L’Afrique va mal, l’Afrique en panne,
l’Afrique s’enfonce, « Afro-pessimisme », discours récurrents tenus
dans les media et au sein des salles de conférences où l’on débat doctement du
« développement » au travers des lunettes d’une vision financière
globale du monde.
Les seules images périodiquement
diffusées aux publics du nord sur le sujet de l’Afrique ne sont qu’hommes en
armes, parfois en uniformes, plus souvent en guenilles, enfants, femmes et
vieillards squelettiques, scènes de violence sauvage.
Les institutions internationales, Fonds
Monétaire International (FMI), Banque Mondiale, et autres instances de
l’économie globale, plaident - un peu - coupable, pour mieux enfoncer le fer
« Qu’allons nous faire de l’Afrique ? ».
Un peu coupable ? Très coupables des
dégâts causés par les ajustements structurels du FMI (moins d’Etat, donc moins
de services publics. Privatisez, sinon nous supprimons l’aide financière), et
par les stratégies géopolitiques hégémoniques de la Banque Mondiale entièrement
à la solde des puissances du nord et pour leur seul profit.
Ce que l’on a osé appeler « le
développement » a servi en réalité de masque et même de massue à la
domination. On a même entendu des gens comme Ronald Reagan déclarer « Ils
n’ont qu’à faire comme nous !»
Mais heureusement il y a une autre
Afrique dont on ne parle pas, ou si peu, celle des africains, les descendants
de ceux qui ont pu échapper au plus grand crime de masse de l’histoire de
l’humanité, la traite des noirs, l’esclavage et le génocide de dizaines de
millions d’hommes qui en a découlé contre les peuples d’Afrique, devenus
marchandises pour le plus grand bénéfices des compagnies de l’occident du nord.
Une Afrique qui porte en elle un avenir,
notre avenir à visage humain parce qu’elle refuse le modèle robotique qui fait
courir l’espèce humaine à sa perte.
L’Afrique et ses hommes
Comme le déclarait le Colonel Kadhafi à
l’occasion d’un entretien publié dans le Figaro magazine du 24 juin 2000 :
« L’Afrique a d’immenses ressources
humaines, de vraies richesses dans son sol, une force de travail bon marché,
une réelle volonté de progrès. Elle ne restera pas dans les prochaines années
ce continent méprisé. Le monde devra traiter sur un pied d’égalité avec nous.
Respecter notre environnement, nos traditions de démocratie populaire et du
statut social qui prévaut pour chacun en Afrique. »
Faut-il rappeler que c’est sur le
continent africain qu’est apparue l’espèce humaine. Lucy, un ou une autre c’est
là qu’en l’état de nos connaissances s’est levé le premier « homo
erectus ».
Est-ce pour cela que les africains ont
une telle capacité à se dépasser comme le montrent les records dont ils sont
capables dans le domaine de la compétition sportive qui nécessite plus que
toute autre activité humaine, endurance, rapidité, concentration et volonté.
Mais au-delà de leurs exploits hors du
commun – au sens propre du terme – faut-il aussi rappeler que les africains ont
de remarquables traditions de solidarité et d’hospitalité, complètement
disparues de la culture occidentale qui n’a de cesse que de prôner
l’individualisme et la « réalisation » personnelle.
« Les africains se considèrent comme
‘frères’ étant constitués du ‘même sang’, des ‘mêmes âmes’, de ‘même corps’, de
‘même couleur-papaye-mûre’. On les dit sortis de la ‘même graine’, chauffés,
forgés, cuits et trempés dans le ‘même feu’, coulés dans le ‘même moule’, et le
‘même métal’, dans la ‘même pierre’, pétris dans la ‘même pâte’, dépositaires
exclusifs du suc et du sel de la ‘même terre’. » (Isaac Nguema, Ancien ministre gabonais,
Ancien Président de la Commission africaine des droits de l’homme – Le droit traditionnel
africain – Revue Nord-Sud XXI n°14)
Des réalisations adaptées
La présentation apocalyptique de la
situation du continent africain n’est sans doute pas dénuée d’arrières pensées
de la part des relais d’opinion confortablement installés au nord.
Quelle méthode plus efficace que
l’humiliation de l’autre pour marchander, en faisant naître un sentiment
d’infériorité chez l’interlocuteur ?
Or, la « globalisation » de
l’économie mondiale fait d’abord de l’Afrique un marché, qu’il convient
d’exploiter au meilleur prix, tout en lui imposant une normalisation à marche
forcée selon des modèles culturels et techniques déterminés par ceux-là
même qui mènent cette globalisation et
qui sont les seuls à en profiter.
Et pourtant l’Afrique est le continent de
l’avenir parce qu’elle est encore préservée de cette normalisation des corps,
des esprits et de l’environnement qui est en train de détruire tout l’occident
et ceux qui se soumettent à son modèle.
