Chapitre III de la thèse (à lire in extenso à http://classiques.uqac.ca/contemporains/fleury_brigitte/confession_garaudy/Etude_conversion_Garaudy.pdf)
Étude
de cas :
la conversion de Roger Garaudy
la conversion de Roger Garaudy
Considérant tout
ce qui précède, nous allons rechercher dans les Mémoires et le Testament
philosophique de Roger Garaudy, [1] comment s'est effectuée sa
conversion à l'islam. On prendra en compte sa réflexion intrapersonnelle et on
examinera ses relations interpersonnelles ainsi que son appréciation du
contexte social. Mais pour comprendre de qui nous parlons, esquissons d’emblée
le portrait de cet homme.
Roger Garaudy
est né à Marseille en 1913. De son enfance, il se dit fortement imprégné de
l'affection que lui témoignent sa mère et sa grand-mère. Par elles, il apprend
que l’amour transforme les êtres qui le portent et ajoute une dimension
nouvelle à leur vie ; sa mère garde le souvenir impérissable d'une
relation amoureuse impossible tandis que sa grand-mère, catholique dévote, aime
Dieu, même si cela signifie, pour elle, de se soumettre à sa volonté et
d’accepter ses souffrances. [2] Cette prise de conscience se
transforme en une source d’inspiration.
Ainsi si la
relation qu'il entretient avec les femmes de sa famille le
« séduit », son père athée, revenu aigri de la Première Guerre mondiale,
ne l'impressionne guère. De lui, il apprend les affres du premier conflit armé
mondial. Grâce à lui, aussi, il prend conscience de l'époque trouble dans
laquelle il vit : celle de l'entre-deux guerres, puis de la deuxième
grande guerre. Dans un tel contexte, il ne conçoit pas de limiter l'amour dont
il se sent porteur, à son entourage immédiat. Plus que cela, il cherche à
transposer ce sentiment dans un projet grandiose que l'humanité entière pourra
partager. Si la recherche d’un sens à sa vie devient une quête, l'amour, selon
ses termes, en sera le guide. [3] S’il endosse l’identité
chrétienne ce n’est pas pour s’y réfugier passivement ; il veut s’investir
dans un projet collectif porteur de sens. C’est pourquoi en 1933, à l’âge de
vingt ans, il choisit de joindre les rangs du Parti communiste français tout en
précisant qu’il est croyant.
Le Parti le
mettra à l'épreuve et il sera accepté. Le cercle de ses connaissances
s’élargit. En plus des relations qu'il a nouées au sein de groupes religieux et
de celles qu'il établit en tant qu'universitaire enseignant en philosophie, il
développe un nouveau réseau de relations dans le domaine de la politique — tout
d’abord comme militant, puis comme membre du Comité central du Parti (1945), et
éventuellement comme député (1945-1958) et sénateur (1959-1962).
Bien que sa
carrière politique lui procure une reconnaissance publique, il acquiert
également une notoriété considérable en tant qu'intellectuel. Brillant penseur,
ses propos trouvent audience non seulement auprès de ceux et celles qui
l'entourent dans la sphère politique, mais également auprès de certains
intellectuels, membres du clergé, étudiants, lecteurs et personnes qui se
questionnent sur le sens d’une époque [4] Suivant ce qu’il appelle sa
méthodologie de l’initiative historique, il recherche dans les contradictions
spécifiques d’une société et d’une époque un projet politique capable de les
surmonter. [5] Pour lui, cette démarche ne
saurait faire abstraction des valeurs absolues exposées dans le discours des
grandes religions car elles régissent les codes de conduite sur le plan social.
De plus, elles suscitent l’éveil de sentiments proprement humanistes, notamment
celui de se rendre responsable des autres. Et s’il reconnaît une dimension
transcendante au comportement de l’être humain, il convient également de sa
capacité de surmonter les aliénations ainsi que les déterminismes. [6] En termes simples, il
reconnaît que l’humain participe aussi à la construction de sa vie.
Or, même si
l’explication de cette idée est limitée dans son Testament et ses Mémoires,
plusieurs indices nous laissent des pistes pour extrapoler. Ainsi, de ces deux
ouvrages nous pouvons apprendre que son identité religieuse catholique s’est
construite dans le sillage de l’influence de sa grand-mère maternelle, née à
Alger et d’origine maure espagnole. [7] On y apprend aussi que sa
motivation à joindre les rangs de la communauté épistémique marxiste s’inscrit
dans le contexte de la désintégration sociale due aux deux grandes guerres.
Toutefois, si certains événements relatés nous renseignent sur ce qui revêt de
l’importance à ses yeux, sa vision du monde et l’orientation de ses actions, il
est plus difficile de saisir le cheminement qui l’a conduit à adhérer à l'islam
en 1982.
Pour comprendre
le processus par lequel il en arrive à vouloir se réaliser autrement en
s’intégrant à une communauté de foi autre, nous souhaitons explorer trois
pistes. Dans un premier temps, nous allons exposer, à partir des œuvres à
l’étude, ce que signifie, pour Roger Garaudy, la notion de transcendance. Plus
précisément, comment cette idée phare qui guide sa vie a émergé au contact de
personnes qui la partagent, mais aussi auprès de celles qui la questionnent et
la mettent en doute. Nous voulons ainsi démontrer comment le discours des
autres, même s’il va à l’encontre de nos opinions, contribue plus à consolider
nos positions qu’à ébranler nos certitudes identitaires.
Ensuite, dans un
deuxième temps, nous expliquerons comment l’attachement identitaire à deux
communautés de pensée peut devenir conflictuel en fonction de l’interprétation
des changements du contexte social, et finir par susciter un dilemme moral.
Enfin, dans une
dernière partie, nous éclaircirons comment de tels conflits interprétatifs sont
résolus par la conversion identitaire, ce qui permet au converti d’accéder à un
nouveau réseau de personnes qui reconnaissent son discours.
Par ces
explications, nous espérons rendre plus tangibles les notions théoriques
énoncées dans les chapitres précédents. Nous ne prétendons donc pas offrir une
version objective des faits, mais plutôt faire comprendre les présupposés
subjectifs à partir desquels l’acteur social construit son expérience de
conversion selon sa compréhension du monde. Nous envisageons l’étude de cet
objet de recherche en sachant que le processus d’écriture du Testament et des
Mémoires de Garaudy est en lui-même « biaisé ». Les faits ainsi que les
explications que donne l’auteur dans ces deux œuvres ne constituent pas le
reflet authentique de son expérience. Il s’agit plutôt d’une interprétation
revue et corrigée maintes fois, de ce qu’il juge le plus pertinent pour
expliquer l’ensemble de ses comportements. Entre la prise de conscience
initiale des faits et leurs interprétations subséquentes, la pensée
réfléchissant sur elle-même peut se réexaminer plusieurs fois. Bien que
l’introspection procède au quotidien à la révision de l’expérience, la réflexivité
permet de revoir avec plus de détachement et de façon plus globale les motifs
de interprétation pendant une période de vie. Si la subjectivité d’une telle
démarche démontre l’impossibilité d’atteindre la compréhension objective des
faits, elle n’empêche pas, toutefois, de stimuler l’accès à la connaissance de
l’objet étudié dans ce mémoire. Ainsi, nous allons rechercher, les prémisses
philosophiques que Garaudy préconise et avec lesquelles il construit sa vision
du monde, afin de saisir ce qui est significatif pour lui.
Le nœud de la
réflexion de Garaudy, porte sur un projet de vie significatif qu’il veut se
donner avec les autres. L'orientation qu'il donne à sa vie peut se résumer à un
axiome qui inclut deux termes : la transcendance, c'est-à-dire la
dépendance de l'humain à l'égard de valeurs absolues, de Dieu ; et la
communauté qu'il conçoit comme le devoir pour chaque individu de se rendre
responsable des autres. Or, si cet objectif semble tout à fait compréhensible,
il comporte son lot de complications tant du point de vue philosophique, que
sur le plan religieux et idéologique. Et c'est ce dont nous entretient Garaudy
dans la première moitié de son Testament philosophique. Ses critiques à l’égard
de la pensée philosophique et religieuse occidentale, l'aident, nous
semble-t-il, à mieux faire comprendre l'actualisation constante de la recherche
d’une signification à sa vie en relation aux décisions passées. Cette synthèse
qu'il écrit sur un ton informel, l'amène, à partir de la page 248, mais surtout
aux pages 250-251, à parler en utilisant le Je ; ce qui lui permet
d’évoquer plus personnellement les grandes remises en question identitaires
associées aux communautés d'appartenance et épistémiques qu’il a intégrées dans
le cours de sa vie. Cette pensée réflexive mérite qu'on l'examine de plus près
parce qu'elle permet aussi de mieux saisir la nature des anomalies qui ont
conduit Roger Garaudy à être exclus du Parti communiste en 1970 et à se convertir
à l'islam en 1982.
En premier lieu,
nous allons donner une explication philosophique de la notion de transcendance
qui semble correspondre à la pensée de Roger Garaudy, afin de saisir le conflit
d'interprétation qui y est lié. La définition du concept de transcendance est
complexe et le propos de Garaudy sur ce sujet semble, a priori, contradictoire.
Selon sa vision du monde, la philosophie, plus qu'une manière de penser,
constitue un mode de vie où la foi n'oppose pas transcendance à immanence — la
foi commençant pour lui là où la raison se termine. Quelques prémisses
philosophiques seront nécessaires pour comprendre ce que représente ce schème
d'appréhension de la vie.
Tout d'abord, il
nous semble que toutes les subtilités auxquelles Garaudy fait référence dans
son exposé sur les préoccupations de la philosophie occidentale contemporaine
tournent autour du questionnement sur la possibilité qu’a l'humain de
s'extirper des conditions qui le définissent pour se construire. En d'autres
termes, si dans le contexte de la modernité, les humains ne sont plus soumis à
l'imposition d'un sens de la vie qui découle de la tradition, les philosophes
du XXe siècle se demandent sur quelle base s'effectuent leurs choix et les
décisions qui leur appartiennent. Car, si la possibilité d'exercer des choix
existe, elle s'apparente, dans bien des cas, à une illusion parce qu'en fait
les humains se sentent contraints de perpétuer ce dans quoi ils ont été engagés
socialement et économiquement. [8] De plus, même si l'humain,
contrairement à l'animal peut « s'arracher à tous les codes rigides de
l'instinct pour aller sans cesse vers plus de perfection culturelle et
morale », cela ne veut pas dire qu'il s'est approprié un code de conduite
qui lui permette de remplacer de façon immanente les valeurs religieuses. [9]
Plusieurs
penseurs ont réfléchi sur ce problème et essayé d'y répondre en proposant leur
vision du monde. Toutefois, comme nous dit Garaudy, chacune des explications
philosophiques contemporaines sur ce sujet comporte des failles qui n'ont pas
été complètement résolues jusqu'à présent. De même en est-il, sur le plan
idéologique, des jugements de valeurs qui fondent les idéaux à partir desquels
sont établies les conceptions fonctionnelles de la vie collective. [10] Ainsi, sur le plan
politique, le marxisme considéré par plusieurs de « religion de salut
terrestre », n’a pu tracer la voie. Sa réalisation en tant qu’utopie d’un
Au-Delà par rapport à la vie présente, n’en était pas moins
transcendante. [11]
La pensée
scientifique contemporaine n’apporte pas plus de réponse ; elle se
contente de décrire le monde tel qu’elle l'appréhende plutôt que de le
concevoir dans l'idéal. Quant à l’éthique, qui prescrit de lutter contre
l’égoïsme en exigeant de se soucier de l’autre et exhorte de préférer le
bonheur du plus grand nombre à celui d’un seul, elle défend des valeurs qui
transcendent la vie et ne semblent pas complètement imperméables à la pensée
religieuse. [12] Aussi, les valeurs
fondamentales modernes n’ont rien d’original, sinon qu’elles sont désormais
« pensées à partir de l’homme et non déduites d’une révélation qui le
précède et l’englobe. » [13] L’éthique ne découle plus de
Dieu, ni des valeurs formelles, elle émane par-delà le bien et le mal dans
l’ordre du sens.
