21 mars 2014

Le mythe, selon Garaudy

de Symbolisme
n°12  1966

 






Le mythe

Le point de départ du marxisme, c'est l'acte créateur de l'homme.
C'est aussi son point d'arrivée : faire de chaque homme un homme,
c'est-à-dire un créateur, un « poète ».
Comment alors peut se situer la création artistique dans le développement
de l'acte humain du travail, de la création continuée de l'homme
par l'homme ?
Comment le mythe peut-il être une composante de l'action pour
transformer le monde ?
« Il faut rêver », disait Lénine, qui savait que le mythe est de la
vie en acte.
Dans cette perspective humaniste le mythe se situe au niveau de l'acte
créateur de l'homme : ni en dessus, ni en dessous.
Pas plus que nous ne croyons avec Berkeley que la nature est le
langage symbolique qu'un esprit infini parle aux esprits finis, pas plus
que nous ne croyons, avec Cassirer, que le mythe est l'Odyssée de la
conscience de Dieu, avec Gusdorf qu'il est plongée et réintégration métaphysique
dans la réalité, ou avec Duméry qu'il est un « tact » de valeurs
préexistantes, pas davantage nous ne pensons avec Jung que l'« archétype »
ou « l'image primordiale » soit la matrice de l'idée. Le mythe n'est ni un
ancrage dans le sacré, ni un ancrage dans une nature originaire.
S'il est le langage de la transcendance, cette transcendance ne peut
être pensée en termes d'extériorité ni de présence : ni transcendance d'en
haut d'un Dieu, ni transcendance d'en bas d'une nature donnée toute faite.
Le mythe n'est pas participation mais création.
Le mythe chez Marx, n'est pas comme chez Freud une traduction
même sublimée du désir, mais un moment du travail.
Différence fondamentale, car le désir prolonge la nature alors que le
travail la transcende.
Faire du travail la matrice du mythe, comme d'ailleurs de toute
culture par opposition à la nature, nous permet déjà de tracer une ligne
de démarcation entre le symbole onirique et le symbole mythique. Le
premier est expression ou traduction du désir, le second est un moment
de la création continuée de l'homme par l'homme, sous forme poétique,
prophétique, militante, mais toujours prospective.
Ainsi est écartée la confusion entre le mythe proprement dit et ce
que l'on appelle faussement de ce nom : si le mythe est ce moment du
travail par lequel l'émergence de l'homme s'affirme avec cette dimension
nouvelle de l'être : l'efficace du futur, l'on ne saurait appeler mythe ce
qui est simple survivance du passé, la raison paresseuse et dépassée de
l'allégorie ou des fables étiologiques. Pas davantage ce qui est simple
reproduction ou conservation du présent par une idée-force par une image
qui devient norme de conduite. Ce stéréotype social, démultiplié par la
propagande ou la publicité, est illusion et aliénation. Il tend non à promouvoir
l'histoire mais au contraire à l'arrêter en donnant seulement un
visage au désir ; et en laissant l'homme tourner en rond, dans le cercle
fermé de l'instinct. Les variantes en sont nombreuses depuis la propagande
hitlérienne de la race ou l'érotisme comme moyen de publicité. Jusqu'à
cet ersatz dégradé du héros mythique que constitue « l'idole », offrant
à la jeunesse l'illusion compensatrice d'une vie aliénée, d'une vie par
procuration grâce à l'inflation du mythe : Soraya pour Bérénice, Brigitte
Bardot pour Aphrodite...
Il est des mythes qui ne nous servent à rien ou qui nous desservent.
Ils ne mènent nulle part. Il en est d'autres qui nous orientent vers le
centre créateur de nous-mêmes, qui nous ouvrent des horizons toujours
neufs et nous aident à franchir nos limites. Mythes clos ou mythes
« ouverts » qui sont en vérité les seuls mythes authentiques.
Nous réserverons le nom de mythe à tout récit symbolique rappelant
l'homme à sa vérité d'être créateur, c'est-à-dire défini d'abord par l'avenir
qu'il invente, et non par le passé de l'espèce qui simplement le pousse par
l'instinct et le désir.
