10 mai 2016

L'alternative (2). Un changement des structures



L'absence de finalité humaine dans l'économie et dans
la société en général découle du principe même du capitalisme.
De la Renaissance au début du xxe siècle, le phénomène
dominant, c'est l'extension de l'économie marchande.
La rupture des grands axes de communications
terrestres de l'Empire romain par les invasions barbares
et, quelques siècles après, la maîtrise de la Méditerranée
par les Arabes, avaient ramené l'Europe à une
économie morcelée, où le marché ne jouait plus qu'un
rôle subalterne, local, dans les unités économiques
restreintes du monde féodal. Ni les hommes, ni la terre,
ni l'argent n'étaient soumis aux lois du marché : des
normes non économiques, mais découlant des hiérarchies
politiques et religieuses réglementaient le travail
des hommes et la propriété des terres, non transmissibles
par voie commerciale; le trafic de l'argent, bloqué
par l'interdiction du prêt à intérêt, assimilé à l'usure,
ne pouvait se faire que sporadiquement, par ceux qui
vivaient en dehors de la société féodale, en marge
d'elle ou dans ses pores, comme par exemple, les Juifs.
Avec le rétablissement, par le refoulement des Turcs,
de la navigation commerciale en Méditerranée, avec
les grandes découvertes permettant le pillage de trois
continents, les vieilles aristocraties de la terre et du sang
et les interdits religieux furent démantelés. Une nouvelle
richesse et une nouvelle puissance naissaient, en
dehors de la propriété foncière, de la société féodale et
sacrale. Elle n'était plus fondée sur l'hérédité de la
noblesse ou l'ordination ecclésiastique, mais sur la force
et la ruse des hommes de la conquête et du négoce.
Les nouveaux maîtres du monde, fondateurs des
premières « compagnies » coloniales drainant, par tous
les moyens, fût-ce par l'extermination de continents
entiers, comme en Amérique, par la traite des
esclaves, comme en Afrique, par le pillage de civilisations
plus avancées, mais moins armées que celles de
l'Europe, comme en Asie, créèrent ainsi, entre le xve et
le xxe siècle, à l'échelle de la planète entière, une structure
inédite des rapports humains : pour la première
fois dans l'histoire le marché tendait à devenir universel.
Toute entrave religieuse, morale ou politique à cette
universalisation du marché était éliminée et la recherche
du profit devenait le moteur unique de l'entreprise. Le
fait nouveau n'était pas le marché, mais l'absolutisme
du marché, n'acceptant d'autres lois que les siennes
et se soumettant tous les autres rapports sociaux.
C'est ce qui caractérise le capitalisme et le distingue
de tous les autres systèmes sociaux historiquement
réalisés[…] 
Roger Garaudy
Stimulée par de grandes inventions dans les techniques
de la production et des transports (notamment par ceDe
de la machine à vapeur), par les progrès de la communication,
depuis l'imprimerie jusqu'à la radiotélévision,
par le perfectionnement du système du crédit et de
l'échange, de la Banque et de la Bourse, l'économie
fondée sur le marché et le profit, l'économie typiquement
capitaliste, en trois siècles, créa les institutions
capables de faire entrer toutes choses dans les libres
circuits du marché.
D'abord l'argent, en obtenant l'abrogation des interdits
religieux sur l'usure et le prêt à intérêt. Ensuite
la terre, dont la mise en vente portait un coup mortel à
la féodalité. Enfin le travail humain, l'homme lui-même,
pas seulement par l'institution de la traite des nègres,
mais par celle du salariat transformant la force de
travail en une marchandise assujettie, comme toutes
les autres, aux lois du marché. Le capitalisme, disait
Lénine, c'est le système de l'économie de marché ayant
atteint le stade où le travail devient une marchandise.
L'argent, la terre et le travail n'étant plus que des
unités commerciales impersonnelles, soumises aux lois
de l'offre et de la demande, devinrent ainsi des rouages
parmi d'autres de ce grand mécanisme régi par les
seules lois de la jungle des affrontements d'intérêts
privés. La « liberté » engendrée par le marché c'est,
sous sa forme la plus pure, l'enregistrement des rapports
de force entre les différents possesseurs de richesse.
Chaque chose a désormais son prix, résultante de cette
bataille aveugle de tous contre tous.
Tout peut être acheté et vendu. Il n'est rien qui ne
soit happé dans les engrenages de ce moulin du diable.
L e capitalisme n'est pas seulement un système économique.
Car ce système économique implique nécessairement
une structure sociale, des rapports sociaux hiérarchiques
entre le pouvoir de la minorité possédante et
la dépendance de ceux qui ne possèdent pas les moyens de
production ; une structure politique qui, sous des formes
diverses, reflète cette dépendance économique et sociale;
 enfin un modèle de culture et de civilisation
dans lequel les hommes sont façonnés par les exigences
du marché, de la concurrence, du profit, manipulés
par ceux qui détiennent, avec le capital, l'écrasante
majorité des moyens d'expression (presse, édition,
cinéma, radiotélévision, publicité, etc.).
