21 novembre 2015

La clef de nos problèmes. Par Roger Garaudy


Ilya Kabakov. Le bateau de ma vie. 1995

La clef de nos problèmes [chômage, immigration, terrorisme, NDLR] se trouve dans un changement radical de nos rapports avec le tiers-monde, et dans un changement tout aussi radical du modèle occidental de croissance.
Le deuxième objectif sera, avec cet éveil et dans le même temps que cette « conscientisation », une « reconversion » progressive de notre travail en fonction non d'un égoïsme national qui ne résoudra aucun problème et les aggravera tous, mais des besoins du monde dans sa totalité et d'abord de la partie la plus démunie : le tiers-monde.

Madame Susan George* a dessiné l'épure de cet
ordre économique international nouveau, symétriquement
inverse de celui du F M I qui aggrave le déséquilibre
mondial.
Le problème majeur posé par la dette est celui des
priorités dans les importations et les exportations. Le
changement, sur ce point, pourrait s'amorcer en traitant
avec les producteurs eux-mêmes. Par exemple avec
les coopératives agricoles et les syndicats, de préférence
aux gouvernements. Et ce afin de s'orienter vers la
satisfaction des besoins réels, surtout de l'immense
majorité paysanne, et vers la suffisance alimentaire de
tous et non du luxe de quelques privilégiés dans des
concentrations urbaines cernées de bidonvilles.
Ainsi, on pourrait aider le tiers-monde à se détacher
le plus possible du marché mondial. Il ne pourra mettre
fin au génocide alimentaire auquel il est soumis par le
post-colonialisme qu'en multipliant les échanges Sud-
Sud, et, pour échapper à la tyrannie des devises

Susan George, Jusqu'au cou, Éditions de la Découverte, Paris, 1988

étrangères, en procédant à ces échanges sur la base
du troc.
Ce type nouveau de relations avec le tiers-monde
comporterait des avantages réciproques.
Pour les pays du tiers monde, la possibilité de
créer des modes de développement endogènes, et
non de subir les modèles imposés par le FMI, qui
perpétuent leur dette, leur dépendance et leur
misère.
Pour les pays industrialisés, la nécessité de répondre
aux besoins réels du tiers monde stimulerait le
mouvement de reconversion des industries afin de
satisfaire nos besoins réels et non de fabriquer nos
armements et nos gadgets. C'est la seule solution au
problème central du chômage.
[...]
Nos politiciens n'ont cherché que des expédients [...]
La seule solution radicale est l'ouverture au tiers-monde,
dont les besoins, et donc les débouchés,
sont immenses, à condition de ne pas les considérer
comme un déversoir pour le trop-plein de nos économies
difformes produisant plus pour le gaspillage,
l'armement et le trafic d'armes, que pour les besoins
réels des peuples, le nôtre et les leurs.
Voilà qui implique une politique de reconversion
systématique pour répondre à des besoins véritables.
L'Afrique noire n'a guère besoin de gadgets, de
collants ou de déodorants. Une infinité de capteurs
solaires lui serait plus utile pour maîtriser sa plus
grande source d'énergie : le soleil. Ces reconversions
posent le problème clé du chômage, et même de l'avenir
de la consommation dans nos propres pays.
Un autre problème majeur trouverait également sa
solution dans ces rapports radicalement nouveaux avec
le tiers-monde : celui de l'immigration. La seule
méthode, à la fois humaine et réaliste, d'enrayer les
« invasions » de la misère, est de ne pas acculer à la
faillite, au désespoir et à l'exil, des peuples dont la
colonisation et les modèles occidentaux de développement
ont déstructuré les économies, entraînant ainsi la
désertion des campagnes et, dans les villes, le chômage
et la clochardisation.
Enfin, une telle mutation ne peut se faire « par en
haut ». Elle exige au contraire la participation de tous
par la création de communautés de base et de réseaux
de résistance au non-sens.
Ici encore, si le but est de multiplier les communautés
de base professionnelles orientées vers la reconversion
de l'économie pour donner à tout travail sa finalité
humaine, la priorité dans le temps, pour préparer cette
mutation des fins et des moyens, est celle de communautés
de base à la fois d'information et de réflexion.

Roger Garaudy
Extrait de "Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants"