A la Calahorra, dans la salle des géants de l'esprit que furent les musulmans Averroes et Ibn Arabi, le juif Maimonide et le roi chrétien Alphonse X le sage
L’Occident est un accident, son contexte originaire est le syncrétisme hébreu
Si nous essayons de
comprendre la puissance exceptionnelle de la culture occidentale, non pas à
partir d’un providentialisme laïcisé, qui se présente comme une simple histoire
scientifique sur le long terme s’érigeant sur un déterminisme principalement
économique, c’est à dire amputé du facteur de la créativité humaine, il faut
revenir à ce qui fait l’unité culturelle de l’Occident : le complexe
« judéo-chrétien », qui a une histoire faite d’usurpation de mythes
-qui sont de très belles légendes utiles pour donner à toute communauté le
sentiment intime de son potentiel-
usurpation par des groupes de pouvoir qui donnent à ce qui leur convient
dans le corpus mythique l’acception de dogme, d’histoire vraie, unique,
exigeant l’abdication des facultés critiques de chacun.
Restituer brièvement les étapes où l’on peut repérer la manipulation de mythes en vue de la légitimation de pouvoirs abusifs, c’est possible, grâce à la confrontation des récits consacrés dans une culture déterminée, avec ce qu’en disent les cultures voisines, et avec ce que l’archéologie établit de façon certaine. Pour l’histoire de l’Occident, c’est une série d’accidents, de détournements des narrations permettant la transmission des sagesses du Proche Orient, qui nous conduit à la formule : l’Occident est un accident ; dans cette région, les Hébreux ont d’abord été un peuple parmi d’autres à réaliser leur propre syncrétisme à partir des cultures auxquelles ils avaient accès. Par la suite, leurs descendants spirituels ont consolidé par répétition à l’infini le mensonge de l’exceptionnalisme hébreu. L’Occident moderne fonctionne encore pleinement sur la croyance implicite en sa propre exceptionnalité. Ses dirigeants à prétentions impérialistes s’appuient jusqu’à aujourd’hui sur cette pseudo-légitimation. Il nous faut donc revenir en premier lieu aux constituants originels du métissage culturel qui donna lieu au judéo-christianisme ; celui-ci, bien plus qu’une réelle culture, est une puissante idéologie, un ensemble irrationnel d’affirmations imposées, aux dérivations criminelles.
Restituer brièvement les étapes où l’on peut repérer la manipulation de mythes en vue de la légitimation de pouvoirs abusifs, c’est possible, grâce à la confrontation des récits consacrés dans une culture déterminée, avec ce qu’en disent les cultures voisines, et avec ce que l’archéologie établit de façon certaine. Pour l’histoire de l’Occident, c’est une série d’accidents, de détournements des narrations permettant la transmission des sagesses du Proche Orient, qui nous conduit à la formule : l’Occident est un accident ; dans cette région, les Hébreux ont d’abord été un peuple parmi d’autres à réaliser leur propre syncrétisme à partir des cultures auxquelles ils avaient accès. Par la suite, leurs descendants spirituels ont consolidé par répétition à l’infini le mensonge de l’exceptionnalisme hébreu. L’Occident moderne fonctionne encore pleinement sur la croyance implicite en sa propre exceptionnalité. Ses dirigeants à prétentions impérialistes s’appuient jusqu’à aujourd’hui sur cette pseudo-légitimation. Il nous faut donc revenir en premier lieu aux constituants originels du métissage culturel qui donna lieu au judéo-christianisme ; celui-ci, bien plus qu’une réelle culture, est une puissante idéologie, un ensemble irrationnel d’affirmations imposées, aux dérivations criminelles.
Le mythe de l’exceptionnalisme hébreu
Grâce à des écrits –
hiéroglyphiques pour l'Égypte, cunéiformes pour la Mésopotamie – il est établi
qu'à la fin du IVe millénaire (période du bronze ancien), des
migrations massives sont venues de pays voisins (notamment d'Arabie) soit sous
la poussée d'invasions, soit à la suite de modifications climatiques qui
désertifient ces pays d’origine). Ils entrèrent dans une région plus vivable,
que l'on a appelée depuis le « Croissant fertile », qui s'étend de la Mésopotamie à l'Égypte. Les
premiers arrivants, les Araméens, se fixèrent dans ce qui est aujourd'hui la
Syrie. Ils constituèrent un centre de civilisation dans le pays qu'à partir du
milieu du IIe millénaire on appela Canaan[1]. Les migrations de nomades hébreux, plus
tardives, s'intégrèrent d'une manière généralement pacifique à la population
autochtone qui, déjà sédentarisée, constructrice de villes fortifiées ne
pouvait être affrontée militairement.
