La grande rupture : Jésus
«Je suis venu en ce monde pour une remise en question.» (Jn. IX, 38)
Dans ce monde du désert
d’Arabie, travaillé de promesses, de rêves de puissance et de massacres, deux
réformateurs religieux sont venus pour une autre promesse, non pas celle de
rendre les pauvres riches en leur fournissant par des massacres la terre
d’autrui, devenue le signe de leur «élection» mais en faisant de la pauvreté
une promesse en soi. Jésus puis Mahomet sont porteurs du même message de paix
et de renoncement.
*
* *
Ce que Jésus a remis en
question le plus radicalement, c'est l'idée que l'on se faisait jusque là de
Dieu: d'abord ce n'était plus un super-monarque tout-puissant dirigeant du
dehors et d'en haut le destin des peuples et des empires, mais l'être le plus
démuni de puissance ou de richesse, immergé au milieu des plus démunis de
puissance, et de richesse, et partageant leurs misères, leurs impuissances
jusqu'à la mort la plus infamante: celle que l'on réservait aux esclaves
rebelles (par exemple à Spartacus et à ses six mille compagnons de lutte).
Il remettait en question
l'idée même qu'on se faisait de ce roi: ce n'était plus un roi fainéant qui
aurait créé le monde en six jours et en une seule fois et, satisfait de son
œuvre, aurait dit que cela était bien, de sorte que désormais vouloir changer
cet ordre, établi une fois pour toutes par Dieu, était un sacrilège. Jésus dit
au contraire: «Mon Père jusqu'à présent est à l’œuvre, et moi aussi je suis à
l’œuvre. » (Jn, 17). Il y ajoutait cet-appel à la participation des
hommes, à cette création continuée: «En vérité je vous le dis, celui qui croit
en moi fera lui aussi les oeuvres que je fais, il en fera même de plus
grandes.» (Jn XIV, 12)
Jésus rend visible le « Dieu
caché »
Ne prétendant jamais être
Dieu, mais messager des volontés de celui qu'il n'appelait ni Seigneur ni
Maître, mais son Père, c'est à dire l'Amour sans limite. L'amour du tout de
l'humanité et de la vie.
Il montre aux hommes ce
qu'est la vie véritable: l'amour qui est d'abord l'amour du Tout, prévalant sur toutes nos ambitions ou
nos désirs partiels.
Les Pères de l'Église, ne
s'y sont pas trompés, rappelant le message unique de Jésus ; nous montrer
ce qu’est une vie véritablement humaine, c’est à dire, divine :
« Dieu c’est fait homme pour que l’homme puisse devenir Dieu. » Jésus
n'a jamais prétendu édicter des lois, mais appeler à l'amour. Il n'a jamais
prétendu exclure ou interdire. Il n'a jamais prétendu juger. Jésus
disait : «Je suis venu appeler non pas les justes mais les pêcheurs.» (Mc
II, 12). Il disait au criminel sur sa Croix : « Aujourd'hui tu seras au
Paradis avec moi.» (Luc.23-41) et aux «gens du monde» : « publicains
et prostituées vous précéderont dans le Royaume de Dieu ». IL ne s'est pas
attribué de miracle, répétant à ceux qui lui en prêtaient le pouvoir magique.
« C'est ta foi qui t'a sauvé » (Matth. IX, 22-30-34; McIV, 15; Luc, VIII, 24-VII
43-XVIII, 4243).
