03 juin 2018

1913-1995. Ebauche de biographie.

 Il n'est pas facile de définir un homme tel que Roger Garaudy tant le personnage
possède de facettes1. Il est vrai qu'il s'est produit en ce siècle plus de changement
qu'en cinq mille ans d'histoire écrite. Que peut-on donc dire d'un homme qui non
seulement a eu la chance d'assister à ces prodigieuses mutations, mais qui de surcroît
en a été pleinement acteur? De son propre aveu, la grande affaire de sa vie fut d'en
trouver le sens et celui de l'histoire...2
Roger Garaudy est né à l'aube de la première guerre mondiale (le 17 Juillet
1913) d'une mère ouvrière modiste et d'un père employé comptable. Son père étant
revenu mutilé de la guerre 14-18, il fut boursier, pupille de la nation pendant toute sa
scolarité. Il fait ses études au lycée de Marseille, au lycée Henry IV de Paris puis à la
faculté de lettres d'Aix et celle de Strasbourg.
Roger Garaudy a 20 ans lorsque Hitler devint chancelier. Ses années de
jeunesse furent marquées par les convulsions d'un monde au prise entre les
bouleversements économiques et les déchirements politiques. L'année 1933 est donc
pour lui l'année des grands engagements : c'est en tant que chrétien qu'il demande
son adhésion au parti communiste français.
En 1936, il obtient son agrégation de philosophie. De là, il part pour Albi où
l'attend un poste de professeur, l'année suivante il est élu membre du bureau fédéral
de la fédération communiste du Tarn. De ces années d'immédiat avant guerre deux
rencontres marquèrent sa vie:
- A Noailles, il est présenté à Maurice Thorez, alors secrétaire général du parti
communiste français. Cette rencontre jouera un rôle décisif dans l'engagement
politique de Roger Garaudy car ce dernier ne cessera d'être un ami et un conseiller
critique, lui permettant de déjouer le pièges des hautes responsabilités politiques.
- Au printemps 1939 il adresse à Romain Rolland son premier essai littéraire, Le
premier jour de ma vie (roman d'amour entre une mystique et un militant). Une
réponse de 8 pages3 l'exhortant à poursuivre l'oeuvre de Christophe en "reliant les
grandes forces de vie" préfaça à jamais la mission dont que s'attribua Roger Garaudy.
Lorsque la guerre éclate, Roger Garaudy est versé dans une division d'infanterie
nord-africaine en raison de son lourd dossier de R.P (Propagandiste révolutionnaire). Il
gagnera une croix de guerre et deux citations sur le front. Le 14 septembre 1940, il
est arrêté pour avoir tenté de reconstituer clandestinement le parti communiste. Sur le
procès verbal d'arrestation était inscrit :"individu dangereux pour la défense nationale
et la sécurité publique".
Roger Garaudy passera 33 mois en déportation. Cette expérience de la mort
restera fondamentale pour son existence car elle lui permettra de mettre sa vie en
perspective. La transcendance du vécu donnera désormais une profondeur toute autre
à l'oeuvre de ce philosophe. Durant ces mois de geôle, il donnera des cours sur les
prophètes à un auditoire hétéroclite, souvent ouvrier et généralement athée.
Libéré le 16 juin 1943, Roger Garaudy sera pour 2 mois rédacteur en chef du
journal parlé de Radio-France [A Alger, NDLR]. Il en sera renvoyé pour avoir dénoncé les lenteurs de l'ouverture d'un second front. Il prend alors un poste de professeur au lycée Delacroix qu'il quitte très vite à la demande d'André Marty (dirigeant de la délégation du PCF en Algérie) dont il devient le proche collaborateur. Il devient aussi pour une année,
directeur du plus grand hebdomadaire d'alors, Liberté. En octobre 1944 Roger
Garaudy rentre clandestinement en France.
Dès la libération il devient permanent du Parti Communiste. Responsable
communiste, il sera élu député du Tarn en 1945 et restera parlementaire jusqu'en
1962. Durant cette période il restera un communiste militant et s'illustrera dans des
actions telles que la résurrection de la verrerie ouvrière d'AIbi en 1946, ou la grève des
mineurs de Carnaux en 1948. La même année, après des recherches approfondies
dans les archives vaticanes, il publie un reportage critique sur la hiérarchie catholique.
En 1949 il parcourt 14 pays d'Amérique Latine. Parti en compagnie de Paul
Eluard4, il se fera dans ces pays des amitiés précieuses dont Pablo Neruda ou le
général Cardenas. A son retour Roger Garaudy publie un reportage réquisitoire contre
l'exploitation et l'oppression de l'Amérique Latine.
De 1951 à 1955, Roger Garaudy est en Vacance parlementaire en raison de la
nouvelle loi électorale. Ces années sont mises à profit pour soutenir le 25 juin 1953,
sous la présidence de Gaston Bachelard, une thèse ayant pour thème la théorie de la
connaissance chez Helvétius. La même année, il part pour l'U.R.S.S. en tant que
correspondant du journal l'Humanité. Il met à profit cette année non seulement pour
parcourir le pays, mais aussi pour préparer un nouveau doctorat ayant pour thème la
liberté. Cette thèse, soutenue le 5 juillet 1954 devant l'institut de philosophie de
l'académie des sciences de l'U.R.S.S., lui vaut d'être le premier Français reçu docteur
es sciences [en URSS, précision ajoutée par RG].
Dès 1955 Roger Garaudy reprend, jusqu'en 1962, sa place dans l'hémicycle de
l'assemblée nationale. Il sera d'ailleurs vice-président5 de cette assemblée de 1956 à
