12 septembre 2012

Qui sera ton Dieu ? Par Roger Garaudy. Deuxième partie: L’Occident est un accident: le mythe du "peuple élu"


A la Calahorra, dans la salle des géants de l'esprit que furent les musulmans Averroes et Ibn Arabi, le juif Maimonide et le roi chrétien Alphonse X le sage


L’Occident est un accident, son contexte originaire est le syncrétisme hébreu

Si nous essayons de comprendre la puissance exceptionnelle de la culture occidentale, non pas à partir d’un providentialisme laïcisé, qui se présente comme une simple histoire scientifique sur le long terme s’érigeant sur un déterminisme principalement économique, c’est à dire amputé du facteur de la créativité humaine, il faut revenir à ce qui fait l’unité culturelle de l’Occident : le complexe « judéo-chrétien », qui a une histoire faite d’usurpation de mythes -qui sont de très belles légendes utiles pour donner à toute communauté le sentiment intime de son potentiel-  usurpation par des groupes de pouvoir qui donnent à ce qui leur convient dans le corpus mythique l’acception de dogme, d’histoire vraie, unique, exigeant l’abdication des facultés critiques de chacun.
Restituer brièvement les étapes où l’on peut repérer la manipulation de mythes en vue de la légitimation de pouvoirs abusifs, c’est possible, grâce à la confrontation des récits consacrés dans une culture déterminée, avec ce qu’en disent les cultures voisines, et avec ce que l’archéologie établit de façon certaine. Pour l’histoire de l’Occident, c’est une série d’accidents, de détournements des narrations permettant la transmission des sagesses du Proche Orient, qui nous conduit à la formule : l’Occident est un accident ; dans cette région, les Hébreux ont d’abord été un peuple parmi d’autres à réaliser leur propre syncrétisme à partir des cultures auxquelles ils avaient accès. Par la suite, leurs descendants spirituels ont consolidé par répétition à l’infini le mensonge de l’exceptionnalisme hébreu. L’Occident moderne fonctionne encore pleinement sur la croyance implicite en sa propre exceptionnalité. Ses dirigeants à prétentions impérialistes s’appuient jusqu’à aujourd’hui sur cette pseudo-légitimation. Il nous faut donc revenir en premier lieu aux constituants originels du métissage culturel qui donna lieu au judéo-christianisme ; celui-ci, bien plus qu’une réelle culture, est une puissante idéologie, un ensemble irrationnel d’affirmations imposées, aux dérivations criminelles.

Le mythe de l’exceptionnalisme hébreu

Grâce à des écrits – hiéroglyphiques pour l'Égypte, cunéiformes pour la Mésopotamie – il est établi qu'à la fin du IVe millénaire (période du bronze ancien), des migrations massives sont venues de pays voisins (notamment d'Arabie) soit sous la poussée d'invasions, soit à la suite de modifications climatiques qui désertifient ces pays d’origine). Ils entrèrent dans une région plus vivable, que l'on a appelée depuis le «  Croissant fertile », qui s'étend de la Mésopotamie à l'Égypte. Les premiers arrivants, les Araméens, se fixèrent dans ce qui est aujourd'hui la Syrie. Ils constituèrent un centre de civilisation dans le pays qu'à partir du milieu du IIe millénaire on appela Canaan[1]. Les migrations de nomades hébreux, plus tardives, s'intégrèrent d'une manière généralement pacifique à la population autochtone qui, déjà sédentarisée, constructrice de villes fortifiées ne pouvait être affrontée militairement.