Une société régie par les lois aveugles de la concurrence
de tous et du profit de quelques-uns, où la fonction
d'investissement n'est pas une fonction sociale mais
relève de la seule entreprise privée, échappe à tout
contrôle conscient de ses fins.
C'est la première société dans l'histoire, qui ne soit
fondée sur aucun projet de civilisation.
C'est un lieu commun de dire que depuis la Renaissance
nos sociétés « occidentales » sont désacralisées.
Ce n'en est pas moins une erreur. Une société sacralisée
c'est une société fondée sur une fin absolue, extérieure
et supérieure à la volonté des individus qui la composent.
Dans les cités grecques puis dans la société romaine,
la religion, le culte public, exprimaient le but de la
société : respecter l'ordre divin. Avec le déclin de
l'Empire romain l'Église hérite cette fonction. Significativement
le titre de « pontifex maximus » (souverain
pontife) est transféré de l'Empereur au Pape. Pendant
plus d'un millénaire, de l'Empereur Constantin à la
Renaissance, nos sociétés occidentales ont été fondées
sur la certitude qu'il existait un ordre voulu par Dieu
et que toutes les vertus de la vie personnelle ou collective
découlaient de l'exigence de se conformer à ce plan
divin.
Depuis la Renaissance, avec le développement du
commerce, puis de l'industrie, les divers aspects de
la vie des hommes, économie, puis politique, puis vie
intellectuelle et morale conquièrent leur autonomie
par rapport à cette vision du monde.
Une telle société est sécularisée, en ce sens que la
religion y est devenue « affaire privée ». Mais elle n'est
pas, pour autant, désacralisée, car elle demeure soumise
à une fin absolue, extérieure et supérieure à la volonté
des individus qui la composent, bien que cette fin n'ait
plus une forme religieuse : le succès économique des |
entreprises (individuelles ou collectives) devient une I
fin en soi.
Le développement technique étant la condition
de la « reproduction élargie » du système, ce développement
technique devient à son tour une fin en soi.
Dès le XVIe siècle Descartes ouvrait la perspective
d'une « science qui rende maîtres et possesseurs de
la nature ». Dès le xve siècle la notion de «progrès »
était devenue l'équivalent de l'ancienne « Providence »
comme norme absolue de l'action des hommes, le progrès
étant défini comme un constant accroissement
de la production, de la consommation, du profit, de
l'efficience. Les noms plus modernes de « croissance »
ou de « développement » désignent les mêmes réalités
et les mêmes mythes, et relèvent des mêmes critères.
Galbraith a résumé en une boutade le caractère fondamental
d'une telle civilisation : tout s'y passe comme
si saint Pierre, pour orienter les uns vers le paradis,
les autres vers l'enfer, leur posait cette seule question :
qu'as-tu fait, sur la terre, pour augmenter le produit
national brut ?
Dans de telles sociétés subsiste une finalité absolue :
la croissance pour la croissance, mais c'est une finalité
sans fin, ou plus exactement : sans fin spécifiquement
humaine. Le jeu de la concurrence, entre les individus,
entre les entreprises, entre les nations, est tel que plus
personne ne prend de décision sur les fins, mais seulement
sur les moyens, les moyens d'optimaliser le profit
ou la croissance.
Ainsi la finalité absolue, extérieure et supérieure
aux volontés des individus, demeure, mais, au lieu
d'apparaître ouvertement comme transcendance d'une
loi divine, elle est masquée comme immanence d'une
loi naturelle.

Comment a-t-on pu aboutir à une telle désintégration
de la société et de l'homme?
Par la souveraineté du marché happant dans ses
mécanismes le travail, la terre et l'argent.

En faisant de la force de travail de l'homme une
marchandise le capitalisme perpétue le dualisme, caractéristique
de toute société fondée sur l'opposition
de deux classes fondamentales : ceux qui sont propriétaires
des moyens de production (autrefois maître
d'esclaves, puis le féodal propriétaire de la terre, aujourd'hui
le capitaliste, propriétaire des machines et
des installations), et ceux qui, ne l'étant pas, sont soumis
aux premiers, (sous forme héréditaire comme les serfs
à leurs seigneurs, ou sous forme de la vente de leur
force de travail, comme les ouvriers à leurs patrons).
