05 février 2015

Jésus est-il l'héritier du roi David ?



Deuxième d'une série de 4 articles consécutifs sur la théologie chrétienne

Y a-t-il continuité entre l'Ancien et le Nouveau Testament ?
Jésus est-il l'héritier de David ?

La question de la continuité entre l'Ancien et le Nouveau Testament
est capitale. Bien que Paul soit soucieux de faire de Jésus, contre l'orthodoxie
juive, le chapitre final de l'Ancien Testament et l'accomplissement
des promesses faites à Israël, il est aisé de montrer que les évangélistes
ont fait une lecture sélective de l'Ancien Testament.
Ils en retenaient certaines grandes images, mais en les transformant
profondément. L'exemple le plus typique est celui de la Création. Les
Évangélistes n'appellent jamais Dieu : le Créateur. Jésus l'appelle toujours
« Père », celui qui donne la vie, et non pas le « créateur » tel que
le présente l'Ancien Testament, c'est-à-dire comme le font les cosmogonies
de toutes les religions primitives : un Dieu tout-puissant extérieur
à l'homme et le fabriquant de toutes pièces. L'image favorite de l'Ancien
Testament pour l'évoquer est celle du potier et de l'argile qu'il façonne.
Dans le Siracide (33,13): « Comme l'argile dans la main du potier,
façonnée selon son bon plaisir, ainsi sont les hommes entre les mains de
leur Créateur. » Il en est de même chez Jérémie (18,6) et chez le prophète
Esaïe (29,16,64,8 et 65,9) qui souligne cette extériorité du cruchon
de glaise : « L'argile dira-t-elle à celui qui l'a formée : que
fais-tu ' ? »
Une telle comparaison n'apparaît nulle part dans l'Évangile, sauf chez
Paul (Rm 9,20) qui reprend exactement Ésaïe.
Dans les Evangiles, le Père, celui qui donne la vie, est le Père de tous,
sans distinguer entre les élus et les exclus, les purs et les impurs.

1. Lorsque Marc parle de la création il souligne qu'elle n'est pas terminée.
Dieu, « jusqu'à maintenant... » (Me 13,19).

Selon l'exemple de Jésus, Pierre entrant chez le centurion Corneille,
déclare : « C'est un crime pour un juif d'avoir des relations suivies avec
un étranger. Mais à moi, Dieu vient de me faire comprendre qu'il ne
fallait déclarer impur aucun homme » (Ac 10,28). Il ajoute: « Je me
rends compte en vérité que Dieu n'est pas partial et qu'en toute nation,
quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui »
(Ac 10,34-35).
Il en est ainsi terminé des privilèges d'un « peuple élu » auquel Dieu
donne la victoire contre tout peuple qui ne le suit pas et lui donne l'ordre
de l'exterminer.
Il en est ainsi terminé avec tous les interdits vétilleux de la Loi que
Jésus ne cesse de transgresser : le sabbat (violation, qui, à elle seule, est
passible de mort), le respect du Temple que Jésus affirme pouvoir
détruire et reconstruire en trois jours (Me 14,58 ; Mt 26,61 ; Jn 20,19).
Car le seul sanctuaire de Dieu est le coeur de l'homme et non pas telle
ou telle montagne réputée sainte, que ce soit Jérusalem ou Garizim.
Quand la Samaritaine dit à Jésus : « Nos pères ont adoré sur cette montagne
et vous (les juifs) vous affirmez qu'à Jérusalem se trouve le lieu
où il faut adorer », J é s u s lui dit : « Crois-moi, femme, l'heure vient où
ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père »
(Jn 4,20-21).
Tous les cultes anciens étaient idolâtres. Jésus est le véritable « crépuscule
des Dieux ». Ce n'est ni chez les philosophes grecs, ni dans l'Ancien
Testament que l'on peut découvrir le véritable Père : « Qui m'a vu a vu
le Père » (Jn 14,9), « Moi et le Père nous sommes un » (Jn 10,30), « Nul
ne vient au Père que par Moi » (Jn 14,6), « On vous exclura des Synagogues,
on vous fera périr, (...) ils agiront ainsi pour n'avoir connu ni
le Père ni Moi » (Jn 16,2-3). Il en est ainsi des juifs, des Grecs et des
Romains.
La mort de J é s u s découle de sa propre vie (pour les prêtres juifs parce
qu'il a violé la Loi, pour les Romains parce qu'il a ainsi créé le trouble
et attenté à la pax romana) , et non du décret antérieur et extérieur d'un
Dieu qui l'aurait programmée d'avance. A quoi donc eût servi cette vie
et les exemples qu'il nous a donnés ?
C'est Paul qui a enseigné cet étrange scénario d'où est exclue l a vie
de Jésus : sa mort aurait un sens comme rachat du péché originel et de
nos péchés et comme rédemption.
C'est une régression vers le Dieu de puissance réalisant son dessein en
envoyant à Israël un messie de puissance.
Jésus n'a jamais voulu de cette puissance. Pas plus qu'il n'a prétendu
être le fils de David. Jésus a réfuté d'avance cette interprétation : « Comment
les scribes peuvent-ils dire que le Messie (le Christ) est fils de
David ? (Me 12,35-37 ; Mt 22,42-45 ; Le 20,41-44).
Nous avons montré dans Avons-nous besoin de Dieu?2 en rappelant
la biographie de David établie dans Samuel I et II, combien il était paradoxal
de prétendre trouver en Jésus les « traits fondamentaux » de ce condottiere
sanglant.
Pour tenter de justifier la thèse de Paul, soucieux d'intégrer Jésus à
l'histoire juive disant de son Christ qu'il est « issu selon la chair de la
lignée de David » (Rm 1,2), Matthieu (1,1-16) et Luc (3,23-38) sont
contraints à d'étranges manipulations : l'un (Luc) énumérant quarante deux
générations de David à Jésus, l'autre (Matthieu), vingt-six avec des
noms si arbitraires que deux seulement (Salatiel et Eliakim) se retrouvent
dans les deux listes, tout cela pour aboutir à Joseph, père adoptif
de Jésus et non « selon la chair », selon la « race » comme dira Paul
revendiquant son appartenance juive (Rm 9,3).
Jésus au contraire ne se réclame jamais de cet étrange armoriai qui le
placerait dans la lignée royale de David.
Alors que Paul se donne pour tâche essentielle de faire de Jésus « le
Messie d'Israël » (le Christ3), Jésus refuse toujours ce titre lié à une
attente politique des juifs. Paul partage le sentiment des disciples qui
expriment constamment leur déception : « Quant vas-tu restaurer le
Royaume pour Israël ? » (Ac 1,6 ; Me 9,12 ; Le 19,12).
Jésus est-il le « nouveau Moïse » et le « nouveau David »? ou bien la
Loi a-t-elle été dépouillée de toute valeur ? Jésus a-t-il abrogé la Loi ou
l'a-t-il accomplie ?
En d'autres termes, l'amour est-il le contraire du talion ou bien son
« accomplissement » ?
Les esquives de Paul à cette question cruciale sont angoissantes :
« Privons-nous la Loi de sa valeur par la foi ? Certes non ! Nous la confirmons
» (Rm 3,3).
De la réponse à cette question dépend le sens de la vie et de la mort
de Jésus : est-elle programmée par Dieu avec tout le vocabulaire et l'esprit
de l'Ancien Testament : serviteur souffrant, rançon, rédemption, expiation,
d'un Messie (Christ) « qui fut livré pour nos fautes et ressuscité pour
notre justification » (Rm 4,25) le Christ rachetant le péché d'Adam, ou
bien y a-t-il révélation par les actes, les paroles, la vie de Jésus, d'une
image radicalement nouvelle de l'homme et de la communauté ? « La
traduction de la théologie juive en langue grecque » opérée par Paul ne

