20 juillet 2016

Sciences et techniques européennes et développement du monde



Sciences et techniques européennes et développement du monde (Le titre est de l'administrateur du blog, comme toujours...ou presque)

Monsieur le Président, Excellence et chers amis, le but de mon introduction est
d'essayer de situer le rôle de l'Europe dans le monde et dans l'histoire en ce qui
concerne les sciences et les techniques.
Lire aussi: http://rogergaraudy.
blogspot.fr/2012/10/reedition-du-
livre-de-roger-garaudy.htm
l
Je dois dire tout de suite et je m'en excuse, que je le ferai sans le moindre esprit diplomatique et l'intervention de M. Reverdin vous a préparé à cetteéventualité. C'est un essai pour se placer d'un point de vue mondial et pas seulement occidental, c'est-à-dire de n'oublier jamais que d'autres civilisations,d'autres cultures, d'autres sciences, d'autres techniques ont conçu et vécud'autres rapports de l'homme avec la nature, avec les autres hommes et la société, avec l'avenir et avec Dieu.
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Je n'ignore pas la difficulté, pour un européen ou en général un occidental, de considérer le monde comme un tout, c'est-à-dire nécessairement de relativiser l'Europe.
Des siècles d'ethnocentrisme, pardonnez-moi ces néologismes, disonsd'européo-centrisme ou d'occidentalo-centrisme, nous ont appris à parler de lascience et de la technique comme s'il ne s'agissait pas simplement de la science européenne, de la technique européenne, comme s'il n'y en avait jamais eu d'autres, comme si d'autres hommes n'avaient jamais poursuivi d'autres fins et pouvaient pour l'avenir en concevoir d'autres.

Il n'y a de véritable dialogue que si chacun, au départ, est convaincu qu'il y a
quelque chose à apprendre de l'autre. Or parler à propos des sciences et des
techniques de dialogues des civilisations exige une véritable révolution
copernicienne dans notre manière de penser le rôle technique et scientifique de
l'Europe. Il n'est pas vrai, comme trop de nos manuels scolaires le laisse croire,
que le monde scientifique et technique est toujours tourné autour de l'Europe
et il n'est pas vrai qu'il tournera toujours autour de l'Europe. Cet effort pour
échapper à un certain provincialisme européen, c'est-à-dire à l'illusion de
croire que l'Europe est au centre du monde et de l'histoire conduit à une
mutation plus profonde encore : nous ne pouvons plus croire, comme au
début du XXe siècle, où l'Europe disposait de 85 % du monde par ses
dominations coloniales, que nous pouvons puiser sans fin dans les ressources
du monde, ce qui nous a conduit à une gestion désastreuse des richesses de la
planète.
Nous devons donc passer d'une conception mécaniste, c'est-à-dire une
conception où un système est considéré comme pouvant fonctionner
indéfiniment dans un milieu tenu pour inépuisable, à une conception
thermodynamique, c'est-à-dire où l'univers, et pas seulement l'univers
physique, mais l'univers historique et géographique, est soumis à la loi de
l'entropie, c'est-à-dire à cette tendance universelle de l'énergie à se dégrader et
à s'épuiser et de la matière à retourner au chaos.
Poser le problème à cette échelle mondiale et à ce niveau, même si cela est
traumatisant pour nous, européens, nous permet de prendre conscience de nos
responsabilités dans, l'histoire, et surtout pour regarder vers l'avenir, de
prendre la mesure de nos devoirs et de nos obligations.

Je ne répéterai pas les thèses formulées, tans le schéma de mon intervention
qui a été distribué, mais je voudrai l'illustrer seulement sur trois points :
1) Le dialogue des civilisations nous conduit à relativiser le rôle de la science et
tes techniques européennes.
2) Le dialogue des civilisations nous conduit à prendre conscience de la
spécificité de la science et des techniques européennes
3) Le dialogue des civilisations nous conduit à poser en termes nouveaux le
problème des transferts de technologie et à formuler quelques hypothèses de
travail pour nos initiatives pratiques dans l'immédiat avenir.
D'abord relativiser les sciences et les techniques occidentales. L'occident, et d'abord l'Europe, qui en est la mère, l'Occident a trop longtemps prétendu confisquer l'universel. Ce fut autrefois sous la forme naïve d'un ethnocentrisme religieux. U n exemple caricatural en est donné par le "Discours sur l'histoire universelle" de Bossuet, où l'histoire entière de la planète converge providentiellement vers le triomphe du christianisme, plus précisément du catholicisme et plus précisément encore de la forme qu'il prit sous la monarchie de Louis XIV.
