31 août 2015

Garaudy, maître es-Hegel





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Les éditions Bordas publiaient dans les années 80 une collection intitulée « Pour connaître », qui avait comme ambition de donner à comprendre des textes réputés difficiles, notamment les œuvres de grands philosophes comme, par exemple, Kant ou Bergson ; je ne sais pas quel sort a connu cette collection ; quoiqu’il en soit j’ai, à l’époque (en 1985, je crois), fait l’acquisition d’un ouvrage sur Hegel publié, sous son égide, signé par Roger Garaudy. Peut-être en ai-je lu, à l’époque, quelques pages ? Les aurais-je jugées rébarbatives ? Toujours est-il que l’ouvrage a été rangé dans une bibliothèque ; où s’est empressé d’oublier son contenu et jusqu’à son existence.

Je me suis, depuis, colleté (le mot n’est pas excessif ; quiconque, n’ayant pas en poche un doctorat de philosophie, auquel auraient succédé plusieurs années de pratique de cette discipline, a tenté de pénétrer la pensée de Hegel, en conviendra aisément) à plusieurs reprises, avec l’œuvre de ce philosophe : « Phénoménologie de l’esprit », dans deux traductions différentes (je ne pratique pas l’allemand) ; « Encyclopédie des sciences philosophiques » ; « Principes de la philosophie du droit ».

J’estimais être parvenu à une assez bonne compréhension de la pensée de ce philosophe et me préparais à rédiger une brève synthèse de ce qui me semblait devoir en être retenu ; ne serait-ce que, à titre d’exercice, pour vérifier que j’étais enfin parvenu à en pénétrer, sinon toutes les subtilités, du moins l’essentiel ; et m’assurer que j’étais capable d’en apprécier la portée, savoir sa place dans l’histoire des idées ; quand je remis la main sur le « Hegel » de R. Garaudy, et décidai de le lire.

Cette seconde tentative de lecture, une trentaine d’années après la première, s’est avérée, cette fois-ci, particulièrement fructueuse. J’ai d’abord constaté, avec une certaine satisfaction, que, pour l’essentiel, je dis bien pour l’essentiel, j’étais parvenu à une assez bonne compréhension de l’œuvre monumentale de Hegel ; rien de miraculeux à cela ; simplement, si j’avais dû constater le contraire, il m’aurait fallu, non sans dépit, admettre que je tirerais un plus grand bénéfice de la lecture de romans policiers (il en est de fort bien écrits ; et de très distrayants), que de la fréquentation des grands penseurs.

On voudra bien pardonner cette trop longue digression qui aura pu laisser l’impression que l’auteur de ces quelques mots entretiendrait la sotte prétention d’intéresser qui que ce soit aux faits et gestes de sa propre (insignifiante) personne ; il est temps d’en venir au fait, et c’est un fait patent que la lecture de l’ouvrage que Roger Garaudy a consacré à Hegel ne peut pas laisser indifférent qui s’est, par ailleurs, déjà mesuré aux textes du philosophe… lequel, soit dit en passant, a tant admiré Napoléon (ce qui n’est évidemment pas ce qu’il a fait de mieux) ; et auquel ce dernier a, probablement en retour, accordé de si grands, et si respectueux, hommages (ne dit-on pas que les soldats qui entraient dans Iéna, après la victoire éponyme remportée en octobre 1806 par la France contre la Prusse, auraient été invités par l’empereur à recouvrir de feutre leurs tambours pour troubler le moins possible la méditation du philosophe ?).

J’ai pu constater que Roger Garaudy a offert à ses lecteurs, dans un ouvrage de taille relativement modeste (200 pages), dans un style clair, précis, dépourvu de toute envolée lyrique, une synthèse parfaite d’une œuvre qui, pour n’être pas, à proprement parler, impénétrable, n’en est pas moins difficile à maîtriser dans son ensemble. Aucune des facettes de cette pensée riche en nuances n’est omise ; toutes les subtilités sont rendues directement accessibles ; tout devient cohérent ; chaque pièce du puzzle trouve sa place. Page après page, on assiste, stupéfait, à la démonstration des capacités extraordinaires d’une intelligence sans faille qui se montre capable de rassembler la totalité d’une pensée profonde, riche, infiniment complexe, et de la restituer sous une forme assimilable par tous ; en tout cas, par tous ceux que la philosophie intéresse ; et à la seule condition qu’ils se soient au préalable confrontés avec les textes de Hegel lui-même.

