24 octobre 2012

Afrique, notre avenir à tous



 L’Afrique va mal, l’Afrique en panne, l’Afrique s’enfonce, « Afro-pessimisme », discours récurrents tenus dans les media et au sein des salles de conférences où l’on débat doctement du « développement » au travers des lunettes d’une vision financière globale du monde.
Les seules images périodiquement diffusées aux publics du nord sur le sujet de l’Afrique ne sont qu’hommes en armes, parfois en uniformes, plus souvent en guenilles, enfants, femmes et vieillards squelettiques, scènes de violence sauvage.
Les institutions internationales, Fonds Monétaire International (FMI), Banque Mondiale, et autres instances de l’économie globale, plaident - un peu - coupable, pour mieux enfoncer le fer « Qu’allons nous faire de l’Afrique ? ».
Un peu coupable ? Très coupables des dégâts causés par les ajustements structurels du FMI (moins d’Etat, donc moins de services publics. Privatisez, sinon nous supprimons l’aide financière), et par les stratégies géopolitiques hégémoniques de la Banque Mondiale entièrement à la solde des puissances du nord et pour leur seul profit.
Ce que l’on a osé appeler « le développement » a servi en réalité de masque et même de massue à la domination. On a même entendu des gens comme Ronald Reagan déclarer « Ils n’ont qu’à faire comme nous !»
Mais heureusement il y a une autre Afrique dont on ne parle pas, ou si peu, celle des africains, les descendants de ceux qui ont pu échapper au plus grand crime de masse de l’histoire de l’humanité, la traite des noirs, l’esclavage et le génocide de dizaines de millions d’hommes qui en a découlé contre les peuples d’Afrique, devenus marchandises pour le plus grand bénéfices des compagnies de l’occident du nord.
Une Afrique qui porte en elle un avenir, notre avenir à visage humain parce qu’elle refuse le modèle robotique qui fait courir l’espèce humaine à sa perte.

L’Afrique et ses hommes

Comme le déclarait le Colonel Kadhafi à l’occasion d’un entretien publié dans le Figaro magazine du 24 juin 2000 :
« L’Afrique a d’immenses ressources humaines, de vraies richesses dans son sol, une force de travail bon marché, une réelle volonté de progrès. Elle ne restera pas dans les prochaines années ce continent méprisé. Le monde devra traiter sur un pied d’égalité avec nous. Respecter notre environnement, nos traditions de démocratie populaire et du statut social qui prévaut pour chacun en Afrique. »

Faut-il rappeler que c’est sur le continent africain qu’est apparue l’espèce humaine. Lucy, un ou une autre c’est là qu’en l’état de nos connaissances s’est levé le premier « homo erectus ».
Est-ce pour cela que les africains ont une telle capacité à se dépasser comme le montrent les records dont ils sont capables dans le domaine de la compétition sportive qui nécessite plus que toute autre activité humaine, endurance, rapidité, concentration et  volonté.
Mais au-delà de leurs exploits hors du commun – au sens propre du terme – faut-il aussi rappeler que les africains ont de remarquables traditions de solidarité et d’hospitalité, complètement disparues de la culture occidentale qui n’a de cesse que de prôner l’individualisme et la « réalisation » personnelle.
« Les africains se considèrent comme ‘frères’ étant constitués du ‘même sang’, des ‘mêmes âmes’, de ‘même corps’, de ‘même couleur-papaye-mûre’. On les dit sortis de la ‘même graine’, chauffés, forgés, cuits et trempés dans le ‘même feu’, coulés dans le ‘même moule’, et le ‘même métal’, dans la ‘même pierre’, pétris dans la ‘même pâte’, dépositaires exclusifs du suc et du sel de la ‘même terre’. » (Isaac Nguema, Ancien ministre gabonais, Ancien Président de la Commission africaine des droits de l’homme – Le droit traditionnel africain – Revue Nord-Sud XXI n°14)


