28 mars 2015

Les obstacles à la da'wa - دَعْوة - en Occident, selon le musulman Garaudy



Roger GARAUDY
DAWA en Occident [La da'wa- دَعْوة - est l'invitation faite par les musulmans aux non-musulmans d'entendre le message du prophète. NDLR]

Le problème de la "dawa" (en Occident comme ailleurs) n'est pas un problème d'organisation ou de "marketing" mais un problème de fond: quelle image donnons-nous de l'Islam? Comment présentons-nous le message du Coran?
Le message du Coran, s'il n'est pas lu seulement avec les yeux des morts,(c'est â dire avec les yeux de ceux qui ont eu pour tâche, depuis des siècle, de résoudre les problèmes de leur temps, mais évidemment pas de résoudre ceux de notre temps), ce message est universel, mais une longue tradition (en particulier arabe) en a fait une religion particulière, parfois même "régionale".
Pourquoi? Parce que une lecture littéraliste, "talmudique", du Coran a trop souvent mélangé la loi divine, la "shari'a", commune, comme le dit le Coran (42,13), â toutes les religions révélées (et même aux sagesses du monde puisque Dieu a envoyé des prophètes à tous les peuples) avec le "fiqh", la législation propre au 7ême siècle (ou au lOème ou au 16ème siècle) et aux peuples arabes.
La grandeur du Coran est précisément de hiérarchiser et de montrer le lien spécifique entre la loi divine "Shari'a", éternelle et universelle, valable pour tous les temps, tous les lieux et toutes les religions, et le "fiqh" c'est à dire les législations par lesquelles les hommes ont tenté,à chaque époque et dans chaque pays, d'appliquer la loi divine transcendante dans des situations historiques différant selon les époques et les sociétés.
Cette liaison entre la transcendance et l'histoire, entre la religion et la politique, est la grande originalité du Coran.
- Dans la Thora juive, toutes les "lois", morales, politiques, rituelles, sont également contraignantes et prétendent, les unes comme les autres, à une valeur absolue et éternelle. Ainsi est bloquée 1'histoire.
- Dans les Evangiles des Chrétiens au contraire sont révélés 1es principes moraux éternels, mais sans indication sur les moyens propres â réaliser ces principes dans une situation historique particulière. Ainsi on fait abstraction de l'histoire.
- Le Coran donne des "exemples" de l'application des principes éternels de la "loi divine", liant ainsi la transcendance (la loi divine éternelle) et l'histoire (le fiqh: la législation historique, oeuvre des hommes dans chaque société).
Ces "exemples" tiennent peu de place dans le Coran (moins de 200 versets "législatifs" sur plus de 6.000 dans le Livre).
Ils ne traitent d'ailleurs que de quelques problèmes particuliers (loi sur l'héritage, le mariage, les sanctions pénales, etc...).
S'il avait voulu donner autre chose que des "exemples", des échantillons, de cette méthode d'application des principes invariants â des cas particuliers, il aurait explicité les bases, par exemple, d'une Constitution politique ou d'une doctrine économique.
Or, sur ces deux problèmes essentiels, le Coran ne formule pas des "lois" mais simplement des orientations: la "shura", qui n'est pas définie, exclut simplement tout pouvoir personnel absolu, l'obligation du "zakat", l'interdiction du "riba",
(qui n'est pas défini), la condamnation de la thésaurisation, excluant seulement l'accumulation de la richesse à un pôle de la société et de la misère â l'autre, sans dire par quelles institutions et par quelles législations cet ordre politique
et cet ordre économique peuvent être réalisés.
Cela montre clairement la part de responsabilité que le Coran laisse â l'homme pour construire la société à partir de la "shari'a fondamentale" et de ces orientations.
La shari'a fondamentale, ces orientations, et les "exemples" d'application, figurent tous dans le Coran, mais il est aberrant de mettre tout cela sur le même plan et d'appeler indistinctement et aveuglément "shari'a", un mélange de l'invariant éternel et les exemples d'application qui tiennent compte, par une véritable "pédagogie divine" des mœurs et des lois antérieures pour faire passer l'essentiel du message.