Alors reviennent à l’esprit (de qui est assez âgé pour les avoir vécus) ces évènements tragiques qui ont jalonné la vie de R. Garaudy (ses démêlés avec le parti communiste ; son adhésion au christianisme ; les accusations de révisionnisme ; sa conversion à l’Islam et, pour finir, ses déconvenues avec cette religion), et l’opprobre qu’ils lui ont valu.

Cette question, qu’on ne peut esquiver, surgit ensuite: que pèsent les difficultés, aussi nombreuses fussent-elles, qu’une intelligence avérée, supérieure, incontestable, comme celle de Roger Garaudy, a pu rencontrer pour s’inscrire dans l’existence, quand on les confronte à sa production intellectuelle ? De la même façon comment ose-t-on reprocher à l’auteur de « Sein und zeit » (Heidegger) d’avoir adhéré au parti nazi, et partant comment ose-t-on tenter de jeter le discrédit sur son œuvre, alors que sa contribution à une meilleure compréhension de ce que sont l’homme et son monde est inestimable ? Ne serait-ce pas aussi stupide que de prétendre faire le procès de la pensée de Hegel parce qu’il fut un admirateur de Napoléon ?

30 août 2015

Garaudy, itinéraire spirituel d'un enfant du 20ème siècle,1913-1983



"L'ITINERAIRE SPIRITUEL DE ROGER GARAUDY DANS
SON OEUVRE ECRITE"
Thèse de doctorat de 3ème cycle présentée par Mr Robert Goulon
1983. 368 pages

"Cette thèse est le fruit d'un long travail approuvé par
le jury de soutenance et disponible à l'ensemble de la
communauté universitaire élargie.
Elle est soumise à la propriété intellectuelle de
l'auteur au même titre que sa version papier."
Le blog ne la reproduit donc pas mais invite ses lecteurs à la lire à
http://docnum.univ-lorraine.fr/public/UPV-M/Theses/1983/Goulon.Robert.LMZ8306.pdf

28 août 2015

"L'enfer, c'est la fermeture à l'autre" (Roger Garaudy)



LES AUTRES

Moissons. Tapisserie.
Jean Picart le Doux. 1944
Atelier Pinton, Felletin
Les veilleurs ont un seul monde, qui leur est
commun; ceux qui dorment tombent chacun vers
un monde particulier.
HERACLITE.

Une race nouvelle parmi les hommes de ma
race, une race nouvelle parmi les filles de ma
race, et mon cri de vivant sur la chaussée des
hommes, de proche en proche, et d'homme à
homme.
Jusqu'aux rives lointaines où déserte la mort.
SAINT-JOHN PERSE, Vents.




L'enfer c'est l'absence des autres.
L'enfer c'est la fermeture à l'autre.
Je nais habité par les autres. Puis une éducation
mutilante d'Occidental me réduit à être tout seul, et
à avoir l'illusion d'être la source de tout le reste.
« Je pense, donc je suis. » L'une des plus belles
perles du sottisier occidental! Quatre postulats
escamotés en cinq mots.
« Je. » Il n'est pas vrai qu'au commencement
était moi. Tout au contraire je me distingue peu à
peu, et à grand-peine, d'une totalité confuse des
choses et des autres vivants. C'est une conquête de
mon enfance première. Le moment où je m'affirme
comme individu, distinct de tous les autres, séparé,
sinon affronté, cette affirmation individualiste est
historiquement datée et géographiquement située :
elle est née avec la Renaissance, c'est-à-dire à la
naissance du capitalisme et du colonialisme, et en
Europe. Il est vrai qu'à partir de cette mutation
historique caractérisée par l'institution généralisée
du marché et de ses concurrences, chaque homme
est devenu le rival de chaque autre, que la liberté a
été cadastrée comme la propriété : ma liberté
s'arrête là où commence la liberté de l'autre.
Il est vrai aussi que cet individualiste barricadé
dans son moi égoïste a considéré l'Europe comme
le nombril du monde : tous les autres n'étant que
barbares ou primitifs.

27 août 2015

Credo pour un temps séculier

Je crois en Jésus-Christ:
c'était
un homme seul qui ne pouvait rien faire,
impuissant comme nous,
mais il a lutté pour que tout change
et c'est pour cela qu'il fut exécuté.
Devant lui nous sentons
comme notre intelligence est sclérosée,
notre imagination étouffée,
nos efforts vains,
car nous ne vivons pas comme il a vécu
et chaque jour nous fait craindre
que sa mort ait été vaine
lorsque nous l'enterrons dans nos églises
et que nous trahissons sa révolution
dans la soumission craintive devant les puissants.
Je crois en Jésus-Christ
qui a ressuscité dans nos vies
pour que nous nous libérions
face aux préjugés et à l'arrogance du pouvoir,
de la crainte et de la haine
et que nous fassions avancer sa révolution,
vers le Royaume.
(Sölle, D - Cité par Leonardo Boff dans "Jésus-Christ libérateur", Cerf, 1983, p 245)