Ce dualisme, cette dépendance de l'immense majorité
à l'égard d'une minorité économiquement dominante,
est flagrant. La lutte de classe n'est pas une invention
des révolutionnaires. L'évêque d'Arras, Monseigneur
Huyghe, constate : « Aucun ouvrier ne possède la garantie
de son métier. Il peut être mis à pied sans aucun
recours et pour n'importe quel motif. Avant d'être embauché,
il est invité impérieusement à confesser sa vie et
à révéler ses convictions. Et il peut être congédié pour
des motifs qui regardent sa conscience. Certains disent
aujourd'hui qu'il n'y a plus de classes. Je constate
qu'il y a au moins deux classes d'hommes : les hommes
qui demandent un emploi qu'ils peuvent perdre du
jour au lendemain, les hommes qui ont le pouvoir
absolu de congédier. »
Dans les manuels officiels d'économie politique le
mot « d'exploitation » est banni comme étant un terme
polémique et non scientifique. Nul ne songe pourtant
à nier que le maître d'esclaves exploitait son esclave,
c'est-à-dire tirait de son travail plus que ne coûtait
son entretien. Nul ne songe à nier qu'il en était de même
du féodal à l'égard des serfs. E n le niant lorsqu'il s'agit
de l'ouvrier moderne, l'on rend inintelligible l'accumulation
du capital. A la différence de l'esclave ou du
serf il n'existe aucune obligation légale, pour l'ouvrier,
de rester attaché à tel maître particulier, mais une
nécessité purement économique, celle de vivre, l'oblige
a en avoir un, qui dispose des moyens de production et
de la distribution du salaire. Tant que ce privilège
subsistera, la dépendance en découlera avec la même
implacable nécessité qui ferait un souverain absolu,
maître de la vie et de la mort, de celui qui disposerait,
avec les moyens de défendre ce monopole, de la propriété
d'un puits dans le désert.
L'exploitation du salarié revêt aujourd'hui des
formes nouvelles : même lorsque l'ouvrier n'est plus,
en général, acculé à la faim et à l'épuisement physiologique,
comme il le fut au  XIXe siècle, il est doublement
aliéné et son aliénation comme consommateur découle
de son aliénation comme producteur : c'est le même
système qui, à la fois, l'abrutit et le vide de sa substance
par la durée et le rythme du travail, et qui le
manipule et le conditionne pour lui créer les seuls
besoins rentables pour le capital. L'exploitation n'est
pas seulement ce qu'on vole au travailleur comme argent,
c'est ce qu'on lui enlève comme qualité de vie. La
science et la technique, depuis la Renaissance, n'ont
pas libéré l'homme.
Le manoeuvre noir ou mexicain de Los Angeles
possède une automobile : l'absence quasi totale de
transports en commun l'y oblige pour se rendre à son
travail. Il s'endette donc pour des années (pratiquement
toute sa vie) pour acquérir sa voiture puis pour la
renouveler. Il multiplie les heures ou les rythmes de
son travail afin d'obtenir les primes pour payer les
échéances. Il atteint ainsi ce degré d'abrutissement
et de destruction de la qualité humaine de la vie où il
ne connaîtra plus d'autre détente que de somnoler
devant son poste de télévision (acheté lui aussi à crédit)
pour regarder le match de base-ball ou la bagarre d'un
film d'espionnage ou de gangsters, ou bien de feuilleter
un illustré pornographique, si toutefois i l ne cherche
pas à se doper ou à s'évader avec « l'herbe » ou « l'acide ».
C'est le « haut niveau de vie » dans sa définition américaine
[…] Si nous continuons d'accepter d'être happés par les rouages
du moulin du diable, nous ferons bientôt aussi bien.
Ce n'est pas seulement la notion du marché qui est
condamnée mais celle du salariat qui en découle. Dès
maintenant (et plus encore dans l'avenir) existe la
possibilité technique de produire la totalité des biens
de consommation nécessaires avec un petit nombre
de travailleurs et des journées de travail très courtes.
Lord Bowden prend acte de cette situation nouvelle
à partir de l'exemple du pays capitaliste le plus riche :
« L'économie des États-Unis se trouve dans une situation
extraordinaire : la moitié de la population active
suffit à satisfaire les besoins des habitants du pays...
de sorte que les pouvoirs publics sont obligés de trouver
un emploi pour l'autre moitié. » Le capitalisme ne peut
survivre qu'en multipliant les emplois inutiles ou nuisibles
(armée, intermédiaires, parasites).
[…]Il devient de plus en plus impossible de maintenir1
un système dans lequel les revenus (patronaux ou
salariaux) sont distribués par les entreprises alors que
ni les salaires ni les prix ne correspondent au progrès
de la productivité du travail, de maintenir un système
dans lequel la satisfaction des besoins d'un peuple
dépend de l'initiative privée de quelques groupes financiers
et industriels.
Le développement actuel des sciences et des techniques
de production exige que le travail, manuel ou intellectuel,
cesse d'être une marchandise.

En faisant de l'argent une marchandise, c'est-à-dire
en lui permettant de « faire des petits sans travail»
et en considérant la fonction d'investissement
comme une affaire privée, par le jeu de la Bourse et de
la spéculation sur les « valeurs », trois conséquences
fondamentales découlent des principes de la « libre entreprise
» capitaliste :
— la concentration de la richesse et de la puissance
en un nombre de mains de plus en plus restreint ;
— une course aveugle au profit pour le profit et à
la croissance pour la croissance ;
— une souveraineté de l'argent s'étendant à toutes
les activités nationales, toutes les « valeurs » humaines
devenant ainsi des « valeurs » économiques, commerciales,
des « valeurs » au sens boursier du terme et,
comme telles, soumises à l'enchère et à l'encan.
