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Jean Calvin(1509-1564) est
connu comme théologien auteur
d'innombrables commentaires des textes bibliques(1) mais surtout par son œuvre maîtresse
l'Institution de la religion chrétienne (1536). On reconnaît au
personnage une capacité de travail phénoménale, une intelligence hors du
commun, et des talents d'organisateur sans pareil. Sans doute, après la période
de bouillonnement intellectuel qui suivit la Réforme, initiée par Martin
Luther, était-il nécessaire, sinon indispensable, de stabiliser les initiatives
multiples et de fixer un cadre et une
organisation à l'église naissante. Ce fut la grande œuvre de Calvin.
Malheureusement, selon l' adage '' le Pouvoir rend fou'', Calvin, une fois installé solidement dans la
ville de Genève, va instituer une véritable dictature sur les habitants de la
cité.
Nous
ne nous attarderons pas à analyser les péripéties qui ont permis à Jean Calvin
de s'installer au pouvoir dans la ville de Genève. Toujours est-il qu'une fois
solidement en place [ à relever que ce sont les
Genevois eux-mêmes qui avaient fait appel à lui pour restaurer l'ordre dans
leur ville, ils le regretteront amèrement par la suite], Calvin va
mettre en œuvre un contrôle de la population analogue à ceux des dictatures
nazi, stalinienne ou nord-coréenne. Et non seulement un contrôle des mœurs
limité à la vie religieuse, mais bientôt étendu à toute la sphère privée de
chaque individu. Il va instituer un office spécial chargé de la surveillance
des citoyens. Les fonctionnaires de cette police ecclésiastique ont tout
pouvoir pour contrôler la population, de jour comme de nuit.
«
A n'importe quel moment, de nuit comme de jour, le marteau de votre porte peut
retentir et un membre de la police ecclésiastique apparaître pour une visite
sans qu'il soit possible de s'y opposer. Pendant des heures, - car il est dit
dans les ordonnances qu'il faut prendre le temps nécessaire, pour procéder à
loisir à l'inspection - il faut répondre à une foule de questions, si vous
savez bien vos prières ou pourquoi vous étiez absent au dernier prêche de
Calvin.... Cette Gestapo des mœurs fourre son nez partout, elle s’assure que
les robes des femmes ne sont ni trop longues, ni trop courtes, compte les
bagues et les chaussures dans l'armoire. .. Elle passe ensuite à la salle à
manger pour vérifier que l'on n'a pas
ajouté au seul plat autorisé une petite soupe ou un morceau de viande, ou si
l'on n'a pas caché quelque part des friandises ou de la confiture. Et le pieux
policier poursuit son inspection dans la bibliothèque pour savoir si ne s'y
trouvent pas des livres n'ayant pas le sceau de la censure ecclésiastique...Il
va interroger les domestiques pour leur soutirer des renseignements sur leurs
maîtres et n'hésite pas à questionner les enfants sur leurs parents... »(2)
Cette
police religieuse maintient la population dans une crainte continuelle et
utilise une armée d'espions pour dénoncer la moindre infraction. Les Talibans
afghans faisaient preuve du même obscurantisme et du même fanatisme,
interdisant consommation d'alcool, la cigarette, les jeux les plus anodins
comme le cerf volant. Aujourd'hui, malheureusement, les Talibans sont de
retour(3) et aux portes du pouvoir à Kaboul. On veut espérer qu'ils ont changé
mais l'espoir est ténu.
En
tout cas, pour les femmes afghanes, l'avenir s'annonce sombre. D'ailleurs, l'opinion sait-elle que même
après le départ, provisoire, des talibans, le gouvernement afghan avait mis en
place un ''Département de la
Promotion de la Vertu et la Prévention du Vice ''et qu'une police
religieuse, les Muhtasib, contrôlaient les bonnes mœurs islamiques de la
population ? Pas de chômage donc pour ces fonctionnaires de la vertu.....
En
Arabie saoudite, le pouvoir sunnite en place dispose depuis 1940 d'une force
spéciale de police très puissante dans le royaume, chargée de la répression du
vice. Ce sont les Muttawa, environ 3 500 policiers renforcés par
des milliers d'informateurs à travers tout le royaume. En Iran, le pouvoir
chiite a sa police religieuse appelée Gasht e Ershad (« Police de
la Vertu » en Persan)
Mais
revenons à Genève, et compatissons avec les malheureux citoyens de cette
ville'' libre''. Car, désormais tout,
strictement tout, y est interdit. Les espions sont légion et dénoncent tout
manquement aux stricts principes édictés par Calvin. Comme cela est habituel dans des régimes
oppressifs, les délateurs sont légion. Chacun surveille son voisin et alimente
le flot de la délation. Interdits les théâtres, les réjouissances, les fêtes
populaires, la danse et le jeu sous toutes ses formes. Interdits tous autres
vêtements que les plus sobres, ...les interdits foisonnent, et on se demande ce
qu'il est encore permis aux Genevois. Pas grand chose ; il est permis
d'exister, et de mourir, de travailler, d'obéir et d'aller à l'église...