La mondialisation heureuse n’existe pas.
C’est une fiction, un nouvel opium inventé par les « décérébreurs »
professionnels.
Les occidentaux ne font plus d’enfants,
ou en tous cas pas suffisamment pour assurer la reproduction, ils se
cadenassent dans leurs Etats forteresses pour en interdire l’entrée aux
« étrangers », pourtant des femmes et des hommes comme eux, de peur
de partager. Ils n’entrebâillent leurs
portes que pour laisser entrer des
quotas de nouveaux esclaves quand la main d’œuvre fait défaut.
L’Afrique et les africains sont notre
avenir parce qu’ils résistent au lavage de cerveau, à la
« modernité », à l’asservissement d’un progrès qui n’inspire plus
confiance, au nihilisme des occidentaux devenus marchands de «fast food »
mental et matériel.
Or, il est étrange de constater le
décalage entre le discours des « patrons » de la mondialisation et
les réalités africaines.
D’un côté, les organisations financières
internationales – qui n’ont d’internationales que l’appellation puisqu’elle
fonctionnent sous la direction exclusive d’une poignée d’Etats, quand ce n’est
pas d’un seul, à savoir les Etats-Unis – se plaignent de devoir baisser les
bras et déplorent la situation catastrophique du continent africain.
De l’autre, la réalité montre pourtant
que les initiatives prises en main par les africains, dans des conditions
adaptées à leur environnement et à leur culture, fonctionnent tout à fait
correctement.
Quelques exemples dont la grande presse
ne juge pas utile de parler:
- La modernisation forcée du
développement rural à l’occidentale est en train d’appauvrir les populations du
Sahel en leur faisant perdre leur mode de vie traditionnel et donc leurs
techniques pour s’auto subvenir. Etait-il dans leur intérêt de leur faire
expérimenter la culture du riz en zone désertique ?
Neuf Etats de la zone sahélienne (le
Burkina-Faso, le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali, la Mauritanie,
le Niger le Sénégal et le Tchad) se sont unis pour fonder le « Comité
inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel » (CILLS) et réaliser
des actions en commun afin de réapprendre aux populations les méthodes
traditionnelles qui respectaient l’environnement à la différence des méthodes
importées.
C’est la seule condition pour qu’un
développement rural adapté aux conditions locales permette aux populations de produire
leur alimentation.
Or, cette auto-suffisance alimentaire
n’est pas du goût des grands groupes agro-alimentaires, ni des financements internationaux toujours plus
rentables pour les prêteurs, rien que par le jeu de poker menteur des intérêts
d’emprunt.
Que dire de la déforestation provoquée
par le marché des bois tropicaux pillés par les occidentaux qui n’avaient cure
de replanter sachant que les africains n’avaient aucune tradition de
sylviculture puisqu’ils n’avaient pas pour habitude d’exploiter leurs forêts.
Les conséquences de cette déforestation
sauvages sont tragiques : détériorations écologiques, dégradation de la
biosphère, destruction de la faune, assèchement, désertification.
Parmi d’autres, l’Etat du Cameroun dont
le territoire était couvert de forêts, riches d’essences rares, presque
entièrement détruites à force d’exploitation par les forestiers étrangers, a
pris depuis quelques années des mesures coercitives en interdisant totalement
la coupe dans certaines régions et obligeant les forestiers à planter plus
qu’ils ne coupent pour tenter de reconstituer la forêt.
- Dans un autre domaine qui est celui des
besoins financiers nécessaires au démarrage des petites entreprises à taille
humaine, les seules adaptées aux vrais besoins des populations pour disposer
des revenus nécessaires à la famille, ce ne sont certainement pas les
financements internationaux qui apportent une réponse, mais des organismes
locaux dits de « micro financement ».
La méthode la plus couramment utilisée
est celle du « prêt collectif » à des groupes solidaires dont la
taille va de quelques personnes, à la « banque villageoise »
rassemblant trente à cinquante membres. Les co-emprunteurs sont collectivement
solidaires du remboursement, système supprimant les coûts administratifs ou les
garanties financières exigées par les banques classiques.
Ces prêts sont ainsi accessibles aux plus pauvres grâce à un système de solidarité
assez exemplaire.
Les organismes africains de micro
financement ont développé sur tout le continent une grande variété de méthodes
et de systèmes inventifs.
Outre les groupes d’emprunteurs
solidaires, les banques villageoises et les coopératives d’épargne et de
crédit, d’autres formes d’association à fonds commun ont fait la preuve de leur
efficacité (tontines en Afrique de l’ouest, chiolas au Kenya, stockvels en
Afrique du Sud).