A la lumière des progrès de l’archéologie, toute la prétendue histoire des Hébreux, telle que les rabbins les plus obscurantistes de l'actuel État d'Israël veulent l’utiliser pour justifier ce qu'ils considèrent comme leur pays d'origine, comme propriété qui leur eût été concédée par une donation signée Dieu, se révèle de plus en plus n'être que pure «mythologie»; avec elle, c’est toute la légitimation historique de l'actuel «État d'Israël» qui peut être  ouvertement qualifiée de telle par les «nouveaux historiens» israéliens dont on peut rappeler la formule audacieuse : « […] jusqu'à présent il n'existait, depuis la création de notre État, qu'une mythologie [2] ». Ceci est aussi vrai de la Thora : aucune trace archéologique, aucun document qui ne soit biblique ne permet de lui apporter une confirmation historique. Un savant aussi attaché à sauver l’historicité de la Bible que le P. de Vaux (O.P.), reconnaît, avec tous les autres chercheurs, qu’on ne trouve nulle part « d’allusion explicite aux patriarches hébreux, au séjour en Égypte, à l’exode, même pas à la conquête de Canaan, et il est très douteux que le silence soit jamais rompu par de nouveaux textes[3]. » L'histoire des tribus hébraïques, dont les religions de l'Occident chrétien ont voulu faire une «histoire universelle» au sens où, en plein XVIIe siècle Bossuet voyait dans le dieu d’Israël le vrai dieu,  qui règne dans les cieux et dont dépendent les empires[4], cette histoire n’est que le produit du brassage syncrétique des traditions plusieurs fois millénaires des peuples nomades venue d’une Arabie dont le  climat était de plus en plus désertique et aride, et convergeant dans ce que l'on appelle le Croissant Fertile, où ils trouvèrent une pâture régulière pour leurs troupeaux, c’est-à-dire des possibilités bien meilleures pour la sédentarisation.
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La première et la seule fois où le nom d’Israël apparaît dans une inscription, c’est sur une stèle exaltant, vers 1225 av. J.-C., les victoires du pharaon Merneptha (fils et successeur de Ramsès II): dans l’énumération de ses victoires, il est dit que, s’emparant de villes palestiniennes, il a détruit aussi Israël : « Israël est dévasté. Sa race (sa semence) n’existe plus. » Pas un mot de plus sur Israël, si sur la stèle, ni dans toute la littérature égyptienne. Ainsi, pour ne retenir que l’exemple le plus significatif : à ce qui fut, selon la Bible, l’apogée de la puissance d’Israël, ni le nom de David, ni son histoire, ne figurent dans aucune source extérieure à la Bible – ni texte, ni inscription, ni vestige archéologique. La mort de Salomon « est le premier événement de l’histoire d’Israël qui puisse être historiquement daté » parce qu’on peut enfin établir un rapport historique comparatif avec la chronologie de l’empire néo-assyrien qui, elle, est fiable, car fixée avec certitude par les calculs astronomiques[5].
En réalité les preuves se sont accumulées, depuis plus d'un siècle, pour démolir une à une toutes les légendes sur l'exceptionnalisme hébreu. et il en est ainsi de tous les thèmes fondamentaux de la profession de foi judaïque : d’abord celui de la Création, dont on retrouve le mythe, identique, dans toutes les religions ; puis le monothéisme même, qui non seulement n’est en rien consubstantiel à la tradition biblique mais apparaît ailleurs bien plus tôt; puis le thème du juste souffrant et enfin, plus important que tout sans doute, le mythe de la Promesse.
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Universalité des mythes de la Création.
Mircea Eliade nous rapporte que, dans la mythologie polynésienne, au commencement n'existaient que les eaux et les ténèbres. Io, le dieu suprême, dit: « Que les eaux se séparent pour que les cieux se forment, et que la terre soit. Aussitôt apparut la lumière. » En Égypte, c’est le dieu Ptah qui crée l'univers par son esprit et son vouloir. En Grèce, de la Théogonie d'Hésiode à la philosophie d’Anaxagore, l'ordre d'engendrement est le même : «C'était le chaos, puis l'esprit vint, qui mit tout en ordre.» La Bible raconte en termes semblables la Genèse : « La terre était informe et vide : les ténèbres couvraient l'abîme et l'esprit de Dieu planait au dessus des eaux. Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière fut. »
Le scénario est le même en Amérindie où le dieu des Incas, Viracocha, dit:
« Que la lumière soit,
que la nuit soit,
que l'homme soit...
Viracocha
Dieu qui fait être
et qui fait mourir. »
« Comme l'argile aux mains du potier, l'homme », écrit le Siracide (XXXIII,13). « Tu m'as pétri comme la glaise », répète Job (4,19).