Mais
comment, dira-t-on, une ville comme Genève, a-t-elle pu supporter un tel despotisme moral et religieux ? Le secret de Calvin n'est pas nouveau, c'est
le secret de toutes les dictatures. La terreur systématique organisée par un
État paralyse la volonté de l'individu. Calvin, cet intellectuel délicat et
pieux, aux nerfs sensibles et qui a horreur du sang, devient un monstre violent
et cruel contre tous ceux qui refusent de se plier à sa doctrine.
«
Au cours des cinq premières années de la domination de Calvin, il y eut à
Genève treize condamnations à la pendaison, dix à la décapitation, trente-cinq
à la mort sur le bûcher. Sans compter les condamnations à des peines de prison,
au point que le directeur de la prison
se voit contraint de faire savoir au Conseil ecclésiastique qu'il ne peut plus
loger aucun prisonnier ! »(4)
Il
faudrait encore évoquer la haine de Calvin envers Michel Servet (5), coupable
de mettre en doute la doctrine de la trinité. Cette haine va conduire
Calvin à faire brûler Servet sur un
bûcher le 27 octobre 1553.(6) Stefan Zweig, dans son pamphlet '' Conscience
contre violence'' rappelle cette
histoire atroce. Nous ne l'évoquerons pas et encourageons nos lecteurs à lire
ce texte magnifique.
Sébastien
Castellion, dans son '' Traité des hérétiques ''(7) va faire entendre la
voix de la tolérance, face au fanatisme de Calvin. Bien entendu, il déchaînera
contre lui la fureur du réformateur genevois. Seule une mort soudaine, à l'âge
de quarante-huit ans, le 29 décembre 1563, lui évitera le procès qui le
menaçait.
Alors,
les Muttawa, Muhtasib , Gasht e Ershad et autres polices de la vertu ont, en Jean Calvin, un précurseur et un
modèle. Si nous visitons Genève, rappelons nous aussi cet épisode certes oublié
aujourd'hui, mais qui jette une ombre sanglante sur Calvin.
MARC Jean
(2) Stefan Zweig, Conscience
contre violence, Le Castor Astral, p.57-60
(3) pour reprendre le titre
d'un livre d'Ahmed Rashid, Le retour des talibans, publié en 2009
(4) Conscience contre violence,p.62
(6) A Champel, aux portes de Genève, se dresse un
lourd bloc de granit gris. C'est là, au centre de la place du Marché, le 27
octobre 1553, que s'élevait le bûcher où fut brûlé vif Michel Servet, génial
médecin, coupable d'avoir osé s'élever contre Calvin. Sur le bloc est
gravé : '' Fils respectueux et reconnaissants de Calvin, notre grand
réformateur, mais condamnant une erreur qui fut celle de son siècle, et
fermement attachés à la liberté de conscience selon les vrais principes de la
Réformation, et de l’Évangile, nous avons élevé ce monument expiatoire'' .
Dans sa préface à l’ouvrage de Stefan Zweig,
Hervé Le Tellier évoque
'' une inscription tartufe, nauséabonde de bigoterie......''
(7)Engagé au cœur de la Réforme du 16ème siècle,
Sébastien Castellion est un exemple éclatant d’intellectuel courageux. Disciple
de Calvin à Strasbourg puis régent du Collège de Rive fondé par Calvin à
Genève, il n’hésite pas à s’opposer à lui et à son entourage. Homme de science
(ses traductions de la Bible en Latin puis en Français furent remarquées dès
leur parutions) , de foi et de courage, (durant l’épidémie de peste de 1543, il
va à l’hôpital de Genève assister les malades alors que les pasteurs
calvinistes s’y refusent), il n’admet pas les compromissions et les hypocrisies
de la théocratie genevoise et s’exile à Bâle où il survivra dans la misère.
Mais c’est l’exécution de Miguel Servet sur un bûcher dressé par les genevois
calvinistes qui le poussera à écrire le « Traité des Hérétiques ».
Ouvrage précurseur et fondateur, ce texte
jette les bases philosophiques de la tolérance religieuse, et annonce la
philosophie des Lumières.
LIRE ICI UN ARTICLE DE ROGER GARAUDY SUR CALVIN: http://rogergaraudy.blogspot.com/2012/03/la-memoire-de-calvin.html