Systèmes de financements adaptés,
directement profitables aux plus démunis pour créer un tissu économique
correspondant aux besoins, sans pertes et sans détournements de leur objet,
voici des réponses bien plus convaincantes et optimistes que la commisération
hypocrite des grands argentiers occidentaux.
- Autre exemple de réalisme né des
traditions africaines, celui du cadre
institutionnel existant avant que ne soient imposés les mauvais modèles
occidentaux.
On trouve la préfiguration de l’Etat de
droit dans l’expérience historique de ce continent. On dit en Afrique « Ce
n’est pas le roi qui a la royauté, c’est la royauté qui a le roi ». Cela
signifie que le roi lui aussi est assujetti à une instance supérieure. Ainsi
l’empereur des Mossis est tenu de rester assis afin qu’à tout instant ses
« sujets » puissent lui donner leur avis Il est à leur disposition,
devenant ainsi littéralement le premier esclave du droit et de la coutume.
L’Etat africain traditionnel relève d’une
vision totalement différente du concept occidental de l’Etat souverain, monstre
froid et impersonnel, omniscient, extérieur à la société humaine et conduit par
des experts qui se prétendent infaillibles.
Selon ce qu’analyse Isaac N’Guema cité
plus haut :
L’Etat traditionnel africain est
pluraliste, constitué de plusieurs structures, l’ethnie, la tribu, le clan qui
remplissent chacun des fonctions différentes dans la société.
Il est « thermodynamique » car
aucune de ces structures ou fonctions ne peuvent à elles seules répondre aux
besoins du village, contrairement à ce que prétend le modèle occidental. Seule
la combinaison de ces fonctions assure la cohésion de la communauté.
L’Etat traditionnel africain gouverne et gère non par la force des armes
ou l’autorité formelle des lois et des décrets, mais par le savoir-faire. Les
conflits ne se règlent pas au moyen de normes préétablies et impersonnelles
mais par le dialogue permanent et le frottement continu du contact humain
direct.
Enfin, il n’y a pas de séparation entre
l’Etat et la société civile. L’Etat n’est ni transcendant, ni extérieur, ni
omniscient, ni souverain. C’est un Etat immanent qui coexiste, qui cohabite, et
qui communique avec la société dont il est inséparable.
D’un côté, l’Etat à l’occidentale conçu
comme une « société anonyme » composée de sourds-muets et d’aveugles,
dont les composantes ne se croisent qu’à l’occasion de confrontations sociales
sèches, de l’autre, la tradition africaine, concrète, basée sur les actes et
non les déclarations de principe, fonctionnant, non sur la confrontation et les
rapports de force, mais sur le dialogue et la solidarité.
Le mode traditionnel de règlement des
conflits en Afrique est particulièrement exemplaire, puisqu’il est issu d’un
long processus de discussion, de négociation, de persuasion, de concertation,
ce qu’on appelle la « palabre ».
Chaque membre de la communauté peut y
participer et la solution potentielle évolue par touches et retouches répétées,
par avancées progressives, jusqu’à ce qu’un véritable consensus se dégage.
C’est un système fondé sur la conjonction
des différences qui sont toutes prises en compte, alors que le mécanisme
occidental se base sur l’accumulation des multiplicités, entre lesquelles le
conflit doit être tranché, souvent brutalement et excluant toujours une partie
de la société.
Les régimes juridiques des Etats créés au
moment de la décolonisation ont souffert du sceau occidental, et notamment les
Etats d’Afrique de l’Ouest qui ont conservé le système français, aussi bien
pour l’organisation des institutions que pour leur administration, copie
conforme du colbertisme, fort éloignée des coutumes et des usages traditionnel
décrits plus haut.
Cependant ces africaines et ces africains
qui animent ces institutions et ces administrations y mettent leur
personnalité, leur culture et leurs habitudes, elles, traditionnelles, de sorte
que l’on assiste à un curieux mélange des genres, parfois cocasse dans le
décalage entre le formalisme abstrait à l’occidentale, et le « vécu »
africain, parfois complexe, en raison des contradictions inhérentes à ces deux
conception de gestion des rapports sociaux.
Aujourd’hui encore, alors que ces
indépendances remontent à plusieurs décennies, peu de nations se sont délivrées
des clonages occidentaux.
Il faut cependant citer le cas exemplaire
du Soudan qui a su s’affranchir des influences exogènes en se dotant d’une
nouvelle constitution en 1998.
Le Soudan, qui s’était trouvé à partir de
1899 sous le contrôle d’un condominium
anglo-égyptien dans lequel le Caire
n’avait qu’un rôle fictif, est devenu indépendant le 1er janvier 1956, sous
forme de système parlementaire de type britannique.