Mais la naïveté et le provincialisme ne sont pas moindres lorsque depuis la Renaissance et surtout depuis le XVIIIe siècle, le mythe d u progrès prit la relève du mythe de la providence. De Condorcet à Vico, de Hegel à Auguste Comte et
à Darwin, pour finir avec Gobineau et Chamberlain dans un racisme de peuple élu. L'on a pris l'habitude de classer les peuples, leurs arts, leurs sciences, leurs
cultures, en primitifs ou en civilisés, en développés ou en sous développés, en
fonction de leur place présumée sur la trajectoire de l'évolution de l'Europe,
tenue pour exemplaire, unique et considérée comme la seule référence possible
pour juger et pour situer toutes les autres civilisations.
Or, ce progrès était défini d'une manière spécifiquement européenne, comme
une domination accrue sur la nature et sur les hommes, selon le programme
de Galilée de Descartes, disons de la Renaissance
L'Europe était confortée dans sa prétention à l'exceptionnalisme et à
l'universalité par son hégémonie mondiale.
C'est, je crois, oublier la contingence des hégémonies. La victoire militaire et la
domination ne signifient nullement une supériorité de culture. Les invasions
des nomades des steppes dans les civilisations florissantes des deltas, ce fut la
supériorité du cavalier sur le fantassin, celle de l'épée de fer sur l'épée de
bronze. Attila, Tamerlan ou Gengis Khan furent des conquérants victorieux
mais non des civilisateurs.
Il est pourtant curieux que nos historiens qui parlent de grandes invasions et de
barbares lorsqu'il s'agit de peuples d'autres continent changent de langage et
parlent de grandes découvertes et de mission civilisatrice lorsqu'il s'agit de
l'Europe, même lorsque ces découvertes et cette civilisation s'affirment par le
génocide indien en Amérique, la traite des esclaves en Afrique, la guerre de
l'opium en Asie, ou aujourd'hui encore, par le fait qu'après deux siècles de
révolution industrielle et des années de ce que l'on est convenu d'appeler une
aide au développement, la moitié d u monde lutte pour sa survie et qu'un
cinquième d u monde dépense plus de 400 milliards de dollars d'armement. La
contingence de notre hégémonie européenne est donc à retenir et à méditer
contre la légende de prétendues supériorités raciales ou d'inaptitude des autres,
il convient, et j'y insiste, de ne pas juger une science et une technique
indépendamment des besoins qui l'ont engendrée, du projet de vie et des
finalités qui orientent son développement.
Pour ne citer qu'un exemple, il est absurde, et cela malheureusement a été
soutenu par de très illustres ethnologues, il est absurde et contraire à toute
l'expérience historique, de dire que la religion de l'Inde a freiné le
développement des sciences et des techniques, et, par voie de conséquence, de
l'économie.
Car c'est précisément lorsque cette religion était à son apogée, que l'Inde fut
une pionnière en matière de science, de technique et d'économie.
Non seulement en inventant le système décimal qui bouleversa les sciences et
le commerce, mais en médecine en pratiquant la vaccination antivariolique,
1600 ans avant Jenner, en découvrant la petite circulation d u sang quinze
siècles avant Harvey, en pratiquant la chirurgie plastique 24 siècles avant Cari
Von Greffe
Du point de vue technique, l'acier indien, d'après les expertises anglaises qui
ont été faites remarquablement à la fin du XVIIIe siècle, l'acier indien avait
atteint avant notre ère une perfection que l'Europe n'atteindra qu'à la fin du
XVIIIe. Pour le textile, en 1750 encore, des cotonnades de Manchester étaient
refusées très curieusement en Afrique et réexpédiées avec la recommandation
de mieux imiter les textiles indiens ou d'envoyer des produits d'origine.
Et ceci nous conduit à une deuxième remarque pour relativiser le rôle
scientifique et technique de l'Europe dans ses conséquences économiques Le
colonialisme indien a désindustrialisé dans un premier temps les pays
colonisés en fonction de ses propres besoins de développement. Je voudrai
prendre u n exemple : jusqu'en 1700 l'Inde fut le plus grand exportateur de
textile d u monde, et il fut le plus grand producteur jusqu'en 1800 suivie par la
Chine. Mais l'industrialisation des pays du Nord exigeait la
désindustrialisation des pays du Sud. Quelques chiffres, ce sont les seul que je
vous donnerai car je pourrais en donner d'autres si on le veut, j'ai les
documents :
E n 1708, l'Inde exportait en Angleterre pour 490.000 livres et elle importait
168.000.