Des réalisations adaptées

La présentation apocalyptique de la situation du continent africain n’est sans doute pas dénuée d’arrières pensées de la part des relais d’opinion confortablement installés au nord.
Quelle méthode plus efficace que l’humiliation de l’autre pour marchander, en faisant naître un sentiment d’infériorité chez l’interlocuteur ?
Or, la « globalisation » de l’économie mondiale fait d’abord de l’Afrique un marché, qu’il convient d’exploiter au meilleur prix, tout en lui imposant une normalisation à marche forcée selon des modèles culturels et techniques déterminés par ceux-là même  qui mènent cette globalisation et qui sont les seuls à en profiter.
Et pourtant l’Afrique est le continent de l’avenir parce qu’elle est encore préservée de cette normalisation des corps, des esprits et de l’environnement qui est en train de détruire tout l’occident et ceux qui se soumettent à son modèle.
La mondialisation heureuse n’existe pas. C’est une fiction, un nouvel opium inventé par les « décérébreurs » professionnels.
Les occidentaux ne font plus d’enfants, ou en tous cas pas suffisamment pour assurer la reproduction, ils se cadenassent dans leurs Etats forteresses pour en interdire l’entrée aux « étrangers », pourtant des femmes et des hommes comme eux, de peur de partager.  Ils n’entrebâillent leurs portes que pour laisser  entrer des quotas de nouveaux esclaves quand la main d’œuvre fait défaut.
L’Afrique et les africains sont notre avenir parce qu’ils résistent au lavage de cerveau, à la « modernité », à l’asservissement d’un progrès qui n’inspire plus confiance, au nihilisme des occidentaux devenus marchands de «fast food » mental et matériel.
Or, il est étrange de constater le décalage entre le discours des « patrons » de la mondialisation et les réalités africaines.
D’un côté, les organisations financières internationales – qui n’ont d’internationales que l’appellation puisqu’elle fonctionnent sous la direction exclusive d’une poignée d’Etats, quand ce n’est pas d’un seul, à savoir les Etats-Unis – se plaignent de devoir baisser les bras et déplorent la situation catastrophique du continent africain.
De l’autre, la réalité montre pourtant que les initiatives prises en main par les africains, dans des conditions adaptées à leur environnement et à leur culture, fonctionnent tout à fait correctement. 

Quelques exemples dont la grande presse ne juge pas utile de parler:

- La modernisation forcée du développement rural à l’occidentale est en train d’appauvrir les populations du Sahel en leur faisant perdre leur mode de vie traditionnel et donc leurs techniques pour s’auto subvenir. Etait-il dans leur intérêt de leur faire expérimenter la culture du riz en zone désertique ?
Neuf Etats de la zone sahélienne (le Burkina-Faso, le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger le Sénégal et le Tchad) se sont unis pour fonder le « Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel » (CILLS) et réaliser des actions en commun afin de réapprendre aux populations les méthodes traditionnelles qui respectaient l’environnement à la différence des méthodes importées.
C’est la seule condition pour qu’un développement rural adapté aux conditions locales permette aux populations de produire leur alimentation.
Or, cette auto-suffisance alimentaire n’est pas du goût des grands groupes agro-alimentaires, ni  des financements internationaux toujours plus rentables pour les prêteurs, rien que par le jeu de poker menteur des intérêts d’emprunt.
Que dire de la déforestation provoquée par le marché des bois tropicaux pillés par les occidentaux qui n’avaient cure de replanter sachant que les africains n’avaient aucune tradition de sylviculture puisqu’ils n’avaient pas pour habitude d’exploiter  leurs forêts.
Les conséquences de cette déforestation sauvages sont tragiques : détériorations écologiques, dégradation de la biosphère, destruction de la faune, assèchement, désertification.
 Parmi d’autres, l’Etat du Cameroun dont le territoire était couvert de forêts, riches d’essences rares, presque entièrement détruites à force d’exploitation par les forestiers étrangers, a pris depuis quelques années des mesures coercitives en interdisant totalement la coupe dans certaines régions et obligeant les forestiers à planter plus qu’ils ne coupent pour tenter de reconstituer la forêt.


- Dans un autre domaine qui est celui des besoins financiers nécessaires au démarrage des petites entreprises à taille humaine, les seules adaptées aux vrais besoins des populations pour disposer des revenus nécessaires à la famille, ce ne sont certainement pas les financements internationaux qui apportent une réponse, mais des organismes locaux dits de « micro financement ».
La méthode la plus couramment utilisée est celle du « prêt collectif » à des groupes solidaires dont la taille va de quelques personnes, à la « banque villageoise » rassemblant trente à cinquante membres. Les co-emprunteurs sont collectivement solidaires du remboursement, système supprimant les coûts administratifs ou les garanties financières exigées par les banques classiques.
Ces prêts sont ainsi accessibles aux  plus pauvres grâce à un système de solidarité assez exemplaire.
Les organismes africains de micro financement ont développé sur tout le continent une grande variété de méthodes et de systèmes inventifs.
Outre les groupes d’emprunteurs solidaires, les banques villageoises et les coopératives d’épargne et de crédit, d’autres formes d’association à fonds commun ont fait la preuve de leur efficacité (tontines en Afrique de l’ouest, chiolas au Kenya, stockvels en Afrique du Sud).
Systèmes de financements adaptés, directement profitables aux plus démunis pour créer un tissu économique correspondant aux besoins, sans pertes et sans détournements de leur objet, voici des réponses bien plus convaincantes et optimistes que la commisération hypocrite des grands argentiers occidentaux.


