12 juin 2015

Souviens-toi camarade


« BRÈVE HISTOIRE DE L’UNION SOVIÉTIQUE » de Roger Garaudy

Le cri de la mémoire mutilée

Septembre 1994 
Se souviendra-t-on du discours-cri contre la « normalisation » de la Tchécoslovaquie, poussé par Roger Garaudy en plein congrès du Parti communiste français en 1970 ? Dirigeant et idéologue du PCF il en fut exclu. Et dénoncé comme « antisoviétique ». Un quart de siècle plus tard, Roger Garaudy prend en défense la mémoire de l’Union soviétique (1).
Surprenant ? « Ringard et nostalgique » , dira-t-on avec amusement et condescendance. Mais comment expliquer et comprendre ? Il y a l’homme d’abord, fidèle à lui-même : abandonnant une cause pour en épouser d’autres, il n’a pas fait carrière dans le reniement ni bazardé l’héritage intellectuel du marxisme. Il reste original. Il y a le contexte ensuite, qui a beaucoup changé. L’air du temps veut que la révolution de 1917 soit caricaturée, réduite à un « coup d’Etat », et le rôle de l’URSS dans la défaite du nazisme escamoté. Alors Roger Garaudy reprend son bâton de pèlerin. Il pousse un nouveau cri, déchirant, délivrant, salubre et salutaire. Reconnaissons-lui ce droit, et ce mérite. Il y a des moments pour cultiver la nuance et la complexité, d’autres pour poser, sans circonlocutions, les garde-fous qui s’imposent, face aux « révisionnistes » insidieux.
Sa « brève histoire » de l’Union soviétique est un peu courte, mais Roger Garaudy ne prétend pas la faire longue, ni même faire oeuvre d’historien. En quelques rappels cinglants, il reconstitue des fragments de la mémoire mutilée. De la misère et de l’oppression dans la Russie tsariste, qu’il est de bon ton aujourd’hui d’idéaliser. De la guerre civile et des interventions étrangères, lorsqu’un Clemenceau réclamait un « fil de fer barbelé » autour de la Russie des soviets, et un Churchill un « cordon sanitaire » . De l’antériorité de Munich par rapport au pacte germano-soviétique. Des sacrifices endurés par les peuples soviétiques pour leur libération du fascisme et la nôtre. Roger Garaudy va plus loin encore. Il dit, comme autrefois, que l’URSS et son « pseudo-socialisme » ne sont pas le marxisme « mais sa caricature » . La défaite du socialisme « perverti » n’a cependant débouché, à ses yeux, que sur de plus graves « perversions » . Une terrible régression ponctuée d’ « anticulture » et d’ « effacement de l’homme » . Tel est, alors, le bilan du régime eltsinien et des recettes du FMI.
L’auteur de ces propos iconoclastes appelle de ses voeux, de surcroît, une résistance du peuple russe « qui a tant apporté à la civilisation humaine » . Cette résistance à la tiers-mondisation, il la voit déjà poindre, sans ignorer qu’elle peut être la proie des « démagogies ». Homme de foi (il a embrassé l’islam), il s’interroge cependant sur l’impasse des religions établies chrétienne et musulmane. Sur leur incapacité à concevoir un « avenir à visage humain » . A l’entendre, « tout se passe comme s’il n’y avait de choix qu’entre l’imitation de l’Occident ou l’imitation du passé » . Roger Garaudy revient alors (ou n’a jamais quitté ?) ses anciennes amours : « Plus que jamais s’offre le choix entre le socialisme ou la barbarie » . Et de citer Marx : « La croissance de l’aliénation n’est jamais telle qu’elle exclut la possibilité de la lutte contre cette aliénation. »