« Dieu s'est fait homme pour que l'homme puisse devenir Dieu »
«Le Christ n'est pas partagé : il n'est ni barbare, ni juif, ni grec, ni
homme, ni femme : c'est l’homme nouveau, l’homme de Dieu, transformé par
l’Esprit Saint.», Protreptique XI,
112
Clément d'Alexandrie, père de l’Église
Saint Jacques, disciple
de Jésus et animateur de la communauté de Jérusalem soulignait avec la plus
grande force que c'est un devoir inconditionnel que nous avons à l'égard des
pauvres, Saint Jacques dans son Épître
écrivait : « Riches, votre richesse est pourrie » (Jb 5-1) et
« A quoi nous servirait d'avoir la foi si nous ne faisions pas les
oeuvres, si un frère ou une sœur n'ont rien à manger tous les jours, sans que
tu lui donnes de ta subsistance, à quoi servirait ta foi. La foi est inopérante
sans les œuvres .», ce qui signifie que l'homme est justifié par ses
oeuvres et pas seulement par sa foi[1]. Il affirmait ainsi le contraire de ce qui fait
le fondement de la théologie de la domination de Paul.
*
* *
Dieu, au cours de
l'histoire, a toujours représenté les plus hautes espérances des hommes :
la paix, la justice, la pureté, le bonheur.
Les religions ont-elles
répondu à ces espérances ?
Le christianisme est la
seule religion proclamant que Dieu s'est fait homme. Jésus représente en effet,
par les paroles et les actions qui nous sont contées dans les quatre Évangiles,
la forme la plus haute de la vie, celle qu'on espérait d'un Dieu.
Les pères de l'Église
d'Orient, de saint Grégoire de Nysse († 394) en Cappadoce (Turquie actuelle), à
saint Ignace d'Antioche († vers 110) dans l'ancienne Syrie, à Clément
d'Alexandrie († 215), en Égypte romaine, ont tous proclamé le sens merveilleux
du message : « Dieu s'est fait
homme pour que l'homme puisse devenir Dieu. Dieu s'est incarné pour déifier
l'homme » écrit saint Athanase d'Alexandrie (Contre les Ariens 1, 39). Contre toute théologie de la domination,
il rappelle que Jésus fut pauvre et sans pouvoir : « Le caractère
tout entier du christianisme est dans l'abaissement de la divinité. » (Ib. 29)
Certains, comme saint
Polycarpe de Smyrne (+156), ignoraient l'Ancien Testament comme il le dit dans
sa lettre aux Philippiens (12, 1) d'autres comme Tertullien (né à Carthage en
155), refusent avec autant de force l'influence grecque : « Misérable
Aristote qui leur a enseigné la dialectique», écrit il, contre les prédications
des chrétiens influencés par les Grecs (Proscription
des hérétiques, VII, 9) Tous relèvent le trait essentiel du message de
Jésus, qui s'adresse en priorité aux pauvres. Saint Grégoire de Naziance
(329-390), s'adressant à des moines, insiste pour qu'ils soient « pauvres
en vue du Royaume, et rois par leur pauvreté ». (Discours contre les ariens, VI, 2) Dans ses poèmes il écrit :
« Laissez ‑nous donc, vous autres, repus des biens de ce monde. » (Poèmes, II, 1) Pour tous, comme l'écrit
l'un d'eux, les riches ne sont que les usufruitiers de leurs
« biens ».
L'Église romaine officielle,
dès qu'elle en eut le pouvoir, (le christianisme devenant religion d'État à la
fin du IVe siècle) ne tenta d'imposer ni la paix ni la
justice : mais la persécution des «hérésies» (c'est-à-dire des «choix»
différents de celui de 1a monarchie romaine de l'Église ; des croisades
contre les musulmans, ou contre les cathares, des «guerres de religion», à la
bénédiction du colonialisme baptisé «Évangélisation» des «païens», jusqu'au
soutien aux dictatures les plus sanglantes des temps modernes, comme celles de
Mussolini, de Franco ou d'Hitler. Quant à la justice pour les pauvres, furent
«oints«, les rois les plus oppressifs comme des «rois très chrétiens». Bossuet,
dans sa controverse contre Jurieu, approuvait encore, au XVIIe siècle,
l'esclavage des Noirs.
Ce n'est que dans le
sillage des «philosophes des lumières», précurseurs de la Révolution française,
que l'abbé Raynal, et, sous la Révolution, l'abbé Grégoire, militèrent pour
l'abolition, s'affirmant en actes la lutte contre la « traite des nègres ».
Lorsqu'un puritain noir, John Brown, en 1859, tente un soulèvement, il est
pendu, sans même une protestation de l'Église officielle. Seuls les «quakers»
exclurent les esclavagistes, mais ni les hiérarques de l'Église anglicane en
Grande-Bretagne, ni les Églises institutionnelles en Amérique, n'abordèrent de
front cette pire négation de l'humanité, tout en continuant de se réclamer de
celui qui avait subi le supplice réservé aux esclaves : Jésus.
Nous pourrions faire des
constatations analogues pour l'Islam qui fut pendant des siècles, l'instructeur
de l'Europe, aussi bien dans les sciences – où il fut, comme le reconnut le
savant franciscain Roger Bacon (1220-1292) l'initiateur de la méthode
expérimentale – que dans la philosophie, avec Averroës, dont saint Thomas
d'Aquin, son adversaire catholique, a reçu l'héritage grec, ou dans la
mystique, où Ibn Arabi fut l'ancêtre spirituel de saint Jean de la Croix. Or
l'Islam d'aujourd'hui n'apporte aucun projet d'avenir, ni par ses dirigeants,
dont les plus riches, rois du pétrole, ne font que perpétuer les rites, en
pratiquant, en fait, le monothéisme américain du marché, ni par ses opposants,
qui veulent, à juste titre, défendre leur identité, mais en la recherchant dans
le seul passé. L'imitation de l'Occident comme l'imitation du passé les
enferment dans deux impasses.
L'on ne peut guère
aujourd'hui parler de judaïsme au sens que lui donnèrent ses merveilleux
prophètes. Il se divise maintenant, lui aussi, en sionistes, disciples de
l'athée Théodore Herzl, qui n‘ont recours au mythe ancien de la Promesse –
« la puissante légende », disait Herzl – que pour justifier une
politique nationaliste et colonialiste où le dieu d'Israël est remplacé par
l'État d'Israël, et en « hommes noirs», avec leurs partis dits
«religieux», qui fabriquent, au nom d'une «orthodoxie» vétilleuse, fondée sur
une lecture littérale de la Thora, des assassins de droit divin, comme celui
qui tua le premier ministre Rabin, ou celui qui massacra les Arabes qui
priaient au Tombeau des Patriarches.
Les hommes de foi juifs,
qui ont gardé le sens de l'Universel, comme le furent Einstein, Martin Buber,
Yehudi Menuhin et son père le rabbin Moshe Menuhin, (qui dénonçait le sionisme
dans son livre, The Decadence of Judaism[2]) ou aujourd'hui ceux qu'on appelle à tort
« les nouveaux historiens » israéliens (les Benny Morris, Zimmerman,
Ilan Pappe, Tom Seguev et bien d'autres savants courageux) car, comme le dit
Benny Morris : « Pourquoi nous appelle-t-on «nouveaux historiens» et non
pas «historiens» tout court, car jusqu'à présent il n'existait depuis la
création de notre État qu'une mythologie ? », tous ceux-là sont une
minorité sans pouvoir, à la différence de leurs dirigeants officiels qui ont
colonisé les Etats-Unis où ils détiennent les « secrétariats d'État»,
c'est-à-dire le ministère de la guerre, des affaires étrangères, des finances,
les trois principaux chefs de la CIA et la majorité au sein du tout puissant
«Conseil de la sécurité nationale», et sont ainsi à la tête du nouveau
totalitarisme du monothéisme du marché.
*
* *
Vingt siècles après
Jésus, Nietszche, qui, dans son livre L'Antéchrist
oppose Jésus, pour lequel il exprime son admiration (Jésus, dit-il apporte la
« bonne nouvelle », c’est l’évangéliste de la vie), à Paul le
«dys-angéliste» apporte la «mauvaise
nouvelle»
Jésus constitue un moment sans précédent
dans l'histoire en ce sens que cet homme est le plus débile et le plus démuni
entre tous les hommes. Rien dans l'histoire antérieure ne laissait prévoir une
inversion aussi radicale en ce qui concerne l'idée que les hommes avaient
jusque là des dieux. Le théologien espagnol Gonzalez Faus a ce
commentaire : « En Jésus se découvre une chose tout à fait nouvelle,
en rupture radicale avec l'Ancien Testament[3]. » Plus loin, il ajoute: « Le Dieu que nous révèle Jésus
n'est pas celui de l'Ancien Testament[4]. » Le théologien Dodd est écrit : « Les logia de
Jésus n'ont pas de parallèle dans l'enseignement juif... il apporte quelque
chose d'entièrement nouveau qui ne peut être concilié avec le système traditionnel[5]. » Le pasteur
Stauffer d'ajouter: « Jésus annonce un nouveau message de Dieu, une
nouvelle religion, une nouvelle morale qui n'est pas liée à la Thora. »
Or dès l’origine, Paul se
substitue à Jésus: «Christ parle en moi» (II Cor. XIII, 3), Paul, qui déclare:
«Oui, je souhaiterais être anathème, être moi-même séparé du Christ, pour mes
frères, ceux de ma race, les Israélites à qui appartiennent l'adoption, la
gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses et les pères, eux enfin
de qui, selon la chair, est issu le Christ qui est au-dessus de tout.» (R 9, 3-5), s’enclenche le processus d’escamotage de la
révolution des pauvres.
L’Église actuelle
s’inscrit dans cette droite ligne paulinienne, lorsqu’un archevêque de Paris, Mgr Lustiger,
peut écrire que Jésus ne pouvait naître que dans le «peuple élu» et qu'il s'en
soit laissé féliciter - sans mot dire - le jour de son entrée à l'Académie
française, où sa réceptionniste, Hélène Carrère d'Encausse, ajoute cet éloge :
«Vous récusez fermement l'idée selon laquelle vous auriez abandonné votre
identité juive… Le Christ rappelez-vous, est né à Bethléem, en Judée, et les rois mages allant
vers Lui, demandaient à tous : où est le roi des juifs ? Le Christ n'est pas né
là par hasard, dites-vous: il ne pouvait être né ni chinois, ni enfant de
l'Afrique. Le Messie n'est le Messie que parce qu'Il est du peuple élu par
Dieu… jusqu'à la venue en gloire du Messie, le juif demeure et il demeure juif,
qu'il soit chrétien ou non.»
