12 décembre 2013

En 1973, les Comités d'Initiative Communiste et l'autogestion socialiste

Le CLAS (Comité de Liaison pour l'Autogestion Socialiste) regroupe en 1973 plusieurs organisations parmi lesquelles les CIC (Comités d'Initiative Communiste) créés le 22 janvier 1971 dont les membres les plus connus sont Roger Garaudy, Charles Tillon, Jean Pronteau, Maurice Kriegel-Valrimont, Victor Leduc. 
Voici les thèses publiées par le CLAS en octobre 1973:


1. Le capitalisme, sous sa forme nationale ou multinationale, s’est aujourd’hui saisi, dans notre pays, de l’ensemble des activités humaines et des conditions de l’existence quotidienne, du travail à la chaîne à la télévision en passant par les cités parkings, les HLM, les marchés du loisir et de la culture, etc. L’Etat et l’ensemble des pouvoirs, qu’ils s’exercent à l’entreprise, sur la terre, sur la ville, sur l’information, sur l’enseignement, etc., ont pour fonction d’imposer, aussi bien par la répression que par une prétendue participation, un mode de vie permettant un constant élargissement de la production de plus-value. Le règne universel de la marchandise ébranle toutes les institutions et toutes les valeurs établies, met la société tout entière en état de crise permanente.

2. Face à cette crise, le terme d’autogestion exprime le sens de la solution révolutionnaire globale vers laquelle s’orientent les luttes présentes qui s’étendent à tous les secteurs de la vie sociale. Ces luttes remettent en cause l’organisation capitaliste du travail, le principe d’autorité et l’ordre hiérarchique dans tous les domaines, une école qui perpétue la séparation du travail manuel et du travail intellectuel, la fonction de classe de l’armée, de la police, de la justice, l’emprisonnement de la jeunesse dans les mécanismes de reproduction du capital, l’inégalité et la subordination de la condition féminine liées aux structures rétrogrades de l’institution familiale et de la vie sexuelle, l’exploitation sauvage des travailleurs immigrés, l’oppression économique et culturelle des minorités nationales de notre propre pays. On constate aujourd’hui que la croissance capitaliste aboutit à l‘irrationalité de la vie quotidienne, à la pollution, à la destruction des cycles écologiques et cela dans le cadre d’une surexploitation et d’une misère accrues imposées aux peuples du tiers monde. C’est pourquoi la finalité de cette croissance est elle-même largement remise en question.

3. Dans l’action contre toutes les formes d’exploitation, d’oppression et d’aliénation qu’engendre le capitalisme actuel, se constitue un nouveau bloc de forces sociales, fondé non sur une alliance provisoire et circonstancielle de classes ayant des intérêts divergents ou contradictoires, mais sur l’aspiration commune à un changement fondamental des structures des rapports entre les hommes et avec la nature, des modes de vie et de civilisation, à une autodétermination complète des peuples et des individus. Dans ce bloc, la classe ouvrière, en fonction de sa situation de classe la plus exploitée, joue un rôle central, mais les autres catégories de travailleurs et tous ceux, jeunes, femmes, etc., qui prennent conscience dans la lutte de la nécessité d’en finir de façon radicale avec le système capitaliste y ont leur place.

4. La révolution socialiste autogestionnaire trouve sa base objective dans le fait que la convergence des forces anticapitalistes peut se réaliser dans une période où sont réunies les conditions matérielles, scientifiques et techniques dans lesquelles notre société peut organiser rationnellement la production et la répartition en réduisant au minimum les contraintes de l’accumulation, en mettant fin à tout système autoritaire et hiérarchisé. Avec les moyens modernes d’information et de formation, le problème des décisions peut être résolu de façon rationnelle par les intéressés eux-mêmes à toutes les instances de la vie économique, sociale et politique.

5. Le socialisme autogestionnaire se fonde sur l’appropriation sociale des moyens de production et sur leur gestion directe par les travailleurs, déterminant eux-mêmes, dans le cadre d’un plan élaboré démocratiquement, les finalités, les conditions et la rétribution de leur travail. Sur cette base, il réalise le pouvoir des travailleurs à l’entreprise, dans les services, dans toutes les institutions ainsi qu’aux niveaux communal, régional, national. L’information et l’expression libres, la liberté d’association, de propagande et d’action syndicale, politique, culturelle permettent à tous les membres de la société d’assurer leur autodétermination et leur donnent la possibilité d’un développement collectif et d’un épanouissement personnel.

6. Même s’il aspirait dès sa naissance à ce type de société, le mouvement ouvrier n’a pu encore y accéder, tant en raison de l’absence de maturité des conditions matérielles que par l’effet d’illusions sur les possibilités d’y parvenir sans détruire le système capitaliste et son Etat, ou parce que les forces révolutionnaires, là où elles ont triomphé, ont mis en place des Etats à dominante bureaucratique fondée sur la direction de l’économie et de l’ensemble de la société par un seul parti hégémonique, lui-même organisé selon les principes du monolithisme. Dans ces conditions, les travailleurs, privés des libertés essentielles, restent également frustrés de la réalité des pouvoirs de décision et de gestion à l’entreprise et dans tous les secteurs de la vie sociale.