1958. C'est à cette même époque qu'il prend conscience de la possibilité d'un dialogue
entre les grands courants de la pensée contemporaine. Cette nouvelle espérance le
conduit à écrire Perspective de l'homme en 1959. Dès cet instant des dialogues
prennent place entre catholique, Marxistes et existentialistes. Pendant près de dix
années Roger Garaudy sera un des principaux acteurs des débats qui eurent lieu
entre théologiens chrétiens et philosophes Marxistes. Dans cet esprit il crée en 1960
le Centre d'Etude et de Recherche Marxiste (CERM); Centre qu'il présidera pendant
dix ans. Et il organise dans le même sens les semaines de la pensée Marxiste.
1962 marque la fin de la carrière parlementaire de Roger Garaudy. Elu sénateur
en 1960, il quittera ses fonctions dès 1962 parce qu'il s'ennuie. Il qualifiera d'ailleurs lui
même ces quatorze années "d'années perdues au parlement". Libéré de ses mandats
politiques Roger Garaudy poursuit sa carrière d'universitaire et d'intellectuel engagé.
En 1965 il publie De l'anathème au dialogue, petit livre qui sera pour tous le livre clé du
dialogue entre chrétiens et marxistes.
L'année 68 qui fut l'année des folles espérances pour des milliers de personnes,
fut l'année où les rêves communistes de Roger Garaudy se brisèrent. Lors du coup de
Prague l'année suivante, le divorce entre Roger Garaudy et les hautes sphères
dirigeantes du parti se consomme lorsqu'il condamne l'intervention des troupes
soviétiques en Tchécoslovaquie. Un blâme public est publié contre lui dans
l'Humanité.
Le 6 février 1970, lors du dix-neuvième congrès du PCF Roger Garaudy résume
ses thèses entérinant ainsi la rupture avec les instances dirigeantes de parti. Il est
aussitôt dessaisi de toutes ses responsabilités (Bureau politique dont il était membre
depuis 12 ans, comité central où il avait été élu dès 1945, ainsi que le CERM dont il
était le fondateur), après la publication d'un livre blanc {Toute la vérité) où il fait le bilan
de son rôle dans le parti depuis 1960, il est définitivement exclu du parti.
Roger Garaudy se consacre alors pleinement à l'enseignement. Il donne ainsi
jusqu'à sa retraite des cours d'histoire de la philosophie et de théologie à la faculté
Arago de Paris ainsi que des cours d'esthétique à Poitiers. Il s'intéresse de plus en
plus à l'art qu'il définit comme le "langage du sacré". Il publiera plusieurs études sur la
peinture, la sculpture, la poésie, l'architecture et la danse dont Danser sa vie en 1973.
Dans le même temps, il s'initie à la pensée africaine et conçoit, écrit et réalise un long
métrage {Dyonisos noir) où il dégage l'apport des cultures africaines à la civilisation
universelle. Les voyages continuent et il pénètre les mystères de l'Asie en passant par
la Chine et le Japon.
1979 marque un nouveau tournant dans l'existence de Roger Garaudy. C'est
l'année où il lance son Appel aux vivants. Plus qu'un best-seller (190 000 exemplaires
seront vendus) ce livre est un véritable projet politique pour offrir un avenir humain à
l'homme. Et, deux années avant l'échéance présidentielle, il annonce sa candidature à
cette élection.
Les années 80 marquent aussi la rupture avec la pensée purement occidentale.
Depuis plusieurs années déjà Roger Garaudy percevait dans le Coran la continuité
des messages de la Torah et des Evangiles. A ce sujet, il publiait en 1981 Promesse de
l'Islam où il expliquait ce qu'était pour lui le message du Prophète. Le 2 juillet 1982,
une nouvelle page se tourne : Roger Garaudy se convertit à la foi Musulmane. Depuis
ce jour il n'a de cesse que d'en dénoncer les interprétations erronées qui ont cours à
notre Époque. Les voyages prennent la direction des terres d'Islam : Jordanie, Liban,
Iran, Irak, Turquie, Malaisie etc ) * ..
En 1983 Roger Garaudy publie l'affaire Israël (suivie par Palestine terre des
messages divins) où, s'appuyant sur des documents incontestés, i! établit la non
légitimité historique des revendications israéliennes pour la possession de la terre de
Palestine. La publication de ces ouvrages signera son arrêt de mort médiatique en
France.
En 1984, la mairie de Cordoue offrira la Tour Calahorra à Roger Garaudy afin qu'il
y crée un musée consacré à l'apport de la culture musulmane en Espagne. Ce musée
dont il est encore à l'heure actuelle président d'honneur reçoit plus de cent mille
visiteurs par an.
En 1989 il publie ses mémoires sous le titre évocateur de "Mon tour du siècle en
solitaire". Trois années plus tard Roger Garaudy dresse un bilan de notre société
actuelle dans deux livres, les Fossoyeurs et Intégrismes, où il met en lumière les grands
dangers qui menacent l'avenir humain.
Son dernier livre, Avons nous besoin de Dieu? replace Roger Garaudy sur l'avant-scène
des intellectuels. Malgré les réticences de la hiérarchie catholique, sa
démonstration sur Saint-Paul est approuvée par les plus grands théologiens [« de grands théologiens », rectifie RG]. De même cette question fondamentale, "Avons nous besoin de Dieu?", relance le débat entre la politique et la théologie.
Actuellement deux livres sont en préparation. L'un {Souviens-toi) consacré à
l'URSS [du temps de sa splendeur va sortir ces jours-ci]; l'autre (Le débat du siècle)
poursuivra les pistes lancées par Avons nous besoin de Dieu?.


A. Z
Juin 1995
[Archives de RG]