Aux origines chrétiennes
Il faut se souvenir que
nous n’avons que des données d’origine chrétienne sur la vie de Jésus: à part
la mention du supplice d’un certain Chrestos dans Suétone, autour de 100 ap.
J.-C., les sources extra-chrétiennes sont muettes. Et l’on se pose rarement la
question de l’ordre chronologique des textes canoniques eux-mêmes, supposant a priori que les Évangiles sont
contemporains de la fin de la vie du Christ, que les Actes des apôtres ont été
rédigés par son disciple Luc, et que les Épîtres se succèdent en ordre chronologique
confus, celles de Paul, qui n’a jamais connu Jésus venant logiquement les dernières. Or le tableau, tels que l’ont
reconstitué les exégètes chrétiens depuis que ces questions les intéressent
(XVIIe siècle),
est très différent. L’Église entretient un flou aimable sur ces questions et
l’on se garde bien de dire aux fidèles que les Épîtres de Paul sont antérieures
aux Évangiles canoniques et que les auteurs, lorsqu’il furent témoins de la vie
de Jésus, insèrent leurs souvenirs personnels, ses paroles et ses actions, dans
le cadre de la théologie de Paul qui les a précédés. La chronologie sur
laquelle s’accordent aujourd’hui les exégètes chrétiens (la source de la chronologie est dominicaine) est
celle-ci :
– Épîtres de Paul:
Premières lettres de Paul (aux Thessaloniciens) : an
50 ;
Épîtres de Paul aux Romains, aux Corinthiens et au
Thessaloniciens: an 57;
Dernières lettres (de Rome) : an 63 ;
– Évangile de Marc :
an 64 ; Son auteur, Jean-Marc, n’a sans doute pas connu Jésus mais était
proche de l’apôtre Pierre; d’après la tradition patristique, il a consigné
l’enseignement donné par Pierre à Rome. Il a aussi accompagné Paul quelque
temps puis l’a quitté avant une réconciliation finale.
– Actes des apôtres: dans
les années suivant l’an 64; l’auteur est l’évangéliste Luc, médecin grec
d’Antioche, disciple de Paul qui avait fondé l’Église de cette ville.
– Évangile de Luc :
an 80-90 ;
– Évangile de
Matthieu : an 80-90 ; l’auteur, Matthieu ou Lévi, est un disciple de
Jésus. Son Évangile original, perdu depuis l’origine (les Pères de l’Église
n’en disposaient déjà plus) a probablement été écrit en araméen, entre 40 et
50; la version grecque daterait d’après
80. On pense qu’il dépend de Marc ou qu’ils dépendent tous deux d’une
source grecque commune. Il a aussi utilisé des œuvres de Luc. L’original
araméen a été écrit pour un public juif.
On a découvert en 1954,
en Haute Égypte, Les pensées de Jésus recueillies dans ce qu'on appelle
indûment L'Évangile de Thomas, car il
ne raconte pas la vie de Jésus, mais recueille seulement ses propos. Enfouis
dans le sol par des disciples, ils avaient échappé aux destructions des
nouveaux maîtres. Les auteurs de la "Synopse" de l'École biblique de
Jérusalem, les pères Boismard et Benoît reconnaissent : « Il semble qu'ils
nous permettent d'atteindre une forme de la tradition évangélique antérieure à
la rédaction des Évangiles canoniques[7]. »
Tout le corpus canonique
accepté par l’Église romaine est donc largement influencé, sinon dominé, par la
personne et la pensée paulinienne qui rompt radicalement avec la nature du
message de Jésus.
Paul dit (Act 26, 22) « Les Prophètes et Moïse ont prédit tout ce
qui devait arriver et je n'ai rien dit de plus », effaçant ainsi toute la
vie terrestre de Jésus et, avec elle, tout son sens. Il est significatif qu'il
ne parle jamais de Lui dans ses Épîtres, ne citant ni une seule de ses paroles,
ni de ses Actes: ce qui l’intéresse c’est tout ce qui est avant sa vie – la descendance de David – et après sa mort – la Résurrection en tant
que miracle de la puissance de Dieu. La « bonne nouvelle » n'est pas
pour lui la vie de Jésus dont les paroles et les actes rompent avec tout le
passé et surtout avec les dieux tout puissants. La traduction œcuménique de la
Bible, commente ainsi, dans une note, les paroles de Paul : « L'Évangile
n'ajoute rien en un sens à l'Ancien Testament, du fait que ce qu'elle dit a été
annoncé antérieurement. Il s'agit de démontrer que la foi chrétienne est
authentiquement incluse dans la foi d'Israël[8]. » Ainsi Jésus ne serait que l'acteur
obéissant d'un scénario écrit dans l'Ancien Testament. Essayer de faire croire
aux juifs que le règne n'arrivera pas à la fin des temps mais qu'il est déjà
arrivé avec Jésus, est un judaïsme réformé qui escamote ce qu'il y avait
d'unique et de sans précédent dans la levée de Jésus.
Comment est-on passé du
Jésus universel des pauvres à ce chef de guerre sectaire?
Paul s’est autoproclamé
« Apôtre », c’est-à-dire l’un de ceux qui ont été envoyés par Jésus,
parce qu’il eut, dit-il, sur le chemin de Damas, la vision du Christ. Elle est
décrite diversement par lui-même et par ses disciples: C'est tantôt une
"vision céleste" (Act. XXVI, 19) semblable à celles de l'Ancien
Testament; tantôt une "révélation" (G 1, 12) qui ne s'accompagne d'aucune description ;
tantôt une rencontre, non pas avec Jésus, mais avec le Christ (traduction
grecque de "messie" dans la langue des Hébreux) qui lui assignait sa
mission nouvelle (Ph 3, 7-14). Il
ajoute toujours le nom de Christ (qui est une fonction : celle de messie),
au nom de Jésus (qui est un nom propre), pour authentifier sa qualité d'apôtre
qui a vu Jésus. Luc, dans son récit de la conversion de Saul, a cette phrase:
«Saul reprenait des forces et confondait les juifs qui vivaient à Damas, leur
affirmant qu’il [Jésus] était le Christ.» (Act. IX, 22)]
Paul veut établir la
continuité entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Les Actes des Apôtres (28, 23) précisent expressément que Paul "parle de Jésus à partir de la Loi
et des Prophètes." Rien n'est plus significatif que sa prédication à la
synagogue d'Antioche de Pisidie (Ac 13, 13-39). Invité par les chefs de la synagogue, «après lecture de la Loi et des
Prophètes» à prendre la parole, Paul commence à réciter le credo deutéronomique résumant l'histoire d'Israël : l'élection
divine (17), l’exode d'Égypte (17), le don de la terre de Canaan et
l'extermination de sept nations qui y vivaient (19) et enfin le règne de David,
que Dieu considère comme un roi « selon son cœur » (22), «au service
du plan de Dieu» (36) dont il «a accompli toutes les volontés» (22).
Paul ajoute une rallonge
au credo historique de ses
coreligionnaires : dans les quatre premiers versets de son épître aux Romains,
il énonce les thèmes majeurs de «son Évangile», qui constitueront pour vingt
siècles, l'essentiel du credo des Églises chrétiennes.
« Paul, serviteur du Christ-Jésus, apôtre par vocation, mis à part
pour annoncer l'Évangile de Dieu, que
d'avance il avait promis par ses prophètes dans les Saintes Écritures
concernant son fils, issu de la lignée de David ‘selon la chair’, établi Fils
de Dieu avec puissance par sa résurrection des morts, Jésus-Christ notre
Seigneur » (Rom. 1, 1-4).
« C'est de sa descendance (de David ) que Dieu, selon sa promesse, a
fait sortir Jésus le Sauveur d'Israël » (Ac 13, 23).
«La population de Jérusalem et ses chefs ont méconnu Jésus» (Ac 13, 27) et l'ont condamné, «accomplissant ainsi les
paroles des Prophètes» (Ac 13, 27) et
«tout ce qui était écrit, à son sujet» (Ac 13, 29). Mais Dieu l'a ressuscité des morts (Ac 13, 30) par une nouvelle preuve de sa puissance et de sa
sollicitude envers Israël.
Dans sa première épître
aux Corinthiens (1, 3-4) il complète ce credo
en y ajoutant la rédemption : «Christ est mort pour nos péchés, (selon les
Écritures). Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les
Écritures.»
L'accent mis sur la
référence aux Écritures (deux fois invoquées en deux lignes) souligne la
préoccupation majeure de Paul d'insérer Jésus dans la tradition juive. Dès lors
la vie propre de Jésus n'a plus aucune raison d'être évoquée.
Tout ce paulinisme
politique est né de la volonté de faire de David, comme le dit Paul :
« par excellence, le roi selon le cœur de Dieu » (Ac 13, 22) et que le Catéchisme de 1992 reprend
textuellement (p. 154). Quant à la vie de Jésus, ses paroles et ses actes, les
évangélistes, utilisant les faits pour en faire des sermons, nous en rappellent
quelques fragments qu'ils juxtaposent aux épisodes décemment avouables de ceux
de David, toujours avec le même souci de passer du réel à l'apologétique.
La formidable brèche
qu'il avait ouverte dans l'histoire des hommes et des dieux en faisant émerger
la transcendance, non de l'extériorité de la puissance d'un monarque terrestre,
mais au contraire, du plus démuni des hommes, non du «Très Haut» mais du «Très
Bas », était ainsi colmatée. Par une systématique régression l'on revenait
à la conception traditionnelle du Dieu roi et du roi Dieu. Comme l'écrit
Gonzalez Faus : « Jésus est déduit et nous ne rencontrons en Jésus que le
Dieu que nous connaissons ou que nous croyons connaître. De cette manière Jésus
ne révèle rien[9].»