E n 1730, elle exportait plus de 1.000.000 de livres pour n'en importer que 135 et
en 1748 1.100.000 livres contre 27.000 à l'importation.
L'Angleterre était obligée de rétablir la balance commerciale en devises. Elle
décida alors de protéger son industrie des importations indiennes.
Richard Cobden disait que les principes d'Adam Smith n'inspiraient pas le
relations économiques entre l'Angleterre et l'Inde. Et cette désindustrialisation
ne se limite pas au textile, pas plus d'ailleurs qu'à l'Angleterre et à l'Inde. En
1700, i l y avait en Inde 10.000 hauts fourneaux, en 1850 ils étaient tous éteints.
Troisième remarque sur cette relativisation : Les deux premiers phénomènes -
la confiscation de l'universel, la désindustrialisation des pays colonisés ont été
masqués par u n troisième une falsification je dirais volontiers systématique de
l'histoire. Et là encore je n'en prendrai q u ' u n exemple puisque le travail a été
remarquablement fait à l'institut de développement de Genève par M .
Preisverk. Je ne prendrai qu'un exemple qui ne donne d'ailleurs pas dans ce cas
particulier ce que j'appellerais le refus du troisième héritage. Un mythe veut
que la culture européenne n'ait que deux sources : gréco-romaine et judéochrétienne.
C'est refuser le troisième héritage : celui de la civilisation et de la
culture arabo-islamique. Les pays colonisateurs de pays musulmans, la France
en particulier, ont accrédité cette légende : le monte arabo-islamique n'aurait
joué qu'un rôle de transmission à l'Europe de la science grecque. J'en prendrai
u n exemple qui m'avait beaucoup frappé pour l'avoir trouvé à Alger avant la
libération de l'Algérie, dans un célèbre manuel de politique musulmane, en
réalité véritable catéchisme du colonisateur, qui pullulait en Algérie avant sa
libération, on trouvait cette définition de la science arabo-islamique, et je cite : «
La science arabe, irrémédiablement morte et désuète, faite de compilations
d'auteurs grecs, rédigée au Moyen-Age par les juifs».
Rien n'est évidemment plus faux. Ce qui est vrai, c'est que les arabes, dès le
VIII e siècle, à Bagdad, ont entrepris un gigantesque travail de traduction des
oeuvres scientifiques et philosophiques de toutes les cultures antérieures,
grecques, mais aussi iraniennes, indiennes, et même chinoises, sous la
direction de Hunayn au temps d'Haroun al Rachid, puis d'Al Mansoun.
Il est vrai aussi que la première renaissance de l'Europe commença non pas en
Italie mais en Espagne, au XHIe siècle, lorsque, sous l'impulsion d'un homme
exceptionnel, l'archevêque de Tolède Raymond, furent traduites en latin les
grandes oeuvres arabes. Ce fut le mérite de deux grands princes, admirateurs de
la culture araso-islamiqué, le roi Alphonse le Sage en Espagne et Frédéric II de
Hohenstaufen en Sicile, d'encourager ce travail de traduction où s'illustrèrent
des Gérad de Crémone et des Farragut.
Mais il faut être aveugle ou aveuglé de préjugés classiques, pour ne pas voir
que ce que la science et la technique arabo-islamique ont apporté de plus
original et de plus vivifiant pour la renaissance européenne a été crée par eux
en contraste radical avec la pensée grecque
A l'inverse de la pensée grecque essentiellement spéculative depuis Socrate,
c'est-à-dire depuis que l'on a rompu avec les physiciens de l’Ionie, de l'Asie
mineure, tournés vers la nature, pour isoler l'homme de ses rapports avec la
nature, la science arabo-islamique est fondée sur l'observation de cette nature,
comme en témoignent, en astronomie, les grands observatoires de Maragha, de
Samarcande, de Cordoue, o u en médecine, la création des grandes universités,
liées à la clinique hospitalière, de Goudishapour à Alexandrie et à Cordoue.
