30 décembre 2014

Yehudi Menuhin: "Défense du sacré". Roger Garaudy: "On peut vivre autrement"



A la veille du XXIe  siècle, la mort vient d'arrêter le plus grand coeur du monde: Yehudi Menuhin a exprimé, dans le langage le plus universel, celui de la musique, ce qu'il y a de plus intime et de plus grand en chacun de nous: le désir et l'appel de l'unité humaine.

28 décembre 2014

La création, la politique et la foi. Par Roger Garaudy




Article dans Le monde du 20.08.1984 

La tâche de la raison est de poser et de résoudre les problèmes permettant aux hommes de créer un avenir à visage humain. Aujourd'hui, elle ne joue pas ce rôle. Pourquoi ?
Parce que ce qu'on a pris l'habitude d'appeler " la raison " est une raison " positiviste", c'est-à-dire une raison infirme, mutilée de sa dimension essentielle : elle ne pose plus le problème des fins, mais seulement celui des moyens. Si bien que nous disposons de moyens gigantesques pour atteindre n'importe quelle fin, même criminelle. On a confondu le pragmatisme avec la philosophie de l'action : en posant seulement la question du comment? et jamais celle du pourquoi ? Dans cette voie, la science dégénère en scientisme, la technique en technocratie, la politique en machiavélisme.
Le scientisme est une forme de superstition, ou plutôt d'intégrisme totalitaire fondé sur ce postulat : la " science " peut résoudre tous les problèmes. Ce qu'elle ne peut mesurer, expérimenter et prédire n'existe pas. Ce positivisme réducteur exclut les plus hautes dimensions de la vie : l'amour, la création artistique, la foi.
La technocratie est cette forme de somnambulisme d'une technique pour la technique, ne se posant jamais la question des fins. Elle se fonde sur ce postulat : tout ce qui est techniquement possible est souhaitable et nécessaire. Cette " raison " engendre les pires déraisons. Y compris l'arme nucléaire et la " guerre des étoiles ". C'est une religion des moyens.
Le machiavélisme, c'est l'animalité d'une politique définie par une technique de l'accès au pouvoir et non par une réflexion sur les fins de la communauté humaine, et, ensuite, la mise en œuvre des moyens pour atteindre ces fins.
Ces " dérives " de la raison infirme, positiviste, conduisent le monde à la mort, non par manque de moyens mais par absence de fins.
Tel est le problème majeur qui se pose aujourd'hui à l'Occident : celui des priorités, des fins, des valeurs, du sens. D'une réflexion ne portant pas seulement sur la possibilité et les méthodes des sciences et des techniques, mais d'abord sur leurs fins : quels objectifs doit s'assigner la recherche scientifique pour servir à l'épanouissement de l'homme, et non à sa destruction ? Le problème premier est de lier la science expérimentale, qui est découverte des moyens, à la sagesse, qui est recherche des fins : remontée de fins subalternes à des fins plus hautes, en direction de la fin dernière. Alors la critique de la connaissance prendra son véritable sens en ne reliant pas seulement la science à la sagesse, mais aussi la sagesse à la foi ; car ni la science, dans sa recherche des causes, ni la sagesse, dans sa recherche des fins, ne peuvent atteindre ni la cause première ni la fin dernière. La foi commence où finit la raison. Pas avant. Pas avant que la raison plénière, celle qui recherche à la fois les causes et les fins, ait mis en œuvre tous ses pouvoirs.
Ce mouvement, dans sa plus totale liberté, amène la raison à prendre conscience à la fois de ses limites et de ses postulats. La foi n'est plus alors ce qui contredit ou contraint la raison, mais au contraire ce qui l'empêche de s'enfermer sur elle-même dans cette "suffisance " qui est le contraire de la transcendance. La foi est une raison sans frontière.
Dans la première moitié de ce siècle, le développement des sciences nous a fait prendre conscience, par la relativité et les quanta, qu'elle n'est pas devant le monde comme devant un " donné ", mais comme devant une œuvre à créer, et toujours en naissance.
Dans la deuxième moitié de ce siècle, la décolonisation, en nous rendant le contact avec les sagesses de trois mondes, a rendu possible un effort pour relativiser la "raison" occidentale, celle qui, avec Descartes, excluait la réflexion sur les fins, celle qui, avec le positivisme d'Auguste Comte, prétendait réduire le monde à la seule dimension des faits et de leurs lois. Celle qui, depuis Platon et Aristote, a élaboré une philosophie de l'être, au lieu d'une philosophie de l'acte. Dieu n'est pas un être, c'est un acte : l'acte de créer l'être. La raison de l'homme n'est pas le reflet des structures d'un être, elle est l'acte de la création continuée. Nos "produits" et nos institutions ne sont que le sillage fossilisé de notre raison créatrice.
Le débat sur la raison n'est pas un débat académique. La " raison " positiviste, infirme, mutilée, est en train d'assassiner nos petits-enfants. L'obliger à devenir raison plénière, à réfléchir sur les fins et sur le sens, c'est l'empêcher de rester la servante de la "nécessité" et du "hasard" de Monod, d'une vie qui serait la "passion inutile " de Sartre, ou l' " absurde " de Camus.
Refuser la réflexion sur le sens et les fins, c'est mutiler l'homme de sa dimension transcendante : le monde n'est plus alors que l'arène sanglante où s'affrontent aveuglément les volontés de croissance et les volontés de puissance des nations ou des individus, avec leurs "équilibres de la terreur". Le résultat, l'" événement", est alors, comme écrivait Marx, " quelque chose que personne n'a voulu" : une crise, une guerre, une Europe ne sachant que faire des viandes et du beurre de ses frigorifiques, et un tiers-monde voué à la faim, ou une archaïque bataille de l'école, oubliant le problème central : celui des fins de l'éducation et de l'éducation des fins.
L'épopée humaine de millions d'années peut aujourd'hui capoter : nous avons, pour la première fois dans l'histoire, les moyens techniques de détruire toute vie, si une raison plénière ne leur assigne d'autres fins.
Tenir les deux bouts de la chaîne : conscience des fins et de la foi, science des moyens et des techniques pour les réaliser.
En un siècle où le monde a changé plus qu'en des millénaires, il n'y a que les déjà morts qui n'ont jamais changé.
Pour ma part, à travers les communautés qu'une foi fait vivre : chrétiennes, marxistes, musulmanes (ou sagesses de l'Orient), et dont la complémentarité peut seule assurer la survie, je continue à croire, depuis un demi-siècle de vie militante, que la raison consiste à découvrir le point où l'acte poétique de création, l'action politique, et l'acte de foi, ne font qu'un.