Les démonstrations fondamentales du Capital de
Marx demeurent, en ce domaine, intégralement valables.
Nous nous bornerons à en souligner les incidences sur
notre vie quotidienne et sur la qualité de cette vie.
Les mécanismes de l'accumulation des capitaux,
soit entre les mains des entreprises (sous forme de bénéfices
non répartis et de réserves), soit entre les mains
des individus (sous forme de dividendes, de tantièmes,
d'intérêts, de rentes) permettent de transformer en
propriété privée tout ce qui est indispensable à la vie,
l'essentiel des moyens de production et d'échange, et
de réserver le monopole de ce pouvoir à un nombre de
gens de plus en plus restreint.
[…]Ainsi un nombre de plus en plus grand d'individus
dispose de possibilités de plus en plus limitées de choix.
La course aveugle au profit pour le profit et à la
croissance pour la croissance a pour corollaire : la
technique pour la technique et la science pour la science.
Le postulat sacré — et pourtant tacite — de nos
sociétés : tout ce qui est techniquement possible est désirable
et nécessaire, est aujourd'hui le plus meurtrier.
Les critères d'efficacité — comme critères suprêmes
— valables pour l'entreprise, — ont été étendus à la
société globale lorsque les entreprises ont exercé sur
l'État une influence prépondérante en attendant de
s'identifier à lui.
Mais si la rationalité de l'entreprise se définit par
rapport à une fin technique, la rationalité de la
société globale ne peut se définir de la même manière
sous peine de créer une société de production pour la
production et de consommation pour la consommation,
une société sans .finalité humajne. Le contraste est I
aujourd'hui flagrant entre la rationalité des réalisations '
partielles et l'irrationalité de la société globale. Les
problèmes de gouvernement d'une nation ne peuvent
se traiter uniquement avec les méthodes valables pour
le « management » d'une entreprise. Si la nation est
assimilée à une entreprise quel produit a-t-elle mission
de fabriquer? — Des hommes, c'est-à-dire le contraire i
d'un produit.
La recherche scientifique et technique, condition
désormais première de richesse et de puissance, est
devenue une fin en soi, indépendamment de ses
incidences sur l'avenir de l'homme. L'on définit aujourd'hui
le développement non comme le développement de
l’homme mais comme développement_scientifique et
technique dont l'homme est devenu le moyen7 et non
la fin. Un exemple significatif de cette déshumanisation :
l'on classe aujourd'hui les nations d'après le « revenu
national brut par tête d'habitant », sans tenir aucun
compte de sa répartition, en faisant une aveugle moyenne
entre le revenu d'un Rockefeller et celui d'un éboueur
noir de Harlem, entre celui de l'Émir de Kowait et
celui des dockers pétroliers de Scuwaikh. C'est ainsi
que des économistes comme Galbraith aux États-Unis
et Mishan en Angleterre ont commencé à mettre en
cause le principe même d'un traitement purement
économique de l'économie et de l'utilisation de critères
purement économiques : ceux de la croissance
pour la croissance.
[…]Faut-il, parce qu'un exploit est techniquement possible,
 s'ingénier à prouver qu'il est nécessaire? Et s'ingénier
à le prouver à partir des postulats implicites d'une société
pour laquelle la croissance aveugle est devenue la loi immanente du
système, soustraite à toute mise en question?
L'extension de la souveraineté de l'argent à toutes
les activités nationales est une conséquence directe de
la « liberté d'entreprise ». Lorsque les investissements
sont réalisés en fonction du seul profit du détenteur
de capitaux et non en fonction des besoins de la société,
ils contribuent à la désintégration de l'homme et non
à sa promotion.
[…]L'une des conséquences les plus meurtrières de ce
marché de l'argent en vertu duquel le profit de l'investisseur
est le seul critère du choix de l'investissement,
c'est qu'un secteur éminemment « rentable » comme
celui des industries de l'armement, est particulièrement
séduisant : l'intérêt privé des constructeurs et de leurs
bailleurs de fonds se substitue ici à l'intérêt national,
la politique extérieure et la guerre devenant des instruments
de l'expansion (de l'expansion des monopoles
naturellement!) : « Ce qui est bon pour la « General
Motors » est bon pour les États-Unis », disait le Ministre
américain de la Défense, Wilson, qui était en même
temps administrateur de la « General Motors », révélant
ainsi l'une des motivations essentielles de la politique
extérieure américaine, de la guerre de Corée à celle
du Vietnam. Mais, plus près de nous de grands intérêts
économiques privés ont réussi à faire de la vente d'armes
l'un des postes essentiels de l'exportation française.