Deuxièmement, à l'inverse de la pensée grecque et de sa conception du fini,
qu'il amenait à appeler irrationnels les nombres qui n'ont pas de limites, les
plus hautes découvertes mathématiques des savants musulmans portent
précisément sur l'infini. Et à l'inverse de l'isolement de l'homme à l'égard de
la nature, la pensée musulmane est fondée sur l'exigence d'unité de Tawhid,
qui est la clé de voûte de l'Islam.
D'où en médecine, par exemple, l'étude des rapports de l'homme et de son
milieu, dans son unité, qui conduit d'une part à mettre l'accent sur la
médecine préventive, hygiène, alimentation, et d'autre part sur l'unité de
l'âme et d u corps contre u n certain dualisme grec et même chrétien, et ceci
conduisit Al Rhazi puis Avicenne à une véritable médecine psychosomatique
L'examen des finalités de la science et des techniques dans les civilisations n o n -
occidentales et même cette expression traduit déjà u n certain ethnocentrisme,
montre qu'elles ont toutes visé à une maîtrise de la nature, mais sans faire de
cette maîtrise une fin en soi exclusive de toute autre.
Or ce qui caractérise notre conception européenne puis occidentale depuis la
renaissance, c'est d'avoir mis l'accent de façon très unilatérale sur la volonté de
croissance, et l a volonté de puissance, fût-ce au prix de l'abandon des finalités
non seulement divines mais simplement humaines. C'était déjà le programme
d u Faust de Marlowe au XVIe siècle, celui de Descartes au XVIIe « nous rendre
maîtres et possesseurs de la nature». Mais lorsque l'efficacité devient le seul
critère du progrès, la science qui sous-tend une telle conception de la technique,
par postulat, ignore l'homme Le positivisme d'August Compte est de ce point
de vue u n passage à la limite : cette science prétend décrire u n monde d'où
l'homme est absent, u n monde d'objets, de faits et de lois qui les enchaînent,
en excluant, par principe, toute transcendance, toute émergence du
radicalement nouveau, de ce qui n'est ni la résultante, ni l'effet, ni le produit
du passé.
Ce scientisme n'a rien à voir avec la science, il est simplement ce préjugé selon
lequel la science peut résoudre tous nos problèmes et selon lequel il n'existe pas
d'autres problèmes que ceux que posent la science. Lorsqu'on applique cette
conception scientiste ou perd de vue le problème de la finalité humaine des
sciences et des techniques. Cette science, qui par postulat, ignore l'homme, cette
science qui a d'abord annoncé la mort de Dieu, puis, inéluctablement, la mort
de l'homme, cette science, elle a premièrement rompu le lien entre la sagesse et
la science, c'est-à-dire le rapport entre la réflexion sur les fins et l'organisation
des moyens.
Et deuxièmement, cette science a perdu l'un des usages de la raison, celui qui
consiste non pas seulement à procéder de cause en-cause o u de condition en
condition mais à remonter de fin en fin, de fins subalternes à des fins plus
hautes, pour nous poser la question de nos fins dernières et de nos fins avant-dernières.
De telle sorte que des moyens comme ceux de la croissance ou de la
défense, sur lesquels nous reviendrons, comme nous y appelait M.Virolainen
tout à l'heure, sont pris pour des fins et commandent nos actions ; et ici encore
je n'évoquerai qu'un exemple : celui précisément du rôle du complexe
militaro-industriel dans le développement tes sciences et tes techniques.
M . Jankovitsch, dans son rapport pour ce colloque d u Conseil de l'Europe note
à la page 8, je cite : « Le poids abusif de la recherche scientifique à des fins
purement militaires».
Et de son côté, un homme d u Tiers-Monde, l'ancien Président de l'Algérie M
Ahmat Ben Bella, dans une interview de juin 1980, disait : « Il nous faudra
inventer une science et une technologie nouvelles au service d'objectifs
différents de ceux fixés par le complexe militaro-industriel occidental». Il suffit
de songer aux développements à des rythmes fulgurants, de l'énergie nucléaire
et de l'informatique pour mesurer le rôle de ce complexe militaro-industriel
comme moteur de la recherche et comme client privilégié permettant des
baisses de prix par une économie d'échelle. D'après les estimations du
Pentagone américain pour l'année 1976, les dépenses de recherche-développement
représentent 30% des dépenses totales de production d'armes
alors que ce taux ne dépasse jamais 8 % dans les industries non militaires.