A la lumière des progrès
de l’archéologie, toute la prétendue histoire des Hébreux, telle que les
rabbins les plus obscurantistes de l'actuel État d'Israël veulent l’utiliser
pour justifier ce qu'ils considèrent comme leur pays d'origine, comme propriété
qui leur eût été concédée par une donation signée Dieu, se révèle de plus en
plus n'être que pure «mythologie»; avec elle, c’est toute la légitimation
historique de l'actuel «État d'Israël» qui peut être ouvertement qualifiée de telle par les
«nouveaux historiens» israéliens dont on peut rappeler la formule
audacieuse : « […] jusqu'à présent il n'existait, depuis la création de notre État, qu'une
mythologie [2] ». Ceci est aussi vrai de
la Thora : aucune trace
archéologique, aucun document qui ne soit biblique ne permet de lui apporter
une confirmation historique. Un savant aussi attaché à sauver l’historicité de
la Bible que le P. de Vaux (O.P.), reconnaît, avec tous les autres chercheurs,
qu’on ne trouve nulle part « d’allusion explicite aux patriarches hébreux, au
séjour en Égypte, à l’exode, même pas à la conquête de Canaan, et il est très
douteux que le silence soit jamais rompu par de nouveaux textes[3]. » L'histoire des tribus hébraïques, dont les
religions de l'Occident chrétien ont voulu faire une «histoire universelle» au
sens où, en plein XVIIe siècle
Bossuet voyait dans le dieu d’Israël le vrai dieu, qui règne dans les cieux et dont dépendent
les empires[4], cette histoire n’est que le produit du brassage
syncrétique des traditions plusieurs fois millénaires des peuples nomades venue
d’une Arabie dont le climat était de
plus en plus désertique et aride, et convergeant dans ce que l'on appelle le
Croissant Fertile, où ils trouvèrent une pâture régulière pour leurs troupeaux,
c’est-à-dire des possibilités bien meilleures pour la sédentarisation.
*
La première et la seule
fois où le nom d’Israël apparaît dans une inscription, c’est sur une stèle
exaltant, vers 1225 av. J.-C., les victoires du pharaon Merneptha (fils et
successeur de Ramsès II): dans l’énumération de ses victoires, il est dit que,
s’emparant de villes palestiniennes, il a détruit aussi Israël : « Israël est dévasté. Sa race
(sa semence) n’existe plus. » Pas un mot de plus sur Israël, si sur la stèle,
ni dans toute la littérature égyptienne. Ainsi, pour ne retenir que l’exemple
le plus significatif : à ce qui fut, selon la Bible, l’apogée de la
puissance d’Israël, ni le nom de
David, ni son histoire, ne figurent dans aucune source extérieure à la Bible –
ni texte, ni inscription, ni vestige archéologique. La mort de Salomon « est le premier événement de
l’histoire d’Israël qui puisse être historiquement daté » parce qu’on peut enfin
établir un rapport historique comparatif avec la chronologie de l’empire
néo-assyrien qui, elle, est fiable, car fixée avec certitude par les calculs
astronomiques[5].
En réalité les preuves se
sont accumulées, depuis plus d'un siècle, pour démolir une à une toutes les
légendes sur l'exceptionnalisme hébreu. et il en est ainsi de tous les thèmes
fondamentaux de la profession de foi judaïque : d’abord celui de la Création, dont on retrouve
le mythe,
identique, dans toutes les religions ; puis le monothéisme même, qui non seulement
n’est en rien consubstantiel à la tradition biblique mais apparaît ailleurs
bien plus tôt; puis le thème du juste souffrant et enfin, plus important que
tout sans doute, le mythe de la Promesse.
*
* *
Universalité des mythes de la Création.