- Autre exemple de réalisme né des traditions  africaines, celui du cadre institutionnel existant avant que ne soient imposés les mauvais modèles occidentaux.
On trouve la préfiguration de l’Etat de droit dans l’expérience historique de ce continent. On dit en Afrique « Ce n’est pas le roi qui a la royauté, c’est la royauté qui a le roi ». Cela signifie que le roi lui aussi est assujetti à une instance supérieure. Ainsi l’empereur des Mossis est tenu de rester assis afin qu’à tout instant ses « sujets » puissent lui donner leur avis Il est à leur disposition, devenant ainsi littéralement le premier esclave du droit et de la coutume.
L’Etat africain traditionnel relève d’une vision totalement différente du concept occidental de l’Etat souverain, monstre froid et impersonnel, omniscient, extérieur à la société humaine et conduit par des experts qui se prétendent infaillibles.
Selon ce qu’analyse Isaac N’Guema cité plus haut :
L’Etat traditionnel africain est pluraliste, constitué de plusieurs structures, l’ethnie, la tribu, le clan qui remplissent chacun des fonctions différentes dans la société.
Il est « thermodynamique » car aucune de ces structures ou fonctions ne peuvent à elles seules répondre aux besoins du village, contrairement à ce que prétend le modèle occidental. Seule la combinaison de ces fonctions assure la cohésion de la communauté.
L’Etat traditionnel africain  gouverne et gère non par la force des armes ou l’autorité formelle des lois et des décrets, mais par le savoir-faire. Les conflits ne se règlent pas au moyen de normes préétablies et impersonnelles mais par le dialogue permanent et le frottement continu du contact humain direct.
Enfin, il n’y a pas de séparation entre l’Etat et la société civile. L’Etat n’est ni transcendant, ni extérieur, ni omniscient, ni souverain. C’est un Etat immanent qui coexiste, qui cohabite, et qui communique avec la société dont il est inséparable.
D’un côté, l’Etat à l’occidentale conçu comme une « société anonyme » composée de sourds-muets et d’aveugles, dont les composantes ne se croisent qu’à l’occasion de confrontations sociales sèches, de l’autre, la tradition africaine, concrète, basée sur les actes et non les déclarations de principe, fonctionnant, non sur la confrontation et les rapports de force, mais sur le dialogue et la solidarité.
Le mode traditionnel de règlement des conflits en Afrique est particulièrement exemplaire, puisqu’il est issu d’un long processus de discussion, de négociation, de persuasion, de concertation, ce qu’on appelle la « palabre ».
Chaque membre de la communauté peut y participer et la solution potentielle évolue par touches et retouches répétées, par avancées progressives, jusqu’à ce qu’un véritable consensus se dégage.
C’est un système fondé sur la conjonction des différences qui sont toutes prises en compte, alors que le mécanisme occidental se base sur l’accumulation des multiplicités, entre lesquelles le conflit doit être tranché, souvent brutalement et excluant toujours une partie de la société.
Les régimes juridiques des Etats créés au moment de la décolonisation ont souffert du sceau occidental, et notamment les Etats d’Afrique de l’Ouest qui ont conservé le système français, aussi bien pour l’organisation des institutions que pour leur administration, copie conforme du colbertisme, fort éloignée des coutumes et des usages traditionnel décrits plus haut.
Cependant ces africaines et ces africains qui animent ces institutions et ces administrations y mettent leur personnalité, leur culture et leurs habitudes, elles, traditionnelles, de sorte que l’on assiste à un curieux mélange des genres, parfois cocasse dans le décalage entre le formalisme abstrait à l’occidentale, et le « vécu » africain, parfois complexe, en raison des contradictions inhérentes à ces deux conception de gestion des rapports sociaux. 