Depuis le début des années 1950, la part des dépenses de recherche-
développement à destination militaire a oscillé entre 42 et 54 % du total des
dépenses de recherche-développement aux États-Unis.
Et cet exemple est largement imité. E n France l'Ingénieur général Hugues de
l'Estoile pouvait écrire : « D'autres, il s'agit des Américains, ont réussi à
orienter valablement la recherche fondamentale, c'est la tâche que nous avons
entreprise, peut-être les premiers en France, au sein du Ministère des Armées.
» Ceci tiré de la revue militaire d'information.
Sur de telles bases et avec de telles orientations, les sciences et les techniques
occidentales n'ont pas réussi à remplir leurs promesses ni à atteindre les buts
qu'elles s'assignaient, ni à satisfaire les besoins ni à réduire les inégalités, ni à
maîtriser la nature, ni à libérer les hommes.
En ce qui concerne les besoins, nous l'avons souligné déjà, 200 ans après la
révolution industrielle, la moitié de la population du globe lutte pour sa survie
et les chiffres de morts par la faim que donne l'ONU sont assez angoissants. La
croissance n'est pas une réponse à ce problème ; avant l'arrivée des européens,
comme il a été très fortement souligné au centre de Genève sur tes recherches
sur le développement et notamment dans un ouvrage " La fin des outils" paru
aux presses universitaires de France en explique, avant l'arrivée des Européens
l'économie de l'Asie suffisait aux besoins de ses populations. Les Portugais par
exemple, premiers à arriver en Asie y ont vécu longtemps de leur commerce et
de leur banque, faute de pouvoir ventre des produits européens. Par contre
l'Europe avait besoin de l'Asie pour exporter ses surplus de marchandises, puis
de capitaux. Par contre l'Europe avait besoin de l'Asie pour exporter ses surplus
de marchandises, puis de capitaux. Je rappelle qu'en 1693 le Parlement anglais
tempêtait d'interdire l'entrée en Angleterre des textiles de l'Inde et en 73 une
solution plus raciale est trouvée : la Compagnie tes Indes orientales commence
à Canton, le trafic de l'Opium, c'est-à-dire qu'on oblige les paysans du Bengale à
cultiver le pavot au détriment des cultures vivrières, pour pouvoir acheter du
thé à la Chine. Grâce à ce monopole, les bénéfices atteignent 2000 %.
Et entre 1821 et 1830, la production d'opium de l'Inde exportée à Canton passe
de 500.000 livres à 3.000.000. Ce n'est point encore assez. Et c'est pourquoi avec
la participation des grandes puissances européennes la guerre de l'opium
aboutit au traité de Nankin. Et le système est si efficace qu'en 1870 la moitié des
importations de la Chine était de l'opium indien.
L'on voit ainsi comment il était répondu aux besoins de l'Asie. Or ceci ne s'est
pas terminé, aujourd'hui encore dans ce sud-est asiatique rongé par la faim,
dans le triangle d'or, c'est-à-dire entre le nord de la Thaïlande, le nord-est de la
Birmanie et le nord-ouest d u Laos, au détriment tes cultures vivrières est
réalisé aujourd'hui encore l'essentiel de la culture mondiale du pavot. Ce n'est
là, me dira-t-on, qu'un exemple extrême, et c'est vrai, mais il est possible d'en
choisir u  autre, apparemment opposé, celui de la révolution verte.
Après avoir imposé à ces pays, en fonction des besoins colonisateurs des
économies difformes et extraverties, l'on a prétendu résoudre du dehors les
problèmes créés du dehors. Il est vrai que, pendant quelques années, les
rendements de certaines espèces de céréales, et notamment du riz, furent accrus
par des semences nouvelles et des espèces à tige courte. Mais tout le système
d'exploitation de la terre de nos pays, avec ses méthodes, d'irrigation par
pompes mécanisées, de ses engrais chimiques, ses tracteurs, tout ce système qui
conduit un fermier américain exemplaire du point de vue efficacité technique à
dépenser 900 litres de pétrole par hectare, n'a pas seulement amené une forte
concentration de la richesse agraire aux mains de ceux qui pouvaient investir,
mais parallèlement une concentration féroce d u pouvoir aux mains de ceux
dont l'autorité s'affirmait en imposant ce système fut-ce au prix d u sang.
L'exemple de l'Indonésie est de ce point de vue significatif.
