Ce texte de Loïc Chaigneau est la reprise in extenso d'un post public. Je ne connais pas Loïc Chaigneau, je ne lui ai pas demandé l'autorisation de publier ce post et c'est pourquoi je le publie sans rien en enlever ou y ajouter pour ne pas trahir ses intentions. Après avoir lu ce qu'il a écrit sur le communisme et le marxisme, j'attends avec le plus grand intérêt la parution de ce livre à la thèse plus qu' attirante pour quelqu'un qui cherche comme je le fais une nouvelle rencontre du communisme et de la foi, et plus précisément du communisme et du christianisme.
Introduction
Le christianisme contemporain souffre moins d’un excès de dogme que d’un défaut de structure. Il parle abondamment de foi, de valeurs, de conversion intérieure, mais il peine à penser ce qui fait tenir une vie, un couple, une communauté dans le temps. Il produit des discours spirituels, mais rarement des formes de durée.
C’est ce point aveugle que Fonder pour durer prend pour objet.
Dans ce livre, je ne part ni d’un problème moral, ni d’une crise affective, ni même d’un débat exégétique isolé. Je pars d’une question plus radicale : qu’est-ce qui, dans le christianisme, est capable de fonder durablement une forme de vie humaine ? Non pas seulement de sauver des âmes, mais de produire de la continuité, de la transmission, de la stabilité vivante.
C’est à partir de cette question que s’organise l’ensemble de cet ouvrage dont la parution publique est attendue au début du mois de Février 2026, mais dont la commande est déjà ouverte aux membres de l’Institut Homme Total, que je préside*.
I. La thèse centrale : l’alliance comme structure fondatrice du christianisme
La thèse de Fonder pour durer est à la fois simple dans sa formulation et radicale dans ses conséquences : le christianisme est, dans son noyau le plus profond, une anthropologie de l’alliance.
Non une morale, non une spiritualité désincarnée, mais une structure relationnelle fondatrice.
Relire l’alliance entre Jésus et Marie-Madeleine n’est donc pas un geste marginal ou provocateur. C’est une opération théorique décisive. Elle permet de mettre au jour ce qui, dans le christianisme originel, engage la chair, la différence sexuelle, la fidélité, le temps long et la transmission comme dimensions constitutives de la vérité chrétienne.
L’alliance n’est pas ici comprise comme sentiment privé ni comme arrangement affectif. Elle est pensée comme institution anthropologique première, c’est-à-dire comme lieu où s’articulent incarnation, parole donnée, durée et fécondité symbolique. En ce sens, le couple n’est pas une conséquence secondaire de la foi, mais l’un de ses lieux d’accomplissement.
Cette thèse rompt avec deux réductions dominantes : d’un côté, la réduction moraliste qui sacralise des formes sans les penser ; de l’autre, la réduction psychologisante qui dissout le lien dans l’émotion et l’adaptation subjective.
II. Une proposition théologique forte : l’Incarnation comme processus relationnel
Théologiquement, le livre opère un déplacement majeur. Je m’y refuse à penser l’Incarnation comme un événement isolé, ponctuel, et clos sur lui-même. L’Incarnation y est plutôt comprise comme un processus certes de rapport du transcendant vers l’immanent, mais aussi comme processus historique et relationnel, qui engage la totalité de ce qui est humain.
Dieu ne se fait pas chair pour suspendre l’histoire, mais pour y inscrire une forme nouvelle de vie. Et cette forme passe par des médiations concrètes : le corps, la relation, la fidélité, la parole tenue, le temps partagé, etc.
Dans cette perspective, l’alliance Jésus–Marie-Madeleine n’est pas un ajout narratif ou symbolique. Elle devient la figure même d’une Incarnation accomplie, non pas abstraite, mais vécue. Une Incarnation qui assume la différence sexuelle, la proximité, la durée, sans se dissoudre dans la fusion ni se retirer dans l’ascèse désincarnée.
Cette lecture s’oppose autant au sola scriptura qui absolutise le texte en oubliant la praxis, qu’aux dérives spirituelles qui détachent le Christ de l’épaisseur charnelle et sociale de l’existence humaine. Elle réinscrit le christianisme dans une logique pleinement incarnée, historique et communautaire.
III. Une anthropologie du couple comme lieu de fondation et de transmission
L’originalité la plus féconde du livre est sans doute anthropologique. Fonder pour durer ne parle pas du couple comme d’un idéal moral, mais comme d’une structure de fondation.
