Le triomphe de Joseph, Cathédrale de Toulouse |
L’histoire de
Joseph, un ‘’ roman’’ ou un récit historique ?
Le récit est suffisamment connu
pour ne pas y revenir. Il est haut en couleur, plein d’éléments propres à
restituer le contexte historique local. La trame du récit alterne les épisodes
successifs( sans oublier la case prison comme dans le feuilleton télévisé Plus
belle la vie) avec un art consommé du suspense. Ne manque même pas une
séquence de sexe, sur le thème de la femme séductrice aguichant un beau jeune
homme( on l'appellerait une femme cougar aujourd’hui).
La recherche historique a soigneusement étudié
les termes et les expressions utilisés.
Werner Keller (1) signale que
Donald Redford(2) a relevé 23 indices,
comme l’usage de ‘’ sacs d’argent’’, le
titre de ‘’ Putiphar’’, le récit de l’investiture de Joseph, ...etc, concluant
que ces éléments ne peuvent provenir que d’une époque tardive de l’ancienne
Égypte. Et Werner Keller s’interroge: « La question reste posée
aujourd’hui plus que jamais: le Joseph égyptien de la Bible peut-il être
considéré comme un personnage historique?». » Selon Guy Rachet, « Il
semblerait d'ailleurs que la rédaction
finale de l'histoire de Joseph, à partir d'un ensemble de traditions, se soit
réalisée à l'époque de la domination perse . »(3)
Mais l’important n’est pas de
savoir si ce récit est historique ou un récit fictif, mélangeant habilement des
faits et des légendes. Ce qui est certain, c’est qu’il est considéré comme
historique par beaucoup, aussi bien juifs que chrétiens. L’important c’est de
comprendre quel est le message véhiculé par cette histoire.
Joseph, bienfaiteur ou rapace ?
L'Égypte va bénéficier de sept
années de récoltes abondantes. Joseph, nommé gouverneur du pays par le
pharaon, va mettre à profit ces années
pour amasser des stocks de grains dans les greniers
Pendant les sept années de fertilité, la terre
rapporta abondamment.
Joseph
rassembla tous les produits de ces sept années dans le pays d'Égypte; il fit
des approvisionnements dans les villes, mettant dans l'intérieur de chaque
ville les productions des champs d'alentour.
Joseph amassa
du blé, comme le sable de la mer, en quantité si considérable que l'on
cessa de compter, parce qu'il n'y avait plus de nombre.
Genèse 41:48-49
Succédèrent alors 7 années de famine et de disette
Il n'y avait plus de pain
dans tout le pays, car la famine était très grande; le pays d'Égypte et le pays
de Canaan languissaient, à cause de la famine.
Genèse 47:13
Joseph recueillit tout
l'argent qui se trouvait dans le pays d'Égypte et dans le pays de Canaan,
contre le blé qu'on achetait; et il fit entrer cet argent dans la maison de
Pharaon.
Genèse 47:14
La lecture de ces passages nous
interpelle. Si, à la rigueur, on peut comprendre la politique de Joseph vendant du blé aux
populations du pays de Canaan[ la Palestine actuelle], par contre il est
beaucoup plus choquant de le voir monnayer le grain aux Égyptiens. Nous
supposons que ce blé a été acheté à très bas prix, selon la loi de l’offre et de
la demande.
Fallait-il pour autant accaparer tout
l’argent disponible du peuple, en échange de blé. N’était-il pas du devoir
du Pharaon de sauver son peuple de la famine, sans l’étrangler
financièrement? A-t-on jamais vu, dans l’histoire des peuples, même au
temps des rois et des empereurs, aucune autorité organiser un tel chantage à la
famine pour récupérer tout l’argent de sa population ?. Et dans quel
intérêt épuiser les ressources financières, sans doute déjà minimes, de son propre peuple?
Après avoir soutiré tout leur
l’argent, Joseph va maintenant exiger en paiement que le peuple lui
fournisse tout son bétail, c’est à dire les seuls biens meubles qu’ils
possèdent encore.
Quand
l'argent du pays d'Égypte et du pays de Canaan fut épuisé,
tous les Égyptiens vinrent à Joseph, en disant: Donne-nous du pain! Pourquoi
mourrions-nous en ta présence? car l'argent manque.
Joseph
dit: Donnez vos troupeaux, et je vous donnerai du pain contre vos troupeaux,
si l'argent manque.
Ils
amenèrent leurs troupeaux à Joseph, et Joseph leur donna du pain contre les
chevaux, contre les troupeaux de brebis et de bœufs, et contre les ânes. Il
leur fournit ainsi du pain cette année-là contre tous leurs troupeaux.
