16 novembre 2016

Marxisme et christianisme (2/5). Par Roger Garaudy


[...]
C'est la vocation même du socialisme, depuis
Marx mais déjà avec les grands utopistes qui l'ont
précédé et dont il recueillait consciemment l'héritage,
de se donner pour tâche non pas seulement de
changer le système de propriété et l'organisation
du pouvoir politique, mais de créer l'ensemble des
conditions sociales permettant un plein épanouissement
de l'homme et de chaque homme.
Que Marx ait découvert les fondements d'une
méthode scientifique d'analyse du développement
des sociétés, que Lénine et de grands révolutionnaires
à sa suite aient mis en oeuvre cette méthode
pour élaborer les techniques de la prise et de l'exercice
du pouvoir, que ces deux contributions
majeures à la création continuée de l'homme par
l'homme aient été perverties par leurs successeurs,
rien de toute cette histoire de la découverte des
méthodes puis de leur détournement ne doit nous
faire oublier, au profit de la recherche sur les
moyens, la fin véritable du socialisme.
Cette fin implique une conception de l'homme
et de son épanouissement. La politique du socialisme,
conçue dans sa plénitude humaine, ne peut
donc écarter un problème fondamental : celui de la
confrontation de ses visées avec celles des philosophies
et des religions. Ce n'est pas un problème
subalterne, tactique ou circonstanciel. Car seule une
telle confrontation peut permettre de dégager clairement
la signification humaine du socialisme.
Il est par exemple indispensable au rayonnement
et aux possibilités de réalisation du marxisme, profondément
enraciné dans la culture « occidentale »
(économie politique anglaise, socialisme français,
philosophie classique allemande, disait Lénine) de
confronter profondément ses visées avec celles des
grandes conceptions non occidentales de l'homme.
A une époque où 1' « Occident » ne peut plus
conserver l'illusion colonialiste qu'il est le seul centre
d'initiative historique et le seul créateur de
valeurs, c'est une nécessité absolue pour le
marxisme, comme d'ailleurs pour toute la culture
européenne, d'accepter l'interpellation fécondante
de l'Asie, de l'Afrique, de l'Amérique latine.
Dans les conditions propres à la France nous
nous limiterons à un aspect seulement de cette
interpellation du marxisme : aux questions que lui
pose celle des conceptions de l'homme et de son
avenir qui, dans notre pays, est la plus ancienne
et la plus enracinée : le christianisme.

Abordant une nouvelle fois ces problèmes, pour
écarter tout malentendu, je tiens à préciser que,
parlant par exemple de la foi ou du péché originel,
je ne prétends évidemment pas faire oeuvre
de théologien.
Ceci pour trois raisons :
D'abord parce que je traite ces problèmes « du
dehors », en athée qui s'interroge sur le sens de la
vie, de l'histoire et de cette foi.
Ensuite parce que j'essaye de déchiffrer, comme
« signes du temps » la pensée et l'action de chrétiens
militants — et qui ne sont pas tous les chrétiens
— qui prennent appui sur le concile de Vatican
II, et en développent, me semble-t-il, l'esprit.
Enfin parce que cette orientation apparemment
irréversible s'exprime déjà dans les textes de quelques-
uns des plus grands théologiens, catholiques
ou protestants, et même dans certains documents
les plus récents de l'Eglise.
Les quelques réflexions qui suivent n'ont pas
pour objet de choisir » une théologie particulière
ou une tendance parmi les chrétiens, mais de tenter
de dégager quelques lignes de force dans le
développement actuel du christianisme et surtout
de chercher à définir, d'un point de vue marxiste,
sans complaisance et sans confusion, mais aussi
sans sectarisme, les raisons de nos divergences
et les conditions de nos convergences.

Roger Garaudy
Reconquête de l’espoir. GRASSET, 1971, pages 107 à 110

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