Mais l’idée même
d’un sens, renferme la présence d’un sujet. « Par exemple, un panneau
indicateur a un sens, non parce qu’il indique une direction, mais parce qu’il a
été intentionnellement créé par quelqu’un qui veut communiquer avec
nous. » [14] Le sens est donc lié à une
volonté, à cette manifestation subjective, même si elle est inconsciente (comme
dans le cas d’un lapsus). À la limite, on pourrait même se demander le sens
d’un arbre, mais il nous semble qu'il serait difficile de déduire ce que son
créateur cherche à nous dire. « En revanche, on peut se demander quel est
le sens d’un mot, d’une remarque, d’une attitude, d’une expression, d’une œuvre
d’art, ou de tout autre signe dont on suppose qu’il est l’expression d’une
volonté, le signe d’une quelconque personnalité. » [15] Par contre le sens de la
mort ainsi que de la souffrance reste insaisissable dans cette perspective,
parce qu’il ne découle pas de l’expression d’une volonté connue. On ne peut
donc qu’admettre l’impossibilité d’annuler toute dépendance à l’égard de
l’extériorité. [16] Cette constatation explique
la position de plusieurs penseurs contemporains qui, tout en revendiquant
l’autonomie, c’est-à-dire la capacité de penser par soi-même, n’exclut pas son
contraire, l’hétéronomie ou la propension de celui qui pense par le regard de
l’autre ; cela en autant que les données externes qui sont assimilées
soient soumises à un examen critique et rationnel. L’idée de Dieu n’est
désormais plus imposée par la tradition, mais surgit à travers le visage de
l’autre qui nous révèle à nous-mêmes. [17] La prise en compte de ces
enjeux philosophiques nous semble guider le projet de vie conçue par Roger
Garaudy.
Ce
questionnement explique, entre autres, la lutte qu’il dit avoir menée tout au
long de sa vie pour faire reconnaître la dimension transcendante de l’homme.
Pour lui, l’humain qui se suffit à lui-même, c’est-à-dire qui ne reconnaît pas
sa dépendance à l’égard de valeurs absolues ainsi que sa responsabilité envers
la communauté et ses membres, est voué aux pires affrontements. C’est ce qui
motive initialement son adhésion au christianisme, puis au marxisme, et par la
suite, à l’islam. À l’heure des bilans, il admet toutefois, que la pratique du
pouvoir dans chacune de ces communautés crée une confusion entre les fins et
les moyens, qui engendre l’abus. Cette prise de conscience ne l’empêche pas
pour autant de croire à l’expression d’un dynamisme créateur, qui puisse
susciter un projet de vie planétaire nous épargnant de notre propre
destruction.
Nous avons tenu
à souligner ces prémisses philosophiques parce qu’elles facilitent, selon nous,
la compréhension du discours intérieur, au centre des préoccupations de Roger
Garaudy. À tout le moins, elles nous permettent de saisir pourquoi il reconnaît
les valeurs absolues défendues par la religion catholique, même s’il ne conçoit
pas cette vision de la transcendance uniquement en termes d'extériorité. Sa foi
n'oppose pas immanence à transcendance. Selon lui, les comportements humains ne
sont pas uniquement déterminés par l’autorité divine ; l’humain peut
également devenir ce qu’il entend être. Il s'explique ainsi :
1933, c'est l'année où Hitler accède au
pouvoir. Le fascisme italien est à son apogée et Mussolini va bientôt envahir
l'Éthiopie.
……………………………………………………………………...
Jeté dans cet univers convulsif, et le cœur
plein d'orages […] je choisis de devenir chrétien.
[…] Chrétien, dans un monde de l'absurde,
pour donner un sens à ma vie.
[…] Marxiste, dans un monde livré à la
violence, pour donner une efficacité à mon action.
Pendant un tiers de siècle, j'ai tenté, au
risque d'être écartelé, de tenir les deux bouts de la chaîne : le marxisme
n'était pas pour moi une idéologie ou une vision du monde, mais une
méthodologie de l'initiative historique, c'est-à-dire à la fois l'art et la
science d'analyser les contradictions majeures d'une époque et d'une société,
et, à partir de cette entreprise de conscience, découvrir le projet capable de
les surmonter.
Entre la foi qui donnait un sens à la vie,
et une méthode qui donnait une efficacité à l'action, je ne voyais pas
d'antagonisme, mais au contraire, une complémentarité. [18]
Ce schème de
pensée avec lequel Garaudy oriente son action s’est construit, comme nous
l’avons déjà mentionné, dans la reconnaissance de discours auxquels il a été
sensibilisé pendant son enfance et qui ont contribué au façonnement de son
identité. Aussi, avons-nous fait le constat, précédemment, de ce qui, sur le
plan familial, semblait constituer les prémisses d’un tel assemblage d’idées.
C’est ainsi que nous avons remarqué que, dans le contexte d’une époque trouble,
son identification chrétienne procède en réaction à celle de ses parents
athées, mais en continuité avec les croyances de sa grand-mère. [19] Nous avons aussi noté que,
sa conception de la transcendance va être revisitée et aménagée en fonction des
rapports coerséductifs qui vont l’unir à d’autres personnes dans le cours de sa
vie. Ces rapports lui permettront d’ailleurs de reconnaître des considérations
philosophiques et intellectuelles différentes.
Comme nous
l’avons expliqué précédemment, les individus s’associent aux personnes qui
semblent partager les mêmes représentations qu’eux. En procédant de la sorte,
ils s’engagent dans des entreprises sociales où ils poursuivent des objectifs
qui confortent, dans bien des cas, leur identité personnelle.
Les codes ainsi
partagés sont significatifs pour eux-mêmes et pour les autres dans la mesure où
ils sont reconnus mutuellement. Aussi, plus les membres d’un groupe se
côtoient, plus ils partagent leurs idées et leurs sentiments, et plus il
devient possible pour eux d’accéder aux représentations des autres, voire à
partager des valeurs ainsi que des pratiques similaires. La prise en compte
d’une idée, comme nôtre, témoigne de la reconnaissance du discours de l’autre
et de la confiance qu’on lui témoigne. Évidemment cette appréciation de l’autre
peut être raffinée par la réflexion personnelle ainsi que par l’apport de
lectures et de rencontres subséquentes significatives.
Par exemple, de
Garaudy on apprend qu’il en vient à concevoir une vision de la transcendance
qui inclut l’immanence lors d'une conférence prononcée par Maurice Blondel.
Cette vision est aussi alimentée par l’influence de Milaine, une amie qui
deviendra son épouse. De la thèse de Blondel, condamnée par l’Église pour
immanentisme, Garaudy mentionne que lui et Milaine passent les rares
exemplaires de ce document en cachette. [20]
Garaudy parle
aussi du département de philosophie de la Faculté à Aix comme d’une
« véritable école (chapelle), de piété philosophique » où
« Milaine est l’expression la plus raffinée et la plus chaleureuse ».
Le mémoire de cette dernière sur « La Communion spirituelle »
s’inscrit d’ailleurs dans la pensée de Blondel et de l’école d’Aix. Et c’est en
continuité avec cette ligne de pensée, que Garaudy entend suivre le sillage
mystique de ce dernier qui constitue, selon ses mots, un des
« tisons » de sa vie. Bien que certaines idées développées par
Blondel le séduisent au point qu’elles émaillent son discours, [21] l’apport de la relation
affective et intellectuelle avec Milaine, sa première épouse, n’est
certainement pas négligeable dans la reconnaissance et l’appréciation du
discours de Blondel. [22]
Une suite
d’idées en entraînant une autre, c’est aussi en prenant compte du concept de
finalité de Blondel que Garaudy entreprend, dans la même période de sa vie, la
lecture des œuvres de Marx. De cet auteur, il découvre la science et la
technique de l’efficacité pour accomplir, dans l’action, sa recherche
personnelle de significations. Cette lecture semble l’inciter à joindre les
rangs du Parti communiste français en 1933. Sa démarche dans cette organisation
sera aussi appuyée pendant 37 ans par Maurice Thorez, secrétaire général du
Parti communiste français. Garaudy dit d’ailleurs à son propos :
« Jusqu’à sa mort, Maurice a gardé sa main sur moi, me faisant accéder
jusqu’au sommet de la direction du Parti et me protégeant de tous les
sectarismes. » [23] Ici aussi, on ne peut nier
le jeu d’influences entre ces deux personnes et les répercussions qui en ont
découlé sur le plan pratique.
Enfin, c’est la
pensée de Kierkegaard qui complète la trame de fond de la carte avec laquelle
il appréhende et interprète son monde. De cet auteur, il retient
« l’insuffisance de nos morales et de nos logiques » et, par
conséquent, la nécessité de relativiser les assertions à propos de l’avoir, du
savoir et du pouvoir. [24] C’est cette prise en compte
qui constitue, à notre avis, l’élément le plus déstabilisateur sur le plan
identitaire. En effet, elle invite à se remettre en question, à se distancier
de soi et à s’ouvrir à d’autres possibilités d’être. Kierkegaard propose de
renoncer à nos petites raisons d’être, à nos volontés de croissance et de
puissance, sources d’affrontement, et suggère plutôt de s’investir dans un
dessein plus universel qui tienne compte des valeurs absolues. Si nous ne
pouvons repérer le nom d’un proche de Garaudy associé à la pensée de cet
auteur, nous estimons que le réseau de relations universitaires qu’il fréquente
ainsi que les jeunes pasteurs et étudiants en théologie protestante du Cercle
évangélique où il loge, contribuent à soutenir l’appréciation d’un tel auteur.
On remarque que
Garaudy construit, par lui-même, un schème d’appréhension de la
« réalité » qui découle principalement de la pensée de Blondel, Marx
et Kierkegaard. Mais il semble aussi influencé par les gens de son entourage
qui évoquent ces auteurs, discutent de leurs propos et cherchent peut-être à
les intégrer à leur vie. De plus, ces échanges d’idées ne sont pas étrangers à
ce qui se passe dans l’extériorité, mais se situe dans la mouvance
intellectuelle d’une époque qui veut remédier aux souvenirs pénibles de la
Première Guerre mondiale ; dans un tel contexte, l’idéal du Parti
communiste correspond aux attentes de plusieurs.
L’engouement
pour cette organisation va en faire une véritable force politique en France.
Ainsi, des personnes d’univers d’influences différenciées vont accepter, pour
la cause, de s’unir. Ce regroupement ne constituera pas un mouvement
monolithique, mais un lieu de rencontres où vont se négocier le sens des
représentations. Bien que, de prime abord, la plupart des personnes pensent
fixer par l’intermédiaire des mots et du langage le sens des
significations, [25] la possibilité d’un glissement entre les deux reste à tout moment
possible ; la représentation ne constitue que l’assertion, à un moment
donné, d’un point de vue sur une chose, en regard d’autres possibilités
descriptives. Par exemple, les objectifs du Parti constituent une forme
d’appropriation de la « réalité » difficilement négociables parce
qu’ils sont significatifs, à un moment donné, pour plusieurs personnes. La
considération d’autres alternatives risquent d’être évaluées non pertinentes,
plutôt que de constituer une issue possible. Tant qu’une personne parvient à
maintenir, à l’intérieur d’une communauté de pensée, l’impression de se référer
à des représentations similaires à celles des autres, elle risque de maintenir
un discours conforme à celui des autres.
C’est ce qui
semble se passer chez Garaudy, du moins, pendant une bonne période de sa vie.
Car, même s’il se retrouve constamment en situation de se faire influencer par
les propos des membres des communautés épistémiques auxquelles il adhère, il
n’en va pas de soi assurément. Il reste plutôt fidèle aux schèmes de
représentations qui fondent sa vision du monde. L’expression la plus
révélatrice de cette idée, se retrouve, selon nous, dans le débat d’idées
opposant Garaudy à Sartre et qui va durer dix ans.