Aujourd'hui une révolution, le point de vue de Camille Loty Malebranche





Les obstacles au changement sont aujourd’hui plus subtils qu’au temps des révolutions du passé. La pression psychologique de l’idéologie par la répression et la coercition a cédé le pas à la banalisation du vice et l’illusion de la démocratie. Désormais, les horreurs du mode socioéconomique, s’imposent par la permissivité extrême des mœurs qui miment la liberté aux masses ! Et les oligarchies règnent sans besoin de réprimer par les dictatures répressives sur lesquelles elles s’appuyaient jadis, puisqu’elles ont transformé la société en un vaste asile de drogués du loisir bête et du plaisir idiot, aliénés zélateurs de l’imposture capitaliste !

25 août 2015

Europe: former des Fronts de Libération Nationale, l'idée de Jacques Sapir

  [Comme Roger Garaudy, qui l'a écrit dès les années 80, notamment dans "Il est encore temps de vivre", je n’oublie pas que le gouvernement qui a réalisé le plus pour le peuple français est celui du Général de Gaulle à la Libération qui comprenait aussi bien un ministre d’extrême droite (Mr Louis Marin) que des démocrates-chrétiens et des communistes (notamment l’homme d’Etat conséquent que fut Maurice Thorez). Fidèle à sa ligne éditoriale, qui est de n'écarter aucune pensée indépendante, le blog fait donc écho à la perspective évoquée par Jacques Sapir. A.R

 

Comment reconstruire une alternative à la politique européenne actuelle ?

Si l’on considère cette alternative comme étant celle d’une rupture avec l’Euro, et je rappelle qu’il ne peut y avoir d’autre politique que sur la base d’une sortie de l’Euro, alors, cette alternative implique d’associer des forces de gauche à des forces souverainistes. Il faut noter, sur la question de l’Euro, une évolution importante au sein des forces de gauche, y compris en France si l’on observe bien les évolutions de J-L. Mélenchon et surtout d’Eric Coquerel, sur ce point. Ce fut aussi ce que disait un article dans The Guardian publié le 14 juillet 2015, soit au lendemain de la capitulation de Tsipras et appelant à une « sortie de gauche » ou « lexit ». C’est, implicitement, le sens de l’appel de Stefano Fassina, qui fut un des responsables du Parti Démocrate en Italie (et ancien vice-Ministre de l’économie du gouvernement Letta), appel qui a été relayé sur le blog de Yanis Varoufakis. C’était enfin aussi le sens de l’article d’Oskar Lafontaine, ancien responsable du SPD et membre fondateur de Die Linke, qui, en 2013, appelait à la dissolution de l’Euro. Depuis, le débat a été relayé par l’intervention de Mme Sahra Wagenknecht, co-présidente du groupe parlementaire du parti de gauche Die Linke au Bundestag dans le journal „Die Welt“. Mais, cette alternative n’aura de sens que si elle s’élargit à l’ensemble des forces qui, aujourd’hui, appellent à sortir de l’Euro. A partir du moment où l’on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, y compris avec des forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire. Vouloir se masquer cela aboutirait à une impasse. La véritable question qu’il convient de poser est donc de savoir s’il faut faire de ce démantèlement de l’Euro une priorité. Et, sur ce point, tant Fassina qu’Oskar Lafontaine et bien d’autres répondent par l’affirmative.
La présence de Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan lors de l’Université d’été de Debout la France est l’un des premiers signes dans cette direction. Mais, ce geste – qui honore ces deux hommes politiques – reste insuffisant. A terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée. Il faut comprendre que très clairement, l’heure n’est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours prononcées par les uns comme par les autres. La question de la virginité politique, question qui semble tellement obséder les gens de gauche, s’apparente à celle de la virginité biologique en cela qu’elle ne se pose qu’une seule fois. Même si, et c’est tout à fait normal, chaque mouvement, chaque parti, entend garder ses spécificités, il faudra un minimum de coordination pour que l’on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble. C’est la condition sine qua non de futurs succès.
Il faut cependant avoir conscience que la constitution des « Fronts de Libération Nationale » pose de redoutables problèmes. Ils devront inclure un véritable programme de « salut public » que les gouvernements issus de ces « Fronts » auront mettre en œuvre non seulement pour démanteler l’Euro mais aussi pour organiser l’économie le « jour d’après ». Ce programme implique un effort particulier dans le domaine des investissements, mais aussi une nouvelle règle de gestion de la monnaie, ainsi que de nouvelles règles pour l’action de l’Etat dans l’économie. De plus, ce programme impliquera une nouvelle conception de ce que sera l’Union européenne et, dans le cas de la France en particulier, une réforme générale du système fiscal. On glisse alors, insensiblement, d’une logique de sortie, ou de démantèlement, de l’Euro vers une logique de réorganisation de l’économie. Un tel glissement est inévitable, et nous avons un grand précédent historique, le programme du CNR (Conseil National de la Résistance) durant la seconde guerre mondiale. La Résistance ne se posait pas seulement pour objectif de chasser l’armée allemande du territoire. Elle avait conscience qu’il faudrait reconstruire le pays, et que cette reconstruction ne pourrait se faire à l’identique de ce que l’on avait en 1939. Nous en sommes là aujourd’hui.
L’idée de Fronts de Libération Nationale est donc certainement une idée très puissante, que ce soit en France ou en Italie. Mais, elle implique que, au moins à gauche, on se réapproprie la logique des « fronts » et que l’on comprenne que dans ce type de « front » peuvent subsister d’amples désaccords mais qui sont – temporairement – renvoyés au second plan par un objectif commun. La véritable question est celle de l’autonomie d’expression et d’existence des forces politiques de gauche au sein de ces fronts. Il faudra donc bien veiller à ce que les formes institutionnelles que pourraient prendre ces fronts ne soient pas contradictoires avec l’autonomie politique.