C'est finalement la
version qu'adoptera l'institution : L'Église qui, suivant «la tradition» de
Saint Paul, ne portera plus le nom de Jésus mais celui de
« christianisme » (un mot qui fut créé à Antioche, au passage de Paul
(en 43) (Actes XI, 25-26). Désormais était né un «judéo-christianisme». Le nom
même d’Eglise apparaît pour la première fois chez Saint Paul dans son Épître
aux Corinthiens. (XIV, 12)
Bien que le Christ de
Paul ne soit pas Jésus, resteront condamnés, par l'Église institutionnelle, des
disciples de Jésus, s'efforçant d'imiter sa vie et non celle du condottiere
taré : David. Parlant de la foi, c'est surtout eux que nous évoquerons. Des
Pères de l'Église à saint Jean de la Croix et, de nos jours leurs héritiers
directs qui sont les théologiens de la Libération.
*
* *
Les problèmes se posent
dès l’abord avec la généalogie de Jésus. L'essentiel, pour Paul, c'est que le
Christ soit le descendant, l'héritier, et même, selon son expression, "Le
fils de David selon la chair ". Pour établir cette filiation davidique les
évangélistes Matthieu et Luc sont d'abord obligés de se référer aux textes de
l'Ancien Testament (en l'occurrence le premier livre des Chroniques (I et II) et d'y inclure le nouveau Messie : le
Christ-Jésus. Ce n'était pas une tâche facile si bien que les deux généalogies
ne concordent pas : chez Luc, de David à Jésus s'écoulent quarante-deux
générations (trois séries de deux fois sept selon l'arithmétique sacrale des
Hébreux); chez Matthieu il y en a seulement vingt-six. Et il n'y a que deux
noms d'ascendants communs aux deux listes : Salatiel et Eliakim. Mais de toute
façon on n'aboutit qu'à Joseph, le père "légal" de Jésus, dont il est
difficile de dire qu'il est son père "selon la chair " et saint Paul,
lui, évite l'obstacle, en disant seulement que le Christ-Jésus est "né
d'une femme". (G 4, 4 ) dont il ne
dit même pas le nom et ne parlera jamais plus. La Vierge Marie n'a-t-elle pas
d'importance pour les catholiques ? Ce
qui est sûr, c'est qu'elle n'a aucune place dans les Épîtres de saint Paul[10]. Quel que soit le jugement qu'un médecin
positiviste puisse porter sur le plan physiologique, la virginité est un
magnifique symbole. Bien sûr il fallait bien que Jésus naisse quelque part,
sans exterritorialité géographique, mais il n'est le fils d'aucun homme
particulier.
Il n’y a aucune
communauté de comportement entre David et Jésus, dans les rares éléments que
nous apprenons de la vie de Jésus dans les Évangiles. Dans ses Épîtres, Paul ne
s'intéresse à Jésus que parce qu'il a permis un rassemblement populaire
important, qui a pu faire croire qu'il était le «Messie» venu pour restaurer le
Royaume de David (c'est ainsi d'ailleurs qu'il est salué pour beaucoup à son
entrée à Jérusalem). Nulle part, Paul ne fait allusion à la naissance ou à
l’enfance de Jésus, non plus qu'au reste de sa vie, il ne dit jamais qu’il
mange et dort là où on l'invite, comme tout SDF. Matthieu, sous l’influence de
Paul transforme le récit de sa naissance pour le rendre conforme à la tradition
juive du Messie, sauveur politique:
chez lui, l'hommage des pauvres bergers
de Luc (Lc 2, 7) est remplacé par la visite des rois d'Orient et l’offrande
leurs riches cadeaux: « Où est le Roi des juifs ? »
demandent-ils (Mt 2, 2). Pour cette visite à sa Majesté une étoile éclaire leur
marche (Mt 2, 9) sans qu'il soit question, chez lui, d'étable et de mangeoire.
De même, le dernier cri
déchirant de Jésus, « Mon Dieu mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné
? » (qui ne cesse de retentir au plus profond de nous -même ) est remplacé
par -une mise en scène qui surpasse - et de loin - celle des «Folies
Bergères »: « Les rideaux du sanctuaire se déchirent en deux de haut
en bas ; la terre tremble, les pierres se fendent, les tombeaux s'ouvrent,
etc.» (Mt 27, 51-52) Ces funérailles à grand
spectacle impressionnent évidemment la foule (Mt 54). Étrange conversion
déterminée par le spectacle de tels prodiges. Le P. Segundo (S.J.) souligne
avec raison «la difficulté de reconnaître dans le ressuscité le Jésus
historique»[11].
A partir du récit de sa
mort et surtout de sa Résurrection, en laquelle saint Paul voit un signe
miraculeux de la «puissance » de Dieu, (replaçant l’histoire de Jésus dans
la tradition mésopotamienne générale, au même titre que la Création, le Déluge
ou la sortie d'Égypte), il élimine l'humble et triste vie de Jésus (et même de
sa mort puisque né «sans domicile fixe » il meurt de la mort la plus
infamante ; celle que l'on réservait aux esclaves : la crucifixion)
puisque rien de tout cela ne correspondait aux espérances du peuple juif. Pour
effacer cette déception, saint Paul, transforme sa mort comme il avait
transformé sa naissance (par la voix de son disciple Matthieu) et fait de sa
résurrection un phénomène triomphal qu'il situe dans un décor grandiose. Tout
commence donc, pour Paul, après la mort de Jésus, avec cette Résurrection en
fanfare qui va métamorphoser en Roi des Rois ce nouveau David qui reviendra
même (après sa première venue ratée) escorté par «les anges de la puissance
afin de tirer vengeance de ceux qui ne connaissaient pas Dieu.» (2 Th. I, 8)
Dès lors, Jésus, à qui l'on attribue désormais, avec Paul, la fonction hébraïque
de Christ (c’est-à-dire de messie ),
devient inutile au narrateur. Tout se passe comme si, avec Jésus, rien ne
s'était passé. Dieu est redevenu le dieu régional traditionnel, créateur et
maître du monde : « Il est le Seigneur par qui toute chose existe.» (I,
Cor, VIII, 4) « Tout est créé par Lui et pour Lui.» (Col. I, 15)
La logique de la pensée
paulinienne faisait dire à Jésus, après sa mort, le contraire de ce qu'il a dit
et fait pendant sa vie. Il transforme en roi et Dieu de puissance, le
charpentier de Nazareth. La mort a été engloutie par la victoire .(I, Co.
XV,55). « C'est par le pouvoir de Dieu qu'il vit.» (II, Co. XIII, 4)
Paul fait de la
Résurrection une victoire sur les royaumes de la terre, tous soumis à sa
vindicte et leur écrasement (I. Cor. XV, 25), comme dans le Psaume 110, hymne à
la puissance, en l'honneur du condottiere David dont on fait de Jésus l'étrange
héritier. Ainsi Jésus est ramené, sous le nom de Christ, au droit commun des
dieux de la puissance. Pour les juifs, Dieu protège et donne à ses fidèles la
victoire sur les autres. C’est pourquoi ils couvrent de quolibets Jésus sur sa
croix : Dieu ne l'en a pas décloué comme il délivra DANIEL, des griffes
des lions . (Dan; VI, 24)
Cet abandon de Dieu est
pour eux la preuve qu'il n'est pas le Messie. Paul retourne l'argument et en
fait le dogme de la Rédemption : Jésus est mort par un décret divin pris
de toute éternité pour racheter les hommes de leur péché. L'on comprend alors
pourquoi la vie propre de Jésus n'a plus d' importance; ce n' est pas sa vie
qui est cause de sa mort (elle était décidée à l'avance). I1 ne meurt pas pour
avoir violé les lois les plus sacrées des juifs et pour avoir refusé de
reconnaître la divinité de l'empereur (qui, pour les Romains était en Dieu)
alors que Jésus conseille de «rendre à Dieu ce qui est à Dieu».
La Résurrection de Jésus,
qu'il présente comme un « miracle de la puissance de Dieu », devient
la preuve de la réalisation des promesses : « Nous vous annonçons la Bonne
Nouvelle. La promesse Dieu l'a pleinement accomplie quand il a ressuscité
Jésus » (Actes XIII, 3) continuant les bienfaits de David comme
l'annonçait Isaïe (LV, 3) . D'autre part il convainc les masses des
non-juifs (en particulier les Grecs) que ce Dieu était le plus puissant. Ils
avaient toujours identifié les dieux avec la puissance. Paul, à la fois dans
l'esprit des juifs et des Grecs, donne à Jésus les traits classiques des dieux
anciens, et d'abord : la puissance, la puissance de détruire et de créer, comme
Yahvé le «dieu des armées», et comme Zeus « qui manie la foudre. »
Les auteurs des Synoptiques influencés par l’Évangile de Paul, parlent des
miracles qui sont attribués, à Jésus, comme si c'étaient des miracles de la
puissance.
Mais pour cette
«restauration» régressive ramenant Jésus au niveau des dieux tribaux, la vie de
Jésus, même dans les épisodes parcellaires que nous en donnent les Évangiles,
ne pouvait fournir le moindre élément pour le transformer ainsi en Dieu de
puissance : de sa naissance misérable à sa mort infamante, ce prédicateur
errant, qui en réalité refusait l’idée de faire des miracles, mais les
attribuait au contraire à la foi, ce martyr que l'on souffletait, et que l'on
couronnait, par dérision, d'une couronne d'épines, ne pouvait servir à rien
pour recréer un héros de cape et d'épée à la manière de David dont saint Paul
nous annonce que ce Christ (nouveau David) reviendra et règnera. « Il est
dit qu'il doit interpeller le peuple jusqu'à ce qu'il ait mis ses ennemis sous
ses pieds. » (I Cor:XV, 26) comme il était prévu par David dans le Psaume
109.
