16 décembre 2011

Parti communiste: Aragon au Comité central d'Argenteuil (mars1966)

ARAGON fut le rapporteur de la résolution du Comité central du PCF qui se tint à Argenteuil du 11 au 13 mars 1966. Voici quelques extraits de son texte, jamais publié jusqu'ici. Il s'agit de transcriptions réalisées d'après un enregistrement vocal.

PREAMBULE
«J'ai à vous présenter les résultats des travaux de la commission de résolution, je vais en abuser pour vous dire quelques mots à titre individuel en dehors de ses travaux puisque je n'ai pas pris la parole au cours du premier Comité central entièrement consacré aux questions idéologiques que nous ayons eu depuis que je suis membre du Parti, c'est-à-dire depuis 1927.»


L'ART DE LA RESOLUTION
«(...) Permettez-moi de dire que c'est un de mes souhaits les plus ardents que dans les documents que notre parti émet, il n'y ait jamais, ou enfin qu'exceptionnellement, de documents dont on puisse se dire en se réjouissant c'est un document complet. Je suis partisan des documents incomplets, nous avons fait trop de documents complets que nous avons été seuls à lire. Il s'agit de dire l'essentiel et de savoir négliger des choses, l'art de la résolution est là et non pas dans le contraire.»


A PROPOS DU LANGAGE
«Actuellement il se pose dans le peuple français en général, parmi les intellectuels certainement, des questions assez urgentes pour que si on nous attend, ce ne soit pas nécessairement au coin d'un bois, mais pour ça il faut que nous pensions à écrire les choses dans un langage compréhensible pour tous et non pas dans notre habituel jargon. Notre habituel jargon, c'est entendu, est le résultat d'un certain nombre de choses et parfois il nous est commode mais ici ça n'est pas pour parler entre nous, il faut que nous parlions à d'autres gens, il faut qu'ils nous entendent et donc peut-être certains de vous auront été choqués par telle ou telle expression, façon de tourner les choses dans le projet, parce que ce n'est pas notre façon habituelle de nous exprimer.»


A PROPOS DE ROGER GARAUDY

«(...) Mais quand on lit le texte de quelqu'un d'autre et ceci est valable de parler d'autre dans la discussion qui vient de s'établir au cours de ce Comité central, quand on cite les choses prises dans les textes d'un autre, on les cite le plus souvent me semble-t-il avec un oeil sélectif étant donné qu'on a une idée a priori avant de commencer à lire que le camarade en question fait fausse route, on le lit en lui prêtant ce qu'on pense que lui pense et il est certain que cela change le caractère de ce qu'on lit, il est difficile de dire que tel ou tel camarade commet par-là une falsification, c'est une erreur de lecture et une erreur subjective de lecture et ce n'est pas la même chose et je voudrai que ce soit en ce sens qu'on entende ce que je vais dire. Ce n'est pas la même chose d'ignorer que le travail de notre camarade Roger Garaudy est un travail que j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt et grandement approuvé en son ensemble, ce qui ne veut pas dire que le cas échéant je n'aurai pas sur des points de détail des remarques à faire au camarade Garaudy mais que dans les circonstances actuelles je préférerai me couper la langue plutôt que de les faire. C'est d'ailleurs un petit reproche que je fais. Il aurait mieux valu créer les conditions dans lesquelles j'aurai fait des reproches au camarade Garaudy. Mais je pense très profondément que son travail a été extrêmement bénéfique - d'ailleurs même les camarades, qui lui cherchent des poux si je puis dire, l'ont reconnu (...). Aussi je regrette beaucoup moins le fait, par exemple, qu'ait pu être citée telle phrase du camarade Garaudy hors de son sens peut-être parce qu'une certaine passion qui est le fait de la jeunesse et que je comprends et qui est une chose de lecture effectivement, fait que tel camarade ne pouvait pas ne pas comprendre les choses comme ça.
«Chers camarades, c'est plutôt de la façon dont ceci est accueilli que je parle, que de la façon dont ceci est dit parce que je ne suis pas sûr que le fait que ceci soit par beaucoup d'entre nous accueilli comme cela a été lu, n'implique pas un jugement a priori qu'implique après les conversations privées le nom même et le nom seul de Roger Garaudy et non pas ce qu'il dit.»

A PROPOS DE LINGUISTIQUE
«(Par exemple) Il y a un cas tout à fait caractéristique, c'est une phrase dans un livre que j'ai écrit à l'époque surréaliste quatre ans avant mon adhésion au Parti, un livre qui s'appelle «le Libertinage» où il y a un conte qui s'appelle «Lorsque tout est fini». C'est une histoire dont le personnage qui parle à la première personne est un membre de la bande à Bonnot, un anarchiste, un voleur et un assassin et qui plus est un donneur qui donne ses camarades de la bande à la police et ce personnage dit la phrase suivante: «Nous sommes ceux qui donnerons toujours la main à l'ennemi.» Chers camarades depuis 1923, depuis quarante-trois ans je suis persécuté par les gens qui me rapportent cette phrase comme l'expression de mes sentiments intimes, à tel point qu'en 1946 dans le 1er arrondissement quand le Parti m'a présenté comme grand électeur aux élections sénatoriales, je me suis trouvé un jour en sortant de chez moi, rue de La Sourdière dans le 1er arrondissement en face d'une affiche apposée sur la maison à côté de la mienne où il y avait cette phrase en énormes lettres, signée Louis Aragon. C'est très simple, ce procédé est un procédé très connu, c'est d'ailleurs le procédé qui a établi en général l'accusation du procès Daniel Siniavski. Dans ce procès, je parle de ça parce que très peu de gens ont lu les textes, et certainement pas le procureur de l'Union soviétique qui a sûrement lu un texte ou on lui a apporté un certain nombre de phrases détachées mais détachées suivant le système qui a servi contre moi aux gens dans les conditions électorales que je rapportais car par exemple toutes ces phrases, presque toutes en tous cas, sont des phrases qui sont dans la bouche de personnage que fait parler l'auteur et contre lesquelles l'auteur est. Avec ce système, il est facile de montrer chez n'importe qui n'importe quoi. Il faut faire très attention à ces choses, c'est un ordre de choses pour lesquelles je suis personnellement plus sensible qu'un autre, je vous le répète pour des raisons de métier, je tiens à vous le dire justement dans le contexte de mon silence si je puis dire, puisque j'ai renoncé à jeter dans le débat des questions qui ne sont pas nécessairement des questions frivoles comme peut-être la poésie et le roman peuvent le paraître à certains mais par exemple comme je le disais tout à l'heure à mes camarades de la commission, des choses qui pour les scientifiques apparaîtront comme des questions sérieuses et qui se posent en ce moment-ci d'une façon très aiguë, très grave et demanderaient notre intervention qui sont les questions de la linguistique.»