De tels mythes ne sont pas nécessairement des produits d'une mentalité
primitive. Il y a des mythes contemporains de la raison.
Le mythe, dès le départ, langage de la transcendance, et sous sa forme
la plus humble : de la transcendance de l'homme par rapport à la nature.
Il implique un double arrachement au donné : à la nature extérieure
et à notre propre nature. L'analyse de Wallon rejoint ici celle de Van der
Leeuw : il est « un retour au fondamental : l'homme qui se "dresse" qui
sait dire : non ! à l'égard de ce qui lui est donné comme réalité. »
{ L'homme primitif et la religion, p. 199).
Marx nous invitait à expliquer ainsi la fascination durable, à travers
les siècles, des grands mythes de la Grèce, comme exprimant l'enfance
saine de l'homme, se refusant à définir la réalité par la seule « ananké »
de l'ordre existant dans la nature ou la société, qu'il s'agisse de Prométhée,
d'Icare, d'Antigone ou dePygmalion.
Dans chaque grand mythe, qu'il soit poétique ou religieux, l'homme
ressaisit sa propre transcendance par rapport à tout ordre donné.
Et cela à partir de cette dimension spécifiquement humaine du travail
: la présence du futur comme levain du présent.
Comment, dans cette perspective, concevoir le rapport du mythe
avec le temps ? Ce ne peut pas être à la manière de Mircea Eliade, qui,
dans ses essais sur le symbolisme magico-religieux, évoque ce qu'il appelle
les « techniques de la sortie du temps » dans les mythes indiens.
Le propre des grands mythes comme « ouverture vers la transcendance
» est plus maîtrise du temps que sortie du temps. « Le grand temps »
du mythe permet à l'homme de revivre le matin du monde : le moment
de la création, de ne pas se saisir seulement comme un fragment du cosmos,
pris dans le tissu de ses lois, mais comme capable de le transcender,
d'intervenir comme créateur.
Prométhée ou Antigone, tout comme d'ailleurs les prophètes d'Israël
ou les récits évangéliques, nous disent qu'un nouveau départ est possible,
que je puis recommencer ma vie et changer le monde. C'est ce qu'il y a
de plus précieux dans ce « pouvoir d'interpellation » du mythe, comme
dit M . Ricoeur. L'on ne peut ici opposer le Kerygme et le mythe. Le mythe
est nécessairement le langage du Kérygme. Lorsque Bultman, dans L e
Christianisme primitif s'efforce de cerner le message essentiel du Christ,
il montre qu'à la différence de la conception grecque du « cosmos » dont
l'homme est un fragment et un moment, le Christ vient révéler à chacun
que le présent n'est pas ce maillon nécessaire entre le passé et l'avenir dans
la trame d'un destin, mais que « le présent est le temps de la décision ».
La transcendance c'est la possibilité d'un commencement absolu. Dans une
perspective catholique, au colloque de Salzbourg, le Père Karl Rahner, très
proche en cela de Bultman, définissait le christianisme comme « religion
de l'avenir absolu ».
Si j'essaie de déchiffrer ce langage de Bultman ou de Rahner en
marxiste, c'est-à-dire en homme qui pense que la transcendance n'est pas
un attribut de Dieu mais une dimension de l'homme, je découvre en chaque
mythe le rappel de cette transcendance, et l'appel, adressé à l'homme,
d'exercer son pouvoir d'initiative historique.
Le sens de l'histoire est né avec le premier homme, avec le premier
travail, avec le premier projet. Ce sens s'enrichit de tous les projets des
hommes. Il demeure toujours une tâche à accomplir et une création. C'est
ce qui distingue la conception marxiste de l'histoire de celle de Hegel pour
qui le sens de l'histoire finale est déjà présent dès le départ, toute l'histoire
humaine est transformée ainsi en une fausse histoire, n'étant plus
que la quête plus ou moins consciente de cet achèvement.