Les récits eux-mêmes nous
prouvent que c'est bien Paul qui a fait de son «Christ » le «Roi des
juifs »: s’il s’était présenté ainsi, le préfet romain n'aurait pas hésité
un instant à le condamner à mort comme séparatiste à l'égard de l'Empire ou
comme usurpateur du nom de Dieu. Alors que Ponce-Pilate, après l'interrogatoire
de Jésus, déclare : « Je ne vois rien qui mérite condamnation dans cet
homme.» (Luc, 23, 4) aux grands prêtres « collabos » qui répondaient à Pilate: « Nous n'avons
pas d'autre Roi que César.» (Jean, XIX, 15), au mépris même de leur propre Thora ne reconnaissant d'autre roi à
Israël que Dieu même. (Samuel XII, 12, par ex.) Ce sont les grand prêtres et
les pharisiens qui excitent la foule pour exiger sa condamnation (comme ce sont
aujourd’hui des associations sionistes, qui ont remplacé le dieu d'Israël par
l'État d'Israël, comme les grands prêtres d'alors défendaient leurs
prérogatives politiques auprès de l'Empereur romain, et non le peuple juif, qui
font passer les intérêts de l'État avant la défense de la foi juive). La
doctrine de Paul use des mêmes artifices, et c’est ce qui assurera son succès.
Ce Jésus qui refusait de
juger, qui s’adressait aux pécheurs, voici qu’il est maintenant déguisé par Paul
en justicier ultime, et que la parole admirable: «moi, je ne juge personne» (8,
28) cède dans la bouche de Paul à cette
phrase terrible évocatrice du «dieu des armées»: «le Christ Jésus viendra juger
les vivants et les morts.» (II, Tim IV, 1) Pourtant Paul, dans le récit de Luc, avait assisté au supplice d’Étienne,
mort en suppliant, en écho aux paroles de Jésus sur la Croix: «Seigneur, ne
leur impute pas cela comme péché» (Act., VII, 59); Paul se garde bien, dans les
deux récits qu’il donne de sa conversion, de rappeler cet épisode (Act., XXII,
3-15 et XXVI, 9-18)]
Quant aux pauvres
auxquels Jésus était envoyé en priorité, et qui demandait à ses disciples
d'abandonner tout, saint Paul est pour les riches d'une prévenance
touchante : il est l’initiateur de la tradition qui confondra «la charité»
avec l’«aumône». Il suffirait pour cela de confondre Jésus et le Christ, de
confondre l’enseignement de Jésus et celui de saint Paul.
La théologie de la
domination était fondée pour vingt siècles selon les méthodes de David,
accomplissant fidèlement, comme Josué, les «volontés» du Dieu des armées.
*
* *
Est-il simplement
honnête, après trois siècles d’exégèse et vingt siècles de catéchèse, d’adopter
le nom de « christianisme »? Christ était la traduction grecque du
mot hébreu « messie », celui qui revient restaurer le royaume de
David, alors que l’on appelait jusque-là les disciples de Jésus les
« saints ». Paul désigne son enseignement comme « mon
Évangile » (Romains II, 16), et jamais l’Évangile de Jésus. Il préfère
dire « l’Évangile de Dieu », car celui-ci est le Dieu d’Israël, dont
il ne cesse de se réclamer.
Ce « judaïsme »
réformé ou « judéo-christianisme »de Paul, ne constitue pas une
rupture avec l’épopée légendaire du peuple juif, mais assimile simplement le
christianisme avec ce « reste » du peuple hébreu que Dieu a épargné
après chaque trahison de la majorité de la tribu. Paul leur promet le retour du
Christ qui écrasera les rois. Comme si sa vie propre et son horrible mort, son
angoisse, et ses doutes mêmes, tout ce qui, dans sa vie, est divinement humain,
ne suffisait pas pour nous rendre visible le Père invisible. Même un païen, le
centurion, au pied de la Croix, n'attend pas la résurrection pour dire:
« vraiment cet homme était Fils de Dieu. » (Mc. XV, 39)
Tout commence pour Paul
avec la Résurrection. La Bonne Nouvelle n'est pas la vie de Jésus dont les
paroles et les actes brisent avec tout le passé et même avec tous les dieux de
puissance. Comme si croire à la Résurrection n’était que la croyance en un
événement miraculeux du passé, et non pas la foi vécue et agissante: Jésus est vivant. La Résurrection, ce
peut être tous les jours : un passage à une vie nouvelle, un passage du non-sens, (c’est-à-dire de la mort) au sens, sans lequel il n'y a pas de vie
proprement humaine. Ce n'est pas une Résurrection matérielle et miraculeuse
survenue il y a deux mille ans, avec le retour d'un corps dont on peut palper
les plaies. Avons-nous besoin de « preuves », comme du « tombeau
vide » ou du « suaire de Turin » ?
La Résurrection
n'appartient pas au passé, pas davantage à l'avenir comme la promesse d'une
« fin des temps » pour que nous bénéficions de la clémence de Dieu.
Par contre Paul écrit:
« c'est le plan de Dieu tout entier que je vous ai amené » (Ac. XX, 27).
Pour que la Résurrection soit vraiment « un miracle de la puissance de
Dieu » il fallait que se produise quelque chose de semblable à la vision
d'Ézéchiel (XXXVII,1-14) où`les squelettes sortent de sous la terre et se
réhabillent de chair. Paul, prudemment, parle de « corps spirituel »
(I Cor, XV, 44) ou de « corps de gloire» (Ph. V, 21).
Les apôtres, pour
employer, dans leur pastorale, des termes plus accessibles au peuple, parlent
franchement de corps physique. Les Pères de l’Église continuent dans cette
voie. Au IIe siècle, dans son Traité sur la résurrection des morts, Tertullien cite longuement la
vision d'Ézéchiel et, se référant à saint Paul, il conclut : « C'est
proprement de la Résurrection des corps qu'il s'agit chaque fois que l'on parle
de la Résurrection des morts. » (XVIII,12) Ainsi, tout advient du dehors
(d’un décret éternel de Dieu) et n’advient qu’une fois grâce à ce miracle de la
puissance.
L’Église
judéo-chrétienne, à laquelle Paul a attribué l’héritage de l’Ancien Testament,
va donc endosser tous les mythes et tous les syncrétismes qui constituaient son
passé fictif, et d’abord celui de la « Création » à celui du messie,
héritier biologiquement et symboliquement, du condottiere David.
*
* *
Saint Paul n'a pas
seulement « re-judaïsé » le christianisme. Il l'a hellénisé. Son
succès fut d'autant plus grand qu'après la destruction de Jérusalem par les
Romains en 70, les juifs, dispersés à travers toute la Méditerranée du Sud,
furent de plus en plus pénétrés de culture grecque.
Après avoir rappelé,
selon une locution proverbiale à l'époque (depuis le « Ploutos »
d’Aristophane au Ve siècle av. J.-C.) : « La racine de tous
les maux c'est l'amour de l'argent.» (I T VI, 10) dans l’Épître centrale aux
Romains « le mot même de pauvre n'apparaît pas une seule fois. Il ne
s'agit pas – dit-il aux riches - de vous mettre dans la gêne.» (II, Cor, VIII,
14) Encore seront-ils récompensés par les largesses. « Ainsi
amasseront-ils pour eux-mêmes un bel et solide trésor pour l'avenir, afin
d'obtenir la vie véritable». (I.Tim VI, 19), ne leur est demandé par Paul que
leur « superflu pour les bonnes œuvres ». (Cor. IX, 8)
Avec saint Paul il y a
parfaite continuité. Paul n'était pas seulement un organisateur de talent qui
avait «créé» des «Églises» dans les grands centres du Proche Orient tels
qu’Antioche ou Éphèse, c’était aussi un homme de culture à la fois juive et
grecque, qui put répandre «son» Évangile (pas celui de Jésus mais, disait-il,
celui de Dieu), à travers toute la
«diaspora» juive.
Déjà, dans son discours
aux Athéniens il avait fait la preuve de son assimilation profonde de leur
culture: sa plus grande force fut de greffer cette culture sur la conception
juive de l'histoire. Il y réussit - si bien que, vingt siècles plus tard, l'un
de ses critiques les plus durs, Nietszche, le condamne pour avoir fait du
christianisme, et pour des siècles « un platonisme pour le peuple ».
Pour présenter son
message il s'efforce de le rattacher aux formes de pensée et de croyance de ses
auditeurs. D'abord, et comme c’est son habitude, il ne parle pas ni la vie, ni
de la mort de Jésus mais évoque seulement, à la fin de son discours, et
interrompu par les moqueries de l'assistance, de sa résurrection. Tout le reste
de son exposé fait exclusivement référence à la tradition grecque. Avec humour
et, pour capter leur bienveillance, il déclare qu'il les considère comme des
hommes presque «trop religieux» (17-22). Il a, dit-il, remarqué dans Athènes
une stèle dédiée «au dieu inconnu» (en réalité il n'en existe pas de telles mais
seulement « aux dieux inconnus », pour le cas où l'on en aurait
oublié quelques-uns, ce qui priverait le peuple de leurs menus services). Par
une audacieuse assimilation il leur dit: « Ce que vous vénérez ainsi sans
le connaître c'est ce que je viens, moi, vous annoncer: le Dieu qui a créé
l'univers,… et qui est le Seigneur du ciel et de la terre.» (17, 23-24)
Aussitôt il multiplie les
allusions, les références, les citations même des maîtres de la culture
gréco-romaine. Ce Dieu, dit-il «n'a pas besoin du service de mains
humaines » (17, 25), ce qui revient à exclure la fabrication des idoles,
attitude défendue à cette époque par les stoïciens, et particulièrement par
Sénèque et qui se concilie évidemment très bien avec l’interdiction générale de
la représentation du divin que prêche la religion juive. Il poursuit avec une
citation du poète Épiménide (VIe siècle av. J.-C.): « en lui nous avons la
vie, le mouvement et l'être, comme l'ont dit certains de vos poètes » (17,
28), idée reprise par Platon dans sa triade de la vie, du mouvement et de
l'être. Il enchaîne sur un autre thème stoïcien : l'unité du genre humain
« Nous sommes de sa race » (17, 28), citation tirée des Phénomènes d'ARATOS (IIIe siècle av. J.-C., philosophe proche de Cléanthe ).
C'est là un «double langage», familier aux Grecs,
et qui devient une constante dans le langage de l'Église institutionnelle
encore à venir: parler de la paix sans désigner le fauteur de guerre, de
l'amour et l’on pratique l'inquisition, on tolère l'esclavage ou le colonialisme.