Jacques Sapir 
Lire l'entretien complet à  http://russeurope.hypotheses.org/4225
Titre modifié le 26/08/2015

24 août 2015

Au Cercle de Minuit en 1995, Béjart et Garaudy

Une retranscription critique, résumé d'une émission télévisée du
26 Avril 1995

Sur le site http://nathalie.diaz.pagesperso-orange.fr/bejart/mb.html:



Le "Cercle de Minuit ", Emission TV animée par la coproductrice et présentatrice du magazine culturel quotidien sur France 2 (1994/1997),
[Laure Adler, NDLR]

Le chorégraphe est entouré de l'écrivain François Weryergans, du metteur en scène Jérôme Savary, du journaliste André-Philippe Hersin, de l'écrivain et philosophe Roger Garaudy ainsi qu'une ancienne danseuse de l'Opéra de Paris [Brigitte Lefèvre, NDLR]
 
Béjart en 2004
Cette émission est présentée comme une tentative de découvrir ce "Maurice Béjart énigmatique, plein de mystère et de non mystère" (sic).

On n'échappe pas au "Né le..., fils de... ". Une bande sonore nous permet justement d'entendre ce père génial, le philosophe père de la Prospective qui déclare exactement :"Mesdames, Messieurs, le devoir du philosophe est de chercher à rendre aussi clair que le peuvent les idées confuses. C'est un devoir austère. Ce n'est pas une tâche secondaire. Rien n'est plus dangereux que les passions vigoureuses appliquées à des idées vagues. Il y a encore plus attristant, c'est de voir des hommes faire avec énergie et parfois avec générosité le contraire de ce qu'ils veulent vraiment, à ramer à contre courant parce qu'ils sont abusés par les mots. Or il y a deux idées qui sont fréquemment confondues. Les mots qui les désignent sont sans cesse employés l'un pour l'autre, et ce sont les maîtres mots : liberté et indépendance".

Roger Garaudy remarque aussitôt que le fils a dansé ce que le père a dit. Tout le monde approuve. Béjart reconnaît sa surprise de réentendre la voix de son père et en particulier de l'entendre dire cela dans une aussi parfaite justesse de ton et de mots.

L'animatrice enchaîne sur les innombrables passions qui animent le chorégraphe. Cet engouement pour la découverte, le Savoir, notamment acquis au travers des philosophies occidentales et en particulier orientales.

Béjart est félicité pour sa consécration récente sous les Coupoles de l'Académie (de même qu'il a été élevé par l'Empereur Hirohito à l'ordre du Soleil Levant). Béjart narquois, y revient sommairement et met surtout l'accent sur la joie ressentie à cette occasion de pouvoir à nouveau se déguiser, comme naguère lorsqu'il était enfant et endosser cet habit vert agrémenté d'une belle épée spécialement dessinée par "son jumeau" César (marseillais et né également un premier janvier).