2. P. 41 à 43.
3. Il est remarquable pourtant que le Catéchisme de 1992 s'aligne, en
ce point comme en tout autre, sur Paul et non sur Jésus : Jésus y est appelé
« Fils de David », « Messie d'Israël » accomplissant « dans la puissance »,
« l'espérance messianique d'Israël » (p. 97-98).

résout pas le problème. Schweitzer dit, et tous les textes le confirment,
que « le christianisme, pour Paul n'est pas une nouvelle religion, mais
simplement la vraie religion juive mise en harmonie à la fois avec son
époque et avec les Ecritures4 ».
Les récits de la résurrection de Jésus et des morts illustrent ces rapports
entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
Les évangélistes juxtaposent les traditions de l'Ancien Testament, y
puisant même leurs images de la résurrection dans le langage culturel
juif qui a été jusque-là le leur, et l'espérance radicalement nouvelle du
retour à une vie authentique, éternelle, dont Jésus a apporté la révélation.
Ils évoquent la résurrection de Jésus sur le modèle hébraïque : celui
de la célèbre vision d'Ezéchiel (37,12): «Je vais ouvrir vos tombeaux...
»; « Sur les ossements il étend de la peau » (37,8); celui de
l'apocalyptique juive d'Osée (6,2) qui a fixé le délai de trois jours ; celui
d'Esaïe (26,19) où se réaniment les cadavres. Celui de Daniel dans le
judaïsme tardif. « Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux
se réveilleront, ceux-ci pour l'horreur éternelle, ceux-là pour l'opprobre,
pour l'horreur éternelle » (Dn 12,2). De là les images naïves du
tombeau vide et de ses bandelettes, ou du corps de Jésus revêtant son
corps ancien, avec ses blessures et ses besoins alimentaires (le poisson
grillé).
Et, en même temps, la vision sublime de la résurrection : celle de la
vie nouvelle et qui n'a point de fin. Celle qui n'a pas besoin de passer
par le tombeau. Car c'est la Vie même de Jésus qui est la résurrection. »
Je suis la Résurrection et la Vie : celui qui croit en moi, même s'il meurt,
vivra » (Jn 11,25).
Il vivra de la vie plénière : celle que la vie de Jésus fait surgir chaque
jour et dans tous les temps, et que la mort n'atteint pas.
Dira-t-on que le mérite de Paul c'est de nous avoir libérés de la Loi,
en particulier sous la forme où elle s'était figée avec les sadducéens, les
pharisiens et les scribes de son temps. Non. Car sa conception de la
« grâce », substituée à la Loi, implique la même extériorité de Dieu :
« C'est Dieu qui fait en vous le vouloir et le faire » (Ph 2,13).
« C'est par la grâce que vous êtes sauvés (...), vous n'y êtes pour rien.
C'est le don de Dieu » (Eph 2,8).
Nous avons montré dans Avons-nous besoin de Dieu? comment cette
« gratuité » de Dieu n'excluait nullement l'effort humain, sans pour