Les contradictions abondent en effet chez Paul, elles seront la porte ouverte à
tous les malentendus. Ainsi, il proclame magnifiquement :« il n'y a plus ni juifs ni Grecs ni esclaves ni hommes
libres, il n'y a plus l'homme et la femme » (Rom, X, 12) avant de dire
(Rom I, 16) que le salut est pour quiconque croit, «du juif d'abord puis du Grec»,
puis «Esclaves obéissez à vos maîtres
d'ici bas, avec crainte et tremblement d'un cœur simple comme au Christ.» (I,
Cor VII, 20-22) et « Femmes
soyez soumises à votre mari» (Eph. V, 22;Col III, 18), ou encore « Je ne
permets pas à la femme d'enseigner ni de dominer l'homme. Qu'elle se tienne
donc en silence.» (Tim. II, 12) « en toute soumission » (Tim. II,
11), « Si la femme ne porte pas le voile qu'elle soit tondue ». (I, Cor. XI, 6).
Ce christianisme
hellénisé connut un succès si grand qu'il devint une force dans l'Empire romain
: d'après le recensement de l’empereur Trajan (98-117), un sujet de Rome sur
dix était judéo-chrétien (pendant longtemps les Romains ont confondu juifs et
chrétiens).
*
* *
Est-ce que la fidélité à
Jésus implique, oui ou non, une option préférentielle pour les
« pauvres » à qui d’abord Jésus a porté son message ?
Est-ce que le
judéo-christianisme de Paul, qui ignore la vie humaine de Jésus, peut nous
conduire à croire que Jésus est un second David, condottieri au service de
n’importe quel pouvoir ?
L'attitude de Paul,
demandant aux riches de faire aux pauvres l'aumône de leur
« superflu », sans pour cela se mettre dans la gêne, est-elle
compatible avec l'appel de Jésus à se dépouiller de « tout », si l'on
veut le suivre ?
Peut-on dire enfin, dans
l’esprit de la création d'un judaïsme réformé (Jésus étant seulement le messie
d’Israël) que Jésus est le messie d’Israël, que le vrai Dieu est celui d’Israël
et que Jésus n'est plus que l'acteur obéissant d'un scénario écrit dans
l'Ancien Testament, n'ayant pas creusé cette brèche immense dans l'histoire des
hommes et des dieux, en faisant émerger la transcendance non du pouvoir d'un Roi,
mais du dénuement du plus démuni des hommes ?
Le judaïsme réformé de
Paul restaure le pouvoir du « Dieu des armées ». A Jésus il fait dire
après sa mort, le contraire de ce qu’il a professé toute sa vie : il en
refait un Dieu tout-puissant qui reviendra « avec les anges de sa
puissance ».
Nos «croyances»
religieuses actuelles, prisonnières de cette conception anthropomorphique de
Dieu, ne se sont pas séparées de ces illusions. Même lorsque l'homme n'est plus
sous la menace d'une «loi» divine, avec ses péchés et ses interdits, il n'est
pas moins dépouillé de sa responsabilité:même nous rappelant que l'homme n'est
plus sous la domination de la "Loi", le pouvoir arbitraire absolu
demeure avec la « grâce ».
Tout événement humain
obéit au « plan préétabli de Celui qui mène toutes choses au gré de sa
volonté », comme l'écrit encore
le catéchisme de Jean-Paul II reprenant,
en 1992, les formules exactes du concile de Trente (1545-1563) qui reprenaient
elles-mêmes les formules de saint Paul dans l’Épître aux Philippins :
« C'est Dieu qui fait en vous le vouloir et le faire. » (Ph. II, 13) « C'est par grâce, ce n'est donc pas en
raison des œuvres » précise Paul aux Romains (11, 6) Et la grâce est un
«don gratuit» de Dieu « Vous n'y êtes pour rien. » insiste Paul (Eph.
II, 8).
De saint Paul à Nicée (325)
Nous considérerons donc
que Paul est le fondateur à la fois du christianisme institutionnel et de la
théologie de la domination.
L'Église, au IVe siècle dans
l'empire romain, qui commençait à se diviser et à se désintégrer, devenait une
puissance avec laquelle les empereurs eux-mêmes devaient compter, soit en la
persécutant, comme le fit, par exemple, Domitien, soit en faisant alliance avec
elle, comme le fera Constantin.
Cette Église était, pour
Paul, l'équivalent du "reste" des fidèles que Dieu avait épargné avec
Noé (Gn, VII, 23), ce "reste" pur sorti de la souche de Jessé (Is. XI, 1-9) avec David. Ce
"reste" est épargné par Dieu à chaque étape de l'histoire du salut,
pour bénéficier de "l'élection". Paul ajoute (Romains XI, 5):
"Et c'est la même chose aujourd'hui, il y a un reste élu par grâce." En clair: l'Église a pris désormais la
succession du "peuple élu".
L'empereur Constantin vit
tout le parti qu'il pouvait tirer de cette sacralisation de
« l'obéissance ». Il fit donc du christianisme la religion
officielle de l'Empire, et s'attacha â mettre fin aux divisions idéologiques
entre les chrétiens. Si Dieu est le monarque tout puissant qui commande à
Moïse, puis à Josué l'extermination des autres peuples, Jésus est-il le
"fils de ce Dieu" ?. C'est pourtant de ce salmigondis qu'est
constitué le "judéo-christianisme", selon lequel la
religion d'Israël et celle de Jésus ne font qu'un, Le mot "obéissance", si cher à saint Paul et à la monarchie romaine, n'est jamais employé par
Jésus. Il est repris avec emphase par le Catéchisme
de 1992[12], citant une fois encore les propos de Saint Paul
sur cette soumission à l'autorité quelle qu'elle soit « Fût-ce
Néron », disait Saint Augustin.
Or au début du IVe siècle, la
soumission à l'Église est menacée par la prédication d'un prêtre d'Alexandrie:
Arius dont on connaît mal la pensée, puisque ses oeuvres, à l'exception d'une
lettre, ont été détruites par l'orthodoxie: nous ne pouvons donc reconstituer
hypothétiquement sa position qu'à partir de ce que nous en ont rapporté ses
adversaires, en particulier Hilaire de Poitiers.
Arius veut, semble-t-il,
préserver l'unité de Dieu contre la tendance à lui substituer un Jésus-Dieu,
créateur de toutes choses comme déjà l'avait dit saint Paul :
« Jésus-Christ, par qui existe toute chose. » (I Co 8, 4) [réf. fausse; est-ce Col. I, 16?]« Tout
est créé par lui et pour lui. » (Col. I, 16)
Le mot-clé de l'arianisme
est le verset de saint Jean: « Le Père est plus grand que moi », (14,
28) et toutes les formulations qui excluent l'identité : « Je monte vers
mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jn 20, 17) que
saint Hilaire de Poitiers cite pour le réfuter, ainsi que la formule de Paul:
« Le fils lui-même se soumettra alors à celui qui lui a tout
soumis. » Jésus, selon Arius, « procède » de Dieu (une
expression de Plotin, philosophe du IIIe siècle ap. J.-C.; c’est une idée
inspirée de l'Inde). Il est, comme tous les hommes, « à l'image de
Dieu », sa plus parfaite image ; celle d'un messager entièrement fidèle à
tout ce qui découle de l'unité divine et en témoignant par sa vie et sa mort.
Il est donc l'image visible du Dieu invisible. "Qui m'a vu a vu le
Père."
Le succès de cette
prédication d'Arius est tel que la polémique divise toutes les Églises
d'Orient. Constantin, dont l'objectif est l'unité de l’empire, voit dans ces
déchirements un trouble de l'ordre public. Les tentatives de conciliation ayant
échoué, Constantin décide d'employer la manière forte. Il vient de battre son
rival, l'empereur d'Orient Licinius, et il entre victorieusement dans sa
capitale, Nicomédie, en 324. Aussitôt il convoque un concile dans une ville
proche : Nicée, en 325, pour condamner Arius, que le patriarche d’Alexandrie
avait déjà excommunié en 319, en une formule abrupte qui permette de distinguer
le rebelle des sujets soumis. L'empereur fait savoir aux pères du concile que
quiconque n'acceptera pas la décision finale sera exilé sur-le-champ. D'après
le témoignage même d'Athanase d’Alexandrie, principal adversaire de
l’arianisme, présent au concile, dans son livre: « Sur les décrets du synode de Nicée, fer de lance de l'attaque
contre Arius, les pères "avaient d'abord espéré pouvoir extirper les
blasphèmes des ariens par des mots empruntés aux Écritures[13]." Mais l'empereur voulait un critère clair
pour distinguer une orthodoxie qui réaliserait l'unité idéologique de son
empire, et une hérésie qu'il se chargeait de réprimer.
Ses conseillers
choisirent l'expression de "homoousios"
pour dire que le Fils était "de la même substance" que le Père. Choix
apparemment étrange car la foi chrétienne tentait ainsi de s'exprimer dans une
forme purement grecque. Or le concept fondamental de la philosophie grecque,
celui de "l'être" (ousia)
est totalement étranger à la fois à la tradition juive d'un Dieu vivant,
créateur, et à la tradition évangélique, où Dieu est amour, relation, et non
pas "être" au sens grec. La confusion était d'autant plus grande que
le mot "hypostase" est utilisé à Nicée comme un synonyme de
"substance": ce qui est dessous, ce qui est l'être vrai sous
l'apparence extérieure.
Ce mot "homoousios" venait de la tradition
gnostique et avait été condamné, un demi-siècle avant, par le concile
d'Antioche, en 268, déclarant hérétique et excommuniant l'évêque d'Antioche,
Paul de Samosate, pour avoir employé ce mot qui ne figurait nulle part ni dans
l'Ancien ni dans le Nouveau Testament. Il était donc sûr que ni Arius ni ses
amis ne l'accepteraient. C'est ce que voulait l'Empereur. Les ariens durent
s'exiler aussitôt, et trois autres évêques qui, après le concile, déclarèrent
n'avoir voté que par crainte de l'empereur et se rétractèrent, furent destitués
par Constantin et exilés en Gaule: le fond du problème n'était pas doctrinal
mais politique et disciplinaire.
