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 La révélation et la raison sont deux éléments essentiels appartenant 
aux sources universelles de la connaissance et sont étroitement liées 
l’une à l’autre. Y avoir recours est une exigence préalable nécessaire 
si l’on veut créer un environnement propice à l’ijtihad et à la réforme 
de l’esprit musulman." 
La
 renaissance en Europe surprit la Oumma en plein sommeil. Ceux qui 
avaient l’habitude d’aller solliciter faveurs et conciliation chez les 
chefs musulmans, venaient alors pour conquérir, occuper et subjuguer. 
L’attaque était massive et générale : intellectuelle, culturelle, 
politique, juridique de même que militaire, tandis que les Musulmans 
s’occupaient de débattre de l’au-delà et des diables cachés dans les 
machines et autres inventions que les Européens apportèrent avec eux. En
 conséquence l’ijtihad
  redevint un sujet d’actualité brûlant. D’aucuns affirmèrent qu’à la 
lumière du nouveau défi de l’Europe, l’ijtihad était devenu une 
condition nécessaire et suffisante pour la réforme intellectuelle. Il 
n’y avait aucune réforme, disait-on, sans ijtihad ; aucun réveil sans 
réforme et aucune libération de la domination étrangère et aucun salut 
sans un réveil véritable. L’esprit musulman fut mis à l’épreuve et fut 
défié de faire face à la nouvelle menace. L’ijtihad fut compris de 
plusieurs manières : 
1.
 Il y avait ceux qui, au nom du modernisme, firent de l’ijtihad un moyen
 d’apaiser les colonialistes en appelant à la soumission à leur mode de 
vie. Ceci signifiait l’abandon d’une grande partie de l’héritage de 
l’Islam et l’adoption des habitudes des occupants, avec un éloignement 
progressif mais éventuellement fatal des sources fondamentales de 
l’Islam.
2.
 En réaction contre la tendance précédente, certains intellectuels 
rejetèrent l’ijtihad sous toutes ses formes, lui ôtant toute légitimité 
et niant totalement sa nécessité. Les tenants de cette tendance 
appartenaient au courant qui considérait le taqlid  comme un principe important.
3.
 Une troisième catégorie permit l’exercice de l’ijtihad dans des 
domaines restreints ayant trait à des événements, situations ou 
questions nouveaux ou sans précédents. Pour de tels penseurs, lorsqu’une
 opinion juridique ou un jugement existait déjà l’ijtihad n’était pas 
nécessaire – le précédent ou l’opinion juridique annulant tout le reste.
 On préférait toute sagesse déjà perçue à toute nouvelle idée. Ceci 
revient à dire qu’on doit appliquer des jugements désuets à des 
situations contemporaines, ce qui engendra souvent des propositions 
absurdes et ridicules. Aujourd’hui, à un moment où le faqih
  a assumé de nouveaux rôles indignes de son rang, et qu’il est devenu 
un simple agent administratif dans les départements anti-islamiques de 
l’appareil des états, on compte parmi de tels exemples les ridicules fatawa  ayant trait aux bébés-éprouvettes et aux banques de sperme.
4.
 Enfin, d’autres intellectuels trouvèrent dans l’ijtihad une raison de 
justifier le nouvel ordre colonial. C’était pour eux un moyen facile 
pour faire des entorses aux règles et jugements en vue d’accommoder la 
nouvelle situation créée par la domination coloniale. A leurs yeux, ceux
 qui défendaient la rigueur et l’authenticité étaient taxés de strictes 
et d’extrémistes ayant des préjugés. Cette tendance cherchait à intégrer
 toute idée nouvelle dans le patrimoine islamique en faisant sage de 
l’ijtihad pour lui donner une légitimité. Cette attitude se traduisit 
par une course vers l’ijtihad qui devint une fin en elle-même, une sorte
 d’activité récréative ouverte à tout le monde. Il existait une tension 
aiguë entre ces groupes dont les débats largement futiles débouchaient 
sur l’acrimonie et beaucoup de confusion.
A
 part les quatre tendances d’ijtihad citées ci-dessus, un cinquième 
courant existe également bien que moins bruyant. Il soutient une 
revivification de la pensée islamique sur la base de la méthodologie 
originelle du Prophète et en appelle à un ré-examen des sources 
fondamentales de l’Islam à la lumière des changements modernes et, 
partant, à un ajustement de la pensée islamique. Les partisans de cette 
école voient en l’ijtihad la réflexion de l’état psychologique et 
intellectuel contemporain de la Oumma. Pour eux, chaque fois que les conditions essentielles de l’ijtihad existent, il incombe alors aux oulama  d’exercer l’ijtihad et de répondre ainsi aux besoins du temps. Ils avancent également que le fiqh
  n’est qu’un domaine où l’ijtihad est nécessaire afin de régler les 
affaires de la Oumma – contrairement au micro-fiqh qui traite de 
questions bien précises et qui de ce fait est soumis aux influences et 
conditions locales. Pour éviter de mettre la charrue devant les bœufs, 
il est important d’accorder plus d’attention au macro-fiqh plutôt qu’au 
micro-fiqh. Les tenants de cette tendance d’ijtihad croient que la Oumma
 est assez mure et capable de faire face à de nouvelles situations, et 
de les traiter d’une perspective authentiquement islamique. A cet effet,
 un examen de la méthodologie elle-même et de tout l’environnement 
culturel serait nécessaire de façon à éviter les abus et l’exploitation 
d’une telle approche à des fins sectaires ou partisanes. La 
transformation intellectuelle qui en résulterait, revitaliserait à son 
tour la manière de lire et d’interpréter le Coran et la Sounna
  en vue de jeter les fondements sur lesquels des sciences humaines 
islamiques pourraient être établies, utilisant le Coran et la Sounna 
comme sources fondamentales de la connaissance. L’esprit de l’homme 
n’est qu’un instrument responsable qui permet de connaître le Créateur, 
de bien comprendre sa révélation ainsi que la nature humaine et les lois
 du cosmos. Doté de cette faculté qu’est la raison, l’esprit est 
également chargé de faciliter la mise en application de la révélation 
dans la vie de tous les jours et de permettre à l’homme de bien 
appréhender son existence et celle de l’inconnu. Ceci permet à l’homme 
de formuler des idées, de découvrir le droit chemin, de proposer des 
solutions pour le bien-être du monde, d’apporter la lumière à ce monde 
et de se prouver.
La
 révélation et la raison sont deux éléments essentiels appartenant aux 
sources universelles de la connaissance et sont étroitement liées l’une à
 l’autre. Y avoir recours est une exigence préalable nécessaire si l’on 
veut créer un environnement propice à l’ijtihad et à la réforme de 
l’esprit musulman. C’est là une condition fondamentale si l’on veut 
promouvoir une culture intégrée dans laquelle les divers sciences et 
arts se développent sur la base d’une vision authentiquement islamique 
et une compréhension correcte de l’homme et de son environnement. Alors 
seulement la relation de l’homme avec le Créateur et avec la nature 
s’établira convenablement. C’est cette relation qui permet de mener une 
vie religieuse fondée sur des bases si saines qu’elles permettent à la 
société musulmane d’établir des institutions, des systèmes d’éducation 
et une vie familiale qui lui seraient propres, et de jouer le rôle qui 
est le sien dans le monde. A cet effet, l’histoire de l’Islam et le 
patrimoine culturel pourraient être étudiés de façon approfondie afin de
 libérer les générations musulmanes, présentes et futures, des 
contraintes et pressions du passé, et de leur permettre de comprendre ce
 passé correctement, tout en discriminant des acquis positifs de son 
héritage négatif.
Raison contre taqlid
Les spécialistes des fondements de la jurisprudence (Usul al fiqh)
 décidèrent que le ‘aql et le naql* constituent des bases du droit 
musulman et qu’on doit les utiliser conjointement pour qu’ils se 
renforcent mutuellement. L’idée qu’on devrait permettre à l’esprit 
musulman de ne fonctionner qu’à travers la rigueur du qiyas  et l’istihsan
  ainsi que de leurs dérivés – ce qui le prive d’un rôle de premier plan
 dans la confrontation des défis et dans la préparation d’un projet de 
mise en pratique de la vision islamique dans la vie quotidienne – était 
un symptôme du conflit qui opposait les oulama aux chefs politiques au 
sujet de la légitimité. Elle était la conséquence de la détermination 
des premiers de protéger l’Islam contre les abus de ces derniers qui 
utiliseraient l’ijtihad comme moyen au service de leurs propres fins 
politiques. 
   
