Préface
Ce que Dom Helder Camara, l'archevêque brésilien,
est
pour les Eglises, Roger Garaudy l'est pour les
sociétés occidentales.
Ils sont des amis depuis des années. Ils ont conclu
un pacte auquel ils sont restés depuis lors fidèles
: pour l'un,
rétablir la dimension religieuse dans le socialisme
; pour
l'autre, redécouvrir la perspective de libération
ouverte par
le christianisme.
Garaudy et Helder Camara ont réalisé dans leur vie
ce
pacte conclu le 29 mai 1967 : Garaudy attache de plus en
plus d'importance à la dimension mystique de la vie
et Helder
Camara à la dimension libératrice du christianisme.
L'esprit de prophétie les unit.
Le prophète est toujours l'homme d'un moment de
l'histoire.
Il capte les cris venus du monde des « damnés de la
terre ». Il dénonce les injustices avec une
indignation sacrée.
Mais il annonce aussi les rêves créateurs de sens,
et il ouvre
l'histoire à un avenir porteur d'espérance.
Ce livre de Roger Garaudy prolonge le précédent1 : Avons -
nous besoin de Dieu ?, avec le même souci du destin de
l'humanité, à un moment où le monde est dominé par
le
marché et par la dictature du modèle occidental de
croissance.
1.
Avons-nous besoin de D i e u ?, Ed. Desclée de Brouwer, octobre 1993.
Ce modèle de mondialisation est profondément
meurtrier.
Il coûte au monde un Hiroshima tous les deux jours.
Vingt
pour cent de l'humanité détiennent
quatre-vingt-trois pour
cent de la richesse mondiale. La faim existe dans le
premier
monde et massivement dans le monde où il y a deux
tiers
de pauvres. Un enfant sur huit souffre de faim aux
Etats-
Unis. Au Brésil, toutes les quatre-vingt-dix
secondes un
enfant meurt victime de la faim. Quinze millions et
demi
d'enfants meurent chaque année dans le monde, ou par
la
faim ou par des maladies provoquées par la faim.
Qu'estce
que cette humanité, cruelle et sans pitié, «
composée de
barbares motorisés vivant dans la jungle d'une
préhistoire où
aucune conscience ne pense Dieu, l'unité de
l'univers et son
sens » ? demande Garaudy.
Il existe aujourd'hui une grande division dans le
monde
entre ceux qui mangent et ceux qui ne mangent pas,
entre
ceux qui accaparent égoïstement pour eux les moyens
de
vivre jusqu'à la satiété, et ceux qui sont
abandonnés à leur
propre sort, mourant avant leur temps.
Personne ne peut accepter une telle situation.
Toutes les
grandes traditions spirituelles et les grandes
religions la refusent.
Pourquoi sont-elles muettes et inefficaces en face
de ce
fléau mondial ? Parce que tout au long de l'histoire
elles ont
pactisé avec les pouvoirs dominants et sont devenues
des religions
de domination. Elles portent en elles le principe de
la
libération et du dépassement de ces divisions
inhumaines.
Elles portent témoignage que nous sommes tous à
l'image
de Dieu qui a insufflé en nous l'esprit, et nous
fait un devoir
d'être un avec le tout . Elles
peuvent aider plus qu'aucune
autre force historique à la création d'une unité
dynamique,
complexe, fraternelle et symphonique du monde. Mais,
pour
cela, elles doivent se libérer de l'arrogance, de
l'intégrisme,
de l'idéologie tribale et mortelle de « peuple élu »
qui caractérise
les dominants.
Il est nécessaire de nous ouvrir à l'expérience
originaire
de Dieu qui est espérance du sens et se révèle dans
l'acte
créateur de l'homme, dans les arts, dans toutes les
formes
d'expression par lesquelles il donne un sens à sa
propre vie
et à celle de la société, et où il perçoit le sens
de tous les sens
caché au coeur de toute véritable rencontre. C'est
là
qu'émerge le sacré qui n'est pas nécessairement lié
au « religieux
» ou au « cultuel », mais à tout ce qui agrandit les
dimensions de la vie et ouvre le coeur à des
horizons toujours
plus vastes.
Garaudy trouve en saint Paul les germes d'un
christianisme
de domination. C'est pourquoi le paulinisme
politique s'articule
très vite avec les pouvoirs de ce monde, et se
structure
comme religion de domination impériale du monde.
Avec
érudition et avec le sens de l'actualité, il
retrouve l'expérience
originaire de Jésus et sa signification libératrice
pour toute
l'humanité. Seul ce christianisme-là est digne de
s'étendre
au monde entier. L'autre est celui de l'Occident et
comme
tel un accident.
Le christianisme libérateur se retrouve chez les
sages de
toutes les cultures ; il s'apparente à toutes les
grandes traditions
spirituelles qui ont toujours ouvert une perspective
de
présence solidaire avec les opprimés et d'unité de
la création
en sa totalité.
L'expérience originaire de Jésus est actualisée
aujourd'hui
par le christianisme de libération en Amérique
latine, en
Afrique et en Asie, et trouve son expression la plus
forte dans
les communautés chrétiennes de base et la théologie
de la
libération. De ce christianisme, selon l'auteur,
dépend la survie
même de l'humanité.
Nous avons là un livre d'une grande densité, vibrant
d'amour et d'esprit prophétique.
Il contient des pages splendides qui invitent chacun
à
découvrir en lui le Dieu qui l'habite, le pouvoir de
capter
les énergies cosmiques qui vivent en lui et
l'Energie animatrice
de tout. C'est un livre nécessaire pour aider les
esprits
généreux à s'orienter dans le « débat du siècle ».
Leonardo BOFF,
Rio de Janeiro, 15 août 1994.
Ce texte est également reproduit au format JPG à http://rogergaraudy.blogspot.fr/2012/07/actualite-de-la-prophetie-par-leonardo.html