Le Popol Vuh des Mayas ne dit pas autre chose. "De terre, de boue, ils firent, la chair de l'homme." (I,2)
"Nous sommes d'argile dont tu es le potier", dit le prophète Isaïe (64,8)
Le travail des dieux ne pouvait être qu’à la ressemblance de celui des hommes. Il en fut ainsi dans toutes les croyances premières.
La Bible fournit un exemple typique de ce syncrétisme: elle emprunte les images des origines à toutes les cultures du Moyen Orient, et d'abord à la plus vieille civilisation du Croissant fertile, la Mésopotamie.
En pénétrant dans ce qu'ils appelèrent Canaan, les Hébreux en adoptèrent non seulement les techniques mais les dieux, avec leurs attributs fondamentaux de créateurs et de rois. Les « elohim » de leur polythéisme originel furent le «Dieu père», et ses baals. Yahvé, comme  le dieu mésopotamien Mardouk, était à l'image d’un souverain suprême, donnant la vie et la mort, refusant l'immortalité dont rêvaient les hommes. Il peut, comme le fera Yahvé, déclarer: « C'est moi qui fait mourir et vivre » (Deut.32-39).
Naissance du monothéisme dans le « croissant fertile » et l’Égypte
Pionniers, peut-être de la marche au monothéisme, les hymnes indiens des Védas disent de leur dieu suprême Varuna : «Ses noms sont multiples mais il est un
Les Hébreux ne sont nullement les inventeurs du monothéisme et pendant des siècles de polythéisme tribal, ils n’excluèrent nullement l’existence des autres dieux, mais considéraient le leur comme le plus puissant et garant de la victoire. Il est impossible de contrôler l’authenticité des récits de la Thora – pas plus que celle des « Empereurs mythiques » de la Chine primitive, ou du Pol Vuh des Indiens d’Amériques. Dans le cas d’Israël le mythe a été accepté comme histoire, surtout depuis que l’Église catholique s’est emparée de l’héritage hébreu en se considérant comme le « reste » pur d’Israël. Une lecture sans préjugé de la Bible elle-même peut nous le prouver.
Les Hébreux n'étaient qu'une branche de la migration araméenne : «Mon père était un Araméen errant.» (Deut., XXVI, 5) tandis que la Genèse (XXIX, 5 ) fait de «Laban, l'Araméen», l'oncle et le beau père de Jacob. Le prophète Ézéchiel rappelle, à propos de Jérusalem: «Par tes origines et ta naissance tu es de la terre de Canaan; ton père était l'Amorite et ta mère une Hittite.» (Ez., XVI, 3 et 45) Et ce métissage ethnique, excluant tout racisme, se prolongeait en métissage culturel. Le dieu qu’honoraient les Hébreux n'était pas un dieu différent des Baals des autres peuplades du «Fertile Croissant» où a longtemps germé l'idée d'un dieu unique.
C'est seulement à partir de 1929 de notre ère, avec les premières publications sur les trouvailles de Raz Shamra (dites manuscrits de la mer Morte), et surtout après la découverte, en 1975, par la mission italienne de Paolo Matthiae, de dix-sept mille tablettes du palais royal d'Ebla, en Syrie, que se révéla ce qu'on a pu appeler La Bible cananéenne[6]. Il y apparaît que les théologiens cananéens (hébreux compris) ont accueilli avec ferveur la réforme monothéiste du pharaon Akhénaton, ce dont la découverte des tablettes de Tell Amarna, en Égypte en 1987, permettait déjà d'inférer. Le psaume 104 de la Bible apparaît clairement comme inspiré de bout en bout par L'Hymne au Soleil d’Akhénaton qui fit effacer du fronton de tous les temples le pluriel du mot dieu: «Tu es le seul. Tu as créé tout ce qui existe.» disait déjà un hymne à Amon, au XVe siècle, soit un siècle auparavant. S'il ne reste aucun vestige, ni archéologique ni historique du mythe du passage de la mer Rouge, il n'en reste pas moins le magnifique symbole de la libération des esclaves de la tyrannie d'un prince, et aussi l'introduction du monothéisme d’origine akhénatonienne en Israël.
Dans le poème babylonien de la création, il est dit : «Si les humains sont divisés quant aux dieux, nous, par tous les noms dont nous l'aurons nommé, qu'Il soit Lui, notre Dieu.»