Aujourd’hui encore, alors que ces indépendances remontent à plusieurs décennies, peu de nations se sont délivrées des clonages occidentaux.
Il faut cependant citer le cas exemplaire du Soudan qui a su s’affranchir des influences exogènes en se dotant d’une nouvelle constitution en  1998.
Le Soudan, qui s’était trouvé à partir de 1899 sous le  contrôle d’un condominium anglo-égyptien dans  lequel le Caire n’avait qu’un rôle fictif, est devenu indépendant le 1er janvier 1956, sous forme de système parlementaire de type britannique.
Il est organisé sous forme de fédération, constituée de 26 Etats, ayant chacun un gouverneur (Wali), un gouvernement et un conseil législatif. La capitale fédérale, Khartoum, se trouve au croisement des deux Nil, le Nil blanc et le Nil bleu, pour former le « grand Nil » jusqu’à la Méditerranée.
Le projet de  nouvelle constitution a été préparé par une commission constituée non seulement  de juristes et de représentants des différentes tendances politiques, mais aussi de personnes issues de toutes les catégories sociales et professionnelles, c’est à dire en réalité, de la population.
Il s’agit là d’un exemple de mise en pratique des caractéristiques relevées à l’égard de ce qu’est la tradition en Afrique qui prend en compte les différences pour en dégager la solution adaptée.
Le caractère démocratique de la commission chargée de préparer le projet de constitution et cette prise en compte des réalités, ont permis d’aboutir à un texte tout à fait original et conforme aux qualités de ce qu’est l’Etat africain traditionnel.
Sans reprendre l’ensemble du texte de la constitution tel qu’il a été approuvé par l’assemblée nationale le 28 mars 1998 et soumis ensuite  à un referendum, trois articles sont exemplaires :
Article 1 : « Le Soudan est un Etat au sein duquel fraternisent des ethnies et des cultures différentes dans un esprit de tolérance pour les croyances diverses. L’Islam est la religion de la majorité de la population, le christianisme et les croyances traditionnelles représentent un nombre considérable d’adeptes. »
Article 6 : « Le pays est uni par un esprit de fidélité et de conciliation au sein de toute la population, ainsi que par la participation dans la répartition du pouvoir et de la richesse nationale, de manière juste et sans grief. L’Etat et la communauté nationale oeuvrent à la consolidation de l’esprit de conciliation et de l’unité nationale entre tous les soudanais pour lutter contre le fanatisme religieux, partisan ou sectaire et empêcher le racisme ethnique.
Article 67 : « Les membres de l’Assemblée nationale sont élus au suffrage universel ou par une élection indirecte :
75 % des membres sont élus au suffrage universel et représentent des circonscriptions équitablement définies en fonction de la répartition démographique.
25 % des membres sont élus par suffrage spécial ou indirect en représentation des femmes et des communautés scientifiques et professionnelles au nom des Etats (de la Fédération).
Ces articles de la nouvelle constitution du Soudan, sélectionnés parmi d’autres tout aussi intéressants, montrent qu’il est possible de mettre en place en Afrique un système institutionnel, conforme aux traditions et au mode africain des relations sociales, bien plus proche de la notion de démocratie que le modèle occidental qui aboutit à un divorce évident entre les gouvernants et les gouvernés.


Ces quelques exemples doivent faire prendre conscience d’une vision en positif et en « pleins » de l’Afrique et non pas en négatif et en « creux », comme ne cessent de le répéter les observateurs du nord, derrières leurs grilles de lecture, leurs ratios et leurs pourcentages, sans compter leurs leçons de morale politique particulièrement déplacées.
Est-il admissible qu’aujourd’hui encore, l’Union européenne ne prête aux « pays pauvres » et particulièrement à l’Afrique que sous « conditionnalité politique » en imposant des critères politiques plus contraignants que jamais pour juger du caractère démocratique des régimes.
 Il s’agit exactement du « neo-colonialisme du portefeuille (sic) d’aide », provoquant cette remarque fort bien dite d’un ministre africain (Libération 2 février 2000) :
« L’Europe nous impose son destin, comme toujours pour être aidé, il faut faire comme le Blanc ».

Rubens Ricupero (ancien ministre des finances du Brésil, secrétaire général de la CNUCED) constate (interview parue dans Libération le 11 février 2000) :
« La mondialisation ne peut pas aider les pays du sud à s’en sortir. Le Sud et les gens les plus pauvres des pays riches s’avèrent les grands perdants de la mondialisation. (…) Il y a dix ans, déjà les 20 % les plus riches gagnaient 50 fois plus que les 20 % les plus pauvres. Aujourd’hui c’est 150 fois plus ! Un système qui met sur la touche 5 milliards d’humains perd sa légitimité et ne peut survivre longtemps. L’univers économique actuel est myope ».
Il est plus que myope, il est aveugle.
Si l’Afrique n’est pas « rentable » pour les « marchands de soupe » et c’est fort heureusement – osons le dire -, elle est pourtant notre espoir, notre chance pour l’avenir, car ce sont les peuples africains qui sauveront notre humanité perdue.
Prenons modèle et à l’inverse de Reagan et des technocrates européens, affirmons « nous n’avons qu’à faire comme eux » car l’Afrique est notre avenir à tous.


Isabelle Coutant Peyre


Revue "A contre-nuit", n°10- 19 juillet 2000