humain, amour de l’humanité, amour de Dieu, tous sont reconnaissance, assomption de l’Autre, que cet «autre» soit individuel, communautaire, générique ou divin. Tous, par l’accès qu’il m’y est donné de l’autre et par l’accès que l’autre y obtient de moi, me servent de médiateurs vers le même universel transcendant. Celui qu’une force interne presse à se dépasser, qui se transcende, par un choix non imposé, dans l’amour humain comme dans les autres formes d’amour, ne poursuit pas un objectif individualiste mais initie son geste pour «l’autre», apportant ainsi sa pierre à l’édifice humain, «ultra-humain» de Teilhard  ou «homme nouveau» des communistes, qui ne sont rien d’autre que l’épanouissement de la condition  humaine, unique objet et unique terrain de transcendance.

Quelle que soit sa forme et sa destination – de même que l’engagement politique, la foi et l’expression artistique -, l’amour est indissolublement en rapport avec la transcendance en tant que manifestation, facteur et effet de celle-ci, en tant qu’évènement et fidélité à cet évènement.

*

05 mars 2022

APPEL AUX VIVANTS

POUR RECEVOIR AU FORMAT PDF LE LIVRE DE ROGER GARAUDY "APPEL AUX VIVANTS" PAR BIEN DES ASPECTS TOUJOURS D'ACTUA LITÉ (conception de la croissance, nucléaire en question, nouvelle démocratie,...), 


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25 février 2022

Parution prochaine d'un livre sur Roger Garaudy

 


"Avant même son ultime condamnation judiciaire, Roger Garaudy était pris au piège d'une notoriété négative depuis l'époque où, après son exclusion du PCF, il avait révélé un retour à Dieu bien fait pour le discréditer dans le champ intellectuel français. L'ancien philosophe du PCF poursuivait déjà une évolution atypique : après avoir atteint l'excellence comme intellectuel communiste en pleine Guerre froide, il devint, à la faveur de sa tentative de refondation théorique, un intellectuel thorézien adapté à la démarginalisation du PC dans le champ intellectuel des années 1960.
Mais son autonomisation anti-stalinienne l'entraîna sur la pente hérétique, jusqu'à proposer une stratégie alternative à celle du Parti. Comment le philosophe officiel du PC, longtemps gardien de l'orthodoxie, a-t-il pu non seulement devenir l'homme du dialogue au sein du PCF mais aussi retrouver la foi en Dieu -jusqu'à épouser l'Islam-après son exclusion du mouvement communiste ?"

  • Date de parution
     
    08/03/2022
  •  
  • Editeur
     
  •  
  • ISBN
     
    978-2-36512-282-5
  •  
  • EAN
     
    9782365122825
  •  
  • Format
     
    Grand Format
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  • Présentation
     
    Broché
  •  
  • Nb. de pages
     
    200 pages
  •  
  • Dimensions
     
    14,0 cm × 22,0 cm × 0,0 cm

En pré-commande puis en commande : Un intellectuel communiste illégitime : Roger... - Didier J-F Gauvin - Livres - Furet du Nord

20 février 2022

Le principe Transcendance, suite. Chapitre 5, "De Marx à Teilhard de Chardin. Première partie"

 Suite de Roger Garaudy A contre-nuit: "Le principe Transcendance. De Marx à Teilhard de Chardin." par Alain Raynaud (Chapitre 4: "Des antiphilosophes"
Pour aérer le texte, les notes ne sont pas reproduites.  © Alain Raynaud, 2021 Reproduction interdite sans autorisation.
Pour acheter le livre : 
Le principe Transcendance - Alain RAYNAUD (thebookedition.com)


  5 - De Marx à Teilhard de Chardin (I)

De la vraie foi de Pascal au dieu inconscient de Lacan, les antiphilosophes nous disent du contradictoire, mais portent aussi ce témoignage commun que l’homme est effectivement «trop grand pour se suffire à lui-même». En allant de Marx à Teilhard de Chardin, nous allons essayer de comprendre ce qui fait la grandeur de l’homme, et le rend apte, et même l’oblige, à mobiliser la transcendance, ce plus grand que lui qui est à la fois en lui et en dehors de lui.