Ce long mûrissement du monothéisme de la Mésopotamie à l’Égypte, a été accaparé par la tradition sacerdotale hébraïque qui a réécrit l'histoire dans un esprit étroitement ethnocentrique, et d’abord en faisant de la Palestine le centre de la Création: le Deutéronome (XII, 5; XII, 21; XVI,11) répète à satiété que Jérusalem « est le lieu que le Seigneur a choisi pour y mettre son nom. », bien que Josué le situe sur le mont Ebal (VIII, 30-35) à Sichem, et Jérémie à Silo (VII,12,14,30).
Le cantique d'Ex. XV, II, demande: «Qui est comme toi parmi les dieux, YAHVÉ ? » après avoir entendu le récit de la délivrance d'Égypte, Jethro, le beau-père de Moïse s'écrie ,en venant sacrifier à Yahvé : «Je sais maintenant que Yavhé est le plus grand de tous les dieux.» (Ex. XVIII ,I1); le premier commandement du Décalogue lui-même ne nie pas l'existence d'autres dieux, il la suppose au contraire, et interdit de leur rendre aucun culte: « Tu ne te prosterneras pas devant un autre Dieu, car le Seigneur est un dieu jaloux. » (Ex. XXXIV, 14) «Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, et tu ne les serviras pas, car, c'est moi le Seigneur, ton dieu, un dieu jaloux.» (Ex. XX,4-5)
Partout domine l'idée de la souveraineté de Dieu: l'ordre social est à l'image de l'ordre cosmique. Les religions, au cours de l'histoire entière de l'humanité, furent les garantes de cette correspondance du profane et du sacré : lorsque le roi lui-même n'était pas Dieu, le prêtre était le gestionnaire du sacré chargé d'oindre les rois. La puissance et la domination sont les attributs dominants de ce culte politisé, qu'il s'agisse de Yahvé, dieu des armées « donnant » l’ordre d'exterminer les peuples rebelles à sa foi, ou de Zeus, monarque céleste indo-européen, maniant la foudre pour imposer son vouloir absolu.
Outre ces coïncidences littéraires qui rendent difficile, sinon impossible, de croire à l’historicité du récit biblique des origines, un second problème historique majeur naît de ce qu'aucune donnée archéologique ou documentaire ne recoupe ce texte et ne permet de lui apporter une confirmation historique. Tout au plus l'archéologie peut-elle révéler parfois le «contexte» de ces récits épiques: l'existence de migrations amorites au temps présumé des patriarches, les vestiges de la destruction d'Hazor à l'époque supposée de l'installation des Hébreux en Palestine. L'on peut en dire autant, par exemple, de l'Iliade: les recherches archéologiques ont prouvé l'existence de Troie et de sa destruction, et la réalité historique des royaumes mycéniens, mais ne nous apprennent rien sur Priam ou Hector. Pourquoi, dès lors, attribuer aux récits bibliques une valeur historique absolue et considérer les personnages de l'Iliade comme pure création de poète ?
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Antériorité du thème du Juste souffrant
Le thème du « Juste souffrant » qui est généralement assimilé au personnage de Job est en réalité emprunté de la Mésopotamie (tout comme celui du Déluge) où on le trouve décrit ainsi dans le Poème babylonien de la création à la gloire de Mardouk  :
« Chantez la gloire de Mardouk.
Je veux louer le Seigneur de la sagesse…
Mardouk, qui a créé la nuit et déploie la lumière.
Cyclone impétueux, enveloppant tout dans sa colère,
mais souffle bienfaisant, comme brise au matin.
...Mon dieu m'a abandonné...
Ma tête, autrefois haute, est penchée vers le sol.
Je paradais comme un seigneur, et je rase les murs.
...Mes amis d'autrefois m'évitent.
Ma famille me traite comme si je n'étais pas d'elle.
Tous les jours je gémis comme une colombe,
et les larmes brûlent mes joues.
Et pourtant la prière était pour moi sagesse,
et le sacrifice ma foi.
Je croyais être ainsi au service de Dieu.
Mais les desseins divins, au fond des abîmes, qui peut les comprendre ?
Où les hommes apprendront-ils les voies de Dieu ?