Au, lieu de se laisser
appeler «seigneur » (le nom qu'à cette époque les esclaves donnaient à
leur maître et les juifs à leur Dieu ), il ne se laisse appeler ni seigneur ni
maître ni même bon: « Pourquoi m'appelles-tu bon ? Nul n'est bon sinon
Dieu seul ! ». (Luc XVII, 19)
Car Jésus ne prétend
jamais être Dieu mais seulement son messager. Lorsqu’il dit: « Le Père et
moi nous sommes UN » (Jn XII, 45). IL précise aussitôt, qu'Il rend
visible, par ses paroles et ses actions, le Dieu caché : « Qui me voit,
voit celui qui m'a envoyé » (Jn XII, 45). « Je n'ai pas parlé de
moi-même, mais le Père qui m'a envoyé, m'a prescrit ce que j'ai à dire. »
(XII, 40)
Il s'identifie si peu au
Père, qu'il dira sur sa Croix: « Père, si tu veux, écarte de MOI cette
coupe... mais que ta volonté soit faite et non la mienne.» (Lc XXII, 42)
Il ne se réserve pas,
pour Lui seul, le titre de «Fils de Dieu»: « Les pacifiques seront appelés
Fils de Dieu ». (Mt, X, 9)
Le Coran a enseigné aussi
cette vision dynamique du monde que Dieu «ne cesse de créer» (XXXV, 81), «un
dieu qui ne connaît ni cesse ni repos.» (II, 255) «Il commence la création et il
la recommence.» (X, 4). «Il est présent en chaque chose nouvelle. »
Ces révélations toniques
sont plus actuelles que jamais: les périls qui nous menacent sont si grands
qu'ils ne pourraient être conjurés par des mesures économiques ou politiques
partielles, mais par un changement radical dans l'esprit et le cœur des
multitudes, par une nouvelle levée de la
foi. Les disciples demandaient déjà à Jésus: « Que faut-il faire pour
travailler aux œuvres de Dieu ? » (Jn VI, 19)
Ce dieu de Jésus ou de
Mahommet n'est ni un être ni un maître, mais au contraire un appel au combat
pour réaliser ce Royaume. Rien ne nous est promis et personne ne nous attend.
Bonhoeffer voit la
spécificité du christianisme, dans le fait que c'est la seule
"religion" dans laquelle «Dieu est impuissant et faible dans le
monde », «Dieu nous fait savoir qu'il nous faut vivre en tant qu'hommes
qui parviennent à vivre sans Dieu»[1]. C'est ainsi que Jésus nous a rendus majeurs et
responsables: finis les dieux bouche-trous de nos ignorances et de nos
impuissances ! Ce n'est pas Dieu qui a à nous aider, c'est nous qui avons à
aider le Dieu vivant dans sa lutte pour l'avènement du Royaume, à travers
toutes les défaites de l'histoire. Jésus n'est pas venu nous « sauver », comme
un pompier qui tire de l'eau un homme qui se noie. II est venu pour nous sauver
de toutes les religions craintives et plaintives implorant à chaque difficulté,
la "puissance" de Dieu pour nous décharger de notre propre
impuissance. Jésus nous a enseigné à vivre debout, en hommes qui se savent
pleinement responsables de la vie grande et nouvelle dont il nous a montré le
chemin et donné l'exemple. Aucune Église ne peut nous prendre en charge comme
des enfants ou des infirmes, nous pardonner nos fautes ou les punir, nous faire
des promesses parolières qui nous dispenseraient du combat. L'iconoclasme de
Bonhoeffer à l'égard de toutes les caricatures cléricales de la foi est le plus
stimulant des efforts.
Il n'est pas le premier à
s'engager dans cette voie; déjà l'abbé Joachim de Flore, au XIIe siècle,
avait montré que les Églises ne sont pas le Royaume de Dieu, et que l'histoire
des hommes continue sous la propre responsabilité de chacun d'eux habité par l'Esprit tout en tous.
Jésus nous a montré ce
qu'est la plénitude de l'homme. Il demeure le pivot autour de qui flottaient
mes voies changeantes, où, comme dit Leonardo Boff : «J'ai changé, non de
bataille, mais de tranchée.»
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Un Jésus mystique
Le cardinal Ratzinger
disait: « Jésus met en question tout 1'Ancien Testament[2]. » Ce qu'il y a de plus inouï dans le
message de la vie de Jésus c'est l'annonce que tout est possible et que nous ne
devons pas nous en remettre à un Dieu puissant, Zeus ou Yahvé, pour accomplir
notre destin.
Comme écrivait le pasteur
Bonhoeffer avant d'être exécuté par les nazis : « Le christianisme est une
nouvelle manière de vivre sans espérer un appui externe, et à mourir sans la
promesse d'une autre vie. Être chrétien ne signifie pas, écrit-il, être
religieux, il veut dire être homme. Jésus ne nous a pas appelé à une nouvelle
religion, mais à la vie, à une vie totalement responsable[3]. »
Nous sommes totalement
responsables ; Dieu ne parlera jamais si tu ne lui prêtes pas ta bouche, il
n'agira jamais si tu ne lui prêtes pas tes mains.