Le mythe du tracteur selon lequel on mesure le développement d'un pays par
le rapport entre le nombre de tracteurs et le nombre d'hectares, ce qui en
général vrai pour nos pays occidentaux, se révèle ailleurs souvent meurtrier. Si
l'emploi massif du tracteur était justifié là où l'on manque de bêtes de trait,
comme en Chine, il est par contre absurde de déplacer de la main d'oeuvre
agricole tant que d'autres types d'emplois n'ont pas été créés. Or les
conséquences économiques sociales, politiques de ce transfert technologique se
sont à terme révélées catastrophiques et même sur le plan technique, des
labours profonds dans des terres comme celle; du Bengale où la couche arable
est faible a conduit à un saccage de la terre en enfouissant le terreau.
L'on aboutirait à des conclusions analogues en ce qui concerne les engrais : et là
encore au transfert de technologie sur ce plan.
Construire pour 140 millions de dollars une unité de production d'engrais
chimiques, de moins en moins rentable en raison de la hausse du prix du
pétrole qui comme on le sait entre beaucoup dans cette fabrication, et de plus en
plus dépendante de l'extérieur, par les capitaux, les techniques, les techniciens,
les matières premières, et qui crée 1000 emplois est une monstruosité, alors
qu'avec 125 millions de dollars comme l'a montré en France l'Institut national
de la Recherche agronomique, l'on peut produire autant d'engrais organiques
dans le même pays par des fausses de fermentation dans 26.000 villages créant
130.000 emplois et fournissant de surcroît le méthane pour le chauffage et
l'éclairage.
C'est dire que l'un des problèmes clés dans les actuels transferts de technologie,
qui sont je crois l'u n de nos problèmes essentiels pour nous européens, est de
nous débarrasser des schémas forgés par 200 ans de révolution industrielle
productiviste et éco-destructrice, si l'on veut répondre aux besoins réels des
peuples non-occidentaux.
Et il en serait de même dans de bien autres domaines de la technologie, en
médecine, est-il juste de mettre l'accent dans les transferts de technologie, sur
les techniques valables pour soigner des maladies de riches, comme les
maladies cardio-vasculaires, alors que pour cinq maladie qui ravagent le Tiersmonde, la malaria, la bilharziose, la tripanozomiase, la leishmaziose et la lèpre,
le budget total de l'organisme mondial de la Santé (OMS) est de 20 millions de
dollars, c'est-à-dire même pas le prix d'un seul avion de combat. Pas plus que
notre modèle de croissance n'a permis de répondre aux besoins, il n'a réussi à
réduire les inégalités. Le déficit commercial des pays d u Tiers-monde de l'OPEP
exceptés, est passé de 24 milliards et demi en 1977 à 47 milliards en 1979. Leur
endettement s'élève aujourd'hui à 228 milliards de dollars et le service de la
dette représente plus de 13 milliards, c'est-a-dire la moitié du montant de
l'aide.
Il serait faux d'attribuer cet endettement croissant au seul pétrole. D'abord parce
que le prix des céréales et des autres produits alimentaires a joué tout autant ;
deuxièmement parce que l'augmentation de la consommation de pétrole est le
résultat de ces transferts technologiques qui ont amené le modèle occidentale;
et troisièmement parce que les pays de l'OPEP, il ne faut pas l'oublier, ont
multiplié leur aide par 8 depuis 1973. Enfin l'inégalité dans le domaine
scientifique et technique est immense : d'après le rapport pour ce colloque de
M . Martin Lees, je le cite : «plus de 95 % de l'effort mondial de recherches et
développement ayant  pour cadre les pays développés, 5 % seulement, dit M .
Martin Lees, est consacré à la recherche de solutions aux problèmes qui se
posent aux 3 milliards d'habitants des pays en voie de développement ».

Je n'évoque même pas les deux dernières promesses : la maîtrise de la nature
ou la libération de l'homme alors que l'aliénation ne cesse de croître dans les
pays pauvres par la perte des identités culturelles et dans les pays riches par
l'intégration à la mégamachine de l'économie et de l'Etat.
Je voudrais conclure en rappelant quelques hypothèses de travail.
Ici encore résumant cette argumentation, M.Jankowitsch concluait dans le
rapport que je citais tout à l'heure : « la technologie occidentale tend à entraîner
dans les pays en voie de développement trois conséquences typiques:
• l'aggravation des inégalités sociales;
• la concentration du pouvoir ;
• la diminution de la qualité de l'environnement».
