13 juillet 2016

Sur "le problème chinois"...et les problèmes de Roger Garaudy avec la direction du PCF (1967)


Avec la publication de son ouvrage "Le problème chinois" en 1967 (Editions Seghers, 1967 (et 10/18 chez Plon). Traduit en tchèque, italien, serbe, portugais -Brésil-, allemand, hongrois, japonais), Roger GARAUDY se voit confimer qu'il a bien avec le "groupe Marchais", dont il dira un an plus tard qu'il sera le "fossoyeur" du PCF, des divergences de fond. Esprit d'ouverture et de dialogue contre langue de bois et orthodoxie néo-stalinienne.Léon FEIX, Jean KANAPA, Lucien SEVE ont déjà critiqué négativement son livre. Nous publions ici un article de Paul COURTIEU communiqué à Roger GARAUDY le 24 juillet 1967 avant sa publication annoncée dans l'hebdomadaire FRANCE NOUVELLE (voir la lettre jointe de Roland LEROY). Nous faisons précéder ce texte de l'introduction du livre incriminé que nous vous invitons bien entendu à lire dans son intégralité: vous pouvez par exemple l'acheter sur Price Minister, Amazone, Livrenpoche.



 INTRODUCTION DU LIVRE LE PROBLEME CHINOIS


La scission chinoise est le plus grand drame qu'ait connu le mouvement communiste international.

La forme prise par la construction du socialisme en Chine pose non seulement aux communistes, mais à chaque homme, une immense interrogation : la Chine est-elle notre destin ?

Un homme sur quatre, dans le monde, est chinois. Les deux tiers des populations vivant en régime socialiste sont en Chine. Nul ne peut , en ce dernier tiers du xxe siècle, se détourner du problème chinois. La grande contestation nous concerne tous ; elle met aux prises deux conceptions du socialisme, deux conceptions de l'homme.

L'enjeu est trop grand et la question trop neuve pour que nous nous laissions aller, selon nos pentes traditionnelles, à juger avant de comprendre. La révolution chinoise, dans sa forme actuelle, suscite des sympathies suspectes. Parfois aussi des excommunications sommaires.
Tel y voit une volonté de changer d'abord les hommes, et dans la «révolution culturelle», un assaut de la jeunesse idéale du monde contre le réalisme calculateur des experts, et croit trouver là une vérification de très vieilles illusions spiritualistes. Tel autre, plus madré, utilise cette illusion, qu'il ne partage pas toujours, pour faire d 'un communisme lointain, exotique, une machine de guerre contre les partis ouvriers les plus proches, les plus inquiétants pour ses privilèges. Un troisième trouve occasion dans l'événement de reprendre, au contraire, la plus stéréotypée des propagandes sur l'inhumanité foncière du communisme.
Et puis il y a l’immense masse des militants ou simplement de ceux qui aiment l'avenir, qui s'interrogent, qui se demandent comment on a pu en arriver là. Pourquoi la révolution chinoise, après avoir éveillé la plus formidable espérance, inspire-t-elle aujourd'hui tant d'angoisse ?
A de telles questions, on ne peut répondre simplement par un jugement en blanc et noir.

Réprimer les réactions passionnelles. Exclure l'éclectisme et la complaisance. Essayer de comprendre et d'apprendre. Tel est l'esprit dans lequel nous avons abordé cette réflexion, qui n'engage que son auteur.

Le premier point du programme de travail, c'était d'analyser les conditions objectives de la spécificité du modèle chinois de construction du socialisme. Dès le départ, un problème théorique fondamental était posé: le développement historique de la Chine dont le socialisme actuel est le fruit, répond-il au schéma des «cinq stades »: commune primitive, esclavage, féodalité, capitalisme, socialisme, qui synthétise assez bien le mouvement des sociétés européennes, surtout celles du bassin méditerranéen ? Ou bien faut-il tenir compte de la spécificité du «mode de production asiatique» et de ses survivances pour comprendre à partir de quelle situation particulière s'est posé en Chine le problème de la construction du socialisme ? Nous avons dû nous attarder à cette question parce qu'elle met en cause une conception dogmatique et nullement marxiste du développement historique, qu'il est d'abord indispensable d'écarter sous peine de ne pas comprendre la nécessaire
spécificité du modèle chinois.
Un autre problème théorique est étroitement lié au premier: si , dans
la démonstration classique faite par Marx dans Le Capital, le socialisme est le dépassement et la solution des contradictions internes du mode de production capitaliste, dans un pays comme la Chine, où le capitalisme régnait sur les franges côtières mais où un régime de type féodal, avec des survivances du «mode de production asiatique», dominait la plus grande partie du pays, est-il possible de concevoir un passage direct d'une étape précapitaliste au socialisme, en sautant l'étape capitaliste ? Si cela est possible, quels caractères particuliers va revêtir le socialisme du fait de cette position inédite du problème ?
Dans l'examen de ces conditions objectives, nous devrons nous demander quels sont les effets de l'interférence des problèmes de la liquidation du sous-développement avec les problèmes de la construction du socialisme ? Les effets aussi de l'interférence des luttes nationales et des luttes sociales dans un pays semi-colonial comme l'était la Chine? Les effets, enfin, des interférences de la conjoncture internationale ?
Si l'on ne tient pas compte de l'ensemble de ces conditions objectives, il est impossible de comprendre la spécificité du modèle chinois du socialisme.

