Roger
Garaudy fut l'objet d'une controverse suite à
la
parution en 1995 de son livre Les mythes fondateurs
de
la politique israélienne(1), controverse qui le suivit
jusqu'à la fin de sa vie, éclaboussant du même coup
ses
fidèles amis, sa famille et son oeuvre.
Douter, interroger l'Histoire, la remettre en cause
est sans doute ce qui fait l'honneur du
libre-penseur.
Celui qui cherche à décrypter le monde sans se
laisser
parasiter par ses références, son logiciel, son
école de
pensée, pour ne pas dire sa chapelle. Bien au
contraire
le libre-penseur vise par tous les moyens la
compréhension
et la transmission, d'une vision, d'un héritage,
(1)
Editions la Vieille Taupe (1995),
Samiszdat (1996)
d'une
grille de lecture destinée aux générations futures.
Le
libre-penseur agit en éclaireur, il ne s'éclaire pas
lui-même
par vanité mais éclaire le monde.
Garaudy
a été ce genre d'homme. Il l'a été en particulier
- avec
force, avec fougue et avec indépendance d'esprit durant
une
période précise de sa vie. Celle qui l'a vu,
exclu
du PCF, penser la gauche d'après, émancipée de la
tutelle
soviétique et de la barbarie stalinienne. On mesure
aujourd'hui
combien l'histoire lui a donné raison. Roger
Garaudy
fut un intellectuel respecté dont les prises de
positions
avant-gardistes dans bien des domaines, laissaient
entrevoir
l'ébauche d'une alternative à la globalisation,
ce
«monothéisme du marché» 2 imposé
par l'occident
capitaliste
à un monde en mutation.
Garaudy
avait l'oreille des puissants, notamment
de
François Mitterrand, qui confiera en 1970 à Michel
Polac
avoir construit sa pensée politique en lisant Maurice
Clavel,
Raymond Aron et Roger Garaudy3. On
peut voir
en lui
un exégète savant de la pensée marxiste, mais ce
serait
par trop réducteur. De par ses voyages, innombrables
(dont
il est fait état dans ce livre), ses rencontres et son
ouverture
à l'autre, y compris à la religion de l'autre, il
fut
également un précurseur de la pensée altermondialiste.
C'est
bien sûr ce Garaudy période humaniste que nous
2. Extrait de Avons-nous
besoin de Dieu?, Fin de la conclusion intitulée
«La reconquête de l'espoir», Ed. Desclée de B r o u w e r , P a r i s,
1993, p p 205 à 207.
3. François Mitterrand à propos de ses lectures marxistes (ina.fr)
avons
voulu rééditer et faire connaître au lecteur contemporain
trente-cinq
ans après. Car il n'est pas honnête
d'effacer
des registres, de «blackbouler» cet homme et son
oeuvre
au nom de certaines prises de positions ultérieures
discutables.
Si
cette note était interprétée par certains esprits
chagrins
comme une tentative de réhabilitation d'un
négationniste
ou un plaidoyer antisémite, nous tenons à
préciser
avec force qu'il n'en est rien. Garaudy était-il
antisémite
? Ceux qui l'ont connu savent que non, et rien
dans
son oeuvre ne le laisse croire, même si les pensées
qu'il a
pu garder secrètes au fond de son âme le demeureront
pour
toujours. D'autant que la dernière partie de
sa vie,
si elle a vu son audience fondre comme neige
au
soleil en occident, l'a au contraire vu exploser dans
un
monde musulman dont certaines franges affichent
sans
complexe leur haine d'Israël. À cela, il convient
d'ajouter
ses troublantes sympathies pour les chefs
d'états
non-alignés (4). Peut-on lui
reprocher ses fréquentations
?
Chacun jugera. L'homme a sa part d'ombre et
c'est
cette complexité qui rend le personnage intéressant,
Garaudy
était-il révisionniste? Sans doute ! Il a été jugé
et
condamné pour ses propos et ses tentatives d'appel
ont
systématiquement échoué. L'homme a fait face à
ses
responsabilités et à la société. Justice a été rendue.
Espérons
qu'au cas où d'autres figures publiques ayant
4. Voir le détail
des relations avec Saddam Hussein, ses liens troubles
avec l ' Iran , le soutien affiché du Grand mufti de
Syrie ou sa n o m i n a t i on
prévue au Prix Kadhafi dans l 'ouvrag e Roger
Garaudy - Itinéraire d'une
négation de Michaël
Prazan, Adrien Minardaux, éditions Calmann-Lévy.
attcint un âge respectable seraient appelées à
comparaître,
elles soient jugées sans plus de complaisance que
ne le fut Roger Garaudy.
En se focalisant sur la plaie béante de l'horreur
absolue, celle de la question juive et de l'holocauste,
le questionnement de Garaudy nous interpelle, nous
laisse entrevoir la part sombre d'un homme lumineux.
D'aucuns lui concèdent la maladresse, parmi lesquels
son grand ami l'abbé Pierre qui paiera un lourd
tribut
pour avoir affiché son indéfectible soutien. Notre
humble
avis est que l'homme, toujours en quête d'absolu,
avide
d'un horizon inatteignable a voulu s'attaquer à un
sujet
qui le dépassait. La question de l'extermination des
déportés dans les camps nazis, celle des chambres à
gaz ne peut être l'objet d'un débat serein, elle ne
le sera
sans doute pas avant plusieurs décennies. Les
passions
qu'elle déchaîne invitent l'homme sage à ne pas
ouvrir
la boîte de Pandore. La mémoire des morts et le
témoignage
des survivants n'ont pas à entrer dans la balance
de quelque froide équation. Non, l'horreur n'a pas à
subir l'affront du doute, pas plus qu'elle ne doit
faire
l'objet de surenchère mémorielle.
Aussi, plutôt que de tenter d'expliquer ce que fut
cet homme, nous préférons laisser parler le poète.
Cette chanson, diffusée aux funérailles de Garaudy
le
18 juin 2012, résume mieux que mille mots le
cheminement,
le questionnement, la quête d'un libre-penseur :
Rêver
un impossible rêve
Porter
le chagrin des départs
Brûler
d'une impossible fièvre
Partir
où personne ne part
Aimer
jus qu'à la déchirure
Aimer
, même trop , même mal,
Tenter,
sans force et sans armure,
D
'atteindre l'inaccessible étoile
Telle
est ma quête,
Suivre
l'étoile
Peu
m'importent mes chances
Peu
m'importe le temps
O
u ma désespérance
Et
puis lutter toujours
Sans
questions ni repos
Se
damner
Pour
l'or d'un mot d'amour
Je
ne sais si je serai ce héros
Mais
mon coeur serait tranquille
Et
les villes s'éclabousseraient de bleu
Parce
qu’'un malheureux
Brûle
encore, bien qu' ayant tout brûlé
Brûle
encore , même trop, même mal
Pour
atteindre à s'en écarteler
Pour
atteindre l'inaccessible
étoile.
La quête. Jacques
Brel
Voir la présentation du livre “Pour un dialogue des civilisations” de Roger Garaudy, réédition 2012 (Editionsdu Devin)