Si ces deux
intellectuels vont partager, pendant quelque temps, une passion commune pour le
communisme, les prémisses à partir desquelles ils établissent chacun leur
vision du monde sont irréconciliables. Pourtant, on pourrait croire que toute
personne soumise au discours d’un intellectuel aussi chevronné que Sartre
finirait par succomber à son influence. Bien que, dans les deux œuvres à
l’étude dans ce mémoire, on puisse relever que Garaudy au terme de leurs séries
d’échanges se sent fortement ébranlé par son opposant, ultimement, il va
réitérer le discours qui évoque sa vision du monde tout en le nuançant
davantage. Afin de démontrer notre propos, nous allons d’abord expliquer la
nature du débat opposant les deux penseurs pour saisir, ensuite, comment
s’exerce la joute persuasive entre l’un et l’autre et, ultimement, leur
incompatibilité spirituelle.
Ainsi, en
relation avec ce que nous avons déjà dit à propos du dilemme opposant les
concepts de transcendance et d’immanence, Sartre va défendre, une position
radicalement anti-déterministe. Selon lui, il faut renoncer à se concevoir dans
l’ordre de l’univers comme des entités dont la place est déjà fixée par un Dieu
qui détermine le sens de cette occurrence. Plutôt que de se restreindre à vivre
une « réalité » conforme à nos attachements identitaires (religieux,
ethniques, économiques, etc.), il propose de s’en distancier pour mieux
explorer les potentialités de notre pouvoir télésitique. Sartre ne se dit pas
contre Dieu ; il refuse simplement les images créées à son sujet par les
hommes.
Garaudy
reconnaît également cette possibilité chez l’humain de surmonter ses
conditionnements pour constituer sa propre histoire. Toutefois, il ne peut
s’astreindre à ne pas considérer les entraves qu’impose le respect de la
liberté des autres, à l’expression d’un tel projet. S’il conçoit, comme Sartre,
« que nous ne sommes pas devant une finalité toute faite en dehors de
nous », il propose de prendre connaissance de nos déterminismes non pas
comme des dogmes, mais simplement comme des postulats. [26] Mais cette subtilité conceptuelle ne semble pas le satisfaire
entièrement. Comment concevoir l’expression de la liberté humaine sans qu’elle
soit limitée par des préconceptions, mais aussi sans qu’elle nuise à
l’expression de la liberté des uns par rapport aux autres ? Garaudy qui
saisit bien la difficulté conceptuelle attachée à cette question, pourrait en
venir à choisir la position philosophique de Sartre ou encore se dire
agnostique. Dans le doute, il demande plutôt conseil auprès du père Troisfontaines,
un membre de son réseau de relations, lors d’une réunion de l’Association
Teilhard de Chardin. Garaudy lui dit ne pas remettre en question sa foi en la
transcendance, mais avoue vivre cette relation moins comme une présence et une
promesse, qu’une absence et une exigence. [27] Troisfontaines répond
amicalement à Garaudy : « […] et si vous vous interrogiez sur ce qui
fonde cette exigence ? Cette conscience de l’absence n’a-t-elle pas besoin
d’une présence pour être vécue comme un manque ? » [28] Ce questionnement, chez
Garaudy, semble traduire un certain désarroi moral. À la suite des discussions
avec Sartre, son interprétation du « religieux » paraît lui peser.
Néanmoins, c’est la réponse de Troisfontaines, même si elle semble ambiguë, qui
vient le conforter.
Nous remarquons
ainsi, que devant l’impossibilité d’en arriver à une conclusion sur une
question philosophique et religieuse aussi complexe que celle soulevée lors des
échanges avec Sartre, Garaudy préfère, dans le doute, consulter un membre de
son réseau de relations dans lequel il a confiance pour l’éclairer sur le
sujet, plutôt que de renoncer à son point de vue. Parce que si tel était le
cas, cette conversion remettrait en question toutes les références identitaires
à partir desquelles il a construit sa façon d’appréhender le monde. Il n’est
pas prêt à vivre un tel revirement de situation. Le choix de la personne à qui
il demande conseils est révélateur ; puisqu’il connaît les fondements de
sa pensée, pourquoi se référer à lui plutôt qu’un autre ? En soi, la
réaction de Garaudy confirme ce que plusieurs chercheurs en communication ont
remarqué : l’humain se laisse difficilement entraîner dans l’inconnu en
faisant abstraction de toutes les considérations matérielles et idéologiques
qui l’ont conditionnées par le passé. Comment appréhender le monde sans faire
référence aux points de repères qui ont depuis toujours balisés la carte radar
des interprétations ? À tout le moins, il semble que l’incertitude à
propos des fondements épistémiques qui oriente l’interprétation de la
« réalité » ne constitue pas un critère suffisamment significatif
pour susciter la considération d’autres influences. Si Garaudy perçoit mieux
les enjeux relatifs aux concepts de transcendance et d’immanence, les
convictions à la base de sa vision du monde ne semblent pas encore
ébranlées ; l’affrontement avec Sartre, bien qu’il le questionne, ne le
détourne pas de son projet humanitaire, pas plus que du sentiment de
responsabilité envers les autres qui anime sa réalisation.
Les conditions
pouvant inciter à l’acte de conversion ne semblent pas réunies. Du point de vue
de la communication intrapersonnelle, l’acte réflexif, même s’il permet à la
pensée de se distancier d’elle-même afin de s’auto-évaluer, n’offre pas,
toutefois, la possibilité d’appréhender le monde par l’intermédiaire d’un autre
schème d’interprétation. Car enfin, pour en arriver à apprécier et même
intégrer une autre vision du monde, il faut relativiser ses attachements
identitaires, c’est-à-dire renoncer en partie à l’interprétation de ses schèmes
de référence pour parvenir à en apprécier une autre.
Afin de
faciliter la compréhension de notre propos, nous allons recourir à un
exemple : celui de la Malinche. Bien que nous ne sachions pas si ce
personnage historique s’est converti religieusement en même temps que
culturellement, nous estimons que, la description de la modification de ses
rapports interpersonnels nous aident à mieux cerner le processus par lequel se
produit le détachement identitaire rendant possible l’acte de conversion. Cet
exemple, que nous utilisons afin d’en retirer par analogie des similarités avec
le cas Garaudy, servira aussi à étayer notre propos, un peu plus loin, dans ce
chapitre. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous faut présenter le
personnage.
La Malinche est
une interprète qui a facilité la conquête de l’empire aztèque par Cortés. [29] Dans sa culture d’origine,
elle apprend le nahuatl, la langue des aztèques. Ayant été vendue aux Mayas,
elle en vient à parler leur langue ; il en sera de même, plus tard, avec
les Espagnols. Comme elle connaît l’usage de plusieurs langues, on l’utilise comme
interprète. Toutefois, ce qui est très révélateur, selon nous, c’est qu’elle ne
se contente pas de traduire. À la demande des Espagnols, elle interprète non
seulement les mots, mais également les comportements, les réactions et les
stratégies de Moctezuma, le chef aztèque. Todorov suggère qu’elle effectue
cette véritable conversion culturelle en réaction à son ancien statut
d’esclave.
Bien sûr, cela
n’est sûrement pas étranger à ses motivations d’accéder à de meilleures
conditions de vie. Néanmoins, ce qui nous semble encore plus significatif se
situe dans l’expérience communicationnelle qu’elle vit, en première instance,
auprès des Mayas. En totale immersion dans une culture qui lui est étrangère,
elle apprend à reconnaître le particulier de l’autre et l’accès à ce savoir
méconnu lui permet, par ricochet, d’accroître sa connaissance de sa propre
identité. Cette prise de conscience par la distanciation et la réflexivité
bouleverse son intériorité. De par sa condition d’esclave, elle ne peut
s’éviter l’effort d’apprendre à connaître l’autre si elle veut survivre. Comme
elle ne peut plus appliquer au monde extérieur ses références habituelles pour
décoder sa « réalité », elle en vient à considérer le point de vue de
l’autre, à prendre conscience des spécificités culturelles des uns par rapport
aux autres, mais aussi à apprécier les similitudes qui unissent tous les
humains. Sa vision du monde est bouleversée par ces insertions dans des réseaux
de cultures différentes.
Elle est
toutefois contrainte de revivre cette expérience de l’altérité et du
déconditionnement auprès des Espagnols. Toujours impuissante face à sa
condition d’esclave, acculturée par son séjour chez les Mayas, la Malinche
perd, au fil du temps et au contact des autres, son sentiment d’appartenance à
la culture aztèque. Elle fait désormais partie de la grande famille de
l’humanité. L’éloignement l’a rendue en partie étrangère à sa propre culture.
Pendant son absence, elle n’a pas pu suivre les transformations de la culture
aztèque. Aussi, a-t-elle pris ses distances face à la « mêmeté » qui
se manifeste dans la stabilité du caractère et du comportement de gens de même
culture, et qui facilite les interactions et la communication entre les
individus. C’est plutôt « l’ipséité » ou l’Autre en elle,
c’est-à-dire tout ce qui lui est inconnue d’elle-même, qui se révèle au contact
de l’étranger. Cette découverte qui lui permet de se distancier de ses
conditionnements identitaires aztèques, lui fait aussi entrevoir les
conditionnements culturels autres. La Malinche exploite ainsi certaines
croyances largement partagées dans sa culture initiale afin de les mettre au
profit des objectifs de conquête des Espagnols. Et plus particulièrement de
ceux de Cortés qui, en échange, lui redonne la reconnaissance au sein d’un
nouveau réseau de relations.
On peut d’ores
et déjà deviner la forte inclinaison de la Malinche pour le capitaine
conquérant qui lui offre toute sa considération. Pas surprenant dans ces
conditions qu’elle accepte, en échange, de lui faire part de son savoir. Son
labeur consiste à exercer une pratique qu’elle connaît bien pour l’avoir
expérimentée auprès des Mayas, et qui consiste en la réception active ;
c'est-à-dire l’opération de décodage qui, par-delà des mots, rend compte de « l'ordre
symbolique » d’une culture, en l'occurrence celle des Aztèques, et qui
permet à Cortés de mieux anticiper la réaction de ces derniers. La Malinche
réussit à confondre, par son trafic des signes, Moctezuma en lui faisant bien
croire que la venue des Espagnols correspond à une prophétie ancienne à propos
du retour du dieu Quetzalcoatl. [30] En manipulant l’information
de cette façon, elle transforme le mythe en réalité, suscitant ainsi la peur du
chef Aztèque. Elle facilite ainsi continuellement l'action des Espagnols afin
d’assurer leur conquête.
Cette situation
la met en position de pouvoir. D’une part, l’impossibilité d’intégrer sa
société d’origine en tant qu’esclave favorise son alliance avec les Espagnols
qui n’hésitent pas à lui offrir un statut particulier en échange des
informations précieuses qu’elle leur procure. D’autres part, ces derniers en
manque de repères ont absolument besoin d’elle dans leurs relations avec les
populations locales. Au plus fort de la conquête, Cortés entretiendra une
relation particulière avec elle. Plus tard, elle se mariera à un officier
espagnol. Son adhésion à une autre vision du monde sera complétée.
Ce renversement
de situation survient grâce à un savoir né de la distanciation avec sa propre
culture. Motivée par ses intérêts, elle est entrée en relation avec un
environnement humain différent qui l’a incitée à modifier sa perception des
choses et à adopter des comportements autres.
