03 août 2017

L'art gothique


Si l'art roman marquait le passage
de l'Eglise des moines à celle des pèlerins, l'art
gothique est celui de l'Eglise de la cité, de la
cathédrale, commandée par un évêque dans une ville
riche. Dans cette société, où se développent toujours
davantage les villes et le commerce lointain, l'on ne
cherche plus le salut par le refus monastique du
monde, mais par l'incarnation dans  la vie du peuple.
A l'inverse du monastère, où le cloître est le centre
d'un univers clos, la cathédrale gothique s'ouvre à tous,
comme elle s'ouvre à la lumière.

La cathédrale est un microcosme. Son porche doit
évoquer l'entrée du Paradis, où l'on est accueilli par le
Christ, la Vierge et les saints. Et l'intérieur préfigure la
Jérusalem céleste.
Sans doute l'architecture gothique est une réponse
aux problèmes posés au bâtisseur roman : accueillir
des foules de plus en plus nombreuses. Mais la solution
exige un changement radical d'échelle : pour créer
d'immenses nefs, il ne suffit plus seulement de briser le
berceau par des voûtes d'arêtes avec leurs arcs brisés
répartissant la poussée entre les quatre angles de la
travée.
La croisée d'ogives, arc diagonal bandé pour
renforcer la voûte suggérée par les nervures des
coupoles de l'art musulman, est une solution radicalement
nouvelle des problèmes anciens. A la voûte
compacte se substitue la voûte articulée, qui permettra
de lancer dans le ciel les flèches les plus audacieuses,
d'ouvrir les murs à la lumière de Dieu, de créer la fine
dentelle des arcs-boutants à l'extérieur de l'Eglise.
La recherche de la lumière, par des constructions
de plus en plus légères, est le moteur du développement
de l'art gothique, et de cette recherche naîtra l'art
nouveau et merveilleux du vitrail , mosaïque et
alchimie de la lumière transmutée en langage divin.

Ces cathédrales gothiques, de plus en plus hautes,
de plus en plus légères et lumineuses, cette architecture
qui se libère des servitudes de la pesanteur, n'exigent
plus de la sculpture qu'elle participe aux fonctions de
l'édifice. La sculpture est ainsi libérée et peut répondre
aux besoins nouveaux: le besoin d'un Christ humanisé,
proche de l'homme par ses souffrances comme par
son amour et sa difficile victoire. La bourgeoisie des
villes, et non plus les seigneurs féodaux ni les abbés des
monastères, attend un Christ à son image et partageant
sa vie quotidienne. Le Christ et les saints prennent de
plus en plus le visage réaliste de l'homme de tous les
jours. Le portrait individualisé se développe en
sculpture et en peinture.

Dans la cathédrale gothique entre désormais toute
la vie d'un peuple avec ce qu'il éprouve et ce qu'il
redoute, ce qu'il désire et ce qu'il rêve.

Roger Garaudy  Commentl'homme devint humain  pages 232-234


La Pietà de Villeneuye-lès-Avignon.
Vers 1455. Le réalisme devient
expressionnisme. L a houle des
silhouettes des personnages
sanglotants contraste avec le corps
brisé et rigide du Christ.
Symétrie de la composition
et « rimes » plastiques des lignes
de force traduisent une réalité
qui dépasse la simple nature.
(Musée du Louvre, Paris)