28 novembre 2016

Sentinelle, que dis-tu de la nuit ?



« Et si la poésie était un éveil de responsabilité? » nous demandait le

philosophe Roger Garaudy... dans la dédicace de ses poèmes A

contre-nuit, 1977, préfacé par Salah Stétié (un poète que nous retrouverons

avec la francophonie) et il nous a semblé heureux qu'un philosophe marxiste

en quête d'une spiritualité aux approches de l'islam et de l’universalisme

découvre les pouvoirs de la poésie dans un ouvrage ambitieux puisqu'il

s'agit, pourrions-nous dire, de découvrir le combat du jour et de la nuit,

cher à ses prédécesseurs, Victor Hugo, Pablo Neruda, Pierre Emmanuel,

Farid-Uddin Attar, comme le rappelle le préfacier qui précise : « A l'inverse

d'un Kafka prophétisant sombrement : «  Le Messie ne viendra pas le dernier

jour, mais le jour d'après » , Garaudy restera, à travers les mille accidents

d'une vie toute d'engagements passionnés et tendus, l'homme de

l'espérance intacte. » Espérance donc dans le spirituel et dans ce qui lui est

le plus proche, la poésie.


Robert SABATIER
Histoire de la poésie du 20e siècle
Voisinage des genres, p 376

--------------------------------------------------

Paul KLEE. Céramique mystique. Huile sur carton. 1925

Sentinelle, que dis-tu de la nuit ?
Le matin vient.
Saluons sa ferveur
dans le déferlement des millénaires.

Vieil arbre de ma vie,
tronc balafré par la morsure des haches,
noirci de foudre,
feuilles édentées de grêle,
jeunesse en vain fusillée,
et tant de mes fruits jetés à la décharge.
Tout ce passé que je n'échangerais contre aucun autre.
Dans la nuit indifférente,
sarcasmes des mesquins,
ricanements des loups.
A contre-nuit
j'ai refusé les routes de la plaine,
à contre-nuit
la transparence des destins.
Et l'arbre n'est pas mort:
une branche fleurit, rien qu'une branche,
narguant les fossoyeurs.


Roger GARAUDY
Extrait de "A contre-nuit", poème, 1987