Nous notons la
présence d’un phénomène similaire dans le parcours de vie de Roger Garaudy. Tout
comme la Malinche, Garaudy, en tant qu’intellectuel, en vient à être reconnu
comme leader d’opinion. Nous ne pouvons ignorer qu’il s'est investi dans
l'écriture de plus de quarante livres. Si ce travail lui procure une certaine
notoriété, il le fait également entrer en contact et échanger avec tout un
réseau de relations qui adhèrent à ses propos, les questionnent ou encore les
critiquent. En tant que professeur, conférencier et représentant du Parti
communiste, entre autres, Garaudy est confronté à d’autres penseurs et leaders
d’opinion qui ont des sujets de préoccupation similaires au sien (Sartre par
exemple). Il fait grand cas des rencontres marquantes, en personne ou par
l’intermédiaire des livres, qui ont participé, positivement ou négativement, à
la construction de sa vision du monde. [31] Il signale aussi la
contribution des personnes qui ont participé à mettre en perspective ses idées
et l’ont amené à se questionner plus profondément. [32] Mais, ce qu’il souligne avec
le plus de conviction, et cela dès l’introduction de ces deux livres, ce sont
les problèmes graves d’interprétation vécus à l’intérieur des différentes
communautés épistémiques auxquelles il s’est joint dans le cours de sa
vie. [33] Non pas que ces difficultés l’aient conduit à changer radicalement
sa façon de voir les choses. Elles l’ont plutôt amené à vouloir réaliser son
projet humain selon d’autres modalités, d’autres moyens plus conformes à sa
conscience éthique. C’est donc la prise en compte d’un sens lié à une pratique
qui satisfait un besoin ou est affecté à un usage qui semble remis en
question. [34]
Comme nous
l’avons laissé entendre précédemment, les personnes n’assignent un sens aux
informations qu’elles appréhendent que dans la mesure où elles peuvent les
interpréter selon leur schème de représentations. Si la réalité existe en soi,
nous y référons tous par l’intermédiaire du langage auquel nous assignons des
valeurs qui s’inscrivent à l’intérieur de visions du monde. Ce partage de
réalités communes acquises par coerséduction au sein des communautés
d’appartenance et épistémiques, distingue les membres d’une communauté de ceux
d’une autre. Bien plus qu’une transcription du réel, les mots sont utilisés
pour ériger des conventions entre membres de communautés. Ces ententes en
viennent à passer quasi inaperçues tant elles vont de soi. Ces ensembles
d’information ou de paradigmes qui régissent les comportements humains dans les
différentes sphères d’activité constituent des cartes de référence qui
facilitent le décodage des informations et qui peuvent aussi stimuler des
pratiques sociales spécifiques.
Le théoricien
Stuart Hall qui a étudié les pratiques de décodage de téléspectateurs, a
remarqué que cet exercice ne s’effectue pas en tout sens. Bien que Hall situe
ces opérations de décodage dans des rapports de classe où les récepteurs,
négocient ou non, les termes véhiculés par une élite en contrôle des médias de
diffusion, nous pensons que son raisonnement peut aussi s’appliquer à la façon
dont sont décodés les signes en fonction des adhésions aux communautés
d’appartenance et de pensée.
Nous les
présentons un peu différemment. Spécifions tout d’abord, que ces opérations
s’accomplissent en tenant compte d’un ensemble de références qui crée des
rapports de significations selon trois possibilités. Dans la première, le
récepteur décode un énoncé suivant les mêmes termes de référence utilisés dans
la diffusion par les membres de sa communauté d’interprétation. Dans la
seconde, le récepteur bien qu’il comprenne les inflexions littérales du
discours de l’autre, le décode en niant ses particularités de façon à réitérer
sa vision des choses ; sans ouverture pour l’étrangeté, il reformule son
message en fonction de ses présupposés. Enfin, selon la dernière possibilité de
décodage, le récepteur négocie les termes de l’échange ; s’il s’adapte en
partie aux références de l’autre, il s’oppose également à certains de ses
présupposés.
En d’autres
termes, l’appréhension des signes lorsqu’elle ne tient pas compte de la
relativité identitaire, c’est-à-dire de la prise en compte du regard de
l’autre, tend à confirmer des rapports aux choses qui réitère les conventions
de sens acquises au sein des réseaux de relations. Cette façon d’assigner des
significations peut également se pratiquer par la négative. La personne affirme
alors sa vision du monde en rejetant un point de vue différent. Enfin, selon la
dernière possibilité et prenant en considération l’expérience de la Malinche,
la prise en compte d’un schème d’appréhension autre, par empathie ou au contact
de l’autre, relativise l’interprétation ; la perception des choses ne va
plus de soi, mais devient négociable. Aussi, selon nous, la possibilité de
relativiser l’interprétation contribue grandement à la construction du
processus de conversion.
Lorsque nous
essayons d’appliquer notre interprétation des opérations de décodage au cas
Garaudy, nous remarquons évidemment qu’à l’intérieur des communautés
épistémiques où il s’est investi, il s’est entouré tout au long de sa vie de
gens qui partageaient des idéaux similaires. Par exemple, durant la Seconde
Guerre mondiale il devient prisonnier politique, en Algérie, parmi un groupe de
militants communistes qui, tout comme lui, se sont fait arrêter puis déporter pour
refus d’endosser le Pacte de Munich et plus globalement la politique du
Maréchal Pétain. Si cette expression de solidarité traduit en quelque sorte, un
décodage similaire de la « réalité », elle constitue aussi une
démonstration d’opposition par rapport à d’autres propositions idéologiques.
En fait, elles
représentent l’endos et l’envers d’une même médaille ; l’appréciation ou
la dénonciation idéologique porte sur la reconnaissance ou non du même idéal.
L’idéal « […] réside dans une conception fonctionnelle de la vie
collective » tandis que « l’idéologie est perçue comme un surplus, un
ajout par rapport à des mécanismes sociaux qui, au fond, sont censés se suffire
à eux-mêmes. » [35]
Évidemment, ces
croyances qui agissent aussi comme forces motrices au fonctionnement des
organisations, représentent aussi des luttes au niveau des valeurs. Par mesure
de simplification des procédures, lorsque l’idéologie repose sur un postulat
nettement avoué, on se garde bien d’expliciter constamment le contenu de ces
valeurs, et l’on se contente plutôt d’esquisser rapidement les aménagements par
lesquels leur manifestation sera rendue possible. Or, sur ce point, Garaudy
semble endosser une position plus relativiste. S’il perçoit l’idéologie comme
une « réalité » qui influence les hommes et leurs institutions, une
force historique qui permet d’anticiper l’avenir et soutenir la volonté de
façon rationnelle pour répondre à certaines exigences fonctionnelles, il
remarque et souligne, à maintes reprises, un écart grandissant entre la
justification des actions et l’image de ses intentions. [36]
Ainsi, il en
vient à critiquer abondamment le christianisme et le marxisme. Cette pratique
va toutefois le placer en position de négociation constante avec les autres
membres des communautés épistémiques auxquelles il adhère. Nous allons
expliquer en quoi consiste ces critiques parce que tout en nous permettant de
mieux apprécier les considérations éthiques qui ont un sens pour lui, elles
font aussi saisir les références qui vont l’opposer éventuellement aux discours
des membres des communautés de pensée auxquelles il adhère. Ces éléments nous
semblent essentiels pour comprendre la conversion de Roger Garaudy à l’islam.
Ainsi, en
relation aux deux communautés épistémiques auxquelles il donne son assentiment,
nous allons exposer, en premier lieu, ce qu’il finit par trouver irritant à
propos du catholicisme. Bien que Garaudy se montre critique à l’égard de
l’interprétation dogmatique que défend l’Église en tant qu’institution, il ne
remet pas en cause le christianisme. C’est ce qui ressort de son propos. Plus
spécifiquement, il dit avoir lu avec désespoir les deux Encycliques Rerum
Novarum et Quadragesimo anno qui définissent la doctrine sociale de l’Église
depuis le premier concile du Vatican tenu en 1870. Selon lui, ces documents
font état de la volonté de poursuivre la centralisation monarchique du
catholicisme entamé depuis le 12e siècle. L’objectif des directives
institutionnelles et idéologiques qui y sont mentionnées, vise à maintenir
l’ordre social établi sur la base d’un système de classes hiérarchisées.
L’Église octroie ainsi le pouvoir d’appliquer ses normes morales aux princes de
droit divin parce qu’elle les considère comme la manifestation de la Divinité
créatrice. [37] Cette vision du monde
condamne par conséquent le socialisme ainsi que le libéralisme qui font la
promotion de l’État laïc, la liberté de presse et la liberté de conscience. En
d’autres termes, les gens doivent accepter leur position dans la hiérarchie
sociale, rester soumis aux autorités cléricales et monarchiques et faire preuve
d’abnégation en acceptant leur souffrance.
Mais des
changements importants dans le contexte social allaient ébranler cette
conception du monde. Premièrement le développement du capitalisme va
bouleverser la fixité des rapports sociaux. [38] Ensuite, l’essor du
mouvement ouvrier et la création de partis révolutionnaires d’orientation
marxiste vont contribuer à la remise en question d’un système économique basé
sur la propriété privée des moyens de production qui entretient les divisions
hiérarchiques de classe. Cette vague de contestation qui s’attaque aussi aux
fondements idéologiques de l’Église va créer une rupture sans précédent avec la
conception romaine du plan divin. Pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité, les humains vont oser se rendre maîtres de la nature et du cours de
leur vie. Évidemment ce phénomène aura d’autant plus d’ampleur dans la
conscience des gens que l’impact social de l’industrialisation se fera
sentir ; l’Europe et l’Amérique latine constitueront des régions plus
particulièrement touchées par ce phénomène.
Bien sûr, ce
questionnement idéologique qui affecte les comportements religieux ne sera pas
interprété par les acteurs sociaux de la même manière qu’il s’agisse de
patrons, d’ouvriers ou de membres de clergé. Si pour les uns, le sens des
pratiques religieuses signifie de se mettre au service d’une
« Majesté » ainsi conçue comme une entité objective, d’autres en
viennent à les interpréter beaucoup plus comme une présence subjective du divin
qui se manifeste dans l’action pratique et la mise au service des besoins
humains. [39] Ainsi la pratique religieuse
se vit, non plus uniformément dans l’attente passive d’un monde meilleur, mais aussi,
désormais, comme un investissement de soi à la poursuite d’un idéal. L’individu
devient la mesure de toute chose et par conséquent, tout système économique qui
compromet la dignité humaine en valorisant l’ambition personnelle aux dépens de
l’exercice de la responsabilisation apparaît moralement discutable. [40]
En réaction à
cette nouvelle conception de la pratique religieuse, l’Église va faire valoir
la nécessité de récompenser la capacité d’initiative des dirigeants dans le
processus de production ainsi que l’exigence de prendre en considération la
complémentarité des relations humaines ; les uns pourvoyant aux
incapacités personnelles des autres dans l’atteinte d’objectifs sociaux
enviables. Pour l’Église, la prise en compte de tels énoncés qui constituent
aussi en soi un but à parfaire, ne peut être envisagée que dans l’aspiration à
une totalité représentée par Dieu. L’institution religieuse proclame ainsi une
vision du monde où, chaque personne, plutôt que de prioriser uniquement la
défense de ses intérêts personnels, se met aussi au service d’autrui afin
d’accomplir, par amour, cette réalisation. Ces explications permettent à
l’Église de maintenir ses positions tout en se prononçant contre les mouvements
révolutionnaires qui veulent abolir le système des classes hiérarchisées.
Toutefois,
l’envers d’une telle affirmation communautaire réside dans l’impossibilité,
chez l’humain, d’en arriver à accomplir sa vocation individuelle. La position
des individus étant déterminée dans cette hiérarchie sociale, ils ne peuvent
aspirer à s’accomplir autrement. Aussi, le discours opposé à celui de l’Église
va-t-il souligner la nécessité d’altérer les processus sociaux par des luttes
collectives afin de parer à l’injustice systématisée. [41] La foi, dans cette optique,
se vit davantage comme un acte de conscience. Mais si certains l’assimilent
comme une espérance dans le Christ révolutionnaire, elle reste pour beaucoup
d’autres, un moyen de préserver la paix sociale.
C’est à cette
mutation inédite des croyances que l’Église est confrontée à partir des années
1960. Et c’est aussi en relation avec ce changement des mentalités que prend
forme l’aggiornamento, c’est-à-dire l’adaptation de la tradition de l’Église à
la « réalité » contemporaine [42] lors du concile œcuménique
Vatican II tenu entre 1962 et 1965. À la suite de ces assemblées
extraordinaires, réunissant le Pape Jean XXIII, (puis Paul VI à partir de
1963), un grand nombre de pères conciliaires (plus de deux mille), ainsi que
plusieurs experts, vont se profiler deux courants épiscopaux ; l’un
progressiste et l’autre porté vers la tradition.