7. Tel qu’il s’exprime dans le Programme commun de gouvernement, le projet de société demeure tributaire de ces deux tares historiques. D’une part il diffuse la croyance selon laquelle il est possible d’avancer vers le socialisme dans le cadre même du système économique actuel et en laissant subsister les formes institutionnelles de son appareil d’Etat. D’autre part, il annonce l’installation progressive d’un capitalisme d’Etat assorti d’une gestion dite démocratique, mais dans laquelle ce sont les appareils des partis et de syndicats qui, dans le cadre de la propriété étatique des moyens de production, assumeraient le rôle dirigeant. Toute l’expérience du mouvement ouvrier montre que, dans un tel système, c’est au parti de type monolithique que reviendrait tôt ou tard l’hégémonie politique. La pire des illusions consisterait à croire que les perspectives tracées par ce programme sont compatibles avec l’autogestion socialiste.

8. Le combat pour le socialisme autogestionnaire prend appui sur les luttes actuelles contre l’exploitation et l’oppression, luttes qui, dans leur forme (autodirection par les travailleurs et tout récemment par les lycéens et par les étudiants) et dans leur contenu, posent de plus en plus le problème de la transformation des rapports de production et des rapports sociaux. Ces problèmes sont également posés dans les actions qui se développent dans les domaines de l’école, du cadre de vie, de la santé, de l’habitat, des transports, dans les actions que mènent les jeunes, les femmes, les travailleurs immigrés, les minorités nationales. Mais ces luttes ne peuvent déboucher spontanément sur l’autogestion socialiste, pas plus que n’y peut conduire une politique réformiste ou l’hégémonie de directions bureaucratiques sur le mouvement ouvrier.

9. La destruction de l’appareil d’Etat de la bourgeoisie et de tous les pouvoirs sur lesquels il s’appuie, sur l’entreprise, sur l’éducation, sur le cadre de vie et sur le mode de vie, est le préalable à l’instauration du socialisme autogestionnaire. C’est donc un problème politique qu’affronte nécessairement le gouvernement pour l’autogestion. Celui-ci doit élaborer et appliquer une stratégie révolutionnaire adaptée aux conditions actuelles de la lutte des classes, stratégie dans laquelle les luttes pour le contrôle des travailleurs sur les entreprises et les services et pour le contrôle populaire sur l’habitat et le cadre de vie, l’éducation, la santé, etc., peuvent constituer des objectifs intermédiaires préparant la crise révolutionnaire. Au cours de cette crise, l’instauration d’un réseau de bases d’autogestion peut être une arme essentielle dans la bataille pour abattre le pouvoir de la bourgeoisie.

10. Confronté à cette tâche historique, le mouvement révolutionnaire pour l’autogestion ne peut se développer sans disposer d’une instance capable d’élaboration politique et théorique, capable de regrouper des forces sociales engagées ou susceptibles d’être engagées dans les luttes, capable de dégager scientifiquement les perspectives générales et de les proposer pour des luttes nouvelles. L’organisation révolutionnaire qui assumera ce rôle doit rejeter les schémas dépassés d’une avant-garde qui se rassemble sur la base d’un programme élaboré en vase clos et sur un modèle pré-établi d’organisation et qui se tient pour l’incarnation de la classe ouvrière et de la conscience révolutionnaire. La conscience et les forces révolutionnaires se constituent dans un rapport constant entre le mouvement autonome des masses, les luttes réelles et l’organisation politique.

11. Entre l’organisation politique et les organisations de masse, qu’elles soient permanentes comme les syndicats ou temporaires comme les comités de lutte, les comités de grève, etc., les liens doivent être multiples à tous les échelons et contribuer, tant sur la base géographique que sur celle des secteurs d’intervention, à l’élaboration de la ligne politique et des décisions.

12. Dans ses structures, l’organisation doit préfigurer les rapports sociaux du socialisme d’autogestion. Elle doit être suffisamment décentralisée pour permettre aux militants la plus grande autonomie dans les luttes et la capacité d’élaboration et de décision à la base. La libre circulation des idées, la confrontation des points de vue, la reconnaissance explicite des courants et leur représentation briseront toute possibilité de monolithisme et de captation bureaucratique de la direction. Mais l’organisation doit garantir sa cohérence et sa capacité d’action révolutionnaire par une définition suffisamment claire et précise de ses orientations de base.

13. Dans une telle organisation, l’engagement politique n’est pas le renoncement sécurisant à prendre des initiatives et des responsabilités. Chaque militant est au contraire appelé à développer dans l’élaboration et dans l’action ses capacités de création, et tout l‘effort de formation et d’information, la pratique politique et le langage lui-même doivent tendre à lui permettre d’affirmer sa personnalité dans la lutte collective pour la révolution et le socialisme autogestionnaire.

14. La création de l’organisation révolutionnaire pour l’autogestion est l’objectif commun des partis et groupements révolutionnaires qui rejettent le passage par une phase de direction centraliste de l’économie et de l’Etat et qui ont pris position sans équivoque pour l’autogestion socialiste. Mais elle nécessitera la réunion de dizaines de milliers de travailleurs et militants des organisations syndicales, sociales, culturelles qui seront appelés dans des assemblées de base à construire ensemble l’instrument politique indispensable à la coordination et à la convergence de leurs luttes vers la révolution socialiste autogestionnaire.