Une question est posée sur la corrida.
Béjart qui a mal entendu demande "les chorégraphies ?" nous offrant un formidable raccourci sur les liens unissant l'un et l'autre.
Selon Maurice Béjart, la corrida consiste en une forme d'érotisme au travers de ces corps qui se frôlent dans l'arène, s'attirent et se repoussent aussi comme par exemple dans son oeuvre maîtresse le "Sacre".

Le tout début de "Symphonie pour un homme seul" [de Pierre Schaeffer et Pierre Henry, NDLR] est donné en extrait (le chorégraphe et le musicien se sont rencontrés en 1955). Cette synchronisation complète de soi avec la musique est longuement évoquée. Cette musique abstraite (Pierre Henry) qui rétroagit sur ce corps dansant, "qui marche et qui rajeunit quand la tête marche avec".Maurice Béjart rit beaucoup. D'ailleurs ironise gentiment et sérieusement Jérôme Savary "lui ne tire jamais la gueule et aime ses artistes". Le chorégraphe se justifie simplement, selon lui : " Si les danseurs sont biens, la danse est bien".Inévitablement, la question sur l'impulsion créatrice tombe:
"Vous écrivez ?".Béjart s'explique, évoque le plaisir, ce besoin de faire plaisir à un danseur ; cet éveil de ses capacités, ce bonheur qui transporte, qui transcende l'art.A propos des maîtres à penser il a cette phrase qui est très belle : - "Les maîtres, c'est chaque jour on ouvre un livre, chaque jour on écoute de la musique".

Ce "plein de mystère et de non mystère"...

La parole est donnée à l'écrivain François Weyergans:
-"Avec Maurice, c'est une cristallisation amoureuse ?"
- "Non, non, ce n'est pas le top du top la cristallisation amoureuse !"
Ce débit qu'il faut suivre, qui ne cherche pas, qui trouve instantanément, tout cela dans la plus parfaite nuance.
La force de la danse créé par Béjart " est celle qu'on ressent quand on lit un journal intime". Magie du miroir qui lui permet de faire l'amour avec l'interprète, de voir ce que sans lui, on ne pourrait voir.

La danseuse de l'Opéra de Paris approuve et aborde l'importance de ce travail avec le danseur. Au sujet du chorégraphe surnommé "Vishnu", elle reconnaît qu'il était craint.

François Weyergans reprend le thème de la relation qui existe et se noue entre le chorégraphe et le danseur par le biais du miroir (et des étapes Lacaniennes), et du Ballet par rapport au public, avec ce que l'on donne à voir et ce qu'il y a derrière. A la manière du sujet apparent et du sujet réel:"Il fait avaler aux gens des trucs assez curieux, le Mandarin merveilleux applaudi par tout le monde, qui a reçu une victoire de la Musique, quand on regarde derrière, avec l'histoire de fétichisme et de travestisme." s'étonne-t-il. D'ailleurs, selon les russes, "dans les ballets de Maurice, c'est ou le sexe ou dieu".Roger Garaudy prend de nouveau la parole et s'étonne : " L'un et l'autre le père (Gaston Berger) et le fils (Maurice Bejart), m'ont appris la même chose : le sens, l'essentiel de la vie est d'en chercher le sens". Cite Shakespeare dans le "Roi Lear" qui fourbu et errant déclare : "Quelqu'un ici me connaît-il ? Ce n'est point Lear ; est-ce ainsi que Lear marche ? Qu'il parle ? (...) qui pourra me dire qui je suis ?", et "Don Quichotte" : "Je sais qui je suis, un homme habité par dieu". Selon lui ces interrogations et constats animent Béjart qui les exprime au travers et par le corps, sur lequel la mort s'appuie de tout son poids.

Maurice Béjart approuve et cite à son tour Saint Jean de La Croix.

Fin de l'extrait.

http://nathalie.diaz.pagesperso-orange.fr/bejart/lemondebejart/indexcercle.html

[NDLR=précisions par l'administrateur du blog, AR]
http://www.ina.fr/video/CAF90025969/magazine-arts-lettres-et-spectacles-ballet-bejart-video.html: Garaudy parle de la danse






"La tâche de la philosophie est de dévoiler la vérité et de veiller à l’intégrité de l’homme"


Alain Badiou à propos de la question juive et de l’Etat d’Israël

 