Un exemple limite: le verset 50 de la sourate 33: "Tu possèdes légalement tes épouses et tes esclaves," ou le verset 24 de la sourate 4 où, après avoir énuméré les femmes qui sont interdites, le texte dit que sont interdites" les femmes mariées, sauf si elles sont vos esclaves. "De tels textes non seulement portent la marque d'une époque historique ou règne l'esclavage, mais sont une évidente concession aux moeurs de cette époque, et ne peuvent comporter aucune application à notre époque.
Tabari a pris soin, dans son commentaire de chaque verset, d'étudier les circonstances historiques concrètes dans lesquelles il était descendu.
Si nous lisons aujourd'hui avec le même souci critique et historique, les deux cents versets dits "législatifs", alors nous pourrons comprendre combien le Coran représentait une humanisation des mœurs de l'époque, même si, pour faire passer l'essentiel du message, il ne balayait pas tout le passé.
Par exemple le Coran maintient la loi du talion, qui existait déjà dans la Thora juive et dans l a "Jahiliya", car les moeurs de l'époque, en Arabie, n'auraient pas permis de l'abolir, mais il ajoute (Sourate 42, verset 40-43) que si le talion est un droit, il est moralement préférable de pardonner, ce qui est la voie d'un Dieu "Clément et Miséricordieux".
Autre exemple: dans la société préislamique d'Arabie les femmes n'avaient aucun droit â l'héritage. C'est donc une avancée historique notable lorsque le Coran leur   reconnait une part. Et, dans une société ou toutes les charges sociales incombaient à l'homme, il était juste de rétablir l'équilibre en lui accordant une part plus importante.
D'une manière plus générale les différents versets "législatifs", lus dans leur contexte historique, peuvent être répartis en plusieurs catégories:
1) Ceux qui constituent une application directe des principes de la "shari’a" dans une situation historique donnée.
Par exemple, l'esclavage étant une institution qui ne pouvait alors être niée, le Coran donne des exemples de son humanisation: "un esclave pieux vaut mieux qu'un homme libre impie." (11,221). Ou encore l'interdiction faite aux propriétaires d'esclaves de les contraindre â la prostitution.
2) Ceux par lesquels le Coran ratifie une coutume antérieure, par exemple les recommandations sur le port du voile par les femmes.
Cette recommandation n'a rien de spécifiquement islamique: cette pratique, dans les  pays de l'Est de la Méditerranée était coutumière depuis des siècles.
Par exemple, plus de six siècles avant le Prophète Mohammed, Saint Paul écrivait déjà: "une femme qui ne porte pas le voile doit être tondue". (1er Epitre aux Corinthiens XI,6}.
3) Ceux qui sont une concession aux moeurs de l'époque que l'on ne pouvait prendre de front et balayer d'un seul coup.
Par exemple le sort des femmes esclaves et des prisonnières de guerre livrées â la merci du maître ou du vainqueur(voir plus haut).
Les mains coupées du voleur, pratique courante dans l'Arabie préislamique. (Aujourd'hui tenter de justifier cette pratique en prétendant que la rigueur de la
sanction est dissuasive est un mensonge absolu: les Etats-Unis, pays où la peine de mort est le plus systématiquement appliquée (plus de 2.000 au cours des 10 dernières années), est le pays qui détient le record mondial de la criminalité).
Appeler "shari'a" cet ensemble hétéroclite, enlève toute crédibilité à une "dawa", car ce littéralisme aveugle donne de l'Islam une image repoussante, et cette lecture sans esprit critique et historique défigure le Coran.

Elle empêche des milliers de gens de voir que dans la nouvelle "Jahiliya" de la civilisation occidentale décadente, la véritable "shari'a" (Dieu seul possède, Dieu seul commande, Dieu seul sait) peut unir toux ceux qui pensent que leur vie a un sens et que seule la loi divine (Shari'a) peut leur donner ce sens en l'arrachant â la loi de la jungle, à la loi du plus fort, â la loi du chaos.
Si, au contraire, l'on confond cette "shari'a fondamentale" avec le "fiqh" des siècles passés, l'on fait oeuvre de division, on isole l'islam, et on laisse des milliers d'hommes et de femmes livrés au désespoir. Dans ces conditions la "dawa" est vouée â l'impuissance et à l'échec.
C'est seulement en restaurant la "shari'a" dans sa vérité que l'islam peut trouver en notre siècle des conditions aussi favorables à son expansion qu'au premier siècle de l'Hégire.

Roger Garaudy
Archives R.G. Texte dactylographié
Non daté