Le mythe n'est donc pas technique d'une sortie de l'histoire mais au
contraire rappel de ce qui est spécifiquement historique dans l'histoire :
l'acte d'initiative humaine. Aristote l'a suggéré dans sa « Poétique »
( 1440b et 1453a) à propos de la tragédie : la tragédie n'est pas l'imitation
de n'importe quelle action mais d'une action qui est en même temps un
paradigme et qui porte en elle sa propre temporalité (1450b). (Peut-être
est-ce là le contraire même de ce qu'il est convenu d'appeler « le nouveau
roman ». Mais c'est une autre question.)
Le héros mythique est celui qui prend conscience d'une question
posée à l'homme par une situation historique, qui en découvre le sens
humain (c'est-à-dire dépassant la situation) et dont la victoire ou l'échec
même constituent pour nous un éveil de responsabilité pour la solution
des problèmes de notre temps : i l en est ainsi d'Hector ou d'Ulysse, comme
de Pantagruel, de don Quichotte, de Faust ou de Jean-Christophe.
Il n'est donc pas possible de dire, comme le fait Freud dans Totem
et Tabou , que la mythologie est au groupe ce que le rêve est à l'individu :
le rêve n'est que traduction d'une réalité préexistante, le mythe est un
appel à franchir nos limites ; i l est ce que Baudelaire disait de l'oeuvre
de Delacroix : «une pédagogie de la grandeur» (Pléiade, 1117).
M. Ricceur a tenté de restituer à la conception de Freud une dimension
nouvelle, prospective, une tension vers l'avenir, par sa théorie dialectique
de l'interprétation, dont les pôles opposés sont, dit-il « l'archéologie
et la téléologie » (p. 476), interprétations tournées l'une vers la résurgence
des significations archaïques, l'autre vers l'émergence de figures
anticipatrices de notre aventure spirituelle (p. 498). Mais si généreuse
que soit la tentative de retrouver chez Freud, au moins sous forme latente,
au-delà des analyses régressives, le mouvement progressif et prospectif
de la « Phénoménologie de l'esprit » de Hegel, nous nous heurtons aux
limites réelles du naturalisme de Freud, et M . Ricceur en donne lui-même
la formule la plus significative lorsque, faisant le bilan de sa double interprétation,
i l écrit : « C'est avec des images issues du désir émondé que
nous figurons nos idéaux » ( p. 479 ).
Tant que l'on cherchera dans le désir, et non dans le travail, la matrice
du mythe, l'on ne pourra en effet dépasser ce point de vue.
C'est méconnaître, à mon sens, la spécificité du symbole mythique
par rapport au symbole.
M. Ricoeur tout en soutenant la thèse de l'unicité fonctionnelle du
rêve et de la création ( 499 ), souligne il est vrai que l'oeuvre d'art n'est pas
la simple projection des conflits de l'artiste. Il dégage au moins deux
différences : l'oeuvre d'art est un rêve qui véhicule des valeurs sociales, et
elle exige la médiation du travail d'artisan.
La différence ne se limite pas à cela ; i l n'y a pas unité fonctionnelle
entre le rêve et la création.
Dans la création le travail n'intervient pas comme un moment second,
sous la seule forme du travail d'artisan. Le travail a le rôle premier et
constitutif dans la genèse du mythe qui en est un moment. Le travail
animal est sur le simple prolongement du désir et des besoins de l'espèce,
mais ce qui caractérise le travail spécifiquement humain, c'est l'émergence
du projet, la création d'un modèle qui devient la loi de l'action.
Ce qui constitue la spécificité du symbole mythique, par rapport au
symbole onirique, c'est précisément cette émergence du modèle.
Lorsque Lévi-Strauss écrit que « l'objet du mythe est de fournir un
modèle logique pour résoudre une contradiction » et lorsqu'il ajoute : ;
« peut-être découvrirons-nous un jour que la même logique est à l'oeuvre
dans la pensée mythique et dans la pensée scientifique », il n'y a qu'un
mot qui me gêne dans sa définition : c'est le mot « logique », car cela
suggère que le modèle est réductible au concept et alors que le « muthos »
est irréductible au « logos ».
