par Amara Bamba
« Appel pour un moratoire sur les châtiments corporels », il me fit penser à Roger Garaudy. Cet appel était certes fou, mais lumineux il était aussi.
Parmi les intellectuels musulmans que j'ai rencontrés, Roger Garaudy est l'un de ces esprits forts, capable d'avancer une idée lumineuse qui semble une énormité quand on la confronte à la réalité du terrain musulman.
Je n'avais lu que son Appel aux vivants avant de rencontrer Roger Garaudy. Une conférence à La Mecque sur les « minorités musulmanes ». C'est là que j'appris qu'il était ce grand philosophe français devenu musulman après avoir été chrétien et communiste. Tout le monde en parlait. Je m'empressai de lui proposer un cycle de conférences dans mon pays. Il accepta l'invitation.
Dès l'aéroport d'Abidjan (Côte d'Ivoire) : « On commence quand ? », me demanda-t-il. Une semaine durant, cet homme qui avait près du triple de mon âge s'avéra d'une vitalité surprenante. Conférences publiques, conférences internes, interviews, dîners... Garaudy accéda à toutes nos demandes au grand dam des conseillers de Houphouët Boigny, qui me reprochaient de ne pas assez filtrer les contacts des étudiants musulmans avec celui qu'ils qualifiaient de « vieux communiste idéaliste et subversif ».
Pour ma part, cette expérience fut riche en anecdotes. Je n'en citerai que deux.
La première concerne une inconnue à l'allure extravagante. Coiffée comme une couverture de magazine de mode, elle m'attendait à la sortie de la mosquée : « Je ne suis pas musulmane, mais je suis danseuse » m'annonça-t-elle. Elle me supplia de rencontrer M. Garaudy pour une dédicace, dit-elle, du « livre le plus beau que j'aie jamais lu et qui a changé ma vie ». Danser sa vie, un livre de M. Garaudy que je découvris ainsi.
Une autre fois, un de nos maîtres à penser vint rencontrer M. Garaudy. Je l'introduisis : professeur de philosophie et conférencier des étudiants musulmans. « Vous enseignez donc la philosophie ? », lui demanda M. Garaudy en lui serrant la main. Puis, l'air désolé, il plaisanta : « Le pauvre ! » Lors de cette brève rencontre, M. Garaudy expliqua qu'il était nuisible d'enseigner uniquement des philosophes occidentaux, à de jeunes Africains. « Vos programmes ne doivent pas ignorer les penseurs d'ici. Penser n'est pas une exclusivité occidentale ! » dit-il.
En ces années 1980, Aristote, Socrate, Platon, Descartes, Sartre, Nietzsche, Kant, etc., étaient les seuls philosophes qui soient pour moi. Garaudy, l'Européen, se montra intarissable sur l'art africain, sur les penseurs d'Orient, des chrétiens, des musulmans, des Indiens. Des sujets dont nous n'avions trace dans notre éducation.
Il venait de publier Mon tour du siècle en solitaire. Il me l'offrit et en parla comme son dernier livre. Selon ses termes, il ne voulait pas « écrire un livre de trop ».
Hélas, avec Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, Roger Garaudy a fait ce qu'il redoutait. J'ignore à quoi ressemble ce livre auquel on tente de réduire M. Garaudy. Maintenant qu'il est parti, il est peut-être venu le moment de confronter ce poignard dont se sont servis les « censeurs bien-pensants » pour suicider médiatiquement Roger Garaudy et l'abbé Pierre.
Chrétien, communiste ou musulman, Roger Garaudy a traversé la vie à dos d'un cheval analytique. Pour lui, le questionnement rationnel précède l'adhésion au dogme. « Ma foi commence là où s'arrête ma raison », disait-il.
Sur le hajj par exemple, un pilier incontesté de l'islam, Garaudy était révolté par les morts du jour de la station du mont Arafat. Ce lieu ne peut accueillir un million de personnes, sous le soleil, toute une journée, sans mettre en danger les plus fragiles. On compte trois millions de pèlerins sur le mont Arafat certaines années. La mort vient y faire ses courses. Logique !
« Préservons des vies humaines ! », s'indigne M. Garaudy. « Convenons d'Arafat sur trois jours à l'image des jours de l'Aïd ! », explique-t-il. Je trouve cette idée lumineuse, mais je sais qu'elle est utopique aussi. Il y a des questions où l'aspiration de la oumma transcende toute spéculation intellectuelle.
Par ses écrits, sa vie, Roger Garaudy laisse une œuvre complète. Artiste, philosophe, politique, croyant ou athée, chacun y trouve matière. Pour cela, il faut accepter de réfléchir par soi-même, ne pas accepter les réponses toutes faites.