Le deuxième point du plan de travail, c'était l'étude des aspects subjectifs de la théorisation chinoise à partir de ces conditions objectives.
Engager une révolution socialiste en Chine, c'était d'abord affirmer que ces traits particuliers de la lointaine et de la proche histoire de la Chine,que la structure économique, sociale, politique et culturelle née de cette histoire, quelle qu'en soit la terrible pesée, ne constituent pas un destin. Nous ne pouvons pas concevoir la tragédie chinoise sur le modèle de la tragédie grecque où le héros, affrontant la fatalité, conquiert dans cet affrontement prométhéen sa dignité et sa grandeur, mais où sa destinée finale est inscrite déjà dans l'ordre souverain des dieux.
A partir des conditions objectives propres à leur pays et à leur peuple, les dirigeants chinois ont fait un choix idéologique; ils ont décidé non seulement de résoudre à la fois les problèmes du sous-développement, de la dépendance nationale et de l a construction du socialisme, mais de vaincre toutes les pesanteurs du passé, y compris celles qui s'exercent dans l'esprit des hommes, en accélérant sans limite le rythme de l'histoire. Quelle est la part d'efficacité réelle et la part d'utopie dans les initiatives du « grand bond en avant »  ou de la création des « communes populaires » ?
Dans l'idéologie qui sous-tend une telle entreprise, quelle est la signification réelle de la dialectique dans la théorie des contradictions développée par Mao Tsé-toung, et dans la version chinoise de la « révolution permanente » ? S'agit-il d 'un développement créateur de la dialectique marxiste ? D'une reprise du trotskysme ? Ou d'une résurgence de thèmes très anciens de la pensée chinoise servant d'idéologie de justification à une impatience érigée en principethéorique ?  Quel est le sens dernier de la « révolution culturelle»? S'agit-il simplement d'une exaltation du « moment subjectif » de l'action révolutionnaire contre de nouvelles formes technocratiques de l'économisme ? Ou bien d'une subversion des principes fondamentaux du matérialisme historique au profit d'un idéalisme magique réactivant les rêves messianiques des soulèvements millénaires de la paysannerie chinoise ?

L e troisième point de notre plan de travail est une réflexion sur les possibilités d'extrapolation théorique et pratique d u modèle chinois. Ce modèle a-t-il une valeur universelle ? Est-il le fruit d'un «exceptionnalisme chinois» valable dans les conditions propres à la Chine ? Est-ce, au contraire, une perversion radicale de la conception marxiste du socialisme scientifique ?
Ces problèmes prennent une forme aiguë, et notre propre avenir en dépend dans une large mesure, car l'entreprise chinoise de proposer une ligne politique à l'ensemble du mouvement révolutionnaire mondial, pose les problèmes cruciaux de la guerre ou de la paix du monde, du passage au socialisme par des voies pacifiques ou par une lutte armée, et soulève finalement la question de la nature même du socialisme, de la possibilité et de la valeur d'un humanisme socialiste, la question du sens de l'homme , de sa vie, de son avenir.

Nous n'avons pas la prétention d'apporter une réponse complète à toutes les questions, d'autant que la plupart d'entre elles sont encore « en fusion».
Notre ambition est, avant tout, d'essayer de poser ces questions au niveau où elles doivent l'être, c'est-à-dire en ne nous contentant pas, devant les prises de position chinoises, d'en déployer les conséquences, mais d'en dégager les causes et les principes.
Cet ouvrage n'est ni l'oeuvre d'érudition d 'un sinologue , ni un reportage de journaliste, encore qu'il doive beaucoup aux travaux des spécialistes et  aux récits des témoins. Aux uns et aux autres je tiens à dire ma dette et ma reconnaissance pour ce qu'ils m'ont apporté dans l'élaboration de cet essai de philosophie politique.
L'essentiel, je le crois et je le répète, était de comprendre et d'apprendre. Fût-ce au risque de dépasser la mesure et de donner l'impression d'accepter ce qu'on cherche seulement à expliquer.
Ce risque c'est probablement celui de ne plaire complètement à personne. Mais l'objectif n'est pas de plaire, il est de contribuer à une prise de conscience des problèmes.
Au-delà du problème chinois se pose peut-être à notre siècle l'interpellation des pays en voie de développement. Puisse cet essai contribuer, sur ce plan aussi, à passer de l'anathème au dialogue.
 

Roger GARAUDY
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La lettre de Roland LEROY 

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L'article de Paul COURTIEU 












SUR LES RAPPORTS DE GARAUDY AVEC LE PARTI COMMUNISTE LIRE AUSSI: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2016/07/roger-garaudy-trente-ans-derreur-tout.html