Si la fabrication d'armes est un stimulant de choix
pour l'expansion des monopoles, l'information, en tant
qu'industrie — industrie de la manipulation des masses
— exerce une action non moins délétère. Lorsque de
grandes puissances financières peuvent disposer de la
quasi-totalité de la presse, de l'édition, du cinéma, des
hebdomadaires illustrés, de stations d'émissions, les
orienter et les gérer selon les critères de la rentabilité,
une nation est livrée corps et âme au conditionnement
de cette « guerre psychologique » permanente devenue
l'un des beaux-arts de l'économie capitaliste.
Maîtresse de ce pouvoir gigantesque de manipulation
et du pouvoir non moins grand d'information, des
ordinateurs et de leurs « banques des données », l'oligarchie
détentrice des moyens de communication de
masse et des moyens de l'informatique, peut instituer
un réseau d'information et de manipulation si implacable
que chaque citoyen y soit plus ligoté et plus désarmé
que ne le furent jamais les victimes de Staline ou d'Hitler.

En faisant de la terre une marchandise et de la
nature une matière à spéculation et à exploitation, ce
qui a été livré aux convoitises du capital, à la « liberté
d'entreprise », aux lois aveugles du marché, c'est
beaucoup plus que la terre des propriétaires fonciers,
c'est l'ensemble du milieu vital de l'homme.
L'illustration la plus immédiate est fournie aujourd'hui
par le problème de la construction, de l'urbanisme,
et du massacre de l'environnement […]
Nul problème ne montre mieux la collusion néo-capitaliste
des grandes entreprises privées et de l'État : un « promoteur»
privé achète un terrain sur lequel il est interdit de bâtir;
il obtient ensuite de l'État une « dérogation »:
 la valeur des terrains est aussitôt multipliée
par 50 ou même par 100.
[…]La menace grandit à l'échelle du monde.
Lorsque l'homme et la nature sont happés et broyés
par le moulin du diable, l'homme sous le nom de travail
et la nature sous le nom de terre, toutes les formes
organiques de la vie sont désintégrées : c'est l'exploitation,
sans autres limites que celles du marché, de la
force physique ou nerveuse du travailleur, la dévastation
de l'environnement, l'abattage des forêts, la pollution
des eaux, la dégradation de l'existence sous toutes ses
formes, depuis le travail jusqu'aux arts soumis aux
mêmes exigences de la commercialisation sur le marché.
Car nous ne contrôlons pas plus nos rapports avec la
nature qu'avec les hommes[…]
Engels a donné une image de ce chaos : « Dans la
nature ce sont uniquement des facteurs inconscients
et aveugles qui agissent les uns contre les autres. Par
contre, dans l'histoire des sociétés ceux qui agissent
sont uniquement des hommes doués de conscience,
agissant avec réflexion ou avec passion et poursuivant
des buts déterminés ; rien ne se produit sans dessein
conscient, sans fin voulue... mais ce n'est que rarement
que se réalise le dessein voulu ; dans la majorité des
cas les nombreux buts poursuivis s'entrecroisent et
se contredisent... les conflits des innombrables volontés
et actions individuelles créent dans le domaine historique
une situation tout à fait analogue à celle qui
règne dans la nature inconsciente. Les buts des actions
sont voulus, mais les résultats qui suivent réellement
ces actions ne le sont pas... il y a là d'innombrables
forces qui se contrecarrent mutuellement... d'où ressort
une résultante — l'événement historique — que personne
n'a voulu. »
La crise cataclysmique de 1929, qui ébranla le monde
capitaliste tout entier avec ses faillites en chaînes,
ses 70 millions de chômeurs, ses destructions innombrables,
vérifiait avec un éclat sinistre les prévisions
de Marx dans le Capital : tous les mécanismes économiques
du capitalisme étaient bloqués par le jeu « normal
» des lois de développement du système et de sa
contradiction fondamentale : la contradiction entre
la tendance à la socialisation croissante de la production
et le maintien de l'appropriation privée des richesses
et des pouvoirs créés par ce travail collectif.
Parallèlement les prévisions de Marx se vérifiaient
par contre-épreuve en Union Soviétique : seul le pays
qui avait aboli la propriété privée des moyens de production
échappait à la crise: il supprimait le chômage
et ses plans quinquennaux lui assuraient une rapide
expansion et un taux de croissance exceptionnel.
Malgré la violence de ce séisme économique le capitalisme
ne s'est pas effondré.
Pour tenter de surmonter les conséquences de l'anarchie
de la production dans une économie de « libre
entreprise », il dut renoncer partiellement à ce qui est
son principe même : un système ne connaissant d'autres '
lois que celles du marché.
Tenant compte des premiers succès économiques
remportés par l'Union Soviétique qui comblait un
lourd handicap d'arriération économique et technique
en un temps record, les pays capitalistes eurent recours
à des mesures que les économistes « libéraux » tenaient
jusque-là pour « socialistes » : l'intervention de l'État,
puis la planification.
Mais, pour surmonter ses difficultés sans mettre en
cause la propriété privée des moyens de production
et la recherche du profit, l'État capitaliste se mit au
service de l'économie au lieu de la subordonner aux
besoins de la société globale.