4. Albert Schweitzer, Paulinisme et religion comparée, p. 227.
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autant tomber dans les excès de Pelage sur la « suffisance » de l'homme
excluant toute transcendance divine5.
Contrairement au judaïsme réformé qui caractérise l'oeuvre de Paul,
il s'agit, avec Jésus, d'une mutation radicale de la conception de Dieu,
de l'homme et de sa communauté, du monde : « Personne ne coud une
pièce neuve à un vieux vêtement... Personne ne met du vin nouveau
dans de vieilles outres » (Me 2,21-22). Il faut choisir entre l'Ancien et
le Nouveau Testament. De quel Dieu Jésus est-il le fils ?
Sûrement pas de Yahvé, le Dieu des armées et des massacres, de la
division du monde entre pur et impur, entre « élus » et « exclus », du
Dieu jaloux et vindicatif de Paul : « Il est juste que Dieu rende détresse
pour détresse » (2, Th 1,6).
Paul a rejudaïsé la communauté première de Jésus qui disait : « Il faut
d'abord que l'Évangile soit proclamé à toutes les nations » (Me 13,10).
Nous sommes loin, ici, du « juif d'abord, les Grecs ensuite » de Paul
(Rm 1,17).
Ce qu'il y a de plus dangereux dans le rétablissement — après la
mutation radicale annoncée par Jésus — de la continuité entre l'Ancien
et le Nouveau Testament, c'est qu'il a servi de fondement à toutes les
théologies de la domination.
La P o l i t i q u e tirée de l'Ecriture Sainte, de Bossuet, est fondée sur le
mythe du « peuple élu » : « Le vrai Dieu, écrit-il, c'est le Dieu d'Israël...
celui qui règne dans les cieux et dont dépendent tous les empires. »
C'est en effet le thème constant de l'Ancien Testament : la Torah (les
cinq premiers livres de la Bible, que les chrétiens appellent le Pentateuque)
et les livres de J o s u é , des Juges, de Samuel et des Rois nous racontent
l'histoire des génocides pratiqués par les tribus.
Dans le Deutéronome, attribué à Moïse, nous est décrite l'invasion de
Canaan : « Le Seigneur avait exterminé les Zamzoumites devant les Amorites
: ceux-ci les avaient dépossédés et ils ont habité à leur place. Le Seigneur
en avait fait autant pour les fils d'Ésau... en exterminant devant
eux les Horites, qu'ils avaient dépossédés, et ils ont habité à leur place
jusqu'à ce jour, et les Awites qui habitaient dans les villages jusqu'à
Gaza* » (Dt 2,21-23).
5. Op. cit.
6. Paul rappelle avec fierté cette politique du génocide : à Antioche de
Pisidie, évoquant cette glorieuse histoire de son peuple, il rappelle, dans le
langage de Moïse: « Israélites et vous qui craignez Dieu, écoutez-moi. Le
Dieu de notre peuple d'Israël a choisi vos pères... après avoir exterminé sept
nations au pays de Canaan , il a distribué leur terre en héritage (Ac 13,16-19).
(Le rappel de ces massacres est unique dans le Nouveau Testament.)