Qui donc, sinon Mardouk, est le maître de la Résurrection ?
Vous, dont il modela 1'argile originelle.
Chantez la gloire de Mardouk.
Dans mes prosternations et mes prières,
du tombeau je revins aux lueurs du levant.
A la Porte du Salut, j'ai retrouvé le salut,
A la porte de la Vie, j'ai reçu le don de la vie
A la porte du soleil Levant,
Je fus de nouveau compté au nombre des vivants.[7] »
Et cette image de «Job» lui est antérieure de plusieurs siècles. Pas plus que le monothéisme ou la promesse divine, il n’est une exclusivité biblique…
La Promesse en Canaan
Le thème biblique du don du pays a son origine dans la «promesse patriarcale» adressée par Dieu, selon la tradition de la Genèse, à Abraham à qui il dit: «En toi seront bénies toutes les familles de la terre.» (Ex. XII, 3)
Prolongeant les recherches des plus grands exégètes modernes, publiées entre 1954 et 1971, (Albrecht Alt, Martin Noth, Gerhard von Rad, Françoise Smith , le P. de Vaux), sur l'histoire d'Israël, Albert de Pury, professeur à l'université protestante de Genève, dans sa thèse en deux volumes aboutit aux conclusions suivantes . la plupart des exégètes ont tenu et tiennent la promesse patriarcale dans son expression classique (cf par exemple Gn 13,14-17 ou Gn 15, 18-21 ) pour une légitimation post eventum de la conquête israélite de la Palestine ou, plus concrètement encore, de l'extension de la souveraineté israélite sous le règne de David. En d'autres termes, la Promesse aurait été introduite dans les récits patriarcaux afin de faire de cette «épopée ancestrale» un prélude et une annonce de l'âge d'or davidique et salomonien[8].
Nous pouvons maintenant circonscrire sommairement les origines de la promesse patriarcale :
1.– La promesse de la terre, entendue comme une promesse de sédentarisation, a été adressée en premier à des groupes de nomades qui étaient soumis au régime des transhumances et qui aspiraient à se fixer quelque part dans les régions habitables. Sous cette forme-là, la promesse a pu faire partie du patrimoine religieux et narratif de plusieurs groupes tribaux différents .
2.– La promesse nomade avait pour objet non pas la conquête politique et militaire d'une région ou de tout un pays, mais la sédentarisation dans un territoire limité.
3.– A l'origine, la promesse patriarcale dont nous parle la Genèse n'a pas été accordée par Yahvé (le dieu qui est entré en Palestine avec le "groupe de l'Exode") mais par le dieu cananéen EL dans une de ses hypostases locales. Seul le dieu local, possesseur du territoire, pouvait offrir à des nomades la sédentarisation sur ses terres.
4.– Plus tard lorsque les clans nomades sédentarisés se sont regroupés avec d'autres tribus pour former le "peuple d'Israël", les anciennes promesses ont pris une nouvelle dimension. La sédentarisation était un objectif atteint, et la promesse prenait désormais une portée politique, militaire et "nationale".
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Dans les pays où vivent des nomades l'un des attributs essentiels est la promesse de retrouver la terre après la transhumance et on peut ainsi parler d’une universalité des mythes de la « Promesse » dans laquelle vient s’inscrire la promesse spécifique en Canaan.
Pour nous en tenir au Proche Orient, de la Mésopotamie à l'Égypte, en passant par les Hittites, tous les peuples ont reçu des promesses semblables.
Comme tous les Baals aux peuples transhumants un dieu promet au berger la terre à son retour et, comme tous les autres dieux de la région, leur en fixe les frontières. La fixation au sol de tribus nomades ou errantes est liée chez tous les peuples, en particulier au Moyen-Orient à la domination de la terre promise par un dieu.
En Égypte, sur la stèle de Karnak, dressée par Toutmosis III entre 1480 et 1475 av. J.-C. pour célébrer les victoires qu'il avait accumulées sur la route de Gaza, Megiddo, Qadesh et jusqu'à Karkemish sur l'Euphrate, le dieu déclare: «Je t'assigne, par décret, la terre de long en large. Je suis venu et je te donne d'écraser la terre d'Occident.»