Mircea Eliade nous
rapporte que, dans la mythologie polynésienne, au commencement n'existaient que
les eaux et les ténèbres. Io, le dieu suprême, dit: « Que les eaux se séparent
pour que les cieux se forment, et que la terre soit. Aussitôt apparut la
lumière. » En Égypte, c’est le dieu Ptah qui crée l'univers par son esprit et son
vouloir. En Grèce, de la Théogonie
d'Hésiode à la philosophie d’Anaxagore, l'ordre d'engendrement est le même : «C'était le chaos, puis
l'esprit vint, qui mit tout en ordre.» La Bible raconte en termes semblables la
Genèse : « La terre était informe et vide : les ténèbres couvraient l'abîme et l'esprit de
Dieu planait au dessus des eaux. Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière
fut. »
Le scénario est le même
en Amérindie où le dieu des Incas, Viracocha, dit:
« Que la lumière soit,
que
la nuit soit,
que
l'homme soit...
Viracocha
Dieu
qui fait être
et
qui fait mourir. »
« Comme l'argile aux mains du
potier, l'homme », écrit le Siracide (XXXIII,13). « Tu m'as pétri comme la glaise », répète Job (4,19).
Le Popol Vuh des Mayas ne
dit pas autre chose. "De terre, de boue, ils firent, la chair de
l'homme." (I,2)
"Nous sommes
d'argile dont tu es le potier", dit le prophète Isaïe (64,8)
Le travail des dieux ne
pouvait être qu’à la ressemblance de celui des hommes. Il en fut ainsi dans
toutes les croyances premières.
La Bible fournit un
exemple typique de ce syncrétisme: elle emprunte les images des origines à
toutes les cultures du Moyen Orient, et d'abord à la plus vieille civilisation
du Croissant fertile, la Mésopotamie.
En pénétrant dans ce
qu'ils appelèrent Canaan, les Hébreux en adoptèrent non seulement les
techniques mais les dieux, avec leurs attributs fondamentaux de créateurs et de
rois. Les « elohim » de leur polythéisme originel furent le «Dieu
père», et ses baals. Yahvé, comme le
dieu mésopotamien Mardouk, était à l'image d’un souverain suprême, donnant la
vie et la mort, refusant l'immortalité dont rêvaient les hommes. Il peut, comme
le fera Yahvé, déclarer: « C'est moi qui fait mourir et vivre » (Deut.32-39).
Naissance du monothéisme dans le « croissant
fertile » et l’Égypte
Pionniers, peut-être de
la marche au monothéisme, les hymnes indiens des Védas disent de leur dieu
suprême Varuna : «Ses noms sont multiples mais il est un.»
Les Hébreux ne sont
nullement les inventeurs du monothéisme et pendant des siècles de polythéisme
tribal, ils n’excluèrent nullement l’existence des autres dieux, mais
considéraient le leur comme le plus puissant et garant de la victoire. Il est
impossible de contrôler l’authenticité des récits de la Thora – pas plus que
celle des « Empereurs mythiques » de la Chine primitive, ou du Pol Vuh des Indiens
d’Amériques. Dans le cas d’Israël le mythe a été accepté comme histoire,
surtout depuis que l’Église catholique s’est emparée de l’héritage hébreu en se
considérant comme le « reste » pur d’Israël. Une lecture sans préjugé de la
Bible elle-même peut nous le prouver.
Les Hébreux n'étaient
qu'une branche de la migration araméenne : «Mon père était un Araméen
errant.» (Deut., XXVI, 5) tandis que la
Genèse (XXIX, 5 ) fait de «Laban, l'Araméen», l'oncle et le beau père de Jacob.
Le prophète Ézéchiel rappelle, à propos de Jérusalem: «Par tes origines et ta
naissance tu es de la terre de Canaan; ton père était l'Amorite et ta mère une
Hittite.» (Ez., XVI, 3 et 45) Et ce
métissage ethnique, excluant tout racisme, se prolongeait en métissage
culturel. Le dieu qu’honoraient les Hébreux n'était pas un dieu différent des
Baals des autres peuplades du «Fertile Croissant» où a longtemps germé l'idée
d'un dieu unique.