Accomplir un génocide s'appelle, dans la Torah : « vouer à l'interdit » :
« le Seigneur notre Dieu à livré Og et tout son peuple (...), nous les
avons voués à l'interdit (...), les hommes, les femmes, les enfants »
(Dt 3,3-6).
Moïse rend donc grâces à ce Dieu, plus fort que tous les autres : « Seigneur
Dieu, tu as commencé à faire voir à ton serviteur ta grandeur et
la force de ta main. Y a-t-il un dieu au ciel ou sur la terre qui égale tes
actes et ta puissance ? » (Dt 3,24).
Moïse poursuit : « Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes
que je vous apprends moi-même à mettre en pratique... Vous avez
vu de vos yeux ce que le Seigneur a fait à Baal-Péor: tous ceux qui
avaient suivi le Baal de Péor, le Seigneur ton Dieu les a exterminés »
(Dt 4,1 et 3).
Aussitôt après avoir proclamé dans le Décalogue : « Tu ne commettras
pas de meurtre (Dt 5,17) il définit ainsi « le rôle d'Israël face aux
nations » : « Ecoute, Israël ! Tu vas aujourd'hui passer le Jourdain pour
déposséder des nations plus grandes que toi... C'est le Seigneur ton Dieu
qui passe le Jourdain avant toi comme un feu dévorant, c'est Lui qui les
exterminera. Tu les déposséderas et tu les feras disparaître aussitôt »
(Dt 9,1-4).
Le successeur de Moïse, Josué, poursuit cette politique de génocide
avec le même zèle religieux. Le livre de J o s u é est, par excellence, le livre
des massacres qui commencent à Jéricho, dès la traversée du Jourdain :
« Ils vouèrent à l'interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien
l'homme que la femme, le jeune homme que le vieillard... les passant
tous au fil de l'épée » (Jos 6,21), ne faisant d'exception que pour la prostituée
Rahab qui avait guidé les espions (Jos 6,22). Puis ce fut le tour
de Aï. Le Seigneur dit à J o s u é : « Tu traiteras Aï et son Roi comme tu
as traité Jéricho et son Roi » (Jos 8,1-2). J o s u é exécute à la lettre : « Il
les frappe jusqu'à ne plus laisser ni survivant ni rescapé » 0os 8,22).
« J o s u é brûla Aï et la transforma pour toujours en ruines » (Jos 8,28).
Il serait fastidieux d'énumérer tous ces massacres, il suffit de lire la suite
du livre : « l'extermination » du peuple de Maqqéda 0os 10,20), la ville
de Lakish où J o s u é « ne laisse aucun survivant » (Jos 10,34), celle
d'Hébron « où il ne laissa aucun survivant, comme il avait traité Eglon »
(10,37). « Il traita Devir comme il avait traité Hébron » (10,39), puis ce
fut le bas pays : la montagne, le Néguev : « Il ne laissa pas de survivant...,
il voua à l'interdit tout être animé » (10,39 et 40). « Aucun survivant
» (11,8) pour les Amorites, les Cananéens, les Perizzites, les
Jébusites. Et la litanie du génocide perpétré par les tribus sous le commandement
de J o s u é continue : à Haçor (11,12) et dans toute la montagne
« comme l'avait prescrit le Seigneur à Moïse, ainsi l'avait prescrit
Moïse à J o s u é » (11,15).
Restait encore à exterminer les gens du Sud, les Philistins jusqu'à
Gaza, et jusqu'au Liban. Chaque tribu d'Israël eut sa part de territoire,
de massacre et de butin, sauf celle de Lévi, consacrée au culte (13,14).
Josué put alors faire son testament, rappelant ses massacres : ( « J e les ai
supprimés devant vous » (24,9) et les lois de ségrégation raciste sur
l'interdiction des mariages (23,12) « afin que le Seigneur ne cesse pas
de déposséder des nations devant vous » (23,13).
« Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays dont tu
viens de prendre possession et qu'il aura chassé devant toi des nations
nombreuses, le Hittite, le Guirgashite, l'Amorite, le Cananéen, le Perizzite,
le Hiwite et le Jébusite, sept nations plus nombreuses et plus fortes
que toi. Lorsque le Seigneur, ton Dieu te les aura livrées et que tu
les aura battues, tu les voueras totalement à l'interdit. Tu ne concluras
pas d'alliance avec elles, tu ne leur feras pas grâce. Tu ne contracteras
pas de mariage avec elles, tu ne donneras pas ta fille à leur fils, tu ne
prendras pas leur fille pour ton fils » (Dt 7,2-4).
Se fondant sur cette législation raciste sur le mariage, reprise par les
lois de Nuremberg d'Hitler, l'auteur de ces lois nazies, Julius Streicher,
invoquant le précédent de Moïse, confirmé au retour d'exil par Esdras
(9 et 10) et Néhémie (10,31), déclare au procès de Nuremberg des criminels
de guerre, le 26 avril 1946: «J'écrivais qu'il fallait empêcher à
l'avenir tout mélange de sang allemand et de sang juif. J'ai écrit des articles
dans ce sens et j'ai toujours répété que nous devions prendre la race
juive, ou le peuple juif, pour modèle. J'ai toujours répété, dans mes articles,
que les juifs devaient être considérés comme un modèle par les
autres races car ils se sont donné une loi raciale, la loi de Moïse, qui dit :
"Si vous allez dans un pays étranger, vous ne devez pas prendre de femmes
étrangères." Et ceci, Messieurs est d'une importance considérable
pour juger les lois de Nuremberg. Ce sont ces lois juives qui ont été prises
pour modèle. Quand, des siècles plus tard, le législateur juif Esra constate
que, malgré cela, beaucoup de juifs avaient épousé des femmes non
juives, ces unions furent rompues. Ce fut l'origine de la juiverie qui,
grâce à ses lois raciales, a subsisté pendant des siècles, tandis que toutes
les autres races et toutes les autres civilisations ont été anéanties7 . »
Un caractère notable du livre de J o s u é , c'est qu'il est en contradiction
avec les découvertes de l'archéologie. Deux exemples du caractère mythologique
de cette prétendue histoire. Lorsque le bibliste allemand Sellin
publie, en 1913, le procès-verbal de ses fouilles à Jéricho, il note qu'effectivement
il a trouvé des murailles effondrées, et il y voit aussitôt les
murailles écroulées au son des trompettes de Josué (Jos 2,12).

7. Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international,
audience du 26 avril 1946.
En fait les datations ultérieures ont établi, comme le rappelle le père
de Vaux, que « les Israélites, arrivant à la fin du xiu« avant Jésus-Christ,
n'ont pu prendre Jéricho parce que Jéricho était alors abandonnée ». Il
en est de même de la « prise d'Aï » par Josué (Jos 8,1-29). Le père de
Vaux souligne : « De tous les récits de la conquête celui-ci est le plus
détaillé : il ne comporte aucun élément miraculeux et apparaît comme
le plus vraisemblable. Il est malheureusement démenti par l'archéologue...
Au moment de l'arrivée des Israélites, il n'y avait pas de ville à
Aï. Il y avait une ruine vieille de douze cents ans8. »
L'agenda des maîtres du génocide ne s'arrête pas là. Ni avec les Juges,
ni avec les Rois. C'est ainsi qu'au premier livre de Samuel : « Ainsi parle
le Seigneur, le Tout-puissant (...) : va frapper Amalek. (...) Tu ne l'épargneras
point. Tu mettras tout à mort, hommes et femmes, enfants et
nourrissons... » (1 S 15,2-3). Pour n'avoir pas exécuté ses ordres, le « Seigneur
» châtie Saul : « J e me repens d'avoir fait de Saul un roi car (...)
il n'a pas mis à exécution mes paroles » (1 S 15,10). Le Seigneur cherche
alors un exécutant plus docile et plus implacable. Il envoie Samuel
chercher « le roi qu'il me faut » ( 1 S 16,1). Ce sera David, dont le Catéchisme
de 1992 nous dit que « David fut par excellence le roi selon le
coeur de Dieu9 » et qu'on a pu trouver en Jésus Christ », Messie
d'Israël1 0 , ses « traits fondamentaux11 ».
Cette identification est d'autant plus fâcheuse que la biographie de
David, d'après la Bible (il n'existe d'ailleurs aucune trace historique de
David en dehors de ce qu'en dit la Bible), de 1 S 16 à 2 S 24, en fait
un personnage inquiétant.
David, ancien écuyer du roi Saul (1 S 16,21), écarté par Saul jaloux
de ses victoires sur les Philistins (18,8), s'enfuit dans les montagnes où
il constitue une bande armée « d'endettés et de mécontents » (20,2).
Puis, à la manière des condottieri, passant au camp des ennemis de Saul
et d'Israël, les Philistins, il se met au service de leur roi, Akish (29) et
organise des raids de pillage aux alentours : « David massacrait la population,
ne laissant en vie ni homme ni femme, enlevant petit et gros
bétail, ânes, chameaux et vêtements » (27,9). Akish l'enrôle dans son
armée pour combattre Israël (28,1) et David y consent (29,8). Mais les
princes philistins exigent de leur roi qu'il se sépare de David.