En Mésopotamie dans la sixième tablette du Poème babylonien de la création, que nous avons déjà rencontré, le dieu Mardouk «fixe à chacun son lot» (verset 46), et, pour sceller l'Alliance, ordonne de construire Babylone et son temple.
Entre les deux, les Hittites chantent à Arinna, la déesse solaire :
«Tu veilles sur la sécurité des cieux et de la terre
Tu établis les frontières du pays.»
Si les Hébreux n’avaient pas reçu une telle promesse, c’est alors qu’ils constitueraient une exception!
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Le Dieu de la puissance et du miracle.
Ce dieu n’est Dieu que parce qu’il accomplit sa promesse, recourant pour cela à toute sorte de miracles et il ne prouve qu’ainsi sa divinité. « Dès l’Exode » il nous est dit, après que Dieu a accompli deux miracles, « en faveur des fils d’Israël » leur montrant ainsi qu’ils étaient ses « époux de sang » (Ex. IV,26) « le peuple crut » (Ex. IV,31) Pour leur sortie d’Égypte, le Seigneur tendit la main et « les eaux se fendirent » (Ex. X, IV, 21) pour que les fils d’Israël passent à pied sec, puis il retira sa main (XIV, 29) pour que les eaux reviennent, « engloutissant les Égyptiens, leurs chars, leurs cavaliers, et leur pharaon ». Dès lors « le peuple mit sa foi dans le Seigneur » (Ex. XIV, 31). A Jéricho, en sept tours de remparts et autant de coups de trompe, les murailles s’écroulèrent et le peuple, convaincu par ce miracle, extermina la population à la seule exception de la prostituée Rabah, l’espionne qui leur avait livré la ville (Josué, VI, 25), et l’adoptèrent dans la tribu. Un autre jour il arrête le soleil et la lune pour permettre à ses élus de massacrer le peuple de Gabaon (Josué, X, 13) afin qu’il « ne subsistât aucun survivant ». (X, 33) Le séjour de quarante ans dans le désert des centaines de milliers d’ « élus libérés » posait des problèmes d’intendance, mais la rosée monta de la terre et « des cailles tombèrent du ciel. » (Ex, 13)
Promesse et toute-puissance: de là naît une conception de l'histoire, forgée pendant des siècles par les «griots» vantant les victoires d'un dieu plus puissant que ceux d'autres ligues tribales: les prophètes expliquent que les évènements tragiques relèvent d'un plan établi par Dieu et que lorsque les tribus israélites étaient envahies et persécutées par les empires vainqueurs, la faute en était à leur infidélité et à leur désobéissance à leur dieu.
Dans cette optique, tous les dirigeants des empires du Moyen Orient sont les instruments nécessaires de la réalisation du dessein de Yahvé. Le puissant et impitoyable roi d'Assyrie est «le fouet de ma colère, le bâton que je lève dans ma fureur». (Is. X, 2) Puis le roi néo-babylonien Nabuchodonosor joue son rôle dans le drame: «Je remets toute la terre entre les mains de mon serviteur Nabuchodonosor, roi de Babylone... Toutes les nations le serviront... Je châtierai par l'épée, la famine et la peste, le peuple et le royaume qui ne le servira pas » (Jér. XXVI,6,7,8) Par contre Cyrus, le roi des Perses ; devient un exécutant fidèle, et le protégé de Yahvé : «Je t'ai honoré alors que tu ne me connaissais pas pour que l'on sache, de l'Orient jusqu'au Couchant, qu'il n'y a rien en dehors de moi...» (Is., 45, 5), « c'est moi qui ai lancé Cyrus et qui lui ai aplani tous les chemins car il reconstruira ma ville et fera revenir mes déportés. » (Is. 45,13)
Ces victoires et ces exterminations de Moïse et de Josué, font d'Israël, – et de l’état sioniste, son héritier – veut-on nous faire croire, un peuple différent de tous les autres peuples. Nous ne manquons pas d'éléments sur la biographie de David, notamment dans les livres de Samuel, des Chroniques et des Rois, sans compter les passages où les évangélistes et les Actes reproduisent à son sujet les références, citées par leur maître saint Paul, insistant surtout sur la fidélité de David aux ordres de Dieu. Or nul, sauf peut être son ancêtre Josué, n'a obéi plus strictement aux ordres de massacres et d'exterminations que l'un et l'autre disaient recevoir du "«dieu des armées». Alors ce thème de «peuple élu » conduit inéluctablement au refus de l’autre. On le constate parfois sur le plan des rapports humains, mais surtout dans les relations internationales où l’état d’Israël a pu, au nom de cette suprématie de l’élection divine, rejeter plus de deux cents fois, depuis sa création, les décisions – même unanimes – des Nations Unies, qui ne sont que lois humaines, aussi bien que les demandes des autochtones palestiniens.