La politique découlant des théories de Keynes,
médecin du capitalisme après la crise de 1929, avait
un double objectif : maintenir un haut niveau de l'emploi
et assurer un taux de croissance élevé. Les moyens
en étant : les dépenses de l'État pour relancer la production,
l'impôt pour financer cet effort, et une politique
de stabilité monétaire impliquant la lutte contre l'inflation.
Pendant près de trente ans, et malgré l'intermède
sanglant de la deuxième guerre mondiale, l'orthodoxie
de ce néo-capitalisme fut maintenue contre vents et
marées. La croissance économique devait résoudre tous
les problèmes; en finir avec la pauvreté, assurer le
plein emploi, échapper à l'inflation, améliorer l'habitat,
l'environnement et l'ensemble des conditions de vie,
dégager les ressources nécessaires pour l'aide au Tiers
Monde (pour le maintenir dans le camp du « monde
libre », comme l'expliquait crûment Rostov dans son
« Manifeste anticommuniste ») et enfin financer les
programmes spatiaux et atteindre la Lune.
Or, de tous ces objectifs, un seul fut atteint : la
Lune, parce que l'entreprise était un sous-produit de
la guerre froide.
Sur tous les autres fronts du capitalisme, au cours
des années 60, la grande espérance néo-keynésienne
d'un système capitaliste surmontant ses propres contradictions
s'est effondrée.
D'abord par l'inflation : il apparut avec une évidence
croissante que la tentative (finalement avortée) de
maintenir le plein emploi et un taux de croissance élevé
engendrait inéluctablement la hausse des prix et
l'inflation. Tous les paris affirmant la possibilité d'enrayer
cette hausse par des moyens purement économiques
ont été invariablement perdus. Il fallut revenir
partout dans le monde capitaliste, en France (et même
aux États-Unis le 15 août 1971 !) à la décision peu
imaginative et toujours vaine, de bloquer les salaires
et les prix, comme en temps de guerre!
Deuxième indice de l'échec : la crise permanente
du système monétaire international. C'est précisément
le pays qui domine le monde capitaliste par ses
investissements, les États-Unis, qui a connu le plus grand
déficit dans la balance des paiements. La cause de ce
déficit découle du principe même de sa politique :
dans les années 50 et 60 la plus grande nation industrielle
du monde a consacré en moyenne de 10 à 15 % de
son revenu à des fins militaires. Les dépenses d'armement
de plus en plus fortes destinées à stimuler la production
économique et à « entretenir la conjoncture », et les
dépenses de guerre, destinées à assurer la sécurité des
investissements à l'étranger (et dont la guerre du
Vietnam est l'illustration la plus saisissante), ont
conduit à la dévaluation du dollar et, en raison de
l'emprise économique universelle des États-Unis, à
un ébranlement des économies de tous les pays capitalistes.
Troisième contradiction et troisième échec : celui
de « l'aide au Tiers Monde ». L'écart entre les pays
« sous-développés » et les pays riches n'a pas diminué ;
il ne cesse, au contraire, de grandir[…]
La cause fondamentale de cette situation, c'est le néo-colonialisme,
 frère puîné du néo-capitalisme,qui impose aux pays du Tiers Monde
des prix très bas pour les matières premières qu'on
leur achète et des prix très élevés pour les équipements
qu'on leur vend […] . Dans ces conditions ce qu'il
est convenu d'appeler « l'aide au Tiers Monde » est en
réalité une aide des pays pauvres aux pays riches.
Pour chaque franc, dollar, livre sterling ou mark,
accordé à un pays du Tiers Monde pour qu'il puisse
continuer à acheter en Europe ou en Amérique, ce
sont deux ou trois francs, dollars, livres sterling, ou
marks, qui reviennent au « donateur »[…]
Pourquoi cet échec de la médication keynésienne?
Les correctifs qu'a tenté d'apporter le néo-capitalisme
ont permis de masquer pour un temps certaines des contradictions
économiques du système, mais en les déplaçant
et en aggravant ses contradictions sociales et humaines.
Si bien qu'aujourd'hui la crise du capitalisme ne prend
plus la forme de la crise économique classique — du
type 1929 — mais d'une crise de l'ensemble du modèle
de la civilisation capitaliste, à tous les niveaux : de
l'économie, de la politique, et de la culture.
Cela résulte du fait que le néo-capitalisme, pour
surmonter ses crises économiques, a dû mettre en
oeuvre ses superstructures politiques et culturelles.
Par exemple, pendant la crise de 1929-1933 pour
pallier à la « surproduction » (c'est-à-dire en fait : à
la sous-consommation de masses innombrables qui
n'avaient pas les moyens d'acheter pour écouler la production)
l'on a procédé à des destructions : alors que
70 millions de chômeurs et leurs enfants étaient affamés
l'on abattait des centaines de milliers de vaches faute
de débouchés pour le lait, l'on brûlait le blé, l'on jetait
le café à la mer.