Le couple est pensé comme le lieu où se rend possible ce que la modernité rend de plus en plus difficile : la continuité, la mémoire commune, la transmission du sens. Non parce qu’il serait naturellement stable, mais parce qu’il est une œuvre, une construction consciente, une praxis.
Contre l’idée dominante selon laquelle le lien devrait rester réversible pour être libre, le livre défend une thèse inverse : c’est la durée qui rend la liberté humaine possible. Sans durée, il n’y a que de l’ajustement. Sans fidélité, il n’y a pas de monde commun.
Cette anthropologie ne sacralise pas le couple par principe. Elle montre en quoi le couple, lorsqu’il est fondé, devient une médiation entre l’individu et la communauté, entre la singularité vécue et l’ordre symbolique. Il est l’un des rares lieux où l’humain peut encore apprendre à tenir, à transmettre, à inscrire sa vie dans autre chose que l’instant.
IV. Une critique décisive du psychologisme contemporain
À rebours des discours dominants, je refuse, dans Fonder pour durer de lire la crise du couple comme un problème de communication, de gestion émotionnelle ou de compatibilité psychique, pour y faire la demonstration plutôt d’une désanthropologisation du lien.
Le psychologisme contemporain traite l’amour comme une expérience à optimiser ou à quitter lorsqu’elle devient coûteuse. Il remplace la parole donnée par l’évaluation permanente, la fidélité par la négociation, la crise par le symptôme.
J’oppose plutôt dans ce livre une position nette : aimer n’est pas un état, mais une praxis. Et toute praxis suppose un cadre, une éthique, une institution minimale. Sans cela, il n’y a pas de construction possible, seulement des tentatives successives.
Ce refus du psychologisme n’est pas un rejet de la subjectivité, mais sa réhabilitation. La subjectivité humaine n’est pas faite pour être gérée, mais pour s’engager dans le temps.
V. Une portée politique au sens fort : fonder contre la dissolution
Enfin, Fonder pour durer est un livre politique au sens le plus exigeant du terme. Non parce qu’il propose un programme, mais parce qu’il pose la question de la fondation là où la modernité ne sait plus que gérer, administrer, la crise.
Toute communauté qui ne fonde plus s’épuise. Toute société qui ne transmet plus se dissout. Le couple, compris comme alliance fondatrice, apparaît alors comme un lieu de résistance silencieuse à la fragmentation générale.
Ce que le livre met en jeu, ce n’est pas seulement la vie privée des individus, mais la possibilité même d’un monde habitable. Là où tout devient fluide, réversible, interchangeable, l’alliance réintroduit de la verticalité, du temps long, de la responsabilité.
Conclusion
Fonder pour durer n’est pas un livre consensuel. Dedans, je ne cherche ni à rassurer, ni à m’adapter aux catégories dominantes. J’assume au contraire une position exigeante : sans fondation, il n’y a pas de durée ; sans durée, il n’y a pas de liberté humaine réelle.
En réarticulant théologie, anthropologie et philosophie autour de la notion d’alliance, le livre propose une refondation du christianisme comme forme de vie incarnée. Non une nostalgie du passé, mais une proposition rigoureuse pour penser ce qui, aujourd’hui encore, peut tenir.
Joyeuse fête de Noël à tous mes lecteurs.
Noël n’est pas la célébration d’un apaisement général, ni la parenthèse sentimentale que notre époque aime s’accorder - C’est déjà ce que je défendais dans le Jésus, politique de l’an dernier, qui participe du recueil de textes accompagnant Fonder pour durer. Noël est un commencement. Il dit qu’une vie peut être fondée, qu’un sens peut s’inscrire dans la chair, et que cette inscription engage le temps.
Ce que le christianisme affirme à Noël, ce n’est pas une émotion spirituelle, mais une vérité exigeante : rien de durable ne se construit hors de l’incarnation, hors du lien, hors de la fidélité au réel. L’Incarnation n’est pas une fuite hors du monde, mais l’ouverture d’une forme de vie capable de durer.
Si Fonder pour durer a un sens, c’est à partir de là. Penser l’alliance, penser la transmission, penser ce qui tient dans le temps, ce n’est pas détourner Noël de sa signification. C’est au contraire en prendre la mesure.
À celles et ceux qui refusent la dissolution, qui cherchent à fonder plutôt qu’à flotter, à tenir plutôt qu’à s’adapter indéfiniment, je souhaite une fête de Noël fidèle à ce qu’elle annonce : non un confort telle une parenthèse dans la société libérale, mais une naissance.
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