Les évêques les
plus avant-gardistes proviennent principalement du tiers-monde. Ils semblent
plus sensibles à l’inhumanité des conditions de vie de leur milieu. Ce qui,
sans doute, les rend plus conciliants envers le socialisme et les questions
touchant à la démocratisation de l’Église. Parmi eux se trouve dom Helder
Camara, un ami fidèle de Garaudy pendant plus de vingt-cinq ans. C’est lui qui
va initier Garaudy au courant de pensée de la théologie de la libération qui
entend remédier à la souffrance humaine par l’action. [43] Même si, chacun d’eux œuvre
au sein de communautés d’interprétation qui se disent opposées, tous deux
semblent endosser des présupposés éthiques similaires. Le pacte qu’ils vont
conclure entre eux pour dénoncer les injustices attribuables au système capitaliste
ainsi que les perversités du socialisme, en atteste. [44] Cette rencontre rend compte
également de la problématique majeure à laquelle est confrontée l’Église dans
les années 1960. Elle doit se positionner, voire se renouveler par rapport à
l’idéologie marxiste qui gagne du terrain.
Bien que
l’examen de conscience auquel s’est livré l’Église a permis d’actualiser
certaines de ses pratiques, [45] il reste que, sur le fond,
la vision hiérarchique entretenue par l’Église n’a pas été remise en
question. [46] Cette constatation parmi
d’autres amène Garaudy à qualifier Vatican II de « défaite de
l’espérance ». [47] Et il ajoute :
[…] « L’Église a commencé à s’occuper
des faibles lorsqu’ils sont devenus une force ». La « doctrine
sociale » de Rerum Novarum, venait après la création, en Europe, des
syndicats ouvriers, et de la Première internationale socialiste. Elle n’ouvrait
pas une voie d’avenir à la classe ouvrière. Au contraire : à une classe
ouvrière décidée à se libérer seule de ses misères, de ses humiliations, de ses
dominations, si longtemps renforcées par les coalitions pseudo chrétiennes de
la « Sainte Alliance » des princes et de leur clergé, et par les
condamnations pontificales de tout mouvement de libération et de tout
socialisme dans le « Syllabus », elle tentait, en dénonçant non le
capitalisme, mais ses « abus », de tracer une voie médiane entre le
conservatisme aveugle et une révolution autonome : la voie d’une
collaboration avec l’église et l’État, pour tenter de canaliser, sous sa
tutelle, un mouvement irrépressible. [48]
Garaudy
développe donc une argumentation très critique à l’égard de l’Église
catholique. Son rôle d’intellectuel en constante analyse du contexte social,
ainsi que les critiques renouvelées des membres du Parti communiste français
sur la religion, contribuent certainement à aiguiser son jugement. Selon lui,
si l’institution religieuse ne reconnaît pas, entre autres choses, le caractère
intrinsèquement pervers du capitalisme, c’est parce qu’elle se maintient
financièrement dans ce système par ses investissements industriels et
commerciaux. Non seulement ces considérations matérielles justifient les prises
de position idéologiques, mais en plus cette vision du monde sert de rempart
contre l’avancée du bolchevisme ; c’est sans doute ce qui explique la
collaboration des épiscopats aux politiques des régimes anti-démocratiques
d’Italie, d’Allemagne, de France et d’Espagne juste avant et durant la Seconde
Guerre mondiale. [49]
Garaudy, en
dénonçant par l’intermédiaire d’un tel discours la relation qu’entretient
l’Église avec le capitalisme, témoigne de la possibilité chez l’humain de se
distancier de ses représentations, d’une façon de voir et d’exprimer les
choses. Son interprétation des prémisses idéologiques qui justifient ses croyances
religieuses, semble de moins en moins correspondre au discours officiel de
l’Église, mais beaucoup plus à celui de la communauté épistémique marxiste.
Cette dernière s’oppose à toutes formes d’aliénation, qu’elles soient
économiques, politiques, religieuses ou autres.
Pourtant, ce qui
est remis en cause ne touche pas tant la nature même des valeurs absolues, mais
la façon de leur donner une signification au niveau des pratiques sociales.
Pour Garaudy, cela est possible par la réalisation d’un projet de vie créatif
incitant au dépassement de l’ordre présent et où chaque être humain se rend
responsable des autres. Le sens moral de cette responsabilité constitue une
sphère de réflexion qui oriente ses décisions. Cette représentation est
significative pour lui. Bien qu’il partage des convictions avec d’autres dans
l’espoir d’atteindre un idéal, il semble développer, dans son discours sur le
catholicisme, une critique de plus en plus pointue des moyens utilisés par
cette institution pour accomplir ses fins.
Aussi, lorsque
nous analysons les rapports qu’il entretient avec la communauté catholique,
nous constatons qu’il est attaché à la frange progressiste du clergé. Ces
acteurs sociaux catholiques, sensibles aux misères du peuple, veulent ouvrir
l’institution à l’éthique de la discussion, c’est-à-dire démocratiser l’Église
et, par ce fait même, bouleverser la fixité des rapports sociaux qu’elle
cautionne. Si Garaudy témoigne de son appui à cette cause, la portée de son
influence à l’intérieur de cet institution est limitée ; il n’y est pas
vraiment reconnu comme un leader d’opinion valable. [50]
En contrepartie,
son ascension au sein du Parti communiste lui donne beaucoup plus d’espoir de
réaliser son idéal. Néanmoins, même à l’intérieur de ce cadre de négociation
des significations, il se retrouve confronté à des divergences d’interprétation
importantes concernant la façon d’atteindre les objectifs fixés par les membres
du groupe. Trois raisons principales motivent sa dissension : les révélations
de Khrouchtchev divulguant l’ampleur de la répression en Union Soviétique sous
Staline ; l’impérialisme militaire soviétique (plus spécifiquement en
Hongrie, en Tchécoslovaquie, et en Afghanistan), mais aussi politique et
idéologique (en Chine et en Yougoslavie) ; et l’intégration en Union
Soviétique du modèle occidental de croissance. [51]
Ces critiques
méritent d’être expliquées plus amplement car elles révèlent la nature ainsi
que l’ampleur des dilemmes moraux qui vont assaillir Garaudy et qui vont le
pousser à se retirer de la communauté épistémique communiste, avant de joindre
la communauté musulmane.
Il faut
souligner d’emblée que Garaudy, même s’il reconnaît par son alliance au Parti
communiste français, avoir commis des erreurs, réitère à plusieurs reprises ne
pas regretter son adhésion initiale au Parti. Un idéal motivait sa
décision : en accord avec la pensée de Marx, libérer l’humain de toutes
les formes d’aliénation économiques, sociales, politiques et religieuses. Pour
lui, l’atteinte d’un tel objectif ne signifie pas la négation de la foi
religieuse, car ce système de croyances peut aussi permettre de saisir les
formes aliénées de la religion. Concrètement, cela signifie dans le contexte
social de l’avant-guerre, militer contre l’avancée du fascisme hitlérien. C’est
en relation à cette quête d’idéal, significative pour lui, que Garaudy s’engage
auprès des Communistes.
Les
représentations qui y sont associées ainsi que les actions pour y parvenir vont
toutefois s’avérer fort différentes pour les dirigeants communistes
soviétiques. Contrairement à la religion qui ne propose pas de changer l’ordre
social ici-bas parce qu’elle conçoit la plénitude dans l’au-delà, les actions
politiques menées par les dirigeants communistes soviétiques entendent remédier
à cet état de choses. Leurs décisions s’inspirent de la théorie de l’utopisme
qui consiste à « vouloir bâtir une société parfaite par les seuls efforts
des hommes, sans aucune référence à Dieu […]. » [52] Avec l’avènement des États
totalitaires, l’utopisme va devenir une doctrine mieux connue sous le nom de
scientisme. [53] Ce schème d’interprétation
ne constitue en rien une pratique scientifique. Au contraire, il limite la
compréhension des objets de connaissance en ne tenant pas compte du décalage
entre les principes et la pratique. Ainsi, selon ce paradigme, chaque objet de
connaissance peut être connu par la raison humaine. Pour y parvenir, il suffit
d’appliquer le savoir par l’intermédiaire d’une pratique scientifique désignée.
La « science » en devenant réponse à tous les problèmes prend valeur
de vérité. Il n’y a plus de tolérance pour les hypothèses réfutées.
Sur le plan
politique, l’introduction du scientisme va se traduire par l’imposition d’une
vision unique des pratiques sociales, ce qui aura pour conséquences de limiter
la liberté et l’autonomie des personnes. En ne tenant plus compte de l’opinion
des autres, le choix entre le bien et le mal s’atrophie, toute l’importance
étant désormais accordée à la réalisation des fins peu importe l’impact des
moyens utilisés pour y parvenir. L’idéal réside dans le bien-être commun, plus
que dans la réalisation individuelle. Le nous du groupe est privilégié aux
dépens du je. [54] Conformément à cette vision
du monde, la réalisation du bonheur de l’humanité tel que proclamé dans
l’idéologie communiste doit être envisagée sans aucune tolérance pour ses
détracteurs. L’idéologie devient ainsi un prétexte pour justifier le pouvoir de
l’État ainsi que la conformité idéologique. Cette forme de totalitarisme, pour
s’imposer à tous, en vient à justifier la pratique généralisée de la terreur
ainsi que l’usage de la violence. Peu importe l’écart avec la pratique, le
discours doit en arriver à ses fins, même si cela signifie une transformation
du monde, coûteuse en vies humaines. Ainsi, si Lénine contribue à l’avènement
de la république soviétique, Staline qui lui succède de 1924-1953 va, par sa
volonté d’instaurer la collectivisation des terres ainsi que
l’industrialisation du pays, engendrer des conditions de souffrance inhumaine.
Ses interventions vont générer une famine généralisée au sein de la classe
paysanne. De plus, un million de personnes vont être fusillées, sans parler des
neuf millions de prétendus contestataires qui mourront en détention dans des
camps de concentration ou en prison. Ces faits révélés par Khrouchtchev, en
1956, au XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, vont ébranler
Garaudy.
Il est
profondément affecté par ces dénonciations. Avec le recul du temps, Garaudy,
réfléchissant sur lui-même dans sa Biographie, relate les événements qui ont
contribués à éveiller chez lui un changement de perception par rapport à
l’idéologie communiste soviétique et qui vont le conduire à adopter une
attitude beaucoup plus critique à l’égard des directives de l’organisation. Il
écrit à ce sujet :
Lorsque je rencontrai personnellement
Staline, en 1953, avec un comportement si différent de ce que la propagande
ennemie lui attribuait, je me suis sentis conforté dans ma reconnaissance pour
ce que nos peuples d’Europe lui devaient, face à Hitler, et dans mon admiration
pour les réalisations intérieures, sans imaginer le prix que le peuple
soviétique avait payé pour cela […].
Un seul fait alors m’étonna : dans ses
propos, seul le monde occidental semblait poser problème. Les peuples des
autres continents apparaissent comme des appendices de la classe ouvrière des
pays occidentaux. Même la Chine, pourtant représentée, à ce XIXe Congrès du
Parti Communiste de l’Union Soviétique, par son Président Liou Chao Chi. Et
lorsqu’Ho Chi Minh, avec lequel nous étions alors en guerre pour perpétuer le
système colonialiste, me serra dans ses bras, le premier doute surgit de mes
larmes, sur la justesse de la politique communiste que personnifiait Staline.
Il me fallut des
années pour comprendre ce qu’était la racine des erreurs et des crimes de
Staline. [55]
Au contact des
têtes dirigeantes du Parti, Garaudy prend conscience des divergences d’interprétation
à propos du socialisme et des possibilités de dérapage quant aux moyens
entrepris pour y parvenir. Si, au départ, la révolution politique et économique
constitue une remise en question du fondement des relations sociales établies
sur la base de rapports de domination et d’aliénation, il va se rendre compte
des perversions qu’engendre l’idéal communiste lorsqu’il est poursuivi sans
considérations universalistes.
