Yvon Le Corre, marin, peintre et aquarelliste, ivre de mer
afp.com/Valery Hache
"Je suis un peu anar sur les bords"... Le regard bleu océan d'Yvon Le Corre se fait malicieux et un sourire enfantin éclaire le visage du peintre-aquarelliste-navigateur, indigné d'avant la lettre et, par-dessus tout, homme libre.
Girl Joyce, c'est un magnifique "hooker" (ligneur), né en 1855 à Plymouth, dans le sud-ouest de l'Angleterre, un voilier en bois qui porte fièrement ses lettres de pilotage, H11, dans la grand-voile à corne. Récupérée sur une vasière de la Rance en 2002, cette "fille de joie" est à l'image de son propriétaire: authentique et loin des modes.
Aujourd'hui âgé de 72 ans, Le Corre habite Tréguier (Côtes-d'Armor), dans une vieille et belle maison à colombages reconstruite de ses mains, non loin de celle d'Ernest Renan. C'est là qu'il a posé son sac en 1979 et travaille, dans l'atmosphère complice d'un atelier aussi chaleureux que le carré de Girl Joyce.
Un jardin de curé sépare sa maison de celle d'Azou, sa compagne et mère de leurs deux enfants, Youn et Marie.
Né à Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor) de parents instituteurs, Le Corre a découvert la mer à 12 ans à bord d'un chalutier sur lequel son père l'avait expédié "pour (le) punir d'une n-ième connerie". Un père perdu de vue à 20 ans et dont il n'aura "connu que le ceinturon".
Un temps professeur de dessin -il a enseigné l'aquarelle à un autre navigateur, Titouan Lamazou-, auteur de nombreux livres ("Les outils de la passion", "Taïeb", "Carnet d'Irlande", etc.) et voyageur infatigable à la découverte de l'autre, de l'Ecosse aux îles du Cap-Vert et au Brésil en passant par le Maghreb, Yvon Le Corre possède de multiples facettes.
Sa vie n'est qu'une suite d'aventures, d'engagements politiques, de coups de coeur, de combats. Toujours rebelle, insoumis, inclassable.
A deux reprises, il refusera d'être nommé au poste prestigieux de peintre de la Marine, comme il déclinera la médaille de chevalier des Arts et des Lettres.
"J'ai toujours milité et je continue", lance-t-il, rappelant son appartenance au PCF ("j'ai déchiré ma carte quand ils ont viré Roger Garaudy") et son engagement contre la guerre en Irak, en 2003.
Lorsqu'il ne navigue pas, Le Corre travaille dans son repaire. C'est dans ce havre hors du temps qu'il a écrit, réalisé et publié à compte d'auteur son dernier ouvrage, "L'ivre de mer".
Une devise de Che Guevara -"Endurcis-toi sans jamais perdre la tendresse"- est peinte sur une poutre de l'atelier et la barre d'Iris -l'un de ses premiers bateaux- sert de rampe d'escalier. Celle d'Eliboubane -une chaloupe sardinière donnée à un pêcheur du Cap-Vert- est fixée au plafond.
Amoureux de Joshua Slocum ("sans doute le plus grand" navigateur solitaire), d'Alain Gerbault ("ce n'était pas un très grand marin mais je l'admire pour sa volonté") mais aussi de Steinbeck et de Jorge Amado, Le Corre ne cache pas un "immense respect" pour les peintres Mathurin Méheut et Marin Marie.
En 2005, il part une première fois, seul, à la barre de Girl Joyce vers Tristan da Cunha, une île perdue aux confins de l'Atlantique Sud. "Parce que ce sont des gens qui ont une belle histoire et vivent à la limite des 40e Rugissants."
Une avarie le contraint à faire demi-tour vers la Bretagne après avoir encaissé un coup de chien au large de la péninsule ibérique. Deux fois encore, il tentera l'aventure, sans succès, vaincu par des problèmes de santé.
Aujourd'hui, les médecins lui interdisent les navigations au long cours et il se contente d'échappées plus modestes. Et d'ailleurs, assure-t-il, rien ne vaut une descente de la rivière de Tréguier jusqu'à son embouchure, jusqu'à cette île d'Er qu'il chérit tant, par une belle journée d'automne.