Religion, raison, espérance
À propos de l'Encyclique Spe Salvi
par Juan José Tamayo, théologien
« Je puis comprendre la foi et l’amour. Mais l’espérance ? L’espérance est une merveille, un miracle, un mystère, un rayon de lumière au sein d’un monde dans lequel la folie humaine semble détruire tout fondement qui permettrait de croire que celui-ci sera capable de s’améliorer. » Ainsi s’exprimait le poète français Charles Péguy au début du vingtième siècle. Mais en suivant sa trace dans un contexte de pessimisme existentiel, philosophique et culturel, on peut sans doute reconnaître, pendant la première moitié du vingtième siècle, deux philosophies de l’espérance qui contribuèrent à illuminer l’obscurité de ce moment historique.
La première fut celle du penseur chrétien français Gabriel Marcel dans son œuvre essentielle Homo Viator. Celle-ci présentait une introduction à la métaphysique de l’espérance laquelle analysait la créativité de l’espérance et son lien mystérieux avec le « tu » absolu à partir de l’image suggestive de l’être humain en tant qu’itinérant.
L’autre est celle du philosophe marxiste allemand Ernst Bloch qui, avec la trilogie Le Principe Espérance – véritable encyclopédie des utopies – centrait sa réflexion sur la réalité comme processus et sur les possibilités de l’espérance dans le monde, à partir de la considération de l’être humain comme « animal utopique ».
Dans une autre atmosphère plus favorable à l’espérance et de grande densité utopique comme le fut la décade des années 60 du siècle dernier, est apparue à l’intérieur du christianisme et sous l’influence de Bloch, La Théologie de l’Espérance – une des plus créatives de ces 50 dernières années – de Jürgen Moltmann. Il découvrait dans le marxisme la possibilité de raviver l’espérance chrétienne ; faisait sien le principe-espérance de Bloch, reprenait l’idée de futur en tant que clé de voute de la religion biblique et passait d’un bond du « Dieu sans futur » de la théologie scolastique desséchée au « Dieu de l’avenir et de l’espérance ».
Et voici que Benoît XVI récupère l’espérance comme thème de réflexion dans sa seconde encyclique, Sauvés par l’espérance ; ce qui est plein d’intérêt, d’autant que celle-ci constitue un thème central dans le christianisme. Celui-ci est souvent oublié ou peu mis en valeur dans la théologie ainsi que dans la vie des chrétiens car ces derniers, en effet, ont donné plus d’importance à célébrer le Vendredi Saint que le Dimanche de la Résurrection.
Cela dit, la première surprise qu’apporte la lecture de l’encyclique est qu’elle ne cite même pas une seule fois Vatican II, un des événements les plus porteurs d’espérance de l’histoire moderne du christianisme, auquel le pape participa personnellement comme théologien. Ce fut précisément Vatican II qui rétablit la communication entre l’espérance chrétienne et les utopies historiques, après plusieurs siècles de cheminement en parallèle, voir en directions opposées.
Pour Benoît XVI il n’y pas d’autre fondement pour l’espérance que Dieu. C’est une constante qui se répète à chaque page de l’encyclique et sans rien y changer : « L’homme a besoin de Dieu, sinon il reste sans espérance. Un royaume de Dieu instauré sans Dieu – un royaume émanant seulement de l’homme – aboutit inévitablement à la fin mauvaise de toute chose telle que décrite par Kant » (n. 23). Plus radicalement encore il écrit : « Un monde sans Dieu est un monde sans espérance. Seul Dieu peut instaurer la justice » (n. 44). « Il est vrai que qui ne connaît pas Dieu, alors même qu’il aurait de multiples motifs d’espérance, est au fond sans espérance, sans la grande espérance qui soutient la vie (Eph 2,12). La grande espérance, la seule authentique, qui résiste malgré toutes les désillusions, ne peut qu’espérer en Dieu » (n. 27). « Un monde qui doit créer sa propre justice par lui-même est un monde sans espérance » (n. 42).
Dans ces textes se font sentir le pessimisme anthropologique et le théocentrisme exclusif de Benoît XVI, qui l’accompagnent depuis les débuts de son enseignement théologique, et qui est allé en se radicalisant à mesure qu’il atteignait des postes de pouvoir jusqu’à arriver au sommet du Vatican. Une optique plus optimiste est celle de l’anthropologie de l’espérance : l’être humain vit pour autant qu’il espère. « De par sa nature, affirme Lain Entralgo, l’homme est tenu d’espérer, il ne peut pas ne pas espérer. »
Dans cette encyclique, Benoît XVI dynamite les ponts de communication établis par Vatican II entre l’espérance chrétienne et la transformation du monde. Il condamne de façon iconoclaste quelques-unes des réalisations historiques les plus emblématiques de la modernité. Il s’agit, très concrètement de trois d’entre elles : la foi dans le progrès, symbolisée par Francis Bacon, la Révolution française et le marxisme. Pour le Pape quels sont les lieux privilégiés pour apprendre l’espérance? Ce sont l’agir illuminé par Dieu, la prière et la souffrance.
Où reste donc la raison dans la méditation de Benoît XVI? Elle est certainement très présente, mais elle manque d’autonomie, elle est domestiquée. Elle ne peut être humaine que si elle se soumet à la tutelle divine, que si elle s’ouvre aux forces salvifiques de la foi.
L’encyclique s’achève avec une réflexion sur la vie éternelle, à la manière des anciens traités sur les fins dernières, en présentant le jugement dernier comme lieu d’apprentissage et d’exercice de l’espérance, mais avec l’enfer et le purgatoire au centre, et sans même de référence au ciel. Le panorama n’est pas précisément habité par l’espérance, même pas pour après la mort.
Texte paru dans El Periodico
traduit par Edouard Mairlot
NDLR: Juan José Tamayo, directeur de la Chaire de théologie et des sciences des religions de l’Université Carlos III de Madrid, a donné le 3 novembre 2010 une conférence à la Fondation Paradigma Cordoba: Multiculturalism and coexistence: the paradigm Cordoba. Dans la première partie il a analysé le travail de Roger Garaudy pour justifier la fondation et basé sa conférence sur l'interculturalitè .