Todorov explique
les conséquences de cette situation. [56] L’interprétation du communisme qui se veut porte étendard de la
lutte des classes, crée des divisions entre les humains sur la base de leur
identité particulière, notamment celle les associant à leur classe sociale. La
lutte à mener devient alors un prétexte pour justifier des représailles envers
ceux et celles qui y contreviennent ; les autorités politiques font
disparaître la monarchie, mais plus pernicieusement elles s’opposent
farouchement à toute forme d’opposition idéologique perçue comme telle. Des
dirigeants comme Lénine ou, pire encore, comme Staline ne cherchent pas à
diriger dans le compromis, mais veulent imposer leur vérité à tous. Ainsi, si
initialement, ils limitent leurs interventions à l’intérieur des frontières
nationales, rapidement les intérêts de la Russie vont devenir indissociables de
la révolution mondiale, d’où cette volonté soviétique d’expansion et
d’hégémonie. L’internationalisme soviétique ne constituera donc pas un
mouvement de solidarité envers le genre humain, mais une politique ayant pour
objectif la défense de l’intérêt national d’un pays à l’étranger. [57]
Staline, qui
aurait pu pallier cette disparité entre théorie et pratique, va plutôt chercher
à la camoufler. En fait, l’idéologie qui se portait à la défense des intérêts
collectifs cède le pas insidieusement aux ambitions personnelles, notamment au
désir du pouvoir. En voulant offrir un mode de vie où les interactions sociales
s’exécutent selon des considérations idéologiques plus humaines, le socialisme
est devenu non pas une alternative au mode de vie capitaliste, mais une forme
de totalitarisme mis au service de la défense des intérêts des
dirigeants. [58] La population muselée par un
régime de terreur, l’idéologie collective va être perçue progressivement comme
une vision du monde incohérente.
Envoyé à Moscou
comme correspondant pour l’Humanité (l’organe du Parti communiste français)
après la mort de Staline, Garaudy en atteste. Il note le contraste entre le
discours et les faits, entre la diffusion généralisée de la propagande
apologétique et la possibilité pour la nomenklatura, [59] d’accéder à certains
privilèges matériels. De plus, pendant ce séjour d’un an, personne ne l’invite
à part trois personnes qui, par leur statut particulier, se situent en marge du
Parti et de la société soviétique. Il constate ainsi qu’un climat de suspicion
généralisée contribue à entretenir l’expression du conformisme. Il saisit alors
l’écart entre sa conception de la pensée de Marx et ce qui se passe en
pratique.
À partir de
1962, il devient ainsi l’un des premiers intellectuels à s’investir dans la
recherche des erreurs philosophiques de Staline et de leurs conséquences. [60] Il publie alors, dans les
Cahiers du communisme de juillet-août 1962, un rapport où il insiste sur
l’importance de la subjectivité dans la connaissance et l’action ainsi que sur
la nécessité pour l’idéologie marxiste de se distancier des formes
d’interprétation qui la réduisent au positivisme. Sa critique ne consiste pas
en une révision du marxisme, mais cherche plutôt à restituer la pensée de Marx.
« Et d’en finir avec la pratique dogmatique, dans l’histoire, dans la
science, dans la critique littéraire, l’argument d’autorité, la référence aux
livres sacrés qui ferme la bouche et rend la discussion
impossible. » [61]
Et c’est dans
cette optique qu’il s’attaque publiquement en 1964 dans les Informations
catholiques internationales à la position d’Illytchev, l’un des dirigeants du
Parti Communiste de l’Union Soviétique, qui affirme que l’instauration du
marxisme ne peut se réaliser tant que la religion perdurera. À cela Garaudy va
rétorquer que la foi ne consiste pas en une idéologie, mais en une manière
d’être. Les actions des humains ne sont pas uniquement dictées par leurs
déterminismes. Lorsqu’ils entreprennent une révolution, les humains témoignent
aussi de leurs facultés télésitiques, ou selon l’expression de Garaudy de leur
« transcendance ». Ce point de vue, va lui attirer des reproches tant
de la part des membres de son Parti que de l’épiscopat français qui ne
cautionne pas ses idées en matière de religion ; si pour les uns la
religion est source d’aliénation, pour les autres elle ne peut inspirer des
fins révolutionnaires.
Ces oppositions
n’empêchent pourtant pas Garaudy de poursuivre ses interventions destinées à
clarifier la pensée de Marx. Il publie ainsi en 1966, Marxisme du XXe siècle,
avec lequel il tente de rallier les militants de son Parti ainsi que les
membres du Bureau politique auquel il appartient. S’il souhaite réaligner le
discours du mouvement, le moment semble plus propice à la confrontation, qu’à
l’union des esprits ; l’Union Soviétique ainsi que son Parti condamnent
l’interprétation chinoise du marxisme. Pour Garaudy, la faiblesse de
l’argumentation de ces organisations politiques est telle qu’elle suscite chez
lui une désillusion profonde ; il sombre dans la dépression pendant
plusieurs mois. Les différences d’interprétation à propos de la vision du monde
marxiste suscitent d’énormes tensions, en lui.
Pour Garaudy, le
marxisme ne consiste pas en une formule dogmatique qui peut être appliquée peu
importe la situation historique et contextuelle. Si Marx a su entrevoir les
conditions sociales qui allaient permettre l’essor de la bourgeoisie et le
renversement par cette classe sociale de la monarchie pour accéder au pouvoir,
ce processus ne peut que différer selon l’état de développement des sociétés.
Ainsi, selon Garaudy, l’Union Soviétique ne peut emprunter un cheminement
conforme aux prévisions de Marx puisqu’à la veille de la Révolution d’octobre
il n’existe pas de classe ouvrière suffisamment organisée pour revendiquer le
pouvoir à elle seule. Aussi, l’objectif, pour Lénine, va-t-il consister, au
départ, à prendre le pouvoir pour ensuite réunir les conditions économiques qui
vont favoriser le développement de la classe ouvrière. Mao, à son tour,
effectue aussi une adaptation des théories de Marx selon les circonstances.
Mais il semble que les dirigeants soviétiques, aux prises avec des ambitions
hégémoniques, maintiennent leur dogmatisme ; tous les Partis, à
l’extérieur de l’Union Soviétique, doivent suivre les directives du Parti
« central ». Garaudy n’endosse pas cette position. Il est en faveur
de la spécificité de l’expérience socialiste dans chaque pays, notamment en
France surtout durant les événements de mai 1968.
Mais, la direction
du Parti communiste français alignée sur les politiques de Moscou n’entend pas
reconnaître cette distinction et, par conséquent, l’issue des révoltes qui
paralysent la société française. Elle s’aligne plutôt sur les positions de
Marchais, un membre influent du Bureau politique qui ne souhaite pas renouveler
le discours du Parti en l’adaptant aux exigences du mouvement de contestation.
L’organisation privilégie le retour à l’ordre afin de ne pas compromettre ses
chances de remporter les élections qui s’annoncent sous peu. Mais après
l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Union Soviétique en août 1968, la
poursuite opiniâtre d’une telle orientation politique devient de plus en plus
inappropriée, selon Garaudy. L’écart de perceptions quant à l’analyse de la
situation devient une source de conflits irrémédiables entre lui et les autres
membres du Parti. En 1970, il quittera cette organisation dont il aura été
solidaire pendant 37 ans. Il écrit à propos de sa dernière intervention au XIXe
congrès du Parti communiste français :
Mes derniers mots sont suivis d’un silence
horrible. […] J’ai l’impression de tomber dans un puits en allant me rasseoir
au milieu de ces deux mille camarades, dont la plupart étaient hier encore mes
amis.
Pas un, aujourd’hui, même parmi ceux qui
partagent certaines de mes positions, n’a osé s’exprimer à mes côtés. La séance
est levée, l’on s’écarte de moi comme devant un lépreux. [62]
Comment se
fait-il que Garaudy en arrive à l’exclusion? La plupart des personnes auraient
peut-être exprimé leurs doutes. Mais peu se seraient avancés jusqu’à
compromettre leur carrière ainsi que le soutien des membres de leur réseau de
relations après tant de temps et d’expériences vécus ensemble. Dans la lutte
pour accomplir son idéal pourquoi continue-t-il, sans relâche, à susciter
l’opposition au sein des communautés catholiques et marxistes, puis
éventuellement auprès de la communauté juive (surtout que cette démarche va lui
coûter le droit de publication en France) ? [63]
Un des facteurs
qui peut sans doute expliquer un tel comportement touche à cette double
appartenance identitaire que Garaudy a entretenu toute sa vie. Comme nous
l’avons dit précédemment, dès son jeune âge, il est sensibilisé et interpellé
par un discours familial qui lui présente deux visions de l’identité
religieuse ; rejetant l’idée du néant, il décide, au fil de ses rencontres
et de sa formation académique, de croire en Dieu mais aussi en l’humain. Si, au
départ, il semble beaucoup plus proche d’un réseau de relations qui partagent
des croyances chrétiennes, la guerre qui se profile l’incite à s’investir dans
l’action auprès des communistes. Garaudy adhère ainsi à deux communautés de
pensée distinctes, à l’intérieur desquelles l’interprétation de la « réalité »
varie, mais où l’on retrouve aussi des discours qui, bien qu’ils s’expriment en
des termes différents, font référence à des considérations éthiques similaires.
C’est dans cet espace de propos communs que Garaudy construit son projet de
vie. Si cette position lui donne l’avantage de comprendre les particularités
des uns par rapport aux autres ainsi que leurs similarités, cette compréhension
de l’autre en fait un traducteur non seulement de mots et d’idées, mais aussi
de schèmes d’appréhension de la « réalité ».
Conséquemment,
lorsque ces deux communautés de pensée s’affrontent dans l’arène publique, il
ne décode pas ces échanges de la même façon qu’une personne qui ne conçoit
qu’une de ses deux visions du monde. Le traducteur peut vouloir faciliter la
communication entre parties opposées ou encore utiliser les informations
relatives à un groupe aux dépens de l’autre. Dans le cas de Garaudy, cette
situation est difficile à établir parce que ses préoccupations au sujet des
communautés chrétiennes et marxistes semblent se modifier dans le temps. Par
contre, ce qui semble beaucoup plus évident à la lecture de son Testament et de
sa Biographie, ce sont les raisons qui motivent son adhésion à ces deux écoles
de pensée, et surtout la nature de ses erreurs personnelles qu’il associe aux
moyens utilisés par ces organisations pour atteindre leurs fins. À cet égard,
nous remarquons dans son discours que c’est son adhésion au marxisme qui lui
apparaît le plus lourd de conséquences.
Au départ, la
réalisation de l’idéal collectif de cette communauté ne semble pas lui poser un
problème éthique grave. Même lorsqu’il pourrait enregistrer des signes pouvant
semer le doute dans son esprit, comme par le massacre de Katyn, il ne les
considère pas vraiment. [64] Mais, leur accumulation ainsi que la constatation que le discours
officiel soviétique en soit venu à déclarer ouvertement son mépris religieux,
ont dû contribuer à éveiller sa sensibilité critique de sorte que l’illusion de
l’idéal s’est effondrée pour faire place à plus de discernement critique à
l’égard du discours de son propre groupe. Et c’est ultimement l’ensemble de ces
incongruités interprétatives qui vont soulever les conflits incessants entre
lui et les autres parce qu’ils sont dépourvus de cette double appartenance et
de cette possibilité de distanciation critique. Cette situation va contribuer à
son isolement et son exclusion éventuelle de la communauté épistémique
marxiste. Si, au départ, on le considère, au sein des organisations qu’il
fréquente, comme un émissaire négociant les discours des deux communautés de
pensée auquel il adhère, à la fin, les communistes fidèles à la ligne de pensée
soviétique en viennent à le percevoir comme un traître.
Ainsi
remarquons-nous dans l’expérience de Garaudy, des similitudes avec l’histoire
de la Malinche. Il doit constamment justifier son allégeance auprès des uns et
des autres. De plus, dans chacune des organisations respectives auxquelles il
adhère, il s’identifie aux clans dissidents. Comme il connaît bien les présupposés
des uns et des autres, il réalise, comme La Malinche, des opérations de
réception active. Il se distancie inexorablement du discours idéologique
officiel défendu par les membres ainsi que la direction de ces organisations.
Il réitère, inlassablement, sa vision du monde à l’intérieur de chacune de ces
organisations de trois façons : en faisant valoir son discours personnel
qu’il remet à jour régulièrement ; en s’opposant à certains arguments qui
ne valorisent pas les mêmes présupposés éthiques ; en désarticulant les
propos des uns, par rapport à ceux des autres, de façon à questionner les
variations d’interprétation en fonction des changements contextuels.