Roger Garaudy


25 décembre 2014

Jacques Chancel, décédé avant-hier, avait reçu Roger Garaudy à "Radioscopie"

Radioscopie - tome 1 -de Jacques Chancel, inclut notamment le texte de la radioscopie de Roger Garaudy

Robert Laffont, 1970. In-8, broché, couverture illustrée, 304 pp. ‎
Mais le texte de Garaudy figure dans plusieurs éditions: voir ICI notamment plus de détails et plusieurs exemplaires à vendre.

 Un exemplaire à vendre aussi sur Priceminister.

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 Sur le site de l'INA en telechargement payant: 2,99€

Jacques CHANCEL s'entretient avec Roger GARAUDY, philosophe et écrivain
Roger GARAUDY : ses idées communistes ; ses erreurs ; la césure de Mai 68. Ses croyances, ses idéologies politiques ; son humanisme. Le cheminement du socialisme. La situation actuelle au Vietnam. Les dangers de la vérité totale et du dogmatisme. Son exclusion du Parti Communiste. Ce qu'il pense du PCF. Son livre "De l'anathème au dialogue". Sa fidélité aux propos de Karl Marx. Son expérience de la mort. Son livre "Comment l'homme devint humain". Son poste de Directeur de l'Institut international pour le dialogue des cultures. Ce que doit être une culture selon lui. Les thèmes de ses livres. Son action passe par la méditation. Son optimisme. Ses rapports avec l'Afrique ; le nouveau colonialisme ; la responsabilité des hommes. L'Université des Mutants sur l'île de Gorée créée avec Léopold Sédar SENGHOR. La génération des années 1950. Le gaspillage d'énergie. La collection littéraire qu'il a créée. Son agrégation de philosophie. Sa participation à la guerre auprès des tirailleurs marocains qui a déterminée son intérêt pour l'Orient. Le sacrifice de ses parents pour ses études. L'affaire Guyana, l'esclavage. Le sens du divin chez l'homme. Son rapport à la mort, le suicide. La politique.

Entretien diffusé le 28 novembre 1978

A lire un "hommage" à Jacques Chancel sur La lanterne de Diogène

24 décembre 2014

Noël: une lumière pour tous


Fra Angelico
Adoration des Mages (prédelle du retable des Linaioli) - 1433
 Transformer la matière en une lumière qui soit l'émanation de Dieu et conduise l'homme à la contemplation du céleste à partir du rayonnement  des couleurs et de la beauté terrestre, telle est la vocation religieuse de Fra Angelico. «Il donne le baptême à l'humanisme de Masaccio comme saint Thomas d'Aquin au naturalisme d'Aristote...» Ce sont là deux réponses, théologique et esthétique, au problème qui se posait alors pour la première fois à la chrétienté: l'accès à l'autre monde ne commence-t-il pas par la perception d'un monde autre? La signification de la nature n'est-elle pas une image symbolique du surnaturel et un chemin vers lui?

R. Garaudy, « 60 œuvres qui annoncèrent le futur. 7 siècles de peinture occidentale », Skira editeur,  Diffusion Flammarion, pages 60à 64 (extrait)

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Dans les archives de Roger Garaudy ce message de Noël 1992 de son "frère" Dom Helder Camara que je vous propose brut. Qu'importe l'orthographe ...