Mais, sous cette réserve, Lévi-Strauss a eu le mérite de souligner
l'unité fonctionnelle du mythe et de l'hypothèse scientifique dans la notion
de « modèle » qui les inclut tous les deux. Dans les conclusions de son
beau livre sur Les dieux d e la Grèce, André Bonard situe à leur juste place
les créateurs d'Homère, d'Hésiode ou d'Eschyle : « Le poète, dit-il,
n'invente pas, i l n'a aucun droit d'inventer de toutes pièces les histoires
divines. Il ne faut pas dire cependant qu'il n'invente rien. Il inven e à la
façon dont le savant formule une hypothèse. Il imagine pour rendre compte
avec exactitude de la réalité telle qu'il la saisit. » (p. 159)
Hector ou Oedipe Roi, comme les histoires des dieux, sont des interrogations
sur le sens que l'homme peut découvrir ou donner à sa vie. Pas
seulement une expression de ce qu'il est mais une interrogation sur ce qu'il
peut et une exigence d'aller au delà.
La psychanalyse a épuisé sa vertu lorsqu'elle nous conduit à la
conscience de soi, alors que le mythe est créateur de soi.
C'est pourquoi d'ailleurs i l est aussi irréductible à la Phénoménologie
de Hegel qu'à la psychanalyse de Freud.
Le « modèle » mythique, même si l'on peut découvrir une certaine
unité fonctionnelle entre lui et l'hypothèse scientifique, est un modèle
dont la spécificité est définie par son langage. Avoir méconnu cette
spécificité du mythe est, à son sens, ce qui impose une limite à l'esthétique
de Hegel comme à sa philosophie de la religion.
Le privilège exclusif accordé au concept qui, dans le savoir absolu,
rendra l'homme et son histoire à la fois parfaitement transparent et achevé,
conduit à ne faire de la religion et de l'art que des modes de connaissance
inférieurs, disant en images ce que la philosophie traduira sans résidu
aucun en concepts.
A condition de distinguer le mythe de l'allégorie qui a précisément
un rôle illustratif et non créateur ou interpellateur, ce que nous dit le
mythe par symboles ne peut pas être réduit à un récit par concepts. Cette
différence est fondamentale.
Pavlov distinguait un premier système de signalisation constitué par
des excitants sensoriels, le signal n'est ici que la partie pour le tout,
comme la fumée pour le feu. Il appelait deuxième système de signalisation
le langage constitué par des mots, et qui parvient à son achèvement dans
le concept. Nous pourrions, après le signal et le mot, appeler le symbole
le « troisième système de signalisation ».
Ce troisième système de signalisation exprime lui aussi une forme de
la relation de l'homme au monde. I l implique un enrichissement de la
conception du réel : la réalité ce n'est pas seulement une nature donnée,
avec sa nécessité propre, son « ananké », c'est aussi cette seconde nature
créée par l'homme, par la technique et l'art, et c'est aussi tout ce qui
n'existe pas encore, l'horizon toujours mouvant du possible humain.
Pour un marxiste le mythe ne peut être conçu seulement comme un
rapport à l'être, mais comme un appel à faire. Le symbole ne renvoie pas
à un être enveloppant en lequel nous vivons, nous nous mouvons et nous
sommes. I l est le langage de l'existence. I l nous révèle non une présence
mais une absence, un manque, un vide qu'il nous somme de combler.
Ce troisième système de signalisation est essentiellement « poétique »
au sens le plus fort du mot : création continuée de l'homme par l'homme.
C'est en ce sens que le marxisme interprète comme langage de l'exigence
et de la transcendance les grands mythes de l'art comme de la
religion.
Ces mythes portent témoignage de la présence active, créatrice, de
l'homme, dans un monde toujours en naissance et en croissance. Chaque
grande oeuvre d'art est l'un de ces mythes. Ce qu'en eux, de Cervantes
à Cézanne, ou de Paul Klee à Brecht l'on appelle « déformation » du réel
est en réalité image mythique du réel.
Lorsqu'une nature morte de Cézanne ou une oeuvre de Paul Klee
nous donne le sentiment d'un équilibre prêt à se rompre et qui ne semble
retenu au bord de la catastrophe que par l'acte majeur de l'homme, de la
composition de l'artiste, nous avons là l'expression plastique de cette
vérité inépuisable que le réel n'est pas un donné mais une tâche à accomplir.