Il fallut à Nicée obéir
aux injonctions de l'empereur. Il importait donc au salut de l'Empire que ce
Jésus fût un Dieu comme les autres, comme ce Jupiter dont Constantin était, et
restera jusqu'à sa mort, le Pontifex
maximus (souverain pontife). « L’Empereur se pense tout naturellement
comme le chef du peuple chrétien; nouveau Moïse, nouveau David, à la tête du
véritable Israël, celui de la nouvelle Alliance[14]. » Le concile de Nicée, en 325, établit
définitivement l'orthodoxie paulinienne. Son savant historien, le P. Boularand
écrit : « Paul a directement inspiré les rédacteurs du Concile de Nicée[15]. » Le P. Segundo, lui aussi, note que ce
concile "semble se limiter à amplifier la confession de foi de Paul".
Le concile proclame que le "fils de Dieu, Jésus de Nazareth, a la même
nature, ou la même substance, ou le même être, que le Dieu unique qu'adoraient
les juifs, ainsi que certains philosophes grecs qui rejetaient le polythéisme[16]. » Ainsi Jésus est entré dans le droit
commun des anciens dieux. IL est LE créateur : « Tout est créé par lui et
pour lui». (Col I, 15), créateur d'un monde intouchable.
Un exemple typique des
obstacles apportés à la foi par le « symbole de Nicée » :
L’esprit n’est pas un
être mais une force, en nous, qui nous appelle au dépassement. On traduit
"logos", qui n'est, en grec, que l'ordonnance rationnelle des choses,
comme si Dieu n'était pas au delà de nos concepts et de notre raison. A Nicée,
on a employé, pour désigner Dieu, les termes grecs qui en sont la négation:
-on a parlé de "personne
"en traduisant en grec "prosopon"
et en latin « persona »
qui, l'un et l'autre, signifient "masque", le contraire même de
l'intériorité de la personne humaine (divine) telle que la conçoit le
christianisme.
-on a parlé de Jésus
comme de "consubstantiel" à Dieu, décalque du mot grec
"homoousios" qui repose sur la notion aristotélicienne de
« ousia », traduit en latin par « substancia »,
c’est-à-dire la chose qui est au dessous de l'apparence, le contraire exact d'un
Dieu qui ne peut être qu'au dessus de toute chose et leur créateur,
reproduisant en français le mot grec correspondant à substance:
"hypostasis" toujours la chose au dessous de l'apparence. On en a
fait « l'hypostase », qui présente le seul avantage d'être
inintelligible à qui n' est pas linguiste.
La recherche de Dieu
exige de nous extraire du vocabulaire grec sur l'être. Le P. Daniélou, qui
était un merveilleux spécialiste de l'histoire de l'Église primitive, me disait
un jour: « Toutes 1es hérésies des premiers âges sont nées de ce que l’on
a tenté de traduire dans la langue et la culture des Grecs, une expérience
christique totalement étrangère à cette langue et à cette culture. »
De là sont nées, en
effet, les polémiques insensées entre les « chrétiens », les juifs et
les musulmans. Ces derniers accusant les chrétiens de
« trithéistes », ce qui est inévitable du point de vue abstraitement
« monothéiste » des juifs et des musulmans, si l’on parles de Dieu,
de Jésus et de l’Esprit en termes de « substance ».
C'est en effet, pour
Constantin, le meilleur garant d'un consentement populaire au statu quo.
L'empereur s'intéresse si peu à la doctrine que, trois ans après Nicée, il
change d'avis, réhabilite Arius et ses partisans. Il appuie désormais les
adversaires de Nicée et ne se fera baptiser qu'en 337, à la veille de sa mort,
par un évêque arien ! Ainsi commençait une nouvelle étape de l'histoire de
l'Église jusque-là persécutée : celle du « constantinisme ».
L'Église devenait désormais une institution d'État.
Le
"constantinisme" est né à Nicée.
Il s'agit pour Constantin
de « faire des évêques des fonctionnaires au service de l'État[17] » en leur donnant, par exemple, un arbitrage
sans appel pour les procès civils; à la fin du siècle, l’empereur Théodose fait
du christianisme la religion d’État et interdit les cultes païens sous peine de
mort. L'Église préside ainsi aux destinées de l'empire. Elle en fut, de fait,
le successeur, lorsque le dernier empereur fut détrôné par les Ostrogoths en
476.
Ayant en main la réalité
du pouvoir, le christianisme paulinien, de persécuté devient persécuteur. Il
s'était jusque-là contenté de brûler les livres "hérétiques" (c'est
pourquoi nous n'avons, par exemple, d'Arius ou de Marcion, que les citations
choisies qui en ont été faites par leurs adversaires.
Nicée, mise en œuvre de la théologie
de la domination
L'empereur Constantin
(306-343) fait régner dans son Empire une « terreur policière, marquant au
fer rouge les soldats et les ouvriers des usines d'État[18]. » Il assassine « son beau père, ses
trois beaux-frères, son fils aîné, Crispus[19], et sa deuxième femme, Faustia »
Tel fut, digne
successeur, en effet, de David, le «roi chrétien» qui marque une date décisive
dans l'histoire de l'Église en autorisant le christianisme.
Désormais commençait la
conquête, avec son cortège de persécutions et d'horreurs. Pour n'en citer que
les principales: le priscillanisme, hérésie espagnole dont nous ne savons rien,
sinon l’acharnement avec laquelle elle fut combattue, est condamnée d’abord par
l’Église, qui anathémise son chef, Priscillien, évêque d'Avila, à deux
reprises, puis par l’État, en la personne de l’empereur Maximin, qui le fait
exécuter à Trêves en 385.
En Afrique, au début du
IVe siècle,
saint Augustin, évêque d’Hippone (près de Carthage), fait appel (avec l'appui
de son maître saint Ambroise, évêque de Milan) aux légions romaines pour
terroriser et massacrer les "chrétiens", donatistes et circoncellions
qui n'acceptaient pas la réintégration des évêques "collabos" des
Romains au temps de l'occupation (les donatistes) ou les révolutionnaires
(circoncellions) qui voulaient abolir à la fois les privilèges des anciens
colons romains et mettaient en cause les privilèges des nouveaux propriétaires
terriens.
Il fallut attendre un
édit de Théodose pour interdire l'infanticide. En 314 , peu après l’édit de
Milan qui avait instauré la paix de l’Église (qui ne fut appliquée en Orient
qu’avec la victoire de Constantin sur l’empereur d’Orient Licinius, en 324), le
troisième canon du synode d'Arles, les soldats qui décident d'appliquer le
principe évangélique : "Tu ne tueras point !" sont excommuniés. (op. cit.p.364)
L'évêque Nestorius, qui
refusait de désigner la Vierge Marie comme «Mère de Dieu», est non seulement
déposé mais, saint Cyrille, qui défend "l'orthodoxie", obtient qu'il
soit exilé, puis relégué pendant quatre ans dans les déserts d'Égypte, où il
mourra en 450.
En 451, Eutychès,
théoricien de l'hérésie opposée au nestorianisme, le «monophysisme», qui niait
l’humanité du Christ, est à son tour condamné par le concile de Chalcédoine.
Mais comme il a beaucoup de partisans, sa condamnation n’empêche pas le
monophysisme de se propager et tout le Ve siècle est agité de cette querelle:
le pouvoir impérial n’hésite pas à envoyer l'armée pour réprimer sauvagement la
résistance populaire.
En fait, en 325, à Nicée,
ce n'est pas Constantin qui s'est converti au christianisme, c'est l'Église
hiérarchique qui s'est convertie à l'Empire, pour s'y soumettre d'abord, pour
le dominer ensuite. Adoptant toutes les structures de l'autorité impériale: les
évêques deviennent de véritables préfets, le pape prenant le titre traditionnel
des grands « prêtres » païens: celui de « Grand Pontife ».
L'histoire entière de l'Occident est dominée
par l'histoire de l'Église, et l'Europe n'a jamais été définie en dehors de
cette Église: elle est "la chrétienté" (et ne sera jamais rien
d'autre, même lorsqu'elle a essayé, plusieurs siècles après sa dislocation en
"nations" par les traités de Westphalie (1648), de faire croire qu'on
pouvait le ressusciter en remplaçant l'Église, par le "marché" dit
commun, le dollar, ou son futile vassal : l'Euro).
L'histoire de cette « Europe » de
cette "chrétienté" qui, seule, l'a constituée, est une histoire
sanglante, marquée d'abord par la persécution, même physique, des hérésies.
Le père Laberthonière,
dans son beau livre, Le réalisme chrétien
qu'il oppose à l'idéalisme grec, s'efforce de concilier la spiritualité
rayonnante à laquelle elle prétend, et l'histoire séculière, totalitaire, de
l'Église institutionnelle. Cette opposition est en effet réelle mais il serait
fâcheux d'y voir une simple contradiction interne ou des "bavures" indésirables.
Il y a en effet des
courants, surtout depuis Nicée, entre une Église de plus en plus dominatrice de
l'Occident, de son "paulinisme", de Nicée au Catéchisme de 1992, et
le sillon lumineux de ceux qui entendaient rester fidèles - sans connivence ni
rivalité avec les "pouvoirs établis" disons-le aussi, sans compromis
avec le constantinisme officiel - depuis Arius reconnaissant en Jésus le
messager le plus fidèle de Dieu, jusqu’à Donat en lutte contre les anciens
"collabos" de l'occupant romain, c'est à dire contre les compromis de
saint Augustin (et de son complice et protecteur romain saint Ambroise), qui
prétendaient séparer, dans "La cité de Dieu", une vie intérieure
coupée des obligations iniques du pouvoir établi. Il y a donc une lignée de
fidèles au "phylum christique", comme disait le P. Teilhard de
Chardin, (qui, pour avoir voulu vivre selon la loi de Jésus s’est, lui aussi, attiré
les foudres de la Curie romaine).
Nous ne pouvons les citer
tous, car des milliers de "chrétiens" ont voulu, fût-ce au prix de la
persécution et de la mort, vivre à l'imitation de celui que le cardinal
Daniélou appelait « l’asiate Jésus », en rappelant que "le grand
foyer d'expansion du "christianisme", durant les quinze premières
années, a été la Syrie, avec son centre à Antioche où le nom de
"chrétiens" fut, pour la première fois, donné à la
"communauté" (Actes 11, 26) lors du passage de Paul. Daniélou précise
que « le mot a une résonance politique »[20]. Il désigne en effet les partisans de
"chreistos" (c'est à dire non plus du Jésus historique mais de celui
exerçant la fonction de « Messie » (en grec: chreistos) propre à la seule tradition juive.