La naissance virginale de
Jésus n'est pas autre chose que la merveilleuse image de cette universalité de
Jésus. L’un des Pères de l’Église, Clément d’Alexandrie, disait de Jésus, en
193 : « Il n’est ni barbare, ni juif, ni grec, ni homme ni
femme ; c’est l’homme nouveau, transformé par l’esprit saint de Dieu[4]. »
La Résurrection de Jésus,
c'est le passage de la mort à une vie nouvelle que partagent avec Jésus tous
ceux qui croient en Lui, et c'est pourquoi Jésus, dans les Évangiles, n'est
apparu, comme ressuscité, qu'à ceux qui croyaient en Lui.
Or Jésus, bien que les
auteurs des Évangiles décrivent ses miracles, ne s'attribue aucun pouvoir
magique, il ne cesse de rappeler l'essentiel : « C'est ta foi qui t'a
sauvé! » (Mat. 9, 22;15, 28 ; Mc 5, 30-34, 10, 52; Lc 7, 50; 8,
45-48;17, 19) Matthieu précise même qu'à Nazareth « Il n'a fait aucun
miracle du fait que les gens ne croyaient pas en Lui » (13-58). Marc dit
aussi : « IL ne pouvait en cet
endroit accomplir aucun miracle » (Mc, 7-5)
Comme si croire à la
Résurrection n'était que croire à un événement miraculeux du passé et n'était
pas une foi vivante et active: Jésus est vivant. La résurrection peut se
produire tous les jours, c’est-à-dire le passage d'une vie à une vie nouvelle,
le passage d'une vie qui n'a pas de sens (c’est-à-dire la mort) à une vie qui a
un sens, soit à une vie proprement humaine. Ce n'est pas une Résurrection
matérielle et miraculeuse survenue il y a deux mille ans, comme le retour d'un
corps que l’on peut palper, ou voir manger du poisson grillé. De même l'on n'a
pas besoin de preuve comme celle du tombeau vide ou du suaire de Turin.
La Résurrection
n'appartient pas au passé. Elle n'appartient pas, non plus, au futur comme une
promesse de la fin des temps qui nous garantirait que nous bénéficierons du
même événement magique pour ressusciter quand viendra notre tour. La
Résurrection c'est le présent et la présence, la présence de Jésus vivant et
non reconstruit à partir de mythes antiques de l'Ancien Testament, Il vit en
nous pour nous rendre présent en chaque instant la possibilité de choisir une
vie nouvelle.
La théologie de la Croix
n'est pas une exaltation de la douleur. Ce n'est pas la douleur qui libère et
qui sauve. C'est l'espérance et l'amour actif pour mettre fin à cette douleur.
La foi dans la Résurrection c'est donc le choix d'une forme de vie nouvelle, un
engagement de notre être entier. Non seulement une adhésion intellectuelle, ou
une effusion sentimentale, mais une action concrète pour accomplir ce que la
vie de Jésus nous a enseigné. Au centre de sa prédication, il y a l'annonce du
Royaume; elle implique pour nous l'engagement de le faire advenir.
*
* *
L’option préférentielle pour les
pauvres
La naissance de Jésus
montre déjà son appartenance radicale. Jésus est, dès le départ, ce que nous
appellerions un SDF (sans domicile fixe) : l’on nous montre Marie, lors de son
accouchement, obligée de "déposer dans une mangeoire", à l'étable, le
nouveau-né "parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans la salle
d'hôte." (Lc II, 7).
La « bonne
nouvelle » est annoncée aux pauvres (Mat 11-5). L'appel de Jésus est sans
équivoque. Quand au Jugement dernier les justes nous demanderont : « Quand
nous t'avons vu affamé et que nous t'avons alimenté et vêtu, malade ou en
prison, nous sommes venus vers Toi. », la réponse est claire :
« Chaque fois que vous avez fait cela à l'un des plus petits d'entre vous,
qui sont mes frères, c'est à MOI que vous l'avez fait. » (Mt. 25-37, 40)
Cette option prioritaire
pour les pauvres fut rarement celle des «théologies de la domination», des
grands prêtres et des maîtres de la terre, plus ou moins liés au pouvoir quand
ils n'étaient pas ses complices Jésus, est sans aucun doute sévère à l'égard
des riches et des puissants. Aucun d'eux ne peut entrer au Royaume des cieux.