C'est seulement à partir
de 1929 de notre ère, avec les premières publications sur les trouvailles de
Raz Shamra (dites manuscrits de la mer Morte), et surtout après la découverte,
en 1975, par la mission italienne de Paolo Matthiae, de dix-sept mille
tablettes du palais royal d'Ebla, en Syrie, que se révéla ce qu'on a pu appeler
La Bible cananéenne[6]. Il y apparaît que les théologiens cananéens
(hébreux compris) ont accueilli avec ferveur la réforme monothéiste du pharaon
Akhénaton, ce dont la découverte des tablettes de Tell Amarna, en Égypte en
1987, permettait déjà d'inférer. Le psaume 104 de la Bible apparaît clairement
comme inspiré de bout en bout par L'Hymne
au Soleil d’Akhénaton qui fit effacer du fronton de tous les temples le
pluriel du mot dieu: «Tu es le seul. Tu as créé tout ce qui existe.» disait
déjà un hymne à Amon, au XVe siècle, soit un siècle auparavant. S'il ne
reste aucun vestige, ni archéologique ni historique du mythe du passage de la
mer Rouge, il n'en reste pas moins le magnifique symbole de la libération des
esclaves de la tyrannie d'un prince, et aussi l'introduction du monothéisme
d’origine akhénatonienne en Israël.
Dans le poème babylonien
de la création, il est dit : «Si les humains sont divisés quant aux dieux,
nous, par tous les noms dont nous l'aurons nommé, qu'Il soit Lui, notre Dieu.»
Ce long mûrissement du
monothéisme de la Mésopotamie à l’Égypte, a été accaparé par la tradition
sacerdotale hébraïque qui a réécrit l'histoire dans un esprit étroitement
ethnocentrique, et d’abord en faisant de la Palestine le centre de la Création:
le Deutéronome (XII, 5; XII, 21; XVI,11) répète à satiété que Jérusalem « est le lieu que le Seigneur
a choisi pour y mettre son nom. », bien que Josué le situe sur le mont Ebal (VIII,
30-35) à Sichem, et Jérémie à Silo (VII,12,14,30).
Le cantique d'Ex. XV, II,
demande: «Qui est comme toi parmi les dieux, YAHVÉ ? » après avoir entendu le récit de la délivrance d'Égypte, Jethro, le
beau-père de Moïse s'écrie ,en venant sacrifier à Yahvé : «Je sais maintenant
que Yavhé est le plus grand de tous les dieux.» (Ex. XVIII ,I1); le premier
commandement du Décalogue lui-même ne nie pas l'existence d'autres dieux, il la
suppose au contraire, et interdit de leur rendre aucun culte: « Tu ne te prosterneras pas
devant un autre Dieu, car le Seigneur est un dieu jaloux. » (Ex. XXXIV, 14) «Tu ne te
prosterneras pas devant ces dieux, et tu ne les serviras pas, car, c'est moi le
Seigneur, ton dieu, un dieu jaloux.» (Ex. XX,4-5)
Partout domine l'idée de
la souveraineté de Dieu: l'ordre social est à l'image de l'ordre cosmique. Les
religions, au cours de l'histoire entière de l'humanité, furent les garantes de
cette correspondance du profane et du sacré : lorsque le roi lui-même
n'était pas Dieu, le prêtre était le gestionnaire du sacré chargé d'oindre les
rois. La puissance et la domination sont les attributs dominants de ce culte
politisé, qu'il s'agisse de Yahvé, dieu des armées « donnant » l’ordre d'exterminer les
peuples rebelles à sa foi, ou de Zeus, monarque céleste indo-européen, maniant
la foudre pour imposer son vouloir absolu.
Outre ces coïncidences
littéraires qui rendent difficile, sinon impossible, de croire à l’historicité
du récit biblique des origines, un second problème historique majeur naît de ce
qu'aucune donnée archéologique ou documentaire ne recoupe ce texte et ne permet
de lui apporter une confirmation historique. Tout au plus l'archéologie
peut-elle révéler parfois le «contexte» de ces récits épiques: l'existence de
migrations amorites au temps présumé des patriarches, les vestiges de la
destruction d'Hazor à l'époque supposée de l'installation des Hébreux en
Palestine. L'on peut en dire autant, par exemple, de l'Iliade: les recherches
archéologiques ont prouvé l'existence de Troie et de sa destruction, et la
réalité historique des royaumes mycéniens, mais ne nous apprennent rien sur
Priam ou Hector. Pourquoi, dès lors, attribuer aux récits bibliques une valeur
historique absolue et considérer les personnages de l'Iliade comme pure
création de poète ?
*
* *
Antériorité du thème du Juste
souffrant
Le thème du « Juste souffrant » qui est généralement
assimilé au personnage de Job est en réalité emprunté de la Mésopotamie (tout
comme celui du Déluge) où on le trouve décrit ainsi dans le Poème babylonien de la création à la
gloire de Mardouk :
« Chantez la gloire de
Mardouk.