8. R. de Vaux (op), Histoire ancienne d'Israël, Éd. Gabalda, 1971,
p. 562.
9. P. 524.
10. P. 126.
11. P. 98.
Après le suicide de Saul, David se fait élire roi. Le seul fils vivant de
Saul, Esbaal, se fait aussi proclamer roi. Après la bataille du Champ des
Rocs où « les gens d'Israël furent battus devant les serviteurs (mercenaires)
de David » (2 S 2,17), « la guerre fut longue entre la maison de Saul
et la maison de David » (3,1). Deux chefs de bande ayant assassiné le
fils de Saul, ils en envoient la tête à David (4,8). David fait couper les
mains et les pieds des messagers et les pend (4,12). Après l'assassinat du
fils de Saul, David put devenir roi à la fois de Juda et d'Israël (5,4).
David s'installe alors à Jérusalem, à la charnière des deux royaumes. Jérusalem
devient « la cité de David » (5,8-9)-
David, Seigneur de la guerre, remporta de multiples batailles : « Il
devint de plus en plus grand et le Seigneur, le Dieu des puissances, était
avec lui » (5,10).
Il lui restait à assurer un héritier de son trône. Il y pourvut en s'emparant
de Bethsabée, femme d'Urie, l'un des plus pieux et des plus fidèles
de ses généraux. « La femme devint enceinte » (11,5) et David se
débarrassa de son mari en l'envoyant mourir sur le front, ordonnant à
Joab, l'un de ses hommes : « Mettez Urie en première ligne, au plus fort
de la bataille. Puis vous reculerez derrière lui. Il sera atteint et mourra »
(11,15). C'est ainsi que naquit Salomon.
Tel est l'ancêtre royal que Paul, le premier, attribua à Jésus.
Ce syncrétisme mortel a pesé jusqu'à nos jours sur l'histoire du christianisme.
Le père Segundo rappelle que David est, dans l'exégèse classique,
« l'une des préfigurations les plus classiques de Jésus dans l'Ancien Testament
».
Cette « exégèse classique » est d'abord celle du premier Evangile, constitué
par l'enseignement de Paul. Pour lui, la « bonne nouvelle » est celle
de l'accomplissement des promesses de Dieu faites à Israël : « Nous vous
annonçons cette bonne nouvelle : la promesse faite au Père, Dieu l'a pleinement
accomplie, à l'égard de nous, leurs enfants, quand il ressuscita
Jésus, comme il est écrit au Psaume second » (Ac 13,32-33).
Paul précise : « Le Dieu de notre peuple d'Israël a choisi nos pères...
Dieu leur a suscité David comme roi. » C'est à lui qu'il a rendu ce témoignage
: « J ' a i trouvé David, un homme selon mon coeur, qui accomplira
toutes mes volontés » (Ac 13,17-22).
Les deux livres de Samuel et le premier livre des Rois nous ont montré
ce que furent ces « volontés » et comment elles furent « accomplies ».
Cette ascendance davidique va peser sur toute l'histoire de l'Eglise
depuis Paul. Paul invoquait déjà (Ac 13,34) en faveur de Jésus, une prophétie
d'Esaïe (55,3) : « J e vous donnerai les saintes, les véritables réalités
de David. » Luc précisera après lui : « Le Seigneur lui donnera le trône
de David son Père » (1,32).
Cette  longue tradition se fonde sur un choix décisif : celui d'une théo-
: g e de la domination. Elle caractérise non seulement la vie de David,
:clle qu'elle nous est racontée dans la Bible et aussi dans certains Psaumes
qui lui sont attribués. Il est caractéristique que l'exaltation de la
puissance du Messie se réfère aux Psaumes attribués au roi messianique
David, en particulier le psaume 110, hymne à la « puissance » et à la
< domination » (110,2) au sens le plus évident: « faire de tes ennemis
l'escabeau de tes pieds... les cadavres s'entassent... il a écrasé les têtes ».
La geste de David écrite par Samuel montre qu'il ne s'agit pas de métaphores.
Les textes que nous venons de citer ne sont que des échantillons parmi
une foule d'autres qui fourmillent dans l'Ancien Testament sans qu'il
soit possible d'y voir une métaphore. Ils servent encore aujourd'hui à
justifier des politiques12. Comment peuvent-ils figurer parmi les « textes
sacrés » des chrétiens aux côtés des prophètes et des évangiles ?
Comment ce Dieu sanglant et tribal peut-il être assimilé au Père
qu'invoque Jésus, et ses plus féroces exécutants, par exemple David, être
considérés comme des précurseurs de Jésus?
C'est pourtant sous le patronage de Paul, auteur du premier Evangile,
que cette intolérable continuité a été formulée.
La préoccupation majeure de Paul est d'insérer Jésus dans l'histoire
juive à laquelle il n'apporterait rien de nouveau (Ac 26,24), mais seulement
une conclusion annoncée : le « Christ » est bien le Messie royal
« dans la continuité de David » (1 R 8,25).
Cette assimilation de Jésus avec le « Messie » d'Israël conduit nécessairement
à un double langage (de Paul à nos jours).
Lorsque Paul proclame : « Il n'y a plus ni Grecs ni Juifs, ni esclaves
ni homme libres, ni hommes ni femmes » (Ga 3,28 ; cf. Rm 10,12) cette
formule sublime est contredite par son enseignement pratique.
S'agit-il de l'affirmation : il n'y a plus ni Grec ni Juif, voici son affirmation
la plus radicale de la priorité du juif. « Oui je souhaiterais être
anathème, être moi-même séparé du Christ, pour mes frères, ceux de
ma race selon la chair, les Israélites à qui appartiennent l'adoption, la
gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses et les pères, eux enfin
de qui, selon la chair, est issu le Christ qui est au-dessus de tout, Dieu
béni éternellement » (Rm 9,3-5).
12. Ces invasions, ces massacres, cette spoliation de la terre des autochtones
ont fourni le prototype de toutes les exactions coloniales au nom de
Dieu.
Par exemple les puritains d'Amérique, dans leur chasse à l'Indien pour
s'emparer de leur terre, invoquaient Josué et ses « exterminations sacrées »
des Amalécites.