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Se retrouver dans un colloque, c’est être convoqué pour écouter des professeurs et des chercheurs maîtrisant les sujets qu’ils se proposent de traiter. Mais à côté d’eux se dissimulent parfois certains qui préfèrent détourner les auditeurs en se dissimulant derrière les compétences et la rigueur dont ils sont censés être détenteurs.
C’est précisément ce que j’ai pu constater lors du colloque des 31 mai et 1er juin 2007 sur la sociologie historique de l’antisémitisme culturel. Il suffit apparemment d’être protégé par un poste dans l’enseignement supérieur et attaché à un groupe de pouvoir pour se mettre, hélas !, à parler de mauvaise foi devant les étudiants, les professeurs et les invités, en se targuant d’une profonde connaissance philosophique qu’on n’a visiblement pas.
Ce genre de personne va jusqu’à contester des ouvrages comme Circonstances 3. La question du mot « juif » d’Alain Badiou, et à attaquer cette publication avec des accusations ad hominem, tout cela pour semer l’équivoque et désorienter l’esprit des gens à propos d’une pensée et d’une œuvre profondément critiques et vigoureuses par leurs positions philosophiques et politiques.
Cela constitue une offense pour ceux qui consacrent leur vie à l’étude de ce que l’on appelle la Philosophie. Je ne dis ici rien de bien nouveau : rappelons-nous que, depuis les sophistes, la persuasion est inscrite comme pensée et fait son travail dans les esprits de l’époque. Dans la France d’aujourd’hui, cela vient nous confirmer que la recherche de la vérité et l’orientation pour l’existence de la philosophie continuent d’être attaquées. 
Il est pénible que ces nouveaux sophistes entreprennent de dénaturer les propos tenus dans ce livre par Alain Badiou à propos de la question juive et de l’Etat d’Israël, de trahir l’esprit même du livre. Cette manière de décortiquer, d’adopter les mœurs d’un petit journaliste sélectionnant à sa convenance les parties d’un texte de manière à bâillonner et dénigrer les positions personnelles de Badiou sur tous ces points témoigne d’une violence systématique contre l’esprit du livre, violence qui laisse bien voir qu’il ne s’agit pas alors de rebondir sur la pensée de l’auteur mais bien de semer la confusion pour faire ensuite passer un message de haine et de rancune sur les questions qui tiennent à cœur aux juifs et à l’humanité entière.
Je ne prétends pas faire ici une étude détaillée du livre de Badiou mais simplement présenter ses fondements et, par là, relever l’importance de son œuvre dans un temps où l’esprit d’extrême-droite vise à effacer l’esprit de 68, et même celui des Lumières, en vue d’encourager les guerres, de ravager les droits des plus faibles et des plus démunis, et tout ceci en promouvant ces médias et ces pseudo-intellectuels qui travaillent à l’anéantissement de notre planète, des peuples et de leurs cultures.
Je parlerai donc des trois aspects qui me semblent à considérer dans ce recueil :
  1. L’engagement et la responsabilité politique de Badiou dans cette affaire.
  2. La pertinence et l’organisation des textes philosophiques et artistiques pour élucider la problématique.
  3. La position philosophique d’Alain Badiou en relation au corpus de la pensée.
Badiou est très clair quand il indique que l’unité de son recueil tient à un point limite qui unifie l’universalisme en surmontant toute injonction à la sacralisation des noms communautaires, religieux ou nationaux. Ainsi, dès le début, il annonce une voie pour que le ressentiment du peuple juif ne le fasse pas cheminer vers la guerre. Loin de nier la souffrance et les morts pendant l’extermination nazie, il critique le ressentiment et la haine qui font en sorte que de nouvelles méthodes encourageant la destruction de la Palestine se mettent en place. Sa position personnelle n’admet pas qu’au nom des victimes de l’holocauste perpétré par l’Allemagne nazie s’instaurent un impérialisme et un colonialisme de l’Etat israélien qui permettraient d’accepter et faciliter les crimes contre les Palestiniens : « J’affirme qu’à mes yeux, la politique de conquête, de liquidation physique des Palestiniens, de massacre de lycéens arabes, de maisons dynamitées, de tortures, que mène aujourd’hui l’Etat d’Israël, est la plus grave menace qui puise peser sur le nom des juifs »[1].
Sa critique tout au long du texte laisse voir qu’il est contre le militarisme, l’invasion et le massacre sous prétexte de l’identification d’un peuple qui comme victime pourrait légitimer les pires atrocités. Il ne s’agit pas pour lui d’encourager la vengeance mais une possible réconciliation des juifs avec leur passé et avec les Palestiniens.
La question dans ce livre n’est donc pas de nier l’identité juive, loin de là, ni non plus l’extermination du peuple juif pendant les guerres, mais de comprendre qu’il n’est pas question de continuer à propager la destruction au nom du peuple juif (lequel est répandu dans toute la planète).
Justement son orientation philo-politique se retrouve dans des textes où l’art met en œuvre sa puissance, par exemple celle d’agir sur l’imaginaire, comme une forme de thérapie contre le ressentiment que l’extermination a pu laisser. Ce qui est tout à fait intéressant dans le propos de sa pensée, c’est de mettre en place un nouveau sens de la question de l’Etat juif en montrant la tâche de l’imaginaire sur la subjectivité et les consciences. Par exemple, en parlant du film de Udi Aloni l’Ange du lieu, il montre l’espoir d’un nouveau brassage entre le peuple juif et le peuple palestinien : « Le film croit en la possibilité de trouver dans la situation quelque chose qui soit pour tous un symbole existentiel de paix […] Ce n’est pas la forme classique que semble imposer la situation : résistance, combat, agression. Comme Udi n’est pas un simple pacifiste, il sait aussi bien que moi qu’une nouvelle conception politique à propos des situations conflictuelles ne se trouve pas du côté de la vieille idée qui consiste à se battre sans trêve pour déboucher sur la victoire finale ou la mort. Il s’agit de trouver un autre chemin. Dans le film nous pouvons voir que l’art, les chanteurs et l’amour sont des déterminations immanentes de la conception réelle d’une transformation politique de lieu. L’écart qui sépare révolte et dieu faible est celui où de nouveaux moyens permettent d’accéder à un nouveau lieu »[2].
L’imagination agit avec la charge affective de l’art et permet de créer un réel où la reconstitution de la subjectivité soit possible. Ce réalisme de l’imagination constitue une nouvelle source de valeurs où l’esthétique et l’éthique sont présentes.
  