Elle est un rappel ou un éveil de responsabilité, un rappel de ce qui
est l'homme : un créateur et de ce qu'il peut. Tel est le sens de l'axiome
de Stendhal : « La peinture n'est que de la morale construite » ( Histoire
de la peinture italienne, p. 338).
Ainsi, au niveau du troisième système de signalisation, au niveau du
symbole, langage de l'exigence et de l'absence, de la transcendance et de
la création, l'homme opère une conversion plus profonde encore que la
précédente : le passage du premier au deuxième système, c'est-à-dire le
passage du vécu au concept exigeait une « décentration » de l'homme,
l'abandon de la perspective sensible et vécue, pour atteindre, avec le
concept, une vision de plus en plus décentrée de l'univers : les images
successives du monde données par Ptolémée, par Copernic, par Einstein,
nous fournissent une illustration saisissante de cette « décentration »
opérée par la pensée scientifique.
Mais le passage du concept au symbole est plus exigeant encore : i l
est remise en question de tout ordre fini au sens d'achevé et conscience
qu'il est simplement fini par comparaison à l'infini. Il s'agit cette fois d'une
conversio  au sens strict : nous étions jusque là, par les sens ou par les
concepts, tournés vers ce qui est déjà fait, le mythe nous enjoint de nous
tourner vers ce qui est à faire. Il nous appelle à n'être pas seulement
constructeurs d'objets ou calculateurs de rapports, mais donateurs de sens
et créateurs d'avenir. Le symbole exige ce décollement à l'égard de l'être,
ce dépassement de l'être dans le sens et dans la création. Un proverbe
bouddhiste dit : « Lorsque le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le
doigt ».
Le troisième système de signalisation nous interdit cet attachement
obtus à ce qui est déjà. Définir le mythe comme langage de la transcendance,
ce n'est point négation de la raison mais dépassement dialectique
dans une raison qui a conscience de se transcender toujours elle-même
avec les ordres provisoires qu'elle a déjà constitués.
La mythologie c'est la déchéance dogmatique du mythe comme le
scientisme est la déchéance dogmatique de la science. La mythologie c'est
la prétention de retenir seulement la lettre du mythe et non pas son
esprit, le matériel du symbole et non sa signification. Antigone ne nous
toucherait guère si elle n'était qu'obstination à accomplir le rite des funérailles
de Polynice, et la Résurrection du Christ ne bouleverserait pas la
vie des hommes depuis deux millénaires s'il s'agissait d'un problème de
physiologie cellulaire ou de réanimation.
Le mythe, libéré de la mythologie, commence là où le concept
s'arrête, c'est-à-dire avec la connaissance non de l'être donné, mais de
l'acte créateur. Il n'est pas reflet d'un être mais visée d'un acte. Aussi
ne s'exprime-t-il point par concepts mais par symboles.
Il est l'acte créateur saisi du dedans, par l'intention qui l'anime.
Cette connaissance, ce niveau de connaissance, n'a pas pour objet l'universel
mais le personnel et le vécu. Elle donne sens à la création et
déclenche l'acte créateur. Elle est appel, elle est acte, elle est personne :
Antigone, ou Hamlet, ou Faust, ne peuvent se circonscrire en concepts,
mais seulement s'exprimer en un style de conduite personnelle par une
réactivation de l'initiative historique du héros.
Le mythe, en son sens le plus élevé, se situe donc au niveau de la
connaissance poétique et de la décision responsable et libre de l'homme.
A ce niveau seulement, celui de la saisie de l'acte créateur et du choix,
l'on peut à la fois instituer et découvrir le sens de la vie et de l'histoire.
Car ce sens on ne se contente pas de le découvrir comme du sommet
d'une montagne on découvre un paysage : c'est tout un de recevoir
ce sens par la connaissance et de le donner par l'action, de le vivre, dans
le mythe, comme savoir et comme responsabilité, de parcourir par la
connaissance de l'histoire passée le panorama du développement antérieur
et de participer à la réalisation pratique, militante, de cette signification.
Dans le mythe se révèle l'ordre, au double sens d'harmonie et de commandement.
Le mythe ainsi conçu n'est donc pas le contraire du concept. Il est
le concept en train de naître.

Roger Garaudy 


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