Nous sommes donc revenus, dans la continuité de l'Ancien Testament,
avec ce judaïsme réformé de Paul, à Yahvé, au Dieu de la puissance. Ce
Dieu accueille les « J u i f s d'abord, le Grec ensuite » (Rm 1,16) à condition
qu'il accepte la conception juive de Dieu et qu'il accepte la réforme
de Paul, qui, faisant de J é s u s la conclusion de l'histoire juive, constitue
le véritable Israël, son vrai « reste » (Rm 11,5).
S'agit-il d'émancipation des esclaves ? « Que chacun demeure dans la
condition où il se trouvait quand il a été appelé. Etais-tu esclave quand
tu as été appelé ? Ne t'en soucie pas ! au contraire alors que tu pourrais
te libérer mets plutôt à profit ta condition d'esclave » (1 Co 7,20-28).
« Esclaves, obéissez à vos maîtres d'ici-bas avec crainte et tremblement
d'un coeur simple, comme au Christ » (Ep 6,5). « Que les esclaves soient
soumis à leurs maîtres en toutes choses. Ainsi feront-ils honneur en tout
à la doctrine de Dieu Notre Seigneur » (Tt 2,9).
En ce qui concerne les femmes, la même soumission est exigée et de
manière plus répétitive encore. « Ce n'est pas l'homme qui a été tiré de
la femme, mais la femme de l'homme. Et l'homme n'a pas été créé pour
la femme, mais la femme pour l'homme » (1 Co 11,8-9).
De cette inégalité théologique découle une pratique : « Femmes soyez
soumises à vos maris » (Ep 5,22 ; Col 3,18). « J e ne permets pas à la
femme d'enseigner ni de dominer l'homme. Qu'elle se tienne donc en
silence » (1 Tm 2,12), « en toute soumission » (2,11). « Que les femmes
se taisent dans les assemblées » (1 Co 14,34 ; 1 Tm 2,12). « Si la femme
ne porte pas le voile, qu'elle soit tondue » (1 Co 11,6).
Paul écrit magnifiquement : « Lui qui est de condition divine... s'est
abaissé » (Ph 2,6-8), mais il annonce sa deuxième venue comme celle
d'un nouveau David triomphant, car, dit-il, « il faut qu'il règne jusqu'à
ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds » (1 Co 15,25), où il se
réfère au psaume 110 de David exaltation de la puissance guerrière la
plus implacable : « Le Seigneur... a écrasé des rois au jour de sa colère...,
les cadavres s'entassent ; partout sur la terre il a écrasé des têtes »
(110,5-6).
Comment peut-on concilier cette brutalité avec le magnifique hymne
à l'amour de la Première Epître aux Corinthiens (13,1-13).
Les massacres, et le talion de la vengeance, sont même d'avance justifiés
par Paul. Comme dans l'Ancien Testament, ce Dieu « tire vengeance
» (2 Th 1,8) et Paul ajoute : « Il est juste que Dieu rende détresse
pour détresse à vos oppresseurs » (2 Th 1,6). Il est difficile de reconnaître
en un tel Dieu celui des Béatitudes, à moins de voir dans « l'amour »
« l'accomplissement » du « talion » et en Jésus l'héritier de David, Seigneur
de la guerre.
Il ne s'agit point d'histoire ou de passé : le texte de Paul définissant
toute « théologie de la domination » est intégralement repris à son
compte par le Catéchisme de 199213, qui précise même : « Ceux qui sont
soumis à l'autorité regardent leurs supérieurs comme représentants de
Dieu1 4 . ».
Pour ne retenir que la période la plus récente, cette doctrine constante
fut appliquée à la lettre par les épiscopats. Le 24 décembre 1936 les évêques
allemands, dans une lettre pastorale commune appelaient les catholiques
à suivre leur fuhrer. Us écrivaient : « Le chef et chancelier du Reich
s'est rendu compte à temps de l'avalanche du bolchevisme... Les évêques
allemands considèrent comme leur devoir de soutenir le chef du
Reich dans cette lutte par tous les moyens dont ils disposent dans le
domaine religieux. »
Il est vrai que le pape Pie XII, dans l'encyclique Mit Brennender
Sorge, condamne la doctrine de la race et du sang, et reconnaît que
Hitler viole les pactes conclus, mais il ne dénonce pas le concordat avec
le Reich, signé par son prédécesseur Pie XI, en 1933, si bien qu'en octobre
1940, une nouvelle conférence de l'épiscopat allemand à Fulda évoque
le sacrifice fait par l'armée nazie pour « la grande cause de la liberté
de tous les peuples15 ».
En Espagne, sous Franco, le cardinal primat d'Espagne reconnaît dans
sa guerre contre la République « une véritable croisade pour la religion
catholique » (Appel du 23 novembre 1936).
Une lettre collective de tous les évêques espagnols donne à Franco
l'investiture aux yeux du monde entier. Le primat d'Espagne commente
dans El Heraldo de Aragon du 22 août 1937 : « La lettre collective, [...]
représentant officiellement l'Eglise d'Espagne, a parlé à l'Eglise universelle.»
En France il en fut de même pour Pétain. Dès le 15 novembre 1940
le Primat des Gaules proclamait, selon la pure tradition du paulinisme
politique : « Ce chef, Dieu l'a donné à notre patrie », et le 26 décembre
1940 : « Pétain c'est la France et la France c'est Pétain. » Le 15 janvier
1941, pour la zone occupée et le 5 février 1941 pour la zone libre,
l'épiscopat français — à la seule exception de l'archevêque de Toulouse,
Mgr Saliège — appelle le peuple de France à la collaboration : « Nous
professons un loyalisme complet envers le pouvoir établi du gouvernement
de la France et nous demandons à nos fidèles d'entretenir cet
esprit » [...], « de collaborer sans crainte », ajoutent-ils le 24 juillet 1941.
La même théologie paulinienne de la domination inspire aujourd'hui
13. P. 397.
14. P. 459-
15. L e Temps, 24/10/40.
la restauration monarchique de la politique romaine contre les ouvertures
de Vatican II. Le Catéchisme de 1992 sert de fondement théorique à
cette pratique conservatrice. Il constitue une réédition du Catéchisme de
saint Pie V (vénéré par Mgr Lefebvre), catéchisme issu du concile de
Trente (1545-1563) lors de la Contre-Réforme. « Le concile de Trente,
dit le Catéchisme de 1992, constitue un exemple, [...] une oeuvre de premier
ordre comme abrégé de la doctrine chrétienne1 6 . »
Dans le même esprit de respect de l'ordre établi, la condamnation
romaine des théologies de la libération par le cardinal Ratzinger, le
23 novembre 1984, précède de deux mois la Déclaration de Santa Fé
(7 février 1985) où les idéologues de Reagan et de la CIA déclarent (proposition
3) : « La politique extérieure des Etats-Unis doit commencer à
affronter la théologie de la libération. »
La « Sainte Alliance » conclue entre Reagan et le Vatican, en juin
1982, révélée aux Etats-Unis par T i m e et confirmée par Ronald Reagan
lui-même dans une interview accordée à la revue catholique italienne
Panorama, le 12 mars 1992, s'étend de l'Amérique latine à la Pologne.
Reagan déclare : « Le pape a été d'une grande aide, déterminante, pour
soutenir le mouvement Solidarnosc. Lui et moi avions trouvé le commun
dénominateur entre les Etats-Unis et le Vatican en raison de l'unité de
nos idéaux. »
Il est vrai que cette politique impériale romaine subit de retentissants
revers sur les champs de bataille les plus sensibles à Jean-Paul II : en Pologne
et en Italie. En Pologne ni les dollars ni les bénédictions n'ont évité
à Lech Walesa de voir s'effondrer le pouvoir politique d'une Eglise qui
pourtant, pendant des siècles, s'est identifiée avec la nation. En Italie
les consignes formelles du pape faisant obligation aux évêques, en 1987,
de faire voter les catholiques pour la Démocratie chrétienne, n'ont pas
empêché l'effondrement total, aux élections suivantes, du parti confessionnel
qui régnait depuis près d'un demi-siècle.
Ces échecs d'une immixtion de l'Eglise dans la politique n'empêchent
pas le Vatican de poursuivre inflexiblement dans la même voie : il est
le premier et le seul à reconnaître la dictature sanglante des militaires
à Haïti contre le Père Aristide, coupable de sympathie pour les théologies
de la libération et la cause de la misère en Haïti.
Tout comme le pape exprime ses nostalgies pour les dictatures militaires
en béatifiant le meilleur soutien religieux de Franco, le maître de
l'Opus Dei, Escriva de Balaguer, ou en adressant, au bourreau du Chili,
le général Pinochet, sa « bénédiction apostolique spéciale », publiée dans
le journal chilien El Mercurio le 30 mars 1993.