23 décembre 2014

La révolution de l'amour, ou l'insurrection divine


(Texte proposé par un ami du blog et qui me semble dans la droite ligne des idées et des combats de Roger Garaudy. Lire  http://rogergaraudy.blogspot.fr/2013/04/la-revolution-de-lamour.html)

 Celui qui parvient à se représenter la souffrance des autres a déjà parcouru la première étape sur le difficile chemin de son devoir.   (Georges Duhamel, Paroles de médecin)
Le cri du cœur d’une révoltée nommée sœur Emmanuelle
Avec l'abbé Pierre
Il y a révolte et révolte. Il m’a fallu des années de confrontations multiples avec la misère pour le comprendre. Il y a une révolte spontanée, viscérale, devant telle ou telle situation. C’est une réaction trop étroite qui s’arrête au temps et au lieu, sans autre horizon. Mais, à force de constater les mêmes faits dans de multiples pays, il m’a bien fallu comprendre qu’ils avaient une même cause. Quelque chose s’est alors déclenché en moi, une vision planétaire et une ré-volte plus profonde. Réfléchie, elle cherche à s’attaquer à la tête de l’hydre, et non plus seulement à colmater les brèches.
Cette révolte-là est essentielle. Comme elle est incomprise et peu partagée ! En effet, la plupart des hommes sont prêts à répondre ponctuellement à telle ou telle détresse, avec grande générosité parfois. Mais ils considèrent en général que la pauvreté est inéluctable. C’est comme ça : elle fait partie du paysage, de toute société, du système économique.
Au terme de mon parcours, je sens donc la nécessité d’éveiller les consciences : continuons à porter secours, mais n’oublions pas les causes. Le scandale vient en effet d’un ordre planétaire injuste et finalement accepté. (…) Je ne fais pas de politique au sens courant du terme, mais je cherche à éveiller les consciences sur l’injustice vécue dans la cité, je pousse les jeunes et les moins jeunes à se lancer dans les instances nationales et internationales pour batailler et s’unir à tous ceux qui n’acceptent pas que des pauvres soient humiliés et que des peuples aient faim.
La nature de l’homme est sociale et fraternelle. C’est dans l’ordre politique, celui de la relation entre les hommes, entre les peuples, que se jouent et le bonheur de l’homme et le projet de Dieu. Lorsque les sentiments de charité se font « politiques », au sens noble et large du terme, lorsque les mots d’amour et de justice se traduisent en actes, s’engage alors une éthique divine. Cest véritablement entrer là dans le choix de Dieu. A linverse de « politiques » qui, à travers des pratiques contestables, cherchent la victoire d’intérêts personnels, le pouvoir de quelques-uns sur les peuples, la domination des uns sur les autres, le message qui parcourt la Bible implique une politique divine, une vision politique d’ordre spirituel.
Les prophètes d’Israël ne craignent pas l’impopularité quand il s’agit de combattre l’injustice des puissants. (…) Ils n’y vont pas de main morte, les prophètes ! Voici Osée : « Ecoutez la parole de Yahvé, enfants d’Israël, car Yahvé est en procès avec les habitants du pays : il n’y a ni fidélité, ni amour, ni connaissance de Dieu dans le pays, mais parjure et men-songe, assassinat et vol, adultère et violence, et le sang versé succède au sang versé. Aussi le pays est en deuil, et tous ses habitants dépérissent jusqu’aux bêtes des champs, aux oi-seaux du ciel, et même les poissons de la mer disparaissent ! » (Os. 4, 1-3). La leçon est claire : la justice appelle le bonheur, tout genre d’oppression est germe de malheur. « Opprimer le pauvre, c’est outrager le Créateur » (Pr. 14, 31). Langage fort de ceux qui parlent au nom de Dieu ! Ils risquent la prison, l’exil, la mort. Peu importe, il faut crier la vérité comme le fit le Christ. En sélevant contre la classe dirigeante, il savait qu’il risquait sa vie. Mais, quand le souffle de l’Esprit habite un homme, il n’a peur de rien et même pas de la mort.
La plupart d’entre nous, « bons » chrétiens, n’avons-nous pas perdu ce souffle de tempête ? Prudence, pas d’histoire ! Le langage tenu aujourd’hui est trop modéré pour soulever le monde. Où entend-on aujourd’hui le verbe audacieux d’un saint Jean Chrysostome devant la cour de Constantinople : « Malheur à vous qui laissez pourrir vos vêtements cousus d’or dans vos coffres tandis que le peuple reste nu » ? Où entend-on l’exclamation d’un saint Basile : « Vous volez aux pauvres tout ce que vous gardez en surplus » ? (…) Il n’est pas inutile, certes, de « faire la charité ». Beaucoup y sont appelés. Il faut plus encore s’attaquer à la cause du mal. Or celle-ci est politique : elle concerne des systèmes sociaux et économiques, à l’intérieur des nations comme entre les nations.
L’ignorer serait s’éloigner de la tradition prophétique. Sans cesse elle s’attaque à la tête de l’hydre, toujours la même et chaque fois différente au cours des siècles : les structures oppressives que les puissants instaurent pour saigner les pauvres gens. Par la bouche des prophètes, c’est Dieu qui s’insurge. Qui voudra donc entrer dans cette insurrection divine ?
Sœur Emmanuelle, Richesse de la pauvreté, Éditions J’ai Lu, 2002, pages 11 et 112-114.

yalla / en-avant !
 L'hommage de Calogero à Soeur Emmanuelle