Cette fidélité à Jésus
s’exprimera avant et après le concile de Nicée (325), moment décisif dans
l'histoire de la chrétienté et de l'Europe entière dont le Père Boularand
écrit: « Si le synode d'Antioche (265) a condamné l'homoousios, c'est au sens où Paul le comprenait et s'en servait
pour dénier au Fils toute distinction personnelle d'avec le Père »[21]. Dans sa première Épître aux Corinthiens il
attribue la création au Père et au Fils… dans l'Épître aux Colossiens, l'Apôtre
réaffirme le principe que tout a été créé par le Fils, « est en lui que
toutes choses ont été créées. .. tout a créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et toutes choses
subsistent en lui....car en lui habite toute la plénitude de la
divinité ». (1, 19) Le même auteur constate alors que c'est en 49 que ce
christianisme paulinien commencera « sa destinée triomphale »[22]. Elle le fera dans le prolongement du
"messianisme" juif, attendant le sauveur David, guerrier qui
restaurera leur pouvoir temporel.
Cette répression ne
parvient pas à endiguer le monophysisme qui gagne les populations de la Nubie
et de l'Asie du Sud, enracinement qui ne sera pas étranger aux premières
conversions à l'Islam, tout comme l'arianisme facilitera la pénétration
musulmane en Espagne à partir d'une foi commune : Jésus est un grand prophète,
mais il n'est pas Dieu.
Il est remarquable que
l'Islam fut longtemps perçu comme une "hérésie chrétienne". C'est
ainsi qu'en traite saint Jean Damascène, au chapitre 101 de son livre sur les Hérésies. Au XIIIe siècle encore,
Dante, au chant XXVIII de son Enfer,
place Mahomet parmi les "schismatiques", dans le même huitième cercle
que le pape Boniface VIII.
Une maladie de l’Islam
L’Islam, porteur lui
aussi à ses origines d’un message révolutionnaire, connaît bientôt la même
décadence, la même tendance à la réduction de la soumission à Dieu à une
soumission à l’ordre établi.
Ce qui caractérise la
décadence de l'Islam c'est:
1°) La tendance à réduire
les principes de l'Islam à l'application qui en fut faite aux premiers siècles
et dans une société restreinte au Proche Orient. Le message du Coran était
universel, comme celui de Jésus, cette tradition devenait particulariste (les hadith ont été produits dans les trois
premiers siècles de l'Islam et en portent naturellement l'empreinte
historique).
2°) La sharia, la loi de Dieu, n'était plus,
chez les « littéralistes », un principe d'application universelle
fondée sur des lois très générales, applicables aux sociétés les plus
diverses : Dieu seul commande, Dieu seul possède, Dieu seul sait,
condamnant toute prétention au droit divin du pouvoir, condamnant toute
domination de la richesse, condamnant tout dogmatisme, toute prétention à un
savoir achevé.
La sharia se réduit, pour les intégristes, à l’interprétation
littérale de quelques versets sur le vol, l'héritage, ou le statut de la femme.
qui étaient des cas particuliers de l'application des principes à des sociétés
différents de la notre.
La prétention
«d'appliquer la sharia» en confondant
la sharia divine, telle qu'elle est définie
dans le Coran, avec le «fiqh» c'est à dire les applications humaines qui en ont
été tentées au cours de l'histoire, en y mêlant les interprétations de juristes
plus ou moins obnubilés par les pressions du pouvoir, est aujourd'hui la
principale maladie de l'Islam. Ayant pleinement raison dans ses refus de la
décadence de l'Occident et des hypocrisies de son «droit», dans son refus de
toutes les séquelles du colonialisme et de la "collaboration" avec le
"monothéisme du marché" que prétendent imposer les États-Unis et
leurs vassaux d'Occident par les diktats du F.M.I., «l'islamisme» est paralysé
lorsqu'il s'agit de construire l'avenir. Ce qu'il est convenu d'appeler
«islamisme» est, aujourd'hui, une maladie de l'Islam, parce qu'il confond la sharia, (voie morale éternelle et
universelle, ouverte, au nom de Dieu, par tous les prophètes) avec la
législation qu'elle peut inspirer à chaque époque pour résoudre les problèmes
de cette époque.
Cette maladie consiste,
par exemple, à vouloir appliquer un code pénal du VIIIe siècle (tel
que les mains coupées pour vol, à des sociétés où le vol, sous forme, par
exemple, de spéculation, n’exige pas d’avoir des mains). La loi divine, la sharia, unit tous les hommes de foi,
alors que prétendre imposer aux hommes du XXIe siècle cette législation arabe
antique est une oeuvre de division qui donne une image fausse et repoussante du
Coran. C'est un crime contre l'Islam.
Prétendre appliquer
littéralement une disposition législative sous prétexte qu'elle est écrite dans
le Coran, c'est confondre la loi éternelle de Dieu, la sharia (qui est un «invariant» absolu, commun à toutes les
religions et à toutes les sagesses) avec la législation destinée au
Moyen-Orient qui était une application historique, propre à ces pays et à cette
époque, de la loi éternelle). Les deux figurent bien entendu dans le Coran mais
la confusion des deux et leur application aveugle - refusant cette «réflexion»
à laquelle ne cesse de nous appeler le Coran - nous rend incapables de
témoigner du message vivant, du Coran vivant et éternellement actuel, du Dieu
vivant.
Une véritable
«application de la sharia» n'a rien à
voir avec ce littéralisme paresseux. Elle suppose que l'on retrouve, derrière
chaque prescription du Coran, sa raison d'être, le principe qui l'a inspirée,
et les conditions historiques dans lesquelles elle a été appliquée. Et surtout,
et plus encore, que l'on situe chacune de ces démarches dans l'ensemble de la
révélation coranique. La sharia,
c'est chacun de nos actes commandés par la volonté de Dieu révélée par
l'ensemble du Coran, et non pas une lecture littérale, détachant tel verset de
la totalité coranique et historique qui lui donne son sens.
Ainsi seulement la sharia peut être, à chaque époque, un
ferment de développement et de vie de la société. Pour jouer ce rôle, plus
indispensable que jamais à une époque où les fondements de la civilisation
occidentale se sont écroulés, la loi de Dieu ne peut pas être considérée comme
ayant cessé de vivre depuis douze siècles. De vivre, c'est-à-dire d'inspirer
l'action des hommes à toutes les étapes de l'expérience universelle de
l'humanité. Alors seulement, elle pourra nous dire comment vivre, de l'Orient à
l'Occident, en considérant, (4, 48) : «Nous avons donné à chacun d'eux une
voie (sharia) et un. programme (minhaj).»
À la lumière des deux
précédents versets, il est clair que la voie, la sharia a valeur universelle puisque elle est commune en particulier
à tous les gens du Livre ; elle nous désigne les fins transcendantes;
alors que le «programme» ou la «méthode» sont les moyens permettant, en chaque
moment de l'histoire, de faire pénétrer les valeurs transcendantes.
Cette distinction entre
la sharia, l'orientation religieuse
et morale vers Dieu, et les «programmes» ou les «méthodes» dont Dieu a laissé à
l'homme la responsabilité de les appliquer toujours dans les conditions
concrètes de leur société et de leur temps, est soulignée par le sens du mot sharia, le chemin vers la source,
magnifique façon de dire : le chemin vers Dieu.
La sharia est en effet présente et identique dans les trois livres
révélés:
Le Coran proclame à
plusieurs reprises que Dieu seul possède «Tout ce qui est dans les cieux et sur
la terre appartient à Dieu» (2, 116 et 284 ; 3, 109, etc.).
Comme le Deutéronome
disait : «À l’Éternel, ton Dieu, appartiennent les cieux, la terre, et tout ce
qu'elle renferme» (10, 14).
Comme l'Évangile, (Paul
dans 1 Co 10, 26) «La terre et tout ce qu'elle contient appartient à Dieu.» Il
en est de même, dans les trois Livres, pour «Dieu seul commande» et «Dieu seul
sait».
Il est de notre
responsabilité de trouver en chaque moment les moyens historiques de réaliser
ces fins transcendantes, comme le Coran nous en donne l'exemple pour la
communauté de Médine.
Une sharia qui n'apporterait pas de réponse aux problèmes, dont dépend
la survie du monde, ne permettrait pas à l'Islam d'affirmer son aptitude à
créer un avenir à visage humain et divin, en face de la faillite du modèle
occidental de croissance, de jouissance, et de puissance, que ce soit dans sa
version capitaliste, ou sa version socialiste.
Tel est l'enjeu du
problème de l’« I'tihad » :
une lecture historique du Coran et
l’intelligence de ses paroles.
*
* *
Lorsque le Coran ordonne,
à propos du Ramadan:
«Mangez et buvez jusqu'à
ce que l'on puisse distinguer à l'aube un fil blanc d'un fil noir. Jeûnez
ensuite jusqu'à la nuit.» (II 187) il est évident que ce commandement s'adresse
à un peuple dont la situation géographique est telle que la durée du jour et de
la nuit ne diffère pas notablement. Chez des Esquimaux, pour qui la nuit peut
durer six mois, l'application littérale du verset signifierait la mort.
Ce n'est là qu'un exemple
extrême de l'impossibilité d'un littéralisme prétendant ne tenir aucun compte
de la géographie ou de l'histoire sous prétexte de refuser toute interprétation
du Coran qui n'en respecterait pas aveuglement la lettre: toutes les
discriminations appartiennent à l'histoire d'un pays ou d'une époque, à l'égard
desquels le Coran marquait une rupture. Le Coran rappelle à huit reprises (III,
95; IV, 124 - XIII, 23; XVII, 40 ; XL, 40 ; XLIII, 17 -, XLVIII, 6 ; LVII, 18)
que Dieu ne distingue, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, qu'entre ceux qui
font le bien et ceux qui font le mal.
Au-delà de toutes les
vicissitudes de l'histoire, est ainsi affirmé le principe éternel, abolissant
toute hiérarchie entre l'homme et la femme, instaurant non pas seulement leur
égalité ou leur «complémentarité», mais leur " unité ontologique " :
«Votre Seigneur vous a créés d'un seul être», est-il dit au premier verset de
la Sourate «Les femmes» (IV, 1). Un seul être divisé en deux, égaux en dignité,
et divers seulement par leurs fonctions.