(Mc, 10-23-24 ; Lc, 17-24)
Saint Jacques, animateur
de la communauté de Jérusalem, soulignait avec la plus grande force que c'est
un devoir inconditionnel que nous avons à l'égard des pauvres, il écrivait dans
son Épître : « Riches, votre richesse est pourrie » (Jb 5-1) ou
encore « A quoi nous servirait d'avoir la foi si nous n’avons pas les
œuvres, si un frère ou une sœur n'ont rien à manger tous les jours, sans que tu
lui donnes de ta subsistance, à quoi servirait ta foi. La foi est inopérante
sans les œuvres ». L'homme est justifié par ses oeuvres et pas seulement
par sa foi. (Jb 2-14-16 et 20-24)
La bonne nouvelle du
Royaume est annoncée aux pauvres (Mat., 11-5) (Lc, 7-22) et saint Jacques nous
dit : « Dieu a choisi les pauvres » (Jb 2-5) Alors qu'il est
difficile pour un riche d'entrer dans le royaume des cieux (Mc, 23-24) (Lc,
18-24) et au contraire « les pauvres sont les héritiers du Royaume »
(Jb 2-5)
Ces préceptes originels
sont encore vivants dans la communauté chrétienne car ce sont eux qui inspirent
directement les théologies de la libération dans leur option préférentielle
pour les pauvres, telle qu'elle fut affirmée à Vatican II et à la conférence de
Medellin.
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Il n'existe aucun
précédent de ce que fut Jésus dans les images que les peuples se faisaient
jusque là de Dieu.
1. - Il n'est pas
l'héritier du condottiere David tel que la Bible nous raconte sa vie dans
Samuel 1 et 2, et dans le Livre des rois.
Le parallèle est pourtant difficile sans compter les passages où les
évangélistes et les Actes reproduisent à son sujet les références, citées par
leur maître saint Paul, insistant surtout sur la fidélité de David aux ordres
de Dieu. Il est vrai que, de ce point de vue, nul, sauf peut être son ancêtre
Josué, n'a obéi plus strictement aux ordres de massacres et d'exterminations
que l'un et l'autre disaient recevoir du "Dieu des armées". (Voir ce
que fait, d’après l’Ancien Testament, la vie de David)
2. - Sa vie et sa mort
excluent toute extériorité d'un Dieu. Il est pleinement homme comme il est
pleinement messager de Dieu en se révélant d'abord aux pauvres, aux démunis.
3. - Sa vie et sa mort
mettent fin à l'idée maudite d'un "peuple élu" qui est le propre de
toute les religions tribales et de leurs dieux jaloux et partiaux en faveur de
leur peuple, leur donnant la terre et la victoire par des massacres. Il est
significatif que par sa naissance virginale que Jésus ne soit le fils d'aucun
homme particulier, ni chrétien, ni juif, ni chinois, ni noir… Il est le fils de
l'Homme inséminé de Dieu.
Jésus exige l’abandon de
tout ce qui nous est propre et que résume la propriété. Au jeune homme riche,
qui respectait tous les commandements de la loi, Jésus dit : « Il te manque une seule chose : tout ce
que tu as, distribue-le aux pauvres, après viens et suis-moi ». (Lc
18-20).
Il en fut ainsi pour
Simon, pour Jacques, et pour Jean : « laissant tout ils le suivirent (Lc
5-11). Abandonnant tout, il se leva et le suivit. » (Lc 5-28)
« Quiconque parmi
vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple »
(Luc 14-33)
Ce renoncement au petit
"moi", est la condition de l'éveil et de la prise de conscience.
Tel est le prix de la
Résurrection, de la réalité du Royaume, un Royaume dans lequel on n'entre pas
par la conquête, comme DAVID, mais par le renoncement.
Ce Royaume est déjà là où
un homme réalise ce renoncement total. S'il n'est pas encore là c'est que ceci
ne s'est pas encore réalisé dans tous les hommes. La tension entre le choix de
l'éveil personnel à la vie du tout et le « pas encore » de l'éveil de
tous à la vie du tout, est la tragédie optimiste du réveil, car chacun de nous
est responsable de l'éveil de tous.