Je
veux louer le Seigneur de la sagesse…
Mardouk,
qui a créé la nuit et déploie la lumière.
Cyclone
impétueux, enveloppant tout dans sa colère,
mais
souffle bienfaisant, comme brise au matin.
...Mon
dieu m'a abandonné...
Ma
tête, autrefois haute, est penchée vers le sol.
Je
paradais comme un seigneur, et je rase les murs.
...Mes
amis d'autrefois m'évitent.
Ma
famille me traite comme si je n'étais pas d'elle.
Tous
les jours je gémis comme une colombe,
et les larmes brûlent mes
joues.
Et pourtant la prière
était pour moi sagesse,
et
le sacrifice ma foi.
Je
croyais être ainsi au service de Dieu.
Mais
les desseins divins, au fond des abîmes, qui peut les comprendre ?
Où
les hommes apprendront-ils les voies de Dieu ?
Qui
donc, sinon Mardouk, est le maître de la Résurrection ?
Vous,
dont il modela 1'argile originelle.
Chantez
la gloire de Mardouk.
Dans
mes prosternations et mes prières,
du
tombeau je revins aux lueurs du levant.
A
la Porte du Salut, j'ai retrouvé le salut,
A
la porte de la Vie, j'ai reçu le don de la vie
A
la porte du soleil Levant,
Et cette image de «Job»
lui est antérieure de plusieurs siècles. Pas plus que le monothéisme ou la
promesse divine, il n’est une exclusivité biblique…
La Promesse en Canaan
Le thème biblique du don
du pays a son origine dans la «promesse patriarcale» adressée par Dieu, selon
la tradition de la Genèse, à Abraham à qui il dit: «En toi seront bénies toutes
les familles de la terre.» (Ex. XII,
3)
Prolongeant les
recherches des plus grands exégètes modernes, publiées entre 1954 et 1971,
(Albrecht Alt, Martin Noth, Gerhard von Rad, Françoise Smith , le P. de Vaux),
sur l'histoire d'Israël, Albert de Pury, professeur à l'université protestante
de Genève, dans sa thèse en deux volumes aboutit aux conclusions suivantes . la
plupart des exégètes ont tenu et tiennent la promesse patriarcale dans son
expression classique (cf par exemple Gn 13,14-17 ou Gn 15, 18-21 ) pour une
légitimation post eventum de la
conquête israélite de la Palestine ou, plus concrètement encore, de l'extension
de la souveraineté israélite sous le règne de David. En d'autres termes, la
Promesse aurait été introduite dans les récits patriarcaux afin de faire de
cette «épopée ancestrale» un prélude et une annonce de l'âge d'or davidique et
salomonien[8].
Nous pouvons maintenant
circonscrire sommairement les origines de la promesse patriarcale :
1.– La promesse de la
terre, entendue comme une promesse de sédentarisation, a été adressée en
premier à des groupes de nomades qui étaient soumis au régime des transhumances
et qui aspiraient à se fixer quelque part dans les régions habitables. Sous
cette forme-là, la promesse a pu faire partie du patrimoine religieux et
narratif de plusieurs groupes tribaux différents .
2.– La promesse nomade
avait pour objet non pas la conquête politique et militaire d'une région ou de
tout un pays, mais la sédentarisation dans un territoire limité.
3.– A l'origine, la
promesse patriarcale dont nous parle la Genèse n'a pas été accordée par Yahvé
(le dieu qui est entré en Palestine avec le "groupe de l'Exode") mais
par le dieu cananéen EL dans une de ses hypostases locales. Seul le dieu local,
possesseur du territoire, pouvait offrir à des nomades la sédentarisation sur
ses terres.
4.– Plus tard lorsque les
clans nomades sédentarisés se sont regroupés avec d'autres tribus pour former
le "peuple d'Israël", les anciennes promesses ont pris une nouvelle
dimension. La sédentarisation était un objectif atteint, et la promesse prenait
désormais une portée politique, militaire et "nationale".
*
*
*
Dans les pays où vivent
des nomades l'un des attributs essentiels est la promesse de retrouver la terre
après la transhumance et on peut ainsi parler d’une universalité des mythes de
la « Promesse » dans laquelle vient
s’inscrire la promesse spécifique en Canaan.
Pour nous en tenir au
Proche Orient, de la Mésopotamie à l'Égypte, en passant par les Hittites, tous
les peuples ont reçu des promesses semblables.
