Publié le 14-06-12
Roger Garaudy est mort. Il était âgé
de plus de quatre-vingt-dix-neuf ans. Les chaînes d’information
françaises ont toutes, sans exception, annoncé sa disparition avec la
même formule :«Garaudy, figure du négationnisme, est décédé ». Et voilà
comment on fausse l’histoire en réduisant une vie à un acte sans le
restituer à l’identique.Garaudy a écrit «Les mythes fondateurs
d’Israël». Il ne nie pas la shoah ni la politique d’Hitler, mais il
conteste les chiffres et surtout l’instrumentalisation de la shoah pour
permettre à Israël d’agir à sa guise, d’asservir un peuple, d’occuper
des territoires. Il n’y a rien de commun entre Roger Garaudy et les
pseudo-penseurs de la droite vichyste, genre Faurisson. Tout simplement
parce que le défunt n’était animé que par des positions politiques et
non pas raciales. Il n’était pas antisémite, ni anti quoi que ce soit
par ailleurs.
Il n’y a pas d’échelle de Richter de
l’honneur. Ce que les Juifs ont subi en Europe, essentiellement, le
peuple Rwandais en a souffert certes selon d’autres modalités. Ce que
subissent les peuples palestinien et syrien, nous rappelle, chaque jour,
la proximité que l’humanité peut avoir avec les fauves.Mais Roger
Garaudy, c’est toute une histoire, celle du 20ème siècle. Issu d’une
famille protestante, rigoriste, il devient l’un des philosophes en vue
du parti communiste français, un cran en-dessous d’Althusser tout de
même, mais une voix qui porte. Comme tous les intellectuels communistes
de l’époque, il refuse de voir les ravages du stalinisme.Garaudy
commence à douter à la fin des années 70. Il est viscéralement attaché à
l’aspiration égalitaire. Il sait que c’est cette aspiration qui a fondé
le progrès social de l’humanité. Mais il reprend langue avec la foi. Il
se convertit d’abord au christianisme, dans le sillage des églises de
l’Amérique Latine, les curés rouges comme on les appelait à l’époque.
Puis il découvre Ibn Arabi et se convertit à l’islam, cette fois marqué
par la révolution iranienne et pensant que ferveur religieuse et
aspiration égalitaire pouvaient mener à l’émancipation de l’homme.
Le philosophe et le dogme
La première des
injustices faite à Garaudy vient du monde musulman. Il a été traité en
trophée de guerre. Un communiste qui rejoint l’islam, c’est la preuve de
la supériorité de celui-ci, puisque le communiste en question est un
penseur.Seulement, Garaudy est un philosophe, un vrai. Alors, il
questionne la religion qu’il a adoptée. Il se penche sur les
incohérences ou ce qu’il considère comme telles, reprend des thèses de
la «batinya», expurge des textes anciens, en somme, il réfléchit. Mais
chez ces gens-là, on ne réfléchit pas, monsieur! On se soumet. Roger
Garaudy a fait l’objet d’une fatwa du célèbre Ibnalbaz, théologien
officiel de la famille Al Saoud. «Roger Garaudy est un impie et un
athée. Il n’est pas apostase parce qu’il n’a jamais adhéré à l’islam. En
conséquence, il n’y a aucune obligation religieuse de le tuer». Cette
fatwa a dû désarçonner Garaudy, rejeté par une religion qu’il a choisie
justement parce qu’il pensait qu’elle faisait plus de place à la quête
d’émancipation de l’homme.L’œuvre la plus importante de Roger Garaudy
n’est pas un livre. C’est le centre qu’il a laissé à Cordoue, financé
par les Saoudiens, soit dit en passant.
Dans ce centre, on découvre l’islam de
Cordoue, ce qu’il a réalisé en termes d’avancées technologiques, mais
surtout, non pas la tolérance, mais la convivialité entre les trois
religions.Garaudy a vécu tourmenté entre l’attachement à l’égalité et la
foi. Bien avant lui, Maxime Gorki, bolchévique croyant, a tenté de
rallier Lénine à l’idée d’une église rénovée au lieu de l’athéisme
militant. On peut ne pas être d’accord avec Roger Garaudy qui était
stalinien d’abord avant de devenir musulman. Il est cependant révoltant
que l’on réduise cette figure du 20ème siècle, qui a posé une
problématique très actuelle, celle de la relation entre la religion,
fait sociétal prégnant, et l’aspiration égalitaire, à un prétendu
«négationnisme».Laissons le mot de la fin à une autorité religieuse.
Voilà ce que le Dalaï-lama, chef spirituel du bouddhisme, l’une des
religions les plus importantes du monde dit, dans un livre, entretien
avec stéphane Hessel, l’auteur de «indignez- vous !», grand athée devant
l’Eternel : «Je crois qu’il est possible de développer des qualités
humaines comme la compassion, la tolérance et l’intégrité même sans foi,
sur la base de valeurs qui ne découlent pas nécessairement de la
religion. Je qualifie ces valeurs universelles d’éthique séculière. Le
terme séculier, ici, ne veut pas dire irrespect ou non-respect de la
religion. Mais , bien au contraire, le même respect à l’égard de toutes
les religions et des non-croyants ».
Roger Garaudy a passé un siècle à tenter
de marier deux utopies, celle du communisme qu’il n’a jamais renié sauf
dans son aspect d’athéisme militant, et celle de l’homme transcendé par
la croyance dans un au-delà qui lui imposerait des vertus sur terre.
Sans partager cette angoisse, on se doit de respecter une démarche qui
mettait l’homme et son devenir au centre de ses préoccupations. Honte à
ceux qui ne voient en lui qu’un négationniste, alors même qu’il n’a
jamais nié l’entreprise de destruction systématique des juifs par
Hitler!