Sur le plan personnel, l’appartenance à cette ethnie particulière conférerait au plus médiocre de ses membres un statut spécial ou des armoiries comme l’écrit impunément un Élie Wiesel (prix Nobel !) qui ose cette affirmation: «  Le juif est plus proche de l'humanité que n'importe qui d'autre »[9], On nous enseigne un Bréviaire de la haine, comme s’intitule le livre de l’un de ces «surhommes», qui nous convient à cracher sur les tombes de tous les autres peuples, à la manière de l'américain Goldhagen qui assimile tout Allemand à un nazi[10], ou de Bernard Henri Lévy qui conclut: «Toute la culture française [de Voltaire à Péguy]… témoigne de notre antiquité dans l'abjection», faisant par cette ruse grossière de la France «la patrie du national-socialisme[11]».
Les conséquences historiques du mythe du « peuple élu ».
Cette conception de la monarchie absolue, celle du dieu tout-puissant d'abord, et celle des rois, qui en découle puisqu'ils sont les «oints» de Dieu, implique un exclusivisme radical et même une xénophobie divine. Dans la conception idolâtrique et tribale qui fut celle des premiers hébreux, Yahvé est un dieu «jaloux». Dans cette religion où Yahvé est seulement le plus puissant des dieux, il donne la victoire aux tribus qu'il protège et dont il a fait le «peuple élu», lui imposant le droit, et même le devoir, d'exterminer tous ceux qui ne partagent pas la foi en Lui.
Ce thème, à cause du choix de l’Église de faire de l’Ancien Testament son récit des origines, a malheureusement connu une postérité sinistre à l’échelle mondiale: les États-Unis puis Hitler ont revendiqué pour eux-mêmes le privilège de l’élection – et nous verrons plus loin à quel suicide planétaire cette prétention, tout aussi dépourvue de fondements lorsqu’elle est baptisée Lebensraum ou Manifest Destiny que lorsqu’il s’agit de revendiquer la Palestine comme «Terre promise», a conduit le monde.

Roger Garaudy 



[1]. Roland de VAUX (O. P.), Histoire ancienne d'Israël. [1], Des origines à l'installation en Canaan, Paris, J. Gabalda et Cie, 1971, p.58.
[2]. Cf. ch. 1.
[3]. R. de Vaux, op. cit., p. 154.
[4]. Bossuet, Discours sur l’histoire universelle. «le vray dieu, le dieu d' Israël, ce dieu un et indivisible » (p. 271) «Mais souvenez-vous, monseigneur, que ce long enchaisnement des causes particulieres qui font et défont les empires dépend des ordres secrets de la divine providence. Dieu tient du plus haut des cieux les resnes de tous les royaumes.» p. 558, partie 3, ch. sept.
[5]. Martin Noth, Histoire d’Israël, édition française, revue par l'auteur Paris, Payot,1954, p. 235.
[6]. H. E. del Medico, La Bible cananénne découverte dans les textes de Raz Shamra, (Paris, Payot, 1950.
[7]. R. Labat, A. Caquot, et al., les Religions du Proche Orient, Paris, Fayard, Denoël, 1970, p.375.
[8]. A. de Pury, Promesse divine et légende cultuelle dans le cycle de Jacob,  Paris, J. Gabalda et Cie, 1975.
[9]. É. Wiesel, Célébration talmudique, Paris, éd. du Seuil 1990.
[10]. D. Goldhagen, dans ses Bourreaux volontaires d'Hitler, Paris,
[11]. B.-H. Lévy, Idéologie francaises, (p.61)