Comme disait M. Garaudy, il faut « refuser la rationalité limitée ».
En 2005, quand Tariq Ramadan ose son Parmi les intellectuels musulmans que j'ai rencontrés, Roger Garaudy est l'un de ces esprits forts, capable d'avancer une idée lumineuse qui semble une énormité quand on la confronte à la réalité du terrain musulman.
Je n'avais lu que son Appel aux vivants avant de rencontrer Roger Garaudy. Une conférence à La Mecque sur les « minorités musulmanes ». C'est là que j'appris qu'il était ce grand philosophe français devenu musulman après avoir été chrétien et communiste. Tout le monde en parlait. Je m'empressai de lui proposer un cycle de conférences dans mon pays. Il accepta l'invitation.
Dès l'aéroport d'Abidjan (Côte d'Ivoire) : « On commence quand ? », me demanda-t-il. Une semaine durant, cet homme qui avait près du triple de mon âge s'avéra d'une vitalité surprenante. Conférences publiques, conférences internes, interviews, dîners... Garaudy accéda à toutes nos demandes au grand dam des conseillers de Houphouët Boigny, qui me reprochaient de ne pas assez filtrer les contacts des étudiants musulmans avec celui qu'ils qualifiaient de « vieux communiste idéaliste et subversif ».
Pour ma part, cette expérience fut riche en anecdotes. Je n'en citerai que deux.
La première concerne une inconnue à l'allure extravagante. Coiffée comme une couverture de magazine de mode, elle m'attendait à la sortie de la mosquée : « Je ne suis pas musulmane, mais je suis danseuse » m'annonça-t-elle. Elle me supplia de rencontrer M. Garaudy pour une dédicace, dit-elle, du « livre le plus beau que j'aie jamais lu et qui a changé ma vie ». Danser sa vie, un livre de M. Garaudy que je découvris ainsi.
Une autre fois, un de nos maîtres à penser vint rencontrer M. Garaudy. Je l'introduisis : professeur de philosophie et conférencier des étudiants musulmans. « Vous enseignez donc la philosophie ? », lui demanda M. Garaudy en lui serrant la main. Puis, l'air désolé, il plaisanta : « Le pauvre ! » Lors de cette brève rencontre, M. Garaudy expliqua qu'il était nuisible d'enseigner uniquement des philosophes occidentaux, à de jeunes Africains. « Vos programmes ne doivent pas ignorer les penseurs d'ici. Penser n'est pas une exclusivité occidentale ! » dit-il.
En ces années 1980, Aristote, Socrate, Platon, Descartes, Sartre, Nietzsche, Kant, etc., étaient les seuls philosophes qui soient pour moi. Garaudy, l'Européen, se montra intarissable sur l'art africain, sur les penseurs d'Orient, des chrétiens, des musulmans, des Indiens. Des sujets dont nous n'avions trace dans notre éducation.
Il venait de publier Mon tour du siècle en solitaire. Il me l'offrit et en parla comme son dernier livre. Selon ses termes, il ne voulait pas « écrire un livre de trop ».
Hélas, avec Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, Roger Garaudy a fait ce qu'il redoutait. J'ignore à quoi ressemble ce livre auquel on tente de réduire M. Garaudy. Maintenant qu'il est parti, il est peut-être venu le moment de confronter ce poignard dont se sont servis les « censeurs bien-pensants » pour suicider médiatiquement Roger Garaudy et l'abbé Pierre.
Chrétien, communiste ou musulman, Roger Garaudy a traversé la vie à dos d'un cheval analytique. Pour lui, le questionnement rationnel précède l'adhésion au dogme. « Ma foi commence là où s'arrête ma raison », disait-il.
Sur le hajj par exemple, un pilier incontesté de l'islam, Garaudy était révolté par les morts du jour de la station du mont Arafat. Ce lieu ne peut accueillir un million de personnes, sous le soleil, toute une journée, sans mettre en danger les plus fragiles. On compte trois millions de pèlerins sur le mont Arafat certaines années. La mort vient y faire ses courses. Logique !
« Préservons des vies humaines ! », s'indigne M. Garaudy. « Convenons d'Arafat sur trois jours à l'image des jours de l'Aïd ! », explique-t-il. Je trouve cette idée lumineuse, mais je sais qu'elle est utopique aussi. Il y a des questions où l'aspiration de la oumma transcende toute spéculation intellectuelle.
Par ses écrits, sa vie, Roger Garaudy laisse une œuvre complète. Artiste, philosophe, politique, croyant ou athée, chacun y trouve matière. Pour cela, il faut accepter de réfléchir par soi-même, ne pas accepter les réponses toutes faites.
Comme disait M. Garaudy, il faut « refuser la rationalité limitée ».