16. P. 12.

I1 ne s agit point là de « bavures » mais de la conséquence doctrinale
r.goureuse de la théologie de la domination formulée pour la première
fois par saint Paul à l'encontre du message libérateur de Jésus.
Ce retour brutal à la théologie de la domination, dont le concile de
Vatican II nous avait fait espérer qu'elle allait prendre fin, est marqué
par les actes de la nouvelle Inquisition.
Le grand théologien de la libération, Leonardo Boff, est contraint au
silence par la curie romaine, et, pour continuer son oeuvre dans l'esprit
de Vatican II et de Médellin : l'option préférentielle pour les pauvres,
il est acculé à la démission.
Le 26 octobre 1993, Mgr Ruiz, évêque de San Cristobal de Las Casas,
dans la province de Chiapas au Mexique, est convoqué par le nonce apostolique,
Mgr Prigione, qui lui demande de signer une lettre de démission.
Le péché majeur de Mgr Ruiz est d'avoir, au nom de la théologie
de la libération dont il fut le rapporteur à la Conférence épiscopale de
Médellin, défendu les Indiens et les paysans pauvres, alors que le Vatican
avait signé contre eux un accord avec le gouvernement mexicain de
répression, et les gros propriétaires de la région avaient menacé l'évêque
de mort et demandé son renvoi, comme ils l'avaient fait pour son illustre
prédécesseur, Bartolomé de Las Casas, protecteur des Indiens, quatre
siècles plus tôt.
En janvier 1995, c'est au tour de Mgr Gaillot d'être destitué de ses
fonctions d'évêque d'Evreux, malgré la protestation de nombreux évêques
et théologiens du monde entier et de centaines de milliers de catholiques
français et d'hommes de toutes fois qui avaient trouvé l'espérance
dans les ouvertures au monde de Vatican II.
Il n'était pas pardonné à Mgr Gaillot d'avoir désobéi aux consignes
romaines lorsqu'il avait refusé de s'associer, en 1983, à l'acceptation de
la bombe nucléaire, et, plus encore, d'avoir combattu sans cesse toutes
les exclusions. Après une semonce du porte-parole de l'épiscopat approuvée
par le représentant, en France, de l'intégrisme Vatican, le cardinal
Lustiger (comme le cardinal Trujillo l'est auprès de l'épiscopat d'Amérique
latine), l'exécuteur de la sentence, le cardinal Gamin, lui imposait
la démission.
Ainsi se confirme, en réaction contre les espérances de Vatican II,
l'option préférentielle du pape et de la curie impériale romaine, pour
les riches et les puissants.

Roger Garaudy
Vers une guerre de religion ?
Le débat du siècle
Préface de Leonardo Boff
DESCLÉE DE BROUWER, 1995, Annexes, pages 160 à 173