17 novembre 2013

Jésus et la politique révolutionnaire



Les rapports de Jésus avec les zélotes sont plus complexes qu'avec
L’ « establishment » religieux. Les zélotes se caractérisent d'abord par
leur opposition violente à l'occupant : ils organisent des attentats
contre les soldats romains, une activité permanente de guérillas et,
périodiquement, des soulèvements armés. Ce sont eux qui, en 132,
sous la direction de Bar Kochba (le Fils de l'étoile), organisent la
dernière grande insurrection pour l'indépendance de la Palestine.
Incontestablement révolutionnaires du point de vue national et social
(ils critiquent les propriétaires fonciers, les injustices sociales, les
trafiquants du Temple), leurs objectifs religieux sont ceux d'un
 « retour à une pureté primitive », ce qui signifie pour eux le retour à
une théocratie ou à une démocratie politico-religieuse, imposée par la
force.
Jésus ne s'identifie jamais aux zélotes mais ne les fustige jamais.
Quelques-uns de ses disciples sont probablement des leurs. Jésus sera
condamné par le pouvoir romain comme un résistant zélote alors que
les zélotes le considèrent comme un traître à la cause nationale
puisqu'il ne se rallie pas à leur mouvement et refuse le rôle de Messie
libérateur.
Il n'est pas possible de le confondre avec ces révolutionnaires de son
temps. S'il ne prend jamais ses distances à leur égard, cela montre
qu'il ne désavoue fondamentalement ni leurs objectifs ni leurs
méthodes. Même la résistance armée à l'oppression ne semble pas
absolument exclue par Jésus : à la veille de son arrestation et du
combat décisif, il dit à ses disciples : « Que celui qui n'en a pas vende
son manteau pour acheter un glaive » (Luc XXII,36). Lui-même ne
reconnaît pas le « totalitarisme » romain, prétendant régner à la fois
sur les corps et sur les coeurs. Pour lui, l'empereur n'est pas divinisé
comme le veulent la politique et la religion romaines. Lorsqu'il
prononce son : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui
est à Dieu » (Matthieu XXII,22 ; Marc XII,17 et Luc XX,25), c'est là
une formule profondément subversive pour un préfet romain qui ne
peut admettre cette division du temporel et du spirituel : tout est dû à
César, même le culte rendu à un dieu, et il ne suffit pas de s'acquitter
envers lui de l'impôt et des devoirs civiques. Dans les premiers siècles
du christianisme, des milliers de chrétiens furent condamnés à mort,
même s'ils acceptaient de servir dans l'armée, simplement parce qu'ils
refusaient d'accomplir les sacrifices sur l'autel de César ou de lui
consacrer des prières.
Les critiques sociales des zélotes sont fort proches de la critique des
richesses et des hiérarchies formulée par Jésus de Nazareth lui-même.
De même d'ailleurs — nous venons de le voir à propos des sadducéens
et des pharisiens — que sa polémique contre la dégénérescence
formaliste, ritualiste, cléricale et hypocrite des interprétations de la
Loi.
En quoi Jésus de Narareth se distingue-t-il des zélotes ?
En ce qu'il ne peut pas s'accommoder d'une révolution limitée dans
le temps et dans l'espace. Il ne s'agit pas seulement de libérer la
Palestine de l'occupation étrangère (encore qu'il ne fasse aucune
objection à cette entreprise), mais de mettre fin à toute oppression en
tous lieux et en tout temps, et c'est pourquoi le message conserve
aujourd'hui encore sa valeur universelle et son sens pour nous. Il ne
s'agit pas seulement de revenir à la Loi ancienne par-delà ses
perversions ritualistes et cléricales, mais de ne voir dans la Loi , qui est
justice, qu'un cas particulier, limité, d'un amour qui n'est plus
seulement la loi d'un peuple mais la loi de la vie.
En un mot Jésus de Nazareth ne se distingue pas des zélotes parce
qu'il est moins révolutionnaire qu'eux mais parce qu'il l'est davantage,
c'est-à-dire qu'il appelle de manière universelle, et touchant à toutes
les dimensions de la vie, à une mutation à la fois intérieure et
extérieure de l'homme, car les obstacles à vaincre ne sont pas
seulement dans les structures sociales mais aussi dans l'homme.

Roger Garaudy, Appel aux vivants, pages 163 à 165 (Le Seuil)