Pour Garaudy,
chacune de ses appartenances identitaires (catholique et marxiste) se complète
et revêt une signification cohérente. Dans un monde idéal, il souhaiterait
peut-être que l’Église devienne révolutionnaire et le Parti communiste plus
respectueux des normes religieuses. Cette quête d’un espoir chez l’autre
l’empêche de se replier sur lui-même, ou encore de se laisser totalement
séduire par lui. L’ouverture d’esprit ainsi que la tolérance à l’égard de
l’autre qu’il cultive lui permettent d’entretenir une relation dialectique avec
le discours de communautés épistémiques en désaccord sur différentes
interprétations d’idées. Ce processus, tout en facilitant la mise à jour de sa
pensée, l’aide à construire son projet de vie selon ses croyances morales.
Cette façon de communiquer est bien ancrée chez lui et fait partie du rôle
qu’il s’est donné en tant qu’intellectuel. Mais, à partir du moment où cette
vision du monde s’effondre, on peut se demander ce qui le pousse à vouloir se
joindre à une autre communauté d’interprétation.
Comme nous
l’avons expliqué précédemment, Garaudy croit en une forme d’immanence où
l’humain ne se suffit pas à lui-même, mais respecte des normes morales
religieuses sans s’aliéner. Pourquoi défend-t-il si ardemment cette position en
apparence ambivalente? Sans doute, sa conviction que l’humain peut faire preuve
de grandes vertus morales l’incite à s’opposer à tout système de pensée qui le
réduit à des déterminismes de classe, de race, de religion, etc. Nous croyons
que si cette croyance est évoquée avec autant de conviction, c’est qu’elle est
associée, pour Garaudy, à un événement marquant de sa vie. Nous allons raconter
cette expérience car elle trace aussi le cheminement de la construction de sa
conversion à l’islam. [65]
Au début de la
Deuxième Guerre mondiale, Garaudy est considéré par les autorités du régime de
Vichy comme un Propagandiste Révolutionnaire. On l’affecte donc à la
« Septième DINA » (Division d’Infanterie Nord-Africaine) en Algérie,
aux confins du Sahara. Au côté des Arabes marocains, algériens et tunisiens,
vont se trouver à combattre des résistants au fascisme que l’on a envoyés
combattre aux points les plus meurtriers. Le 4 mars 1941, au moment où un
convoi de volontaires étrangers vient se joindre à eux, Garaudy, ainsi que tous
les réfractaires de son camp, contreviennent à l’ordre du commandant français
de s’enfermer dans leurs marabouts. Ils entonnent Au-devant de la vie… Le
commandant, incapable de censurer cette impulsion contestataire donne l’ordre à
la garde de tirer. Garaudy, l’espace d’un instant, croit qu’il va mourir.
L’attente se fond en silence. La notion de vivre l’instant présent prend alors
une autre signification ; comment, remettre à plus tard, désormais, ce qui
est possible d’être accompli maintenant. Il n’a que vingt-huit ans. Mais ils ne
tireront pas. Ces hommes, des « ibadites », font partie d’une secte
musulmane. Leurs croyances religieuses leur ont valu, il y a mille ans, d’être
poursuivis jusqu’au Sahara. C’est en réponse à l’appel de Dieu qu’ils vivent,
depuis, dans cet environnement hostile. Garaudy dit de ces derniers :
Ces inconditionnels de Dieu nous ont fait
vivre : il est contraire à l’honneur de guerriers musulmans du Sud qu’un
homme armé tire sur un homme désarmé. Ils avaient, avant nous, l’expérience de
la transcendance vécue. [66]
On peut penser
qu’à partir de cet événement, l’appréciation de l’autre n’est plus perçue de la
même manière. Bien que l’Arabe ou le Français appartiennent à des cultures
différenciées où l’activité créatrice et spirituelle humaine s’expriment selon
des considérations différentes, on remarque que des valeurs immuables voire
universelles transcendent aussi ces appartenances particulières. Pour Garaudy,
« tout prend un sens à partir de cette fin » ; [67] la fin possible de son être, la fin de son attachement identitaire
spécifique, et la réalisation d’un projet de vie universaliste en tant que fin.
Les fins de l’être et de l’attachement identitaire sont saisies en termes de
finitude, c’est-à-dire qu’elles laissent entrevoir la fin d’un terme. Alors que
la fin du projet de vie universaliste devient une finalité, un but vers lequel
tendre. Bien que ces prises de conscience distinctes semblent être intégrées
par moments séparés dans le temps, elles sont complémentaires. Le détachement
identitaire et la recherche d’un projet de vie universel donne un sens nouveau
à sa vie. Mais à son tour, ce sens est revisité ; Garaudy reconnaît sa
dette envers les Ibadites ce qui le prédispose à la conversion.
C’est ce que
nous constatons à la suite de la lecture de son Testament et de sa Biographie.
L’interprétation de l’expérience de sa mort avortée et le contexte où elle se
situe vont, par la suite, affecter sa vision du monde. C’est ainsi qu’après sa
libération en 1943, il en vient à entreprendre, comme assistant à la direction
du Parti communiste en Algérie, une série de conférences par l’intermédiaire
desquelles il souhaite établir des ponts entre la culture française et la
culture arabo-islamique afin de mieux combattre le racisme nazi. Si cette idée
l’amène à développer un discours qui met en valeur la contribution historique
et culturelle de la civilisation arabo-islamique, elle l’incite aussi à
critiquer sévèrement les colons français d’Algérie qui ont collaboré avec
l’envahisseur allemand. Tout comme la Malinche qui rejette son statut d’esclave
et la culture qui le lui a imposée, Garaudy, en refusant de cautionner la
communauté française qui soutient le régime de Vichy, en vient à remettre en
perspective son attachement à son identité culturelle nationale. Cette prise de
conscience facilite la reconnaissance de l’universel en l’autre et du
particularisme en soi.
En s’identifiant
au mouvement de Résistance, les critères d’identification à la nation
s’estompent pour faire place à une forme de solidarité qui dépasse les
frontières. Tous ceux et celles qui s’investissent pour défendre le flambeau de
la liberté s’unissent aux dépens de leurs allégeances particulières. Cette
situation favorise la rencontre de tout un réseau de relations qui autrement ne
se seraient peut-être pas parlées.
La rencontre de
Garaudy avec le cheikh Ibrahimi se situe probablement dans un tel cadre. Le
cheikh, symbole de la Résistance et représentant reconnu du soufisme, lui fait
découvrir une forme d’expression spirituelle qui ne valorise pas tant le
détachement du monde matériel, que l’acte réflexif qui médite sur l’expression
de la foi dans l’action. Cette prise de conscience des possibilités de
construction de « réalité » à partir des représentations religieuses,
devient une problématique importante pour Garaudy. Si, à partir de cette
révélation, il découvre dans l’islam une variété de doctrines idéologiques
pouvant intégrer des provenances politiques autant de gauche que de droite, la
lutte contre le nazisme lui ouvre des portes d’accès à des réseaux de
résistance à l’intérieur de l’univers musulman qui, dans d’autres
circonstances, auraient peut-être été inaccessibles. [68] Le contexte de la guerre, en stimulant des élans de solidarité
au-delà des barrières identitaires favorise la rencontre de leaders d’opinion
appartenant à des mondes différents. [69] Pour Garaudy, le développement de ces relations en marge de son
identité primaire va se constituer en un réseau de contacts secondaires qu’il
va solliciter personnellement, après son exclusion du Parti communiste, afin
d’atténuer sa crise interprétative. Ces contacts lui seront également utiles,
plus tard, afin de contrevenir l’interdit de publication qui va restreindre sa
liberté d’expression en France. La conversion religieuse de Garaudy, en 1982,
lui offre la possibilité de publier à nouveau ses écrits, mais cette fois, à
l’intérieur d’une nouvelle communauté épistémique. Garaudy dit d’ailleurs sur
ce point « prendre conscience qu’une « conversion » n’est pas
nécessairement un changement de la foi, mais de la culture dans laquelle elle
s’exprime. » [70] La divulgation de sa conversion va d’ailleurs se répandre
rapidement dans les communautés musulmanes d’Occident, à la suite de quoi, de
nombreuses invitations vont lui être faites de nouveaux réseaux de
reconnaissance.
La conversion
religieuse nécessite, toutefois, que l’apprentissage des conventions qui
régissent les comportements sociaux de la nouvelle culture adoptée soit fait
sensiblement de la même façon que lors de la socialisation primaire. Les
personnes investies dans un processus de socialisation secondaire sont
également affectées dans leur identité par la coloration affective des rapports
humains établis auprès des nouveaux agents de socialisation. La conversion peut
paraître comme un moyen d’autant plus attirant pour régler un problème
d’interprétation auprès d’un nouveau groupe de relations, que dans certaines
communautés religieuses, comme c'est le cas chez les musulmans, le rôle et le
statut de l'intellectuel sont reconnus et appréciés socialement. D'ailleurs,
dans un hadith du prophète Mahomet, c'est-à-dire l'une de ses paroles souvent
récitées, il est dit : « l'encre des savants est pour moi plus
précieuse du (sic) sang de martyrs. » [71] On peut donc penser que si la conscience d'anomalies constitue une
condition préalable à la recherche d'une nouvelle vision du monde, la
reconnaissance d'un statut social privilégié à l'intérieur d'une nouvelle
communauté de pensée contribue ultimement à séduire les nouveaux fidèles.
De plus,
l’adhésion à l’islam n’entraîne pas pour le Juif ou le Chrétien de devoir
renoncer à ces croyances initiales ; ces deux religions du Livre sont
reconnues dans le Coran. [72] Le fait de ne pas avoir à abandonner le schème de ses
représentations primaires semble conforter Garaudy dans sa démarche de
conversion. De la doctrine de l’islam, il dit n’avoir su que très peu de chose
mis à part les connaissances acquises par ses lectures ainsi que l’expérience
de la transcendance vécue lors de la tentative de fusillade de Djelfa. [73] Ce qui nous porte à croire que cette conversion, en tant que
solution interprétative, s’inscrit dans la continuité d’une démarche
rationnelle, voire intellectuelle de recherche de significations, mais comporte
aussi un volet pratique associé à un réseau de relations. [74]
Si, ce réseau
lors de son premier séjour en Algérie ne semble pas vraiment constitué,
l’expression de la foi musulmane dans la pratique ne le laisse pas indifférent.
L’événement de Djelfa a laissé un souvenir impérissable dans sa mémoire. On
sent de la reconnaissance, dans son témoignage, sur cet événement. Cette
situation contribue à nourrir une ouverture d’esprit par rapport à
l’Islam [75] qui rend accessible l’exploration des significations qui y sont
associées.
Toutefois, tant
que son interprétation des idéologies chrétiennes et marxistes ne posera pas de
problèmes moraux sur le sens des actions à entreprendre, Garaudy continuera à
se sentir solidaire des autres membres des groupes auxquels il appartient, et
la considération de l’Islam comme alternative religieuse ne sera pas envisagée.
Néanmoins, les conflits d’interprétation liés à l’éthique vont changer la
dynamique relationnelle dans laquelle il évolue, au point où, il ne reconnaîtra
plus l’adhésion des autres à ses valeurs. L’accord tacite qui les unissait sera
rompu. Et c’est plutôt au sein de l’Islam, de son groupe de relations
secondaires, que viendra la possibilité de réitérer à nouveau, et conformément
à ses valeurs, sa vision du monde selon les modalités d’expression qui lui conviennent.
Garaudy pourra en tant qu’intellectuel continuer de faire réfléchir et de faire
connaître sa quête de significations.
Et, comme dans
bien des cas de conversion, ce n'est bien souvent qu'après le rituel d’entrée
dans la nouvelle organisation que la participation active à la nouvelle
communauté de pensée deviendra incontournable. Pour bien des convertis, comme
il semble également que ce soit le cas pour Garaudy, le besoin de se socialiser
afin d'intérioriser sur le plan cognitif le nouveau paradigme se fait sentir
après l’acte de conversion. Cet apprentissage qui peut comporter de multiples
variations en apparence, est également très subtil. Il ne consiste pas
simplement dans l'acquisition d'un nouveau savoir religieux. Il réside plutôt
dans la faculté télésitique d’interpréter ses valeurs selon un nouveau schème
d’interprétation et, peut-être même, d’acquérir de nouvelles représentations
afin que soient résolus les problèmes antérieurs associés à certaines
significations. Ensuite, la difficulté consiste à transposer cet ensemble de
connaissances nouvellement acquises dans un mode de comportement acceptable,
répondant aux attentes et aux normes du groupe dans lequel le converti cherche
à se fondre. En fin de compte, le besoin initial d’être cohérent avec ses
croyances spirituelles, peut conduire à vouloir collaborer, avec d'autres, à
l'établissement d'un sens collectif.