Comme tous les Baals aux
peuples transhumants un dieu promet au berger la terre à son retour et, comme
tous les autres dieux de la région, leur en fixe les frontières. La fixation au
sol de tribus nomades ou errantes est liée chez tous les peuples, en
particulier au Moyen-Orient à la domination de la terre promise par un dieu.
En Égypte, sur la stèle
de Karnak, dressée par Toutmosis III entre 1480 et 1475 av. J.-C. pour célébrer
les victoires qu'il avait accumulées sur la route de Gaza, Megiddo, Qadesh et
jusqu'à Karkemish sur l'Euphrate, le dieu déclare: «Je t'assigne, par décret,
la terre de long en large. Je suis venu et je te donne d'écraser la terre
d'Occident.»
En Mésopotamie dans la
sixième tablette du Poème babylonien de
la création, que nous avons déjà rencontré, le dieu Mardouk «fixe à chacun
son lot» (verset 46), et, pour sceller l'Alliance, ordonne de construire
Babylone et son temple.
Entre les deux, les
Hittites chantent à Arinna, la déesse solaire :
«Tu
veilles sur la sécurité des cieux et de la terre
Tu établis les frontières
du pays.»
Si les Hébreux n’avaient
pas reçu une telle promesse, c’est alors qu’ils constitueraient une exception!
*
* *
Le Dieu de la puissance et du miracle.
Ce dieu n’est Dieu que parce
qu’il accomplit sa promesse, recourant pour cela à toute sorte de miracles et
il ne prouve qu’ainsi sa divinité. « Dès l’Exode » il nous est dit, après que Dieu a accompli deux
miracles, « en faveur des fils d’Israël » leur montrant ainsi qu’ils étaient ses « époux de sang » (Ex. IV,26) « le peuple crut » (Ex. IV,31) Pour leur
sortie d’Égypte, le Seigneur tendit la main et « les eaux se fendirent » (Ex. X, IV, 21) pour que
les fils d’Israël passent à pied sec, puis il retira sa main (XIV, 29) pour que
les eaux reviennent, « engloutissant les Égyptiens, leurs chars, leurs
cavaliers, et leur pharaon ». Dès lors « le peuple mit sa foi dans le Seigneur » (Ex. XIV, 31). A Jéricho,
en sept tours de remparts et autant de coups de trompe, les murailles s’écroulèrent
et le peuple, convaincu par ce miracle, extermina la population à la seule
exception de la prostituée Rabah, l’espionne qui leur avait livré la ville
(Josué, VI, 25), et l’adoptèrent dans la tribu. Un autre jour il arrête le
soleil et la lune pour permettre à ses élus de massacrer le peuple de Gabaon
(Josué, X, 13) afin qu’il « ne subsistât aucun survivant ». (X, 33) Le séjour de
quarante ans dans le désert des centaines de milliers d’ « élus libérés » posait des problèmes
d’intendance, mais la rosée monta de la terre et « des cailles tombèrent du
ciel. »
(Ex, 13)
Promesse et
toute-puissance: de là naît une conception de l'histoire, forgée pendant des
siècles par les «griots» vantant les victoires d'un dieu plus puissant que ceux
d'autres ligues tribales: les prophètes expliquent que les évènements tragiques
relèvent d'un plan établi par Dieu et que lorsque les tribus israélites étaient
envahies et persécutées par les empires vainqueurs, la faute en était à leur
infidélité et à leur désobéissance à leur dieu.
Dans cette optique, tous
les dirigeants des empires du Moyen Orient sont les instruments nécessaires de
la réalisation du dessein de Yahvé. Le puissant et impitoyable roi d'Assyrie
est «le fouet de ma colère, le bâton que je lève dans ma fureur». (Is. X, 2) Puis le roi néo-babylonien
Nabuchodonosor joue son rôle dans le drame: «Je remets toute la terre entre les
mains de mon serviteur Nabuchodonosor, roi de Babylone... Toutes les nations le
serviront... Je châtierai par l'épée, la famine et la peste, le peuple et le
royaume qui ne le servira pas » (Jér.