La discrimination à
l'égard des femmes et leur subordination à l'homme est une tradition de tout le
Proche-Orient, comme en témoignent, par exemple, bien des siècles avant la
prédiction du Prophète, les Épîtres de saint Paul: «Je ne permets pas à la
femme d'enseigner ni de dominer l'homme. Qu'elle se tienne en silence» (I Tim.
II 12) «en toute soumission.» (II,11) «Que les femmes se taisent dans les
assemblées.» (I, Cor. XIV, 34 ; 1. Tim.I,12) «Si la femme ne porte pas le voile
qu'elle soit tondue.» (1, Cor. XI, 6). Le port du voile pour les femmes n'est
donc nullement une obligation religieuse. C'est une tradition propre à tout le
Proche-Orient .
*
* *
Voici donc ce qu’il
reste, après «le passage rectificateur» des hommes de loi, de pouvoir et de
tradition, des deux «théologies de la libération» de Jésus et de Mahomet.
Un Dieu
"créateur", monarque absolu, ne procède plus que par commandements et
par interdits, définissant une fois pour toutes le Bien et le Mal : la
« morale » de l'homme se réduit à l'obéissance, son péché à la
révolte, conformément aux lectures littérales de la Bible ou du Coran, les injonctions
correspondant aux conditions historiques et prophétiques de siècles antérieurs.
Le Talmud exige de maudire les morts des cimetières chrétiens, de cracher sur
leurs tombes, et d'insulter leurs mères. Les commentaires littéralistes de la
Bible, assimilant un peuple entier aux vilenies de leurs grands prêtres, ont
dénoncé et persécuté les « juifs » comme un peuple
"déicide" justifiant les pires exactions, telle que l'imposition par
saint Louis de la « rouelle » (le disque jaune cousu sur le vêtement,
ancêtre de l'étoile de même couleur imposée dans un autre siècle). Au nom du
même arbitraire (« Dieu le veut ») des prédicateurs de croisades,
comme saint Bernard, ont appelé au massacre des musulmans, à Jérusalem, par le
« chrétien » Godefroy de Bouillon.
Plus tard, au moment où
les dimensions de «la terre habitée» de l’empire romain et du Proche Orient
s’élargissaient brusquement aux continents éloignés, la très catholique
Isabelle d'Espagne demandait le privilège de l'Inquisition contre les juifs et
les musulmans de son pays, et un pape "partageait" l'Amérique latine
entre les colonisateurs espagnols et portugais, sous prétexte
d’« évangélisation ». Il ne s'agit point d'histoire ancienne: il
n’est pas si loin le temps où Jean Paul II envisageait de « canoniser »
Isabelle, où le ceinturon des soldats
allemands portait la devise « Got
mit Uns » (Dieu avec nous) et où l'unanimité des évêques allemands,
réunis à Fulda, conjurait le peuple allemand d’aider le Führer « dans sa
grande lutte contre le bolchevisme », où l’« épiscopat
français » (à l’exception de Mgr
Saliège, archevêque de Toulouse),
invitait à la « collaboration sans réserve avec l'occupant »,
où le primat d'Espagne, au nom de son Église, assimilait le coup d'État de
Franco à une "croisade" contre l'athéisme, où les
« talibans » d'Afghanistan (portés au pouvoir par les dollars et les
armes des Américains) prétendaient être les guerriers d'Allah et réduisaient
les femmes à la servitude, où le cardinal Spelman appelait "soldats de
Dieu" l'armée américaine au Viêt-Nam, et où le théoricien du Pentagone,
Samuel Huntington, opposait dans son Choc
des civilisations, « la civilisation judéo-chrétienne à la barbarie
orientale ».
D'une manière plus
générale, et indépendante de l'instrumentalisation politique des religions, les
« docteurs de la loi », dans toutes les religions dites
"révélées", nous transmettent des "commandements" et des
interdits élaborés il y a des siècles par des juristes occupés à répondre aux
besoins de leur temps, mais ne nous disent pas ce qu'il faut « créer »
pour construire un avenir à visage humain et divin.
C'est au nom de cette
curieuse « éthique » religieuse, qu'un peuple américain, infantilisé par les médias répandant cette
idéologie, votent en masse pour un "serial
Killer" (un tueur en série), qui, gouverneur du Texas, fait exécuter
dix condamnés en trente jours, sans même que leur culpabilité ait été
démontrée. Les mêmes, se réclamant du même Dieu créateur, s'indignent (à juste
titre) de la peine irréversible de la "main coupée" mais, à 66% demeurent
partisans de la non moins irréversible peine de mort (par piqûre télévisée, par chaise électrique, ou par gazage mortel).
Cette mise en question de
quelques-uns des "dogmes" millénaires n'est pas une crise de la foi
mais une crise de la culture dans laquelle elle s'est jusqu'ici exprimée.
Le gouffre est
aujourd’hui plus insurmontable encore entre l’enseignement du catéchisme et
l’actuelle vision de l’univers. Comment un monarque créateur ferait-il de cette
minuscule parcelle d'univers: La Terre,
l'unique objet de ses préoccupations, le centre unique et exemplaire de toutes
les hiérarchies du maître et de l'esclave, comme du Bien et du Mal, comme si
"la tragédie optimiste" de l'univers devait se jouer sur cette seule
scène, minuscule jusqu'au dérisoire ?
Cela nous conduit à
dénoncer une autre incohérence: celle des sanctions éternelles d'un paradis et
d'un enfer chez les prêtres d'une religion d'amour. Les porte-parole d'un Dieu
"clément et miséricordieux" exigeaient ainsi des châtiments "éternels",
sans possibilité de repentance ou de rachat et qui miseraient moins sur l'amour
de Dieu (chez 1a mystique musulmane Rabiah de Bassorah, ou chez sainte Thérèse
d'Avila) que sur la peur des châtiments et l'appétit de la récompense.
D'ailleurs que
signifieraient la "culpabilité" et la responsabilité si la liberté de
l'homme n'était pas au principe de ses actes? Si l'on en croit saint Paul
écrivant: « C'est Dieu qui fait en vous le vouloir et le faire. »
(Ph. II, 13), et qui ajoute « c'est par la grâce que vous êtes sauvés vous
n'y êtes pour rien, c'est le don de Dieu. » (Eph.
II, 10)
Roger Garaudy
A SUIVRE
[1]. Jb 2, 14-16 et 20-24.
[2]. Moshe Menuhin, The Decadence of Judaism in our time, 1.
Palestine, the Jews and the Arabs. 2. The case of the Jews and of Judaism
versus «Jewish» political nationalism. 3. Quo vadis Zionist Israel? ,
Beyrout, Institute for Palestine studies, 1969.
[3]. J. I. González Faus, , Accesso a Jésus, Salamanque, édition
Siguieme, 1980, page 161.
[4].
Ibd, p. 218
[5].
Dodd, Charles Harold, Les Paraboles du
royaume de Dieu, traduit de l'anglais par Hélène Perret et S. de Bussy,
Traduction de The Parables of the Kingdom,
Paris, Éditions du Seuil, 1977 p.99
[6].
Chronologie tirée de la Bible de Jérusalem, Synopse
des quatre Évangiles en français. 1, Texte
avec parallèles des Apocryphes et des Pères..., P. Benoit, directeur de l'École biblique et
archéologique française de Jérusalem de 1964 à 1972, membre de la Commission
biblique pontificale et M.-E. Boismard, 2e éd. rev. et corr. par P. Sandevoir,
Paris: Éd. du Cerf, 1972. vol. 2, Commentaire
de P. Benoit et M.-É. Boismard par M.-É. Boismard ; avec la collab. de
A. Lamouille et P. Sandevoir ; préf. de
P. Benoit, ; Paris: Éd. du Cerf, 1972. Vol. 3, L'Évangile de Jean, commentaire par M.-É. Boismard et A.
Lamouille,..., avec la collab. de G.
Rochais, Paris : Éd. du Cerf, 1977.
[7]. Synopse, I, XI.
[8].
Traduction œcuménique de la Bible [Texte imprimé] : édition intégrale, 13e éd. Paris : Éd. du Cerf, les Bergers et les
mages, 1977.
[9]. J. I. González Faus, op. cit.
[10]
Alors que reconnue « Vierge », elle est citée seize fois dans le
Coran.
[11].
J. L. Segundo Qu'est-ce qu'un dogme ?, préf. par José
Ignacio González Faus ; trad. de l'espagnol par Francis Guibal, (traduction de El dogma que libera : fe, revelación y
magisterio dogmático), Paris, les
Éd. du Cerf, 1992, I, 15.
[12]. Op.
cit., p.397.
[13] Voir P. Ephrem BOULARAND s. j. L'Hérésie
d'Arius et la foi de Nicée., éd. Letouzey et Ané. 1972, tome II p. 304)
[14]
Jean DANIELOU, Nouvelle histoire de
1'Eglise, tome I, p. 283
[15]
E. BOULARAND, id., p.355
[16]
. Juan Luis Segundo, Le Christianisme de
Paul: l'histoire retrouvée, trad. de l'espagnol par Francis Guibal,
(traduction de Jesus de Nazareth : la
historia perdida y remplazada), Paris : Ed. du Cerf, 1988, p. 304
[17].
J. L. Segundo Qu'est-ce qu'un dogme ?, préf. par José
Ignacio González Faus ; trad. de l'espagnol par Francis Guibal, (traduction de El dogma que libera : fe, revelación y
magisterio dogmático), Paris, les
Éd. du Cerf, 1992, p. 286
[18].
Nouvelle histoire de l'Église. 1, Des
origines à saint Grégoire le Grand [604], par Jean Daniélou [S.J.] et Henri
Marrou..., sous la direction de L. J.
Rogier, R. Aubert, M. D. Knowles… Paris, Éditions du Seuil, 1963, p.212.
[19]
Le fils aîné de Constantin, Crispus, est tué par son père en 326, un an après
le concile de Nicée.
[20].
Nouvelle histoire de l'Église, p. 53.
[21].
Boularand, id., p.351.
[22].
Id. p.59.