29 novembre 2019

Après moi le déluge !

Le capital, qui a de si « bonnes raisons » pour nier les souffrances de la population ouvrière qui l’entoure, est aussi peu ou tout autant influencé dans sa pratique par la perspective de la pourriture de l’humanité et finalement de sa dépopulation, que par la chute possible de la terre sur le soleil. Dans toute affaire de spéculation, chacun sait que la débâcle viendra un jour, mais chacun espère qu’elle emportera son voisin après qu’il aura lui‑même recueilli la pluie d’or au passage et l’aura mise en sûreté. Après moi le déluge ! Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. Le capital ne s’inquiète donc point de la santé et de la durée de la vie du travailleur, s’il n’y est pas contraint par la société. (...) Il est vrai qu’à prendre les choses dans leur ensemble, cela ne dépend pas non plus de la bonne ou mauvaise volonté du capitaliste individuel. La libre concurrence impose aux capitalistes les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes.

Karl Marx, Le Capital, livre I, section 3, chapitre VIII

26 novembre 2019

Marx et l'environnement

« Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement (note 278). La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. »


Marx, "Le Capital" Livre I - 4e section - Chap XV – X


24 novembre 2019

A propos de Marx - Claude Lévi Strauss

Il ne s'agit d'ailleurs pas de savoir si Marx a justement prévu tel ou tel développement de l'histoire. À la suite de Rousseau, et sous une forme qui me paraît décisive, Marx a enseigné que la science sociale ne se bâtit pas plus sur le plan des événements que la physique à partir des données de la sensibilité: le but est de construire un modèle, d'étudier ses propriétés et les différentes manières dont il réagit au laboratoire, pour appliquer ensuite ces observations à l'interprétation de ce qui se passe empiriquement et qui peut être fort éloigné des prévisions.

À un niveau différent de la réalité, le marxisme me semblait procéder de la même façon que la géologie et la psychanalyse entendue au sens que lui avait donné son fondateur: tous trois démontrent que comprendre consiste à réduire un type de réalité à un autre; que la réalité vraie n'est jamais la plus manifeste ; et que la nature du vrai transparaît déjà dans le soin qu'il met à se dérober. Dans tous les cas, le même problème se pose, qui est celui du rapport entre le sensible et le rationnel et le but cherché est le même : une sorte de super-rationalisme, visant à intégrer le premier au second sans rien sacrifier de ses propriétés.

"Tristes tropiques", chap. VI, I