04 novembre 2015

L'escalier du temps...




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Je découvris que je n'aimais pas vivre à l'étage du salon de la société. Intellectuellement, je m'y ennuyais. Moralement et spirituellement, cela me rendait malade. Je me rappelai mes intellectuels et mes idéalistes, mes prédicateurs défroqués, mes professeurs brisés, et les ouvriers avec leur esprit propre et leur conscience de classe. Je me rappelai mes jours et mes nuits sous la lumière du soleil et des étoiles, là où la vie tout entière était une merveille sauvage et douce, un paradis spirituel d'aventure généreuse et de roman éthique. Et j'aperçus devant moi, toujours brûlant et flamboyant, le Saint-Graal.

Jack London
Ainsi, je suis retourné à la classe ouvrière dans laquelle je suis né et à laquelle j'appartiens. Je n'ai plus envie de monter. L'imposant édifice de la société qui se dresse au-dessus de ma tête ne recèle plus aucun délice à mes yeux. Ce sont les fondations de l'édifice qui m'intéressent. Là, je suis content de travailler, la barre à mine à la main, épaule contre épaule avec les intellectuels, les idéalistes et les ouvriers qui ont une conscience de classe - et nous donnons de temps en temps un bon coup de cette barre à mine pour ébranler tout l'édifice. Un jour, lorsque nous aurons un peu plus de bras et de barres à mine, nous le renverserons, lui et toute sa pourriture et ses morts non enterrés, son monstrueux égoïsme et son matérialisme abruti. Puis nous nettoierons la cave et construirons une nouvelle habitation pour l'humanité. Là, il n'y aura pas de salon, toutes les pièces seront lumineuses et aérées, et l'air qu'on y respirera sera propre, noble et vivant.

Telle est ma vision. J'aspire à un temps où l'homme aura une perspective plus haute et plus vaste que son ventre. Un temps où l'homme sera poussé par un stimulant plus intéressant que le stimulant d'aujourd'hui, qui est celui de son ventre. Je conserve ma foi en la noblesse et l'excellence de l'être humain. Je crois que la douceur spirituelle et la générosité finiront par avoir raison de la grossière gloutonnerie actuelle. Et, pour conclure, ma foi va à la classe ouvrière. Comme le disait un Français :  « L'escalier du temps résonne à jamais du bruit des sabots qui montent et de celui des souliers cirés qui descendent. »
Jack London, Newton, Iowa, Novembre 1905
Ce que la vie signifie pour moi, Les Editions du Sonneur, pages 34 et 35