[1] Roger Garaudy,
Biographie du XXe siècle : Le testament philosophique de Roger Garaudy,
Paris, Tougui, 1985, et Mon tour du siècle en solitaire : Mémoires, Paris,
Robert Laffont, 1989.
[2] Roger Garaudy, Mon
tour du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p.
13-18.
[3] Cette quête de sens
est présente dans ses deux livres de façon très explicite dès le début ;
dans ses Mémoires, à partir de la p. 7, et dans son Testament philosophique, à
partir de la p. 11.
[4] Garaudy a écrit une
quarantaine de livres qu’il a fait publier dans diverses maisons d’édition
connues. Parmi les sujets qu’il a traités, on retrouve des questions liées à
l’esthétique, la morale, la religion, l’histoire et les problèmes du marxisme,
ainsi que deux séries d’essais ; l’une où il cherche à établir des ponts
entre les civilisations, l’autre, où il envisage l’invention d’un avenir à
visage humain.
[5] Roger Garaudy, Mon
tour du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p.
34.
[6] Roger Garaudy,
Biographie du XXe siècle : Le testament philosophique de Roger Garaudy,
Paris, Tougui, 1985, p. 131.
[7] C’est son grand oncle
Edouard, qui l’instruit de la généalogie familiale. De lui, il acquiert un
intérêt envers ses origines « étrangères », notamment celle de sa
grand-mère maternelle dénommée Maurin. Ainsi, dès son jeune âge Garaudy
développe une attirance pour l’autre cet « étranger », qui est aussi
Maure et musulman. Nous pensons que cette situation favorise l’ouverture à la
différence ainsi que la possibilité de l’affirmation éventuelle de considérations
identitaires latentes. Roger Garaudy, Mon tour du siècle en solitaire :
Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 23.
[8] Majid Tehranian,
« La malédiction de la modernité: dialectique de la modernisation et de la
com-munication », Revue Internationale de sciences sociales, Vol. XXXII,
1980, No.2, p. 268.
[9] Luc Ferry,
L'Homme-Dieu ou le Sens de la vie, Paris, Grasset, 1996, p. 14.
[10] Fernand Dumont, Les
idéologies, Paris, PUF, 1974, p. 16.
[11] Luc Ferry, L'Homme-Dieu
ou le Sens de la vie, Paris, Grasset, 1996, pp. 21-24.
[12] Ibid., p. 40-43.
[13] Luc Ferry, L'Homme-Dieu
ou le Sens de la vie, Paris, Grasset, 1996, p. 43.
[14] Ibid.,
p. 34.
[15] Ibid.,
p. 35.
[16] Ibid.,
pp. 47-48.
[17] Ibid., p. 52.
[18] Roger Garaudy,
Biographie du XXe siècle : Le testament philosophique de Roger Garaudy,
Paris, Tougui, 1985, p. 250.
[19] Ibid., p. 250.
[20] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, pp. 41-42.
[21] Entre autres,
l’expérience d’une foi dans l’action motivée par la raison et la nécessité de
trouver le sens et la fin de toute action et de toute vie. Pour de plus amples
explications voir, Ibid., pp. 138-142.
[22] Bien qu’il la quittera
pour la guerre sans vraiment revenir à elle par la suite, Milaine sera la
première personne qu’il ira retrouver suite à son exclusion du Parti communiste
français en 1970.
[23] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 38.
[24] Ibid., p. 41.
[25] François Laplantine,
Je, nous et les autres : Être humain au-delà des appartenances, Paris, Le
Pommier-Fayard, 1999, pp. 89-106.
[26] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 191.
[27] Ibid., p. 192.
[28] Ibid., p. 192.
[29] Tzvetan Todorov, La
conquête de l’Amérique : La question de l’autre, Paris Seuil, 1982, pp.
130-132.
[30] Ibid., p. 151.
[31] De nos lectures de ces
livres nous avons noter les personnes suivantes : le philosophe Maurice
Blondel, Marx, Kierkegaard, Rousseau, son mentor au Parti communiste, Maurice
Thorez, sa première femme, Milaine, les poètes Aragon et Éluard, l’abbé Pierre,
sa deuxième femme, Paulette, Monseigneur Fontenelle, premier chanoine de
Saint-Pierre de Rome, Khrouchtchev, Nasser, Ber-nard et Loulou , prêtres
ouvriers, Teilhard de Chardin, la danseuse, Martha Graham, Aurelio Peccei,
fondateur du Club de Rome, Althusser, Béjart, l’impératrice Farah Dibah, son
maître spirituel, le père Chenu, pour ne nommer que ceux là.
[32] Nous retenons sur ce
sujet : l’entretien avec le Cheik Ibrahim, sa relation avec Staline, le
débat avec Sartre, les propos de dom Helder Camara, la confrontation avec
Georges Marchais, membre du Parti communiste français.
[33] Voir à cet effet, Roger
Garaudy, Biographie du XXe siècle : Le testament philosophique de Roger
Garaudy, Paris, Tougui, 1985, p. 12. et du même auteur Mon tour du siècle en
solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 9.
[34] conclusion de ce
paragraphe est inspirée des propos de Stuart Hall,
« Codage/Décodage », Réseaux, No 68, CNET, 1994, p. 31.
[35] Fernand Dumont, Les
idéologies, Paris, PUF, 1974, p. 16.
[36] Notre interprétation
des propos de Garaudy est inspirée ici de Fernand Dumont. Ibid., p. 20.
[37] Antoine Casanova, Le
concile, vingt ans après, Paris, Messidor, 1985, pp. 17-18.
[38] Ibid.,
pp. 19-21.
[39] Ibid.,
pp. 24-25.
[40] Ibid.,
pp. 26-30.
[41] Ibid., pp. 31-32.
[42] Cette définition
provient du Petit Robert 1, dictionnaire de la langue française.
[43] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, pp.
225-226.
[44] Ibid, p. 225.
[45] Par exemple : en
démocratisant le discours religieux par l’utilisation d’un vocabulaire
scripturaire plus accessible à tous, en accordant plus d’attention aux masses
exploitées et en faisant l’éloge de la pratique sociale comme accomplissement
du dessein de Dieu.
[46] Antoine Casanova, Le
concile, vingt ans après, Paris, Messidor, 1985, p. 71.
[47] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 219.
[48] Ces propos exprimés par
Roger Garaudy sont inspirés d’un bilan dressé par le Père Chenu dans son
livre : La doctrine sociale de l’Église comme idéologie, Paris, Éd. du
Cerf, 1979. Ces informations proviennent de Roger Garaudy, Biographie du XXe
siècle : Le testament philosophique de Roger Garaudy, Paris, Tougui, 1985,
pp. 214-215.
[49] Ibid., pp. 215-216.
[50] Le 5 novembre 1981
(avant sa conversion), Roger Garaudy rencontre le Pape Jean-Paul II à qui il
remet deux de ses livres : Karl Marx et L’Islam habite notre avenir. De la
lettre de remerciements qu’il recevra par la suite, Garaudy dit à propos du
Pape : « […] manifestement, ni la compréhension de Marx, ni celle de
l’Islam, ne sont ses problèmes.» Ibid., p. 233.
[51] Ibid., p. 190.
[52] Nous croyons qu’il ne
faut pas confondre l’utopisme avec le principe de laïcité. Ce dernier définit
la séparation entre le pouvoir de l’État et celui de l’Église. La texte cité
provient de Tzvetan Todorov, Mémoire du mal, tentation du bien : Enquête
sur le siècle, Paris. Laffont, 2000, pp. 29-30.
[53] Ibid., pp. 30-35.
[54] Ibid., pp. 36-53.
[55] Roger Garaudy,
Biographie du XXe siècle : Le testament philosophique de Roger Garaudy,
Paris, Tougui, 1985, p. 253
[56] Tzvetan Todorov,
Mémoire du mal, tentation du bien : Enquête sur le siècle, Paris. Laffont,
2000, pp. 17-55.
[57] Tzvetan Todorov,
Mémoire du mal, tentation du bien : Enquête sur le siècle, Paris. Laffont,
2000, p. 47.
[58] Ibid., p. 53.
[59] En U.R.S.S. et dans les
pays de l’Est, la nomenklatura, consiste en une classe de privilégiés qui
bénéficie de traitements de faveur.
[60] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 166.
[61] Roger Garaudy,
Biographie du XXe siècle : Le testament philosophique de Roger Garaudy,
Paris, Tougui, 1985, p. 256.
[62] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, pp.
251-252.
[63] En 1995, Garaudy publie
Les mythes fondateurs de l’État d’Israël. Dans cet ouvrage, il remet en
question des faits que certains qualifient d’indiscutables à propos de
l’Holocauste juif : par exemple, l’existence de chambres à gaz dans les
camps nazis. Aussi est-il accusé, conformément à la loi Gayssot (adoptée en
1990), qui sanctionne les propos révisionnistes cautionnant l’anti-judaïsme.
Garaudy est condamné a versé une amende considérable (entre 120 000 et 160 000
francs). Cela a aussi pour conséquence qu’il ne peut plus, désormais, publier
en France. Pour sa défense, Garaudy dira qu’il ne nie pas les crimes Nazis, ni
les persécutions que les Juifs ont dues subir durant la Seconde Guerre
mondiale. Il dit vouloir dénoncer la propagande sioniste qui est utilisée comme
base de revendications pour justifier la création et le maintien de l’État
d’Israël. L’abbé Pierre le sou-tiendra durant cette tourmente. Pour notre part,
nous commentons ces événements pour démontrer d’autres motifs d’adhésion, pour
Roger Garaudy, à la communauté musulmane et non pour prendre position dans ce
débat. Rappelons que cette affaire est postérieure à sa conversion religieuse (1982).
http://www.republique-des-lettres.com, http://www.adl.org,
http://www.codoh.com.
[64] On découvrit en 1943
aux abords de la ville de Katyn en Russie des fosses communes dans les-quelles
étaient enterrés plus de 4500 officiers polonais. Tant les Allemands que les
Soviétiques nièrent leur responsabilité dans cette affaire. En 1953, une
commission d’enquête américaine conclut que ce massacre avait été perpétré par
la police soviétique. Petit Robert 2, Dictionnaire universel des noms propres.
[65] Il en parle dans son
Testament, pages 277-280, et dans sa Biographie, pages 64-70 et 340.
[66] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 66.
[67] Ibid., p. 65.
[68] L’islam offre, non
seulement l’accessibilité à des communautés d’interprétation variées, mais en
plus, la possibilité de rencontrer et de vivre une relation privilégiée avec
des maîtres, sans nécessairement se couper du reste du monde. Stefano Allievi,
Les convertis à l’islam : Les nouveaux musulmans d’Europe, Paris,
L’Harmattan, 1998, pp. 130-142.
[69] Entre autres
personnalités du monde arabo-islamique, Garaudy va rencontrer l’impératrice
d’Iran, Farah Diba, ainsi que Nasser et Kadhafi.
[70] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 228.
[71] Stefano Allievi, Les
convertis à l’islam : Les nouveaux musulmans d’Europe, Paris, L’Harmattan,
1998, p. 126.
[72] Ibid., p. 44.
[73] Roger Garaudy, Mon tour
du siècle en solitaire : Mémoires, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 340.
[74] Ces propos nous sont
inspirés par Stefano Allievi, Les convertis à l'islam, les nouveaux musulmans
d'Europe, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 94-95.
[75] Le terme islam
correspond à la religion prêché par Mahomet. L’Islam (avec I majuscule),
représente l’ensemble des peuples qui professe cette religion. Mais, selon
nous, l’Islam est aussi associée aux réseaux de relations que le converti
intègre.