Genèse 47: 15-17
Et dans une dernière étape, ne
disposant plus d’argent ni de cheptel, le peuple s’offre comme esclaves au
Pharaon. Prêts à lui abandonner, pour de la nourriture, leurs terres et leurs
propres personnes.
Lorsque cette année fut écoulée, ils vinrent à
Joseph l'année suivante, et lui dirent: Nous ne cacherons point à mon seigneur
que l'argent est épuisé, et que les troupeaux de bétail ont été amenés à
mon seigneur; il ne reste devant mon seigneur que nos corps et nos terres.
Pourquoi mourrions-nous sous tes yeux, nous et nos
terres? Achète-nous avec nos terres contre du pain, et nous
appartiendrons à mon seigneur, nous et nos terres. Donne-nous de quoi semer,
afin que nous vivions et que nous ne mourions pas, et que nos terres ne soient
pas désolées.
Genèse 47:18-19
Ici, on atteint le sommet de
l’ignominie et du racket. C’est abuser de la misère du peuple, pour
l’exploiter et le saigner jusqu’à l'extrême. Le comportement de Joseph nous
rappelle les agissement des spéculateurs
et de certains commerçants qui, et
malheureusement cela se passe
encore de nos jours, stockent des produits de première nécessité, en attendant
les temps de pénurie pour les revendre au prix fort.
Le
rôle d'autorités, soucieuses du bien de la population, serait, bien au
contraire, de venir à son aide, comme nous le montre l’exemple de
certains villes en France, après la terrible famine survenue à la à la fin du
17e siècle, sous le règne de Louis XIV, sans doute l’une des pires famines de
l’Ancien Régime.
« Sur les 22 millions de
personnes peuplant alors la France, les historiens estiment que la famine et
les épidémies de 1693-94 firent 1,5 million de victimes. Soit autant que la
Première Guerre mondiale, mais en seulement deux ans au lieu de quatre, et dans
un pays deux fois moins peuplé sous Louis XIV qu’au début du 20e siècle !
Pour ne plus sombrer dans une
telle horreur, les villes réagirent en construisant de grands bâtiments
destinés à stocker du blé acheté avec l’argent public juste après les moissons,
lorsque son prix était au plus bas. Ainsi ce blé irait alimenter les marchés en
cas de pénurie, tout en restant à un prix raisonnable. »
(4)
Le bâtiment de Lyon existe toujours. Il a
été construit en bord de Saône,
en
contrebas de la Croix-Rousse, et fut justement baptisé le Grenier d’abondance ». car il servait de lieu de stockage des
grains
Laurent Guyénot a raison lorsqu’il
écrit :
« L'histoire de Joseph,
endettant jusqu'au servage les paysans égyptiens, est profondément immoral.
Il est tout à fait central dans la saga du peuple élu(5), en garantissant la
bénédiction divine[ du dieu Yahweh](6) sur les abus pratiqués contre des
étrangers par les descendants de Jacob. Il illustre aussi la
capacité d'accaparer l'argent par la combinaison de deux leviers
complémentaires, le fermage d'impôt et le prêt à intérêt.[...]
Les classes dirigeants
confiaient souvent à des descendants d'Abraham le fermage de la collecte de
l'impôt.[..] et les paysans, lors de mauvaises récoltes, devaient recourir à
l'intermédiation des usuriers, les mêmes bien souvent que les collecteurs, pour
disposer des ressources financières nécessaires.
Les taux d'intérêt pratiqué sur
la population rurale pauvre avoisinaient communément les 65% et pouvaient
atteindre plus de 150%. Dans ces conditions, le prêt usurier n'est pas un
facteur de développement économique, mais d'appauvrissement du
peuple.. »(7)
Pour conclure, et en nous basant sur
les textes bibliques précités, Joseph,
présenté comme le sauveur de Égypte, un homme
providentiel, un gestionnaire extraordinaire, se révèle, au final, comme un accapareur,
un rapace jusqu'à l'os, un usurier, exploitant la misère humaine sans
la moindre compassion. De quoi réviser tous nos manuels de catéchisme....
|
MARC
(1) Werner KELLER, La Bible arrachée aux
sables, p.151-155
(2) Donald REDFORD, A Study of
the Biblical Joseph Story, Leyde, 1970
(3) Guy RACHET , La Bible,
mythe et réalités tome 1, p.383
(6)
Le livre Qui est le dieu Yahweh? analyse la véritable nature du dieu tribal nommé Yahweh
(7)Laurent
GUYENOT, Du Yahwisme au sionisme, Dieu jaloux, peuple élu, terre
promise,2500 ans de manipulations, p.153-154