L'intervention des États a permis de trouver une
solution nouvelle à l'engorgement du marché : on a
substitué à la destruction des marchandises, une produc-
tion massive de moyens de destruction, c'est-à-dire
d'armements. Cette solution présente des avantages
évidents : d'abord cette production ne risque pas,
comme la production des biens de consommation,
d'être offerte sur un marché alourdi par trop d'acheteurs
insolvables. L'État seul subventionne, aide et achète
cette production-là, aux frais des contribuables. Ce
secteur privilégié de la fabrication d'armes assure donc
aux monopoles des débouchés stables. En outre leur
expansion permet de résorber notablement le chômage.
Tous les moyens employés pour enrayer la crise ont
ainsi conduit à l'approfondir. Ce qui est en cause ce
n'est plus seulement le marché capitaliste, mais l'État
politique et la culture qui sont entrés directement (et
non pas seulement, comme autrefois, par leur feinte
neutralité) dans l'engrenage du moulin du diable.
Les exigences de la croissance se sont imposées comme
modèle de civilisation. La crise actuelle n'est plus
seulement une crise économique ; elle est aussi crise
de ce modèle de civilisation qui implique tous les aspects
de la vie.
Cette crise ne naît plus, comme les anciennes, du
blocage des mécanismes de l'économie capitaliste, mais
de son fonctionnement même.
Le fascisme hitlérien a montré où menait la logique
d'une telle crise lorsqu'elle développait toutes ses
conséquences : pour échapper à l'impasse où conduisaient
l'économie et les institutions du capitalisme
sans détruire le capitalisme lui-même, il faut tendre
toutes les énergies de l'État et de la culture pour les
mettre au service du système économique de l'expansion
sans limite.
Cette restructuration globale en fonction des exigences
de la croissance économique du système qui ne peut
fonctionner que par une intervention croissante de
l'État pour assurer l'expansion continue des monopoles,
est la définition même d'un régime totalitaire. Car le
sauvetage de l'économie par une politique d'armement
implique une politique extérieure de domination qui
la justifie, une idéologie nationaliste, voire raciste,
qui fonde à son tour cette politique, une manipulation
des masses pour leur inculquer cette religion politique,
la suppression de toutes les libertés démocratiques à
tous les niveaux, économique, social, politique, culturel,
et la répression la plus implacable contre quiconque
refuse l'intégration au système.
Le bilan de cette première crise de civilisation nous
permet d'en mesurer l'ampleur historique : les sacrifices
humains des Aztèques égorgant 10 000 prisonniers
en un jour, la destruction de Babylone ou de Carthage,
les pyramides de quelques pauvres milliers de crânes
humains de Gengis Khan ou de Tamerlan, tout cela
n'est que travail artisanal à côté des hécatombes de la
Deuxième Guerre mondiale et des millions de morts
des crématoires d'Auschwitz et de Birkenau.
La crise actuelle de civilisation, dans laquelle la
même logique fondamentale est à l'oeuvre, serait infiniment
plus meurtrière : le fascisme hitlérien risque à
son tour de paraître artisanal depuis que la découverte
de l'énergie atomique, des missiles et de l'ordinateur,
et l'extension massive de la télévision ont créé des
moyens de destruction physique et de manipulation
mentale sans commune mesure avec ceux de la noire
décennie de 1933 à 1944 […]

Le système capitaliste, pour lequel le fonctionnement
optimum de l'économie de profit est une fin en soi, et la
croissance la loi immanente, peut réaliser des performances
et présenter tous les signes d'une « bonne santé »
quels que soient les objectifs poursuivis : l'essentiel
est que le moteur de l'automobile marche bien ; peu
importe où va le véhicule.
[…]Un tel système ne peut résoudre aucun des problèmes
qu'il a posés, ni par son évolution interne ni par sa
réforme. (Le réformisme étant la conception selon
laquelle une transformation radicale est possible par
le simple développement du capitalisme sans une
intervention visant à en subvertir le principe même.)
Un tel système ne peut non plus se détruire tout seul.
Il n'a été emporté ni par les convulsions de la crise
de 1929, ni par les dévastations de la guerre qu'elle
a engendrée.
Nous ne pouvons échapper à la nécessité de mettre
en cause les fondements du système, c'est-à-dire de
soustraire aux lois du marché et du profit le travail,
la terre et l'argent.
Le travail, afin que le contrat de salaire cesse d'être
un contrat privé entre deux contractants inégaux, l'un
disposant, par la propriété des moyens de production,
du pouvoir de contraindre celui qui ne la possède pas.
La terre doit être également soustraite au marché
afin que nul n'ait le pouvoir de priver, pour son intérêt
personnel, une ville de ses poumons, c'est-à-dire de
ses espaces verts, d'interdire à titre privé l'accès à la
mer, à la rivière ou à la forêt, de saccager et de polluer
l'environnement au nom de la rentabilité et du profit
d'individus ou de groupes coalisés.