*
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L'Islam vivant
Les messages de Mahomet,
à la Mecque, sont proches de ceux de Jésus dans les Evangiles. Ils nous
révèlent, comme lui, ce que doit être la vie personnelle véritable d'un homme
total, c'est à dire habité par Dieu. Cela suffit pour que les riches Mecquois
mettent à prix sa tête et le vouent à la mort, comme les grands prêtres
sadducéens, reniant leur propre Dieu, qui, selon leurs paroles, était leur seul
roi, disaient à Pilate, pour faire condamner Jésus comme «roi des juifs» : nous
n'avons qu'un seul roi: César. Ils obtiennent que Jésus soit crucifié. Mais
Mahommet, lui aussi menacé de mort, réussit, avec ses plus fidèles compagnons,
réussit à échapper au complot et à gagner Médine où il devint chef d'État.
C'est une expérience
historique unique: en restant fidèle à l'enseignement de Jésus sur la vie
personnelle de l'homme, comment maintenir le cap lorsqu'on a la responsabilité
d'un peuple et d'un État et qu'il faut gouverner sans renier les principes de
la vie personnelle? Mahomet commence par universaliser le message: il ordonne
d'honorer tous les prophètes antérieurs, envoyés par le même Dieu: Abraham ou
Jésus, qu'il place au dessus de tous les prophètes par sa naissance
surnaturelle (d'une vierge), et qu'il salue du nom de Messie (non au sens
hébraïque de souverain d'un peuple élu, mais comme le sauveur de tous les
hommes et de tous les temps), celui qui réalisera le «Royaume de Dieu».
L’Islam n'est pas une
religion nouvelle qui serait née avec la prédication du prophète Mahomet: Allah
n'est pas un Dieu particulier, propre aux musulmans. Allah, "le Dieu"
, est la traduction littérale du mot désignant le Dieu unique. Un chrétien de
langue arabe, dans sa prière et sa liturgie, dit Allah, pour invoquer Dieu.
Islam signifie : abandon volontaire et libre à Dieu seul, ce qui est le
dénominateur commun de toutes les religions révélées : juive, chrétienne,
musulmane, depuis que Dieu a "insufflé en l'homme de son esprit"
(Coran XV, 29), c’est-à-dire depuis le premier homme.
Le Coran, de la manière
la plus explicite, définit ainsi l'Islam: Dieu commande à Mahomet de dire :
"Je ne suis pas un innovateur parmi les prophètes." (XLVl, 9). Il lui
rappelle à maintes reprises : "Nous avons envoyé des prophètes avant
toi...". (XIV, 30; XV, 10 ; XVI, 43 ; XXX, 47; XL, 78) "Mahomet , dit
le Coran (111, 144), n'est qu'un prophète; des prophètes ont vécu avant
lui". Tous furent messagers du même Dieu. Abraham, par sa soumission
inconditionnelle à la volonté de Dieu, au-delà de nos petites morales et de nos
petites logiques humaines, est le «père des croyants» et leur guide exemplaire
(II, 124). «Votre religion, dit le Coran (XXII,72), est la religion de votre
père Abraham.» Lorsque est évoquée la visitation d'Abraham, il est appelé
«musulman», muslim, c’est-à-dire:
«soumis à Dieu» (LI,36), des siècles avant le prophète Mahomet.
Jésus, bien qu'il ne soit
pas considéré, dans le Coran, comme Fils de Dieu, occupe, parmi les prophètes,
une place exceptionnelle car aucun autre, même Mahomet, n'est né d'une vierge.
Dieu dit, dans le Coran, à propos de Marie (XXI, 91) : «Celle qui est restée
Vierge, nous insufflâmes en elle de Notre esprit, et nous fîmes d'elle et de
son fils un signe pour le monde.»
Le verset suivant ajoute
: «Cette communauté, qui est la vôtre est une communauté unique.» (Formulation
que l'on retrouve identique, en XXIII, 52).