Et M.Jankowitsch ajoutait en évoquant la Conférence de Vienne d'août 1979
qu'elle mettait en doute je cite encore : « la croyance autrefois inébranlable au
bienfait absolu du développement scientifique et technique».

Il y a, en effet, je crois, un malentendu lorsqu'on parle de transfert
technologique : ce que l'on transfère, ce ne sont pas des technologies, ce sont des
capitaux, des équipements, des techniciens, c'est-a-dire, il faut bien le dire, des
formes nouvelles de domination. En réalité la croissance occidentale et le sous-développement ne sont que les deux faces d'un même phénomène : la
croissance de l'Occident n'a été possible, ne demeure possible que par l'extraction
des richesses matérielles et humaines de tout le reste du monde. C'est pourquoi
ce modèle, fondé sur le pillage du plus grand nombre par une minorité
privilégiée n'est, par définition, pas universalisable, c'est-à-dire pas extensible à
tout l'univers au sens strict. Il n'y a pas des pays développés et des pays sous-développés, il y a des pays dominants et des pays dominés, des pays malades et
des pays trompés.
Les uns malades de leur croissance, les autres trompés parce qu'on leur a fait
croire que leur avenir c'est l'imitation des malades. Les uns et les autres
victimes d'un mal-développement. A ce problème planétaire, il n'est de
solution que planétaire. Celle du dialogue des civilisations, c'est-à-dire celle
d'un échange dans les deux sens : transfert de technologie oui, mais aussi
transfert de finalités.
Le transfert de technologies ne peut se faire sans mensonge que si l'on tient
compte premièrement des besoins réels des pays que l'on prétend aider ; nous
en avons donné quelques exemples ; et deuxièmement si l'on tient compte
comme le dit M. Sagasti dans un de ses rapports des techniques autochtones et
il parle de cette récupération de la base technologique traditionnelle de ces pays.
Ce sont ces techniques adoptées aux conditions de ces pays qu'il s'agit de
moderniser, mais de moderniser en ne confondant pas modernisation avec
occidentalisation.
Au Srilanka, les plans actuels d'irrigation qui sont remarquablement
modernes, sont une rénovation des systèmes tratitionnels. A u temps du
Cambodge ankorien des bassins de 8 k m sur 2 stockaient les eaux de la saison des
pluies.
Les Kanats de l'Iran, ces canaux d'irrigation sous-terrain avaient résolu le
problème de l'évaporation dans des déserts torrides.
Les aqueducs d u temps de la dynastie tes aghlabides en Tunisie, permettaient
d'irriguer des zones qui sont aujourd'hui devenues désertiques depuis les
colonisations des turcs et des français. Dans l'Espagne musulmane, les
machines hydrauliques d'Al Jazari d u Xlle et du début d u XIIIe siècle ont
inspiré les travaux de Léonard de Vinci, de Torricelli comme de Vaucanson en
France.
C'est à partir de là que peut commencer la modernisation et non à partir de nos
problèmes européens et des solutions que nous y avons apportées et qui
peuvent être valables pour nos propres pays. Sans quoi l'on risquera fort des
hôtels climatisés à la place de ces constructions imaginées par les Amazoniens
pour combattre la chaleur et qui sont décrites par M. Levi Strauss ou les HLM
invivables de Dakar parce que les architectes y ont simplement construit
comme s'il s'agissait de répondre aux besoins de la banlieue parisienne. Il en
est ainsi pour toutes les techniques et pour ceux qui les mettent en oeuvre. Au
lieu de dire : si le travailleur africain n'est pas familier avec nos techniques, i l
faut changer ce travailleur, peut-être vaudrait-il mieux adapter les techniques à
ses besoins. Cela suppose comme base de tout le reste, et ce sera mon dernier
mot, un dialogue des civilisations, c'est-à-dire d'une écoute de l'autre,
apprendre de lui à concevoir et à vivre d'autres rapports avec la nature, avec la
société, avec l'avenir, avec Dieu, et ce problème ne se pose pas en termes d'aide
ou de générosité à l'Égard du Tiers monde. De cette rupture radicale avec quatre
siècles d’ethnocentrisme européen dépend l'avenir de l'Europe comme celui du
monde.

Roger Garaudy
[NDLR:Intervention à un colloque (je recherche où et quand !) ]