XXVI,6,7,8) Par contre Cyrus, le roi des Perses ; devient un exécutant fidèle,
et le protégé de Yahvé : «Je t'ai honoré alors que tu ne me connaissais pas
pour que l'on sache, de l'Orient jusqu'au Couchant, qu'il n'y a rien en dehors
de moi...» (Is., 45, 5), « c'est moi
qui ai lancé Cyrus et qui lui ai aplani tous les chemins car il reconstruira ma
ville et fera revenir mes déportés. » (Is.
45,13)
Ces victoires et ces
exterminations de Moïse et de Josué, font d'Israël, – et de l’état sioniste,
son héritier – veut-on nous faire croire, un peuple différent de tous les
autres peuples. Nous ne manquons pas d'éléments sur la biographie de David,
notamment dans les livres de Samuel, des Chroniques et des Rois, sans compter
les passages où les évangélistes et les Actes reproduisent à son sujet les
références, citées par leur maître saint Paul, insistant surtout sur la
fidélité de David aux ordres de Dieu. Or nul, sauf peut être son ancêtre Josué,
n'a obéi plus strictement aux ordres de massacres et d'exterminations que l'un
et l'autre disaient recevoir du "«dieu des armées». Alors ce thème de
«peuple élu » conduit inéluctablement au refus de l’autre. On le constate parfois sur
le plan des rapports humains, mais surtout dans les relations internationales
où l’état d’Israël a pu, au nom de cette suprématie de l’élection divine,
rejeter plus de deux cents fois,
depuis sa création, les décisions – même unanimes – des Nations Unies, qui ne
sont que lois humaines, aussi bien que les demandes des autochtones
palestiniens.
Sur le plan personnel,
l’appartenance à cette ethnie particulière conférerait au plus médiocre de ses
membres un statut spécial ou des armoiries comme l’écrit impunément un Élie
Wiesel (prix Nobel !) qui ose cette affirmation: « Le juif est plus proche de
l'humanité que n'importe qui d'autre »[9], On nous enseigne un Bréviaire de la haine, comme s’intitule le livre de l’un de ces
«surhommes», qui nous convient à cracher sur les tombes de tous les autres peuples,
à la manière de l'américain Goldhagen qui assimile tout Allemand à un nazi[10], ou de Bernard Henri Lévy qui conclut: «Toute la
culture française [de Voltaire à Péguy]… témoigne de notre antiquité dans
l'abjection», faisant par cette ruse grossière de la France «la patrie du
national-socialisme[11]».
Les conséquences historiques du mythe du « peuple élu ».
Cette conception de la
monarchie absolue, celle du dieu tout-puissant d'abord, et celle des rois, qui
en découle puisqu'ils sont les «oints» de Dieu, implique un exclusivisme
radical et même une xénophobie divine. Dans la conception idolâtrique et
tribale qui fut celle des premiers hébreux, Yahvé est un dieu «jaloux». Dans
cette religion où Yahvé est seulement le plus puissant des dieux, il donne la
victoire aux tribus qu'il protège et dont il a fait le «peuple élu», lui
imposant le droit, et même le devoir, d'exterminer tous ceux qui ne partagent
pas la foi en Lui.
Ce thème, à cause du
choix de l’Église de faire de l’Ancien Testament son récit des origines, a
malheureusement connu une postérité sinistre à l’échelle mondiale: les
États-Unis puis Hitler ont revendiqué pour eux-mêmes le privilège de l’élection
– et nous verrons plus loin à quel suicide
planétaire cette prétention, tout aussi dépourvue de fondements lorsqu’elle
est baptisée Lebensraum ou Manifest Destiny que lorsqu’il s’agit de
revendiquer la Palestine comme «Terre promise», a conduit le monde.
Roger Garaudy
[1].
Roland de VAUX (O. P.), Histoire ancienne
d'Israël. [1], Des origines à l'installation en Canaan, Paris, J. Gabalda
et Cie, 1971, p.58.
[2]. Cf. ch. 1.
[3].
R. de Vaux, op. cit., p. 154.
[4].
Bossuet, Discours sur l’histoire
universelle. «le vray dieu, le dieu d' Israël, ce dieu un et indivisible »
(p. 271) «Mais souvenez-vous, monseigneur, que ce long enchaisnement des causes
particulieres qui font et défont les empires dépend des ordres secrets de la
divine providence. Dieu tient du plus haut des cieux les resnes de tous les
royaumes.» p. 558, partie 3, ch. sept.
[5].
Martin Noth, Histoire d’Israël,
édition française, revue par l'auteur Paris, Payot,1954, p. 235.
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