Écartant, toute
interprétation particulariste prétendant la réduire aux seuls disciples de
Mahomet, le Coran définit cette communauté universelle : «Dites: Nous
croyons à Dieu, à ce qui nous a été révélé, à ce qui a été révélé à Abraham, à
Ismail, à Isaac, à Moïse, à Jésus, et à ce qui a été donné aux Prophètes de la
part de leur Seigneur Nous ne faisons point entre eux de différence, et nous
nous soumettons à Dieu.» (II, 136; 111, 84 et XXIV, 46)
Dieu, dans le Coran,
ordonne aux musulmans d'honorer les prophètes des juifs et le messie des
chrétiens. (IV, 15 1 ; LVII, 18)
Le prophète Mahomet vient
rappeler à tous les hommes la religion primordiale : «Tiens-toi debout, en vrai
«hanif» qui professe la religion primordiale, la religion naturelle, celle que
Dieu a inscrite au cœur de tout homme. C'est un don universel et immuable que
Dieu a fait à ses créatures. Telle est la vraie religion, mais la plupart des
hommes ne savent pas.» (XXX, 30)
Son problème fondamental
est de montrer comment l'homme peut participer à cet acte de création d'un
monde toujours en naissance, acte de Dieu dont le Coran révèle qu'il ne cesse
de créer.
Nous ne pouvons le
connaître que par les «signes» (ayat)
de son action: qu'il s'agisse du monde visible de la nature, des événements de
l'histoire des hommes ou des révélations de ses prophètes.
La vision dynamique du
monde, dans le Coran, découle de cette incessante action créatrice de Dieu. Il
est «le Vivant» (Il, 255 ; III, 2, etc.) ; «Le Créateur par excellence, Celui
qui ne cesse de créer » (XXXV, 81) ; Celui «qui est présent en chaque chose nouvelle»
(LV, 29). Cette création continuée maintient en existence (II, 255) toute
chose. Contrairement à la Genèse (II, 2), Il ne connaît ni cesse ni repos (II,
255). «Il commence la création et la recommence» (X, 4).
La sharia coranique nous donne ainsi les principes directeurs d'une
indispensable recherche de moyens d'une autre « modernité » que celle de
l'Occident. Cette recherche, dont les grands juristes du passé nous ont donné
l'exemple en faisant l'effort nécessaire ("ijtihad") pour résoudre
les problèmes de leur temps, chacun de nous est personnellement responsable de
l'accomplir pour contribuer à la solution des problèmes de notre temps. Et tout
d'abord de passer d'une société fondée sur le profit (monothéisme du marché), à
une société fondée sur des valeurs (qui ne seraient pas des valeurs
marchandes).
Le mot «sharia» peut recevoir une définition
précise de par la paucité des occurrences du terme dans le Coran: le mot tel
quel n'est employé qu'une fois dans le Coran (45, 18) et dans trois autres versets
apparaissent des mots de même racine : le verbe «shara'a» (42,13) et le substantif «shir'a» (5, 48). En quoi consiste cette «voie» (sharia) ? C'est ce qui nous est précisé
en 42, 13 : «En matière de religion il vous a ouvert une voie (ici c'est le verbe
«shara'a») qu'il avait recommandée à
Noé, celle-là même que nous t'avons révélée, celle que nous avons recommandée à
Abraham, à Moïse, à Jésus : suivez-la, et n'en faites pas un objet de
division.»
Il est donc parfaitement
clair que cette voie est commune à tous les peuples, à qui Dieu a envoyé ses
prophètes (à tous les peuples et dans la langue de chacun d'eux). Or les codes
juridiques concernant par exemple le vol et sa punition, le statut de la femme,
le mariage ou l'héritage sont différents dans la Thora juive, dans les
Évangiles des chrétiens, ou dans le Coran. La sharia (la loi divine pour aller à Dieu) ne peut donc pas inclure
ces législations (fiqh) qui, à la
différence radicale de la sharia
commune à toutes les religions, diffère avec chacune d'elles selon l'époque et
la société où un prophète a été envoyé par Dieu. Dieu dit dans le Coran (13,
38) : «À chaque époque un livre», et encore «il n'existe pas de communauté où
ne soit passé un prophète pour l'avertir» (35, 24 et 16, 36).
*
* *
Un Islam vivant doit
s'enrichir par la réflexion critique sur le développement des sciences.
