16 août 2017

L'art de la Renaissance et l'art du 20e siècle

L’homme occidental à travers son art (suite)


L'art de la Renaissance. L'économie marchande et la
concentration urbaine, le commerce à longue distance,
ont créé une forme nouvelle d'économie : le capitalisme.
La classe qui détient les formes nouvelles de la
richesse est en pleine ascension. Les découvertes
scientifiques et techniques, à la fois cause et conséquence
de cette métamorphose de l a société, l'exploration
des mondes nouveaux, tout relativise les valeurs
anciennes, fait passer l'esprit d'entreprise et d'aventure
avant les vertus anciennes de l'obéissance et de la  
                                                                                                  
 Dessin de Léonard de Vinci.
Les proportions du corps humain
d'après Vitruve. Vers 1492.
(Académie royale, Venise.)
résignation, les valeurs de la raison qui transforme le
monde avant celles de la contemplation et de la foi.
Le langage plastique est bouleversé par cette
nouvelle vision du monde et de l'homme. La perspective
n'est plus théocentrique comme dans l'art
byzantin ; l'espace n'est plus compartimenté, comme
dans la peinture gothique. La perspective est définie à
partir de l'homme, de l'homme individuel. Tout
s'ordonne à partir de son regard. Il est le centre et la
mesure de toutes choses. Il prend possession de
l'espace, qui devient le chantier de son activité. Tous
les compartimentages sont balayés et, jusqu'à l'horizon
d'un espace sans limite, règne un seul réseau géométrique
de rapports où tout est mesurable, transparent à la
raison, soumis à la maîtrise de l'homme q u i a pris la
relève de Dieu.
A l'humanisation du divin a succédé une divinisation
de l'homme.

L'art du XXe siècle.Cette esthétique de la
Renaissance, définissant la peinture comme reconstruction
du monde selon un plan humain, régnera
pendant trois siècles. Elle dégénérera en académisme
dès la fin du XVIIe siècle (c'est-à-dire qu'elle continuera
à mettre en oeuvre les mêmes formules mais sans être
vivifiée par l'expérience conquérante du monde qui en
était l'âme).
Elle ne commencera à être mise en question que
lorsque seront elles-mêmes mises en question les fins de
la vie et de l'histoire. Avec la Révolution française
germe l'idée que l'homme peut créer un autre ordre de
la société (au lieu de se limiter à reconstruire l'ordre
existant). La conception même de l'art s'en trouve
changée. Tout comme dans les sciences, la vérité
apparaîtra de moins en moins comme une concordance
de l'idée avec les choses, avec un monde tout fait ;
l'Allemagne de Goethe et de Fichte, comme l'écrira
Delacroix après Madame de Staël, « ne considérait
point l'imitation de la nature comme le principal objet
de l'art ».
Le rôle de l'art sera de plus en plus de créer un
univers autonome ayant ses lois propres. Il n'aura plus
pour tâche n i d'évoquer un ordre divin ni d'explorer
l'ordre naturel, mais de préfigurer un ordre futur, un
ordre possible.
Cette conception, née en Allemagne dès la fin du
XVIIIe siècle, se développa notamment avec Turner,
avec Delacroix, Baudelaire, puis Manet, Van Gogh et
Gauguin, Paul Klee, Matisse et Picasso, Delaunay et
Mondrian.
Dans cette nouvelle voie, les artistes cherchent des
confirmations de leurs recherches dans les arts non occidentaux:
Manet découvrira l'arabesque et l'aplat
de couleur chez les Japonais ; Van Gogh seul retrouvera,
Picasso,
« Femme à la Mandoline », 1909.
du dedans, l'âme de la peinture japonaise et pas seulement ses procédés; Matisse et Paul Klee découvriront les arts de l'islam ; les expressionnistes
allemands, les cubistes, les surréalistes, les arts de l'Afrique et de l'Océanie ; les peintres de l'« action painting » retrouveront la démarche de la peinture Zen et les abstraits, la calligraphie chinoise ou les grands mythes amérindiens.
En dehors de cet effort de renouvellement par une intégration des plus hautes découvertes de l'art de tous les peuples et de tous les temps, il n'y a que des aventuriers du « non-art », en quête d'aberrations inédites et capables seulement de refléter la désintégration d'un monde occidental de la croissance sans finalité humaine.
Un réseau commercial de galeries marchandes, relayé par la publicité, se charge de faire croire qu'il  s'agit là d'art et d'originalité subversive, et de donner à
ces déchets un prix.

En dehors des errants, les peintres occidentaux les
plus conscients cherchent à rejoindre, après vingt
siècles de sécession, la voie royale de l'art mondial :
« rendre visible l'invisible », comme l'écrit Paul Klee
et, selon un artiste Song du XIe  siècle : « Faire pousser
des branches nouvelles sur l'arbre de la réalité. »


Roger Garaudy
Comment l’homme devint humain
pages 306 à 313