L'argent ne peut non plus être l'objet des spéculations
du marché. D'abord parce que la « liberté d'entreprise »
a conduit à son contraire : le monopole, par l'accumulation
et la concentration du capital. Ensuite parce que
la fonction d'investissement ne peut être qu'une fonction
sociale, contrôlée par la société globale, sous peine de
nous ramener aux investissements destructifs de l'homme
et de son milieu naturel.

Ce changement des structures, cette triple mutation
qui est le commencement du socialisme, implique la
mise en cause fondamentale du principe même du
capitalisme : la propriété privée des moyens de production.
La nécessité du socialisme n'est pas seulement une
nécessité économique : elle découle de la nécessité de
mettre fin à un système qui est entré en contradiction
avec les conditions élémentaires d'une vie sociale organisée
et qui conduit à la désintégration de la vie […]
Il ne s'agit nullement de supprimer le marché, mais
au contraire de sauver les valeurs nées du marché :
la libertéindividuelle du consommateur, en laissant
au marché tous les produits de consommation pour
mesurer les changements de la demande et de réaliser
ainsi une planification décentralisée, partant des besoins
librement exprimés, et non de la prétention de définir
« d'en haut » et centralement les besoins et les allocations
de ressources. La centralisation n'est efficace que pour
le démarrage de pays sous-développés. Au-delà elle
devient un frein au développement même.
En n'abandonnant plus le travail, la terre et l'argent
au marché, l'on interdit ce qui précisément en est la
contradiction : la puissance de monopoles destructeurs
de la liberté du consommateur comme du travailleur,
et qui, par la manipulation et le privilège du plus fort,
se subordonnent le marché « en inversant la filière »,
comme dit Galbraith : la production ne se règle plus
sur le marché où s'expriment les besoins, mais au
contraire, la production se subordonne le marché en
créant les besoins — fussent-ils artificiels ou même
malfaisants — dont la satisfaction sera la plus rentable
pour le producteur.
Ainsi en abolissant le pouvoir de s'emparer sans
limite de l'argent, de la terre et du travail, le marché
peut jouer un rôle bienfaisant, en se subordonnant à
la société au lieu de la régir.

A partir du moment où le système capitaliste a
réussi à intégrer tous les aspects de la vie sociale à la
défense et au maintien de son régime économique, il a
posé un problème qui ne peut plus être résolu seulement
par des moyens économiques, en changeant, par exemple,
le statut de la propriété.
Le problème est de mettre fin à cette intégration
de l'homme entier aux exigences économiques du capitalisme.
Le socialisme ne peut donc pas être conçu, lui non plus,
seulement comme un système économique.
Marx, qui le définissait comme dépassement des
contradictions d'un capitalisme parvenu à son plein
épanouissement, lui donnait toutes ses dimensions
humaines et ne confondait pas les fins du socialisme
avec ses moyens économiques (le changement du régime
de propriété).
La confusion des moyens et des fins, qui a conduit,
par exemple, Staline et ses successeurs à proclamer
que le socialisme était réalisé alors que l'une seulement
de ses conditions économiques était remplie (et aucune
de ses conditions au niveau de la démocratie socialiste
et du libre épanouissement de la création culturelle)
ne pouvait se produire que dans un pays où un capitalisme
retardataire n'avait nullement réalisé cette intégration.
[…] La première visée du socialisme est de libérer les plus
démunis des nécessités physiques du besoin car cela
conditionne l'accès à toutes les autres libertés. Mais,
de ce point de vue, une grande partie de ce que Lénine
et Mao ont dû créer au prix de maints sacrifices dans
des pays sous-développés, existe déjà au départ dans
nos pays : les conditions techniques et économiques de
la satisfaction des besoins élémentaires de chacun.
[…] De même, après la révolution scientifique et technique,
la classe ouvrière ne peut plus être définie comme au
milieu du XIXe siècle ou dans la Russie du début du
XXe siècle, car la part croissante du travail intellectuel
dans la production […] en étend les limites très au-delà
du travailleur manuel.
Au niveau politique, nous n'avons plus affaire à « l'État
veilleur de nuit », cher aux libéraux du XIXe siècle,
mais au contraire à un État intégré aux monopoles,
et à un État intégrateur de toutes les activités nationales.
En outre nous n'avons pas affaire, comme dans
la Russie du début du XXe siècle à un État qui n'a
jamais connu de régime parlementaire bourgeois et
dont la classe porteuse de l'espérance révolutionnaire
représentait 3 % de la population. Dans un pays comme
la France la démocratie socialiste ne peut pas être la
négation de la démocratie bourgeoise mais le dépassement
de ses limites.
Le socialisme ne peut donc se réduire ni à un simple
changement du régime de la propriété, ni à un simple
transfert du pouvoir politique.
Il exige un nouveau projet de civilisation.
Le socialisme ne peut être conçu, seulement, comme
la satisfaction des besoins que le capitalisme a artificiellement
créés par le conditionnement et exaspérés par
la frustration.
Roger Garaudy
Extraits de « L’alternative », pages 47 à 78