Un Islam vivant doit
s'enrichir chez les grands explorateurs de l'âme qui en ont reconnu les
dimensions divines, des Upanisads de l'Inde au Taoïsme de Tchouang-Tseu, à Kierkegaard,
à Dostoïevski. Selon la recommandation de Ghazali dans son " Ihud "
(en particulier dans le chapitre qu'il consacre à l'amour) : la «revivification
des sciences» exige l'expérience soufie de l'intériorité, celle d'Attar et de
Roumi, de Junaîd, de Sohravardi, d'Ibn Arabi, celle de Mohammed Iqbal, comme de
maître Eckart, ou de Saint-Jean de la Croix.
Cette ouverture à la vie
intérieure et à la vie spirituelle de toute l'humanité est la voie royale de la
renaissance des sciences dans le monde islamique.
La théologie musulmane
sera d'autant plus riche qu'elle saura intégrer les plus profonds apports de
l'exégèse et de la théologie des spiritualités antérieures.
Quant à la nécessité
d'une lecture allégorique, le Coran lui-même nous donne les clés de sa propre
lecture, les principes de son interprétation ("tafsir"), qui portent
à la fois sur la signification de la parole, et sur l'application de ses
principes à des problèmes nouveaux.
"Dieu, dit le Coran (XIII, 17), propose en paraboles le vrai et le faux,
" ou encore, (XIV, 25): " Dieu
propose aux hommes des paraboles, peut-être réfléchiront-ils ? " ou
encore (XXX, 27) : " Dieu vous a
proposé une parabole... voilà comment Nous proposons Nos signes à des hommes
qui réfléchissent. "
Ceci est répété et illustré
maintes fois (Il, 266; XIV, 24, etc.).
Ce symbolisme découle de
la transcendance de Dieu.
C'est une condition
nécessaire pour échapper aux perversions d'une lecture littérale, décharnée par
le dogmatisme de dix siècles de gloses : ne pas confondre ce qui est parabole
pour désigner un sens, de ce qui est parole historique comme réponse directe à
une question.
Ce qui est commun a tous,
c’est le message divin, trop souvent corrompu, mais qui se ramène a un
enseignement très simple , l'unité de Dieu (attawhid
billaah) sans laquelle le monde serait un chaos -, l'unité humaine, aucun
homme ne pouvant être supérieur aux autres, sinon par sa piété ; l'unité du
sens de la vie que Dieu nous indique par ses " signes " (ayat),
depuis les phénomènes de la nature et les événements de l'histoire, jusqu'aux
paroles des Prophètes : la responsabilité de l'homme et son devoir d'agir pour
transformer le monde et les sociétés humaines en se conformant à la volonté de
Dieu.
Malheureusement,
l’histoire de chaque religion comporte des étapes de falsification du message
divin, auquel le pouvoir cherche à imputer des distorsions qui conviennent à
ses abus d’autorité. Nous allons rappeler quelques unes des étapes cruciales
dans l’élaboration du christianisme institutionnel, pour montrer comment la
première manipulation est celle des mots libérateurs, qui sont délaissés au
profit d’une « langue de bois » qui paralyse la réflexion et bloque
la respiration naturelle du sens commun.
Roger Garaudy
Roger Garaudy
A SUIVRE
[1].
Bonhoeffer, Résistance et soumission,
p. 762 Il y a deux éditions, l’une fait 211 p., l’autre 444! Titre(s) : Dietrich Bonhoeffer. Résistance
et soumission [Texte imprimé][?Widerstand und Ergebung?], lettres et notes de
captivité. Traduction française de Lore
Jeanneret, Genève : Labor et fides, 1963
In-16 (20 cm), VI-211 p., et Résistance et soumission [Texte imprimé] :
lettres et notes de captivité / Dietrich Bonhoeffer ; éd. par Eberhard Bethge ;
trad. de Lore Jeanneret Traduction de
: Widerstand und Ergebung, Nouv. éd.
Genève : Labor et fides ; Paris : diff. Librairie protestante, 1973
[2].
J. Ratzinger, Cours de théologie TUBINGEN (1966 et 1967) page 38 à 43
[3]. Bonhoeffer, Op. cit.
[4].
Protreptique XI, 112.