Il est organisé sous forme de fédération,
constituée de 26 Etats, ayant chacun un gouverneur (Wali), un gouvernement et
un conseil législatif. La capitale fédérale, Khartoum, se trouve au croisement
des deux Nil, le Nil blanc et le Nil bleu, pour former le « grand
Nil » jusqu’à la Méditerranée.
Le projet de nouvelle constitution a été préparé par une
commission constituée non seulement de
juristes et de représentants des différentes tendances politiques, mais aussi
de personnes issues de toutes les catégories sociales et professionnelles,
c’est à dire en réalité, de la population.
Il s’agit là d’un exemple de mise en
pratique des caractéristiques relevées à l’égard de ce qu’est la tradition en
Afrique qui prend en compte les différences pour en dégager la solution
adaptée.
Le caractère démocratique de la
commission chargée de préparer le projet de constitution et cette prise en
compte des réalités, ont permis d’aboutir à un texte tout à fait original et
conforme aux qualités de ce qu’est l’Etat africain traditionnel.
Sans reprendre l’ensemble du texte de la
constitution tel qu’il a été approuvé par l’assemblée nationale le 28 mars 1998
et soumis ensuite à un referendum, trois
articles sont exemplaires :
Article 1 : « Le Soudan est un
Etat au sein duquel fraternisent des ethnies et des cultures différentes dans
un esprit de tolérance pour les croyances diverses. L’Islam est la religion de
la majorité de la population, le christianisme et les croyances traditionnelles
représentent un nombre considérable d’adeptes. »
Article 6 : « Le pays est uni
par un esprit de fidélité et de conciliation au sein de toute la population,
ainsi que par la participation dans la répartition du pouvoir et de la richesse
nationale, de manière juste et sans grief. L’Etat et la communauté nationale
oeuvrent à la consolidation de l’esprit de conciliation et de l’unité nationale
entre tous les soudanais pour lutter contre le fanatisme religieux, partisan ou
sectaire et empêcher le racisme ethnique.
Article 67 : « Les membres de
l’Assemblée nationale sont élus au suffrage universel ou par une élection
indirecte :
75 % des membres sont élus au suffrage
universel et représentent des circonscriptions équitablement définies en
fonction de la répartition démographique.
25 % des membres sont élus par suffrage
spécial ou indirect en représentation des femmes et des communautés
scientifiques et professionnelles au nom des Etats (de la Fédération).
Ces articles de la nouvelle constitution
du Soudan, sélectionnés parmi d’autres tout aussi intéressants, montrent qu’il
est possible de mettre en place en Afrique un système institutionnel, conforme
aux traditions et au mode africain des relations sociales, bien plus proche de
la notion de démocratie que le modèle occidental qui aboutit à un divorce
évident entre les gouvernants et les gouvernés.
Ces quelques exemples doivent faire
prendre conscience d’une vision en positif et en « pleins » de
l’Afrique et non pas en négatif et en « creux », comme ne cessent de
le répéter les observateurs du nord, derrières leurs grilles de lecture, leurs
ratios et leurs pourcentages, sans compter leurs leçons de morale politique
particulièrement déplacées.
Est-il admissible qu’aujourd’hui encore,
l’Union européenne ne prête aux « pays pauvres » et particulièrement
à l’Afrique que sous « conditionnalité politique » en imposant des
critères politiques plus contraignants que jamais pour juger du caractère
démocratique des régimes.
Il s’agit exactement du
« neo-colonialisme du portefeuille (sic) d’aide », provoquant cette
remarque fort bien dite d’un ministre africain (Libération 2 février 2000)
:
« L’Europe nous impose son destin,
comme toujours pour être aidé, il faut faire comme le Blanc ».
Rubens Ricupero (ancien ministre des
finances du Brésil, secrétaire général de la CNUCED) constate (interview parue
dans Libération le 11 février 2000) :
« La mondialisation ne peut pas
aider les pays du sud à s’en sortir. Le Sud et les gens les plus pauvres des
pays riches s’avèrent les grands perdants de la mondialisation. (…) Il y a dix
ans, déjà les 20 % les plus riches gagnaient 50 fois plus que les 20 % les plus
pauvres. Aujourd’hui c’est 150 fois plus ! Un système qui met sur la
touche 5 milliards d’humains perd sa légitimité et ne peut survivre longtemps.
L’univers économique actuel est myope ».
Il est plus que myope, il est aveugle.
Si l’Afrique n’est pas
« rentable » pour les « marchands de soupe » et c’est fort
heureusement – osons le dire -, elle est pourtant notre espoir, notre chance
pour l’avenir, car ce sont les peuples africains qui sauveront notre humanité
perdue.
Prenons modèle et à l’inverse de Reagan
et des technocrates européens, affirmons « nous n’avons qu’à faire comme
eux » car l’Afrique est notre avenir à tous.
Isabelle Coutant Peyre
Revue "A contre-nuit", n°10- 19 juillet 2000