05 septembre 2010

Helder Camara et son frère

[Dans "Biographie du XXème siècle" Roger Garaudy rend hommage à Dom Helder Camara, dont on a célèbré le centième anniversaire de la naissance:]

Dom Helder Camara, archevêque d'Olinde et de Récife, au Brésil, mon frère depuis vingt années, m'a, plus que tout autre, ouvert à l'intelligence du Tiers-Monde, et surtout à la formule de notre double devoir: dissocier l'Eglise du capital, et le socialisme de la bigoterie athée.
Mais je préfère laisser Dom Helder Camara lui-même dire le sens de cette rencontre du 29 mai 1967, et de la commune ferveur qu'elle fit naître, tel qu'il le formula dans son livre: "Conversions d'un évêque".

Il y a eu ma première rencontre avec Roger Garaudy. Nous participions ensemble à une réunion organisée par un mouvement américain qui faisait beaucoup d'efforts pour susciter des réflexions et des initiatives à partir de l'encyclique Pacem in terris de Jean XXIII. Après trois jours, quatre jours même, de vie et de travail ensemble, je sentais que, pour l'essentiel, Roger Garaudy et moi pensions de la même manière. Nous étions des frères.
Je lui ai dit alors: "Roger, si nous faisions un pacte ? Vous, je vous charge d'obtenir surtout deux choses.
Vous savez qu'il y a des marxistes qui transforment Marx en une statue. Ils pensent qu'être marxiste, c'est toujours répéter, à la lettre, ce que Marx a dit, et toujours faire ce que Marx a fait. Ils ne se rendent pas compte que, toujours fidèle à la réalité, Marx ressentirait aujourd'hui les choses d'une manière différente.
Par exemple, il n'est pas vrai de toujours répéter qu'il y a une liaison nécessaire entre religion et aliénation. Je suis le premier à reconnaître qu'il y a eu dans le passé, et malheureusement encore aujourd'hui, des groupes religieux qui présentent la religion d'une manière trop passive, qui en font vraiment un opium pour le peuple et qui en viennent à créer une aliénation. Mais je vous asure qu'il y a dans toutes les religions, et pas seulement dans le christianisme, des personnes, des groupes, des minorités qui travaillent pour que la religion, au lieu d'être aliénée et éliénante, soit une force de libération: libération du péché et des conséquences du péché, de l'égoïsme et des conséquences de l'égoïsme. Si vous arrivez à comprendre cela, tâchez de faire que les marxistes ne lient plus nécessairement religion et aliénation. C'est le premier point.
D'autre part, pensez-vous qu'il y ait une liaison nécessaire entre socialisme et matérialisme, ou bien est-il possible, comme je le pense, d'être vraiment socialiste sans adhérer au matérialisme dialectique ?
De mon côté, je m'engage à faire tout mon possible et à faire invenir d'autres personnes plus influentes pour obtenir de l'Eglise qu'elle accepte le socialisme."


"Biographie du 20e siècle", Tougui, 1985, pp 228-229