Dans le fragment « la destruction des juifs d’Europe et la question du Mal » extrait du livre l’Éthique, essai sur la conscience du mal, la question de l’éthique aborde l’exemple du nazisme contre la reprise sous le nom de « juif » de la terreur et de la violence. La notion de simulacre s’oppose à l’éthique des vérités car le simulacre contient le Mal en brisant un universalisme qui conduit à un nouveau topos de l’éthique au-delà des particularités mesquines. Une opposition à la question du Mal comme stratégie du simulacre convient à la question de favoriser les attaques ou n’importe quelle autre forme de violence. « Le simulacre “révolution national-socialiste” a induit de telles nominations, en particulier “juif”. Mais la subversion du simulacre au regard de l’événement vrai se poursuit dans ces noms. Car l’ennemi d’une vraie fidélité subjective est justement l’ensemble fermé, la substance, la communauté. C’est contre ses inerties qu’on doit faire valoir le tracé hasardeux d’une vérité et de son adresse universelle. »[3]
C’est dans la figure de Saint Paul que Badiou voit la fondation de l’universalisme. Paul fonde l’universalisme en proclamant la vérité « de la fable de la résurrection ». Cela intéresse la direction de la pensée et celle de l’humanité. Pour la pensée car il ne s’agit pas de produire des vérités universelles, mais de les organiser de façon synthétique par son remaniement de façon à produire une nouvelle Vérité, cette fois-ci par la foi. Pour ce qui est de la conséquence éthique pour l’humanité, cet universalisme condense la force du « transcendant » qui nous rassemble fraternellement : « Juif entre les juifs, et fier de l’être, Paul ne veut que rappeler qu’il est absurde de se croire propriétaire de Dieu, et qu’un événement, où il est question du triomphe de la vie sur la mort, quelles que soient les formes communautaires de l’une et de l’autre, active le “pour tous” dont l’Un du monothéisme véritable se soutient. Rappel où, une fois de plus, le Livre sert à la subjectivation : “Il nous a appelés, non seulement d’entre les juifs, mais encore d’entre les païens, selon qu’il le dit dans Osée : ‘J’appellerai mon peuple celui qui n’était pas mon peuple, et bien-aimée celle qui n’était par la bien-aimée’.” (Ro.9,24) »[4].
Ce juif est alors porteur d’un message de rassemblement au delà de n’importe quelle religion qui puisse banaliser le rapport de cohésion entre les peuples avec leurs traditions, leurs cultures et leurs mythologies. Ici l’important n’est pas de parler de Saint Paul, le chrétien, mais de celui qui fonde ce processus de subjectivation où l’universalisme permet de créer l’indivisible reconnaissance d’autrui. La communauté n’est plus isolée, elle triomphe des particularités et des singularités en intégrant les peuples.
La figure de Saint Paul est assez controversée car autoritaire, elle pourrait être interprétée comme celle qui fonde avant tout une forme d’adhésion à un pouvoir. Mais derrière Saint Paul et la fondation de l’Eglise, ce qui est présent c’est l’élargissement du peuple de Dieu qui n’est plus un peuple mais « toutes les nations ». A l’intérieur d’Israël et plus encore à l’intérieur du « mot juif », nombreux sont ceux qui voudraient cette universalisation.
L’œuvre de Badiou est donc porteuse de controverse politique car, en élucidant les portées du mot « juif », le philosophe pousse le présent tétanisé des formes stérilisées de haine, de violence et de ressentiment là où la vie et l’espoir des peuples sont possibles malgré une vague énorme qui cherche à écraser les orientations pour l’existence dans le temps présent.
La critique en philosophie est l’être de son fondement, car la tâche de la philosophie est de dévoiler la vérité et de veiller à l’intégrité de l’homme : l’unique combat qu’à mon avis la pensée doit mener sans jamais céder !
Post-doctorante de philosophie à Paris 8.
Paris, le 4 juin 2007


