Jésus après Marx
et Freud
par Ernesto BALDUCCI
Je voudrais
avant tout chercher à exprimer les sentiments que m'inspirent la lecture et
l'écoute de Garaudy. Je me suis souvent demandé si l'enthousiasme avec lequel
le monde chrétien accueille ses paroles n'a pas une raison plus sérieuse que
celle, suspecte, de l'instinct apologétique.
Il existe une
raison plus profonde, et je crois l'avoir comprise. Les réponses enthousiastes
aux discours de Garaudy sont la conséquence de la crise radicale d'identité
chrétienne que nous vivons : c'est le thème fondamental que je développerai. Le
Concile, qui aurait dû nous donner une carte
d'identité claire, nous les a toutes déchirées. Avant le Concile, il était
facile de répondre à ceux qui nous demandaient pourquoi nous étions
catholiques; depuis, un nombre important de chrétiens, dont j'ai le sentiment
de faire partie, ne savent plus répondre avec clarté.
Une coutume de
l'Eglise primitive me revient à l'esprit. Quand un chrétien quittait sa
communauté, il emportait avec lui un fragment de poterie ; à son retour, il
réunissait ce morceau à la partie restée aux mains de la communauté; il l'y
ajustait, et donnait ainsi le signe de lui-même, son « symbole ».
Je pense que
Garaudy nous rapporte un fragment semblable. Son expérience historique, vécue
avec tant de souffrance et une telle profondeur de réflexion, rencontre, avec
une opportunité providentielle, l'inquiétude du chrétien qui ne sait plus se
reconnaître lui-même dans le monde catholique, tellement saturé de théologies
aliénantes et si irrémédiablement attelé au char du capitalisme. Le témoignage
de Garaudy donne une indication utile, pour une nouvelle identité historique,
au chrétien qui s'est libéré des fausses identifications et qui, engagé dans le
dépassement de ses aliénations, fait du choix révolutionnaire sa manière d'être
dans l'histoire.
Le souffle
réconfortant qui nous vient des paroles de Garaudy peut s'expliquer, au moins
en ce qui me concerne, par l'intuition d'une nouvelle identité possible du
chrétien comme sujet historique.
Ernesto Balducci
Premières
lignes (pages 83-84) de sa contribution à l'ouvrage collectif Face à
Jésus publié en 1974 aux Editions du CERF