[1] Alain Badiou. Circonstances, 3. Portées du mot « juif ». Lignes. 2005, p.25.
[2] Ibid., p. 81 et 85 (souligné par l’auteur).
[3] Ibid., p. 41.
[4] Ibid., p. 65 et 66.

Don Quichotte, le ballet


Svetlana Zakharova et Andrei Uvarov
au Japon en 2009
dans le Pas de deux de Don Quichotte, ballet de Marius Petipa, musique de Léon Minkus, représenté pour la première fois au Théâtre Bolchoï de Moscou le (Wikipedia)

22 août 2015

Avant le sous-développement, il y avait un développement. Par Roger Garaudy



Avant le sous-développement, il y avait un développement.
Pas le nôtre. Telle est la tragédie majeure de
notre temps.
Cinq siècles de colonialisme ont conduit au pillage
des richesses de trois continents, à la destruction de
leurs économies, aux échanges inégaux et à la dette, à la
négation et au mépris des autres sagesses.
Avant le sous-développement, il y avait le développement.
Pas le nôtre, celui de l'Europe, qui a construit
d'abord, sous le nom de « providence » , puis d ' « évolution
» , puis de « progrès » , puis de « croissance » , une
vision linéaire de l'histoire. Vision selon laquelle la
puissance technique de manipulation de la nature et des
hommes serait l'unique critère de valeur.
Par le langage on masque un double mensonge : sous-développement
ne signifie pas « retard » dans une évolution
historique, mais dépendance coloniale, qui a fait des
colonisés des appendices de l'économie des métropoles
et a bloqué tout développement endogène.
L'expression en voie de développement dissimule la réalité
d'un écart grandissant : le sous-développement du plus
grand nombre est le corollaire et la condition de la croissance
de ceux qui en font le pillage. En voie de développement
désigne une misère croissante de peuples « en voie de
régression » et de faillite, par le jeu de la dette.
Avant d'être « découverts » , les autochtones avaient
créé des formes de culture au moins égales aux plus
belles réalisations de l'Europe. En témoignent les
soudards de l'invasion, éblouis par Tenochtitlàn —
l'actuel Mexico — plus que par Venise.
Il est hypocrite, en invoquant les « sacrifices
humains », de vouloir justifier le génocide de 80 % de
ce continent par le travail forcé dans les mines d'or et
les plantations, pour les seuls « besoins » des métropoles
occidentales, avec les épidémies et les massacres
qui en découlaient, ainsi qu'en témoigne, dans sa Très
brève relation de la destruction des Indes, monseigneur
Bartolome de las Casas, chassé de son diocèse de
Chiapas par les colons esclavagistes.
Où sont les barbares ?
« La barbarie est venue d'Europe » , répondait l'évêque.
Cette chasse à l'Indien n'appartient pas seulement au
passé, ou aux westerns racistes : elle se poursuit encore,
des « réserves » des États-Unis et du Canada jusqu'aux
forêts de l'Amazonie où les seringueros et les grands
propriétaires fonciers massacrent les Indiens.
Une civilisation disparaissait de l'histoire.
On ne peut rien comprendre aux situations chaotiques
et parfois à l'agonie de régions du monde telles que
l'Afrique noire, ni aux flambées intégristes de révolte
contre la désintégration matérielle et spirituelle de leur
société et de leur culture, si l'on feint d'ignorer les cinq
siècles de colonisation qui ont préparé les faillites, les
fureurs, les convulsions d'aujourd'hui.
Le père Vincent Cosmao pose le véritable problème :
« Pour comprendre le sous-développement, il apparaît
indispensable de s'interroger sur la manière dont fonctionnaient
les sociétés avant d'entrer en déstructuration.»