Pour peu qu’on libère aujourd’hui l’esprit musulman de ces restrictions et que l’ijtihad retrouve sa place comme méthodologie constructive nécessaire à la réforme de la pensée islamique, les principes fondamentaux de l’Islam recouvreront leur place comme fondements de la pensée islamique. Ils pourront retrouver de même leur rôle légitime dans la formation de la pensée humaine en général et servir de référence pour comprendre la vie, l’homme, le monde. Ils seront pris en compte pour déterminer les objectifs des lois et des enseignements de l’Islam. Il sera alors de nouveau possible d’apporter des solutions islamiques pratiques aux problèmes de la vie, d’établir des systèmes sociaux, éducatifs et moraux spécifiques et, partant, de faire disparaître la dichotomie qui existe entre la théorie et la pratique. Ce faisant, on aura rompu le cercle vicieux dans lequel se trouve la pensée islamique aujourd’hui.
Pour peu qu’on libère aujourd’hui l’esprit musulman de ces restrictions et que l’ijtihad retrouve sa place comme méthodologie constructive nécessaire à la réforme de la pensée islamique, les principes fondamentaux de l’Islam recouvreront leur place comme fondements de la pensée islamique. Ils pourront retrouver de même leur rôle légitime dans la formation de la pensée humaine en général et servir de référence pour comprendre la vie, l’homme, le monde. Ils seront pris en compte pour déterminer les objectifs des lois et des enseignements de l’Islam. Il sera alors de nouveau possible d’apporter des solutions islamiques pratiques aux problèmes de la vie, d’établir des systèmes sociaux, éducatifs et moraux spécifiques et, partant, de faire disparaître la dichotomie qui existe entre la théorie et la pratique. Ce faisant, on aura rompu le cercle vicieux dans lequel se trouve la pensée islamique aujourd’hui.
Cet
 article a été repris du site de l'Institut International de la Pensée 
Islamique en France : http://www.iiitfrance.net (qui a fermé ses portes
 et son site en 2011) 
   
Le site officiel de Taha Jabir Al-Alwani : http://www.alwani.net/
   
Note: * L’école du ‘aql met l’accent sur l’usage de la raison dans l’interprétation du Coran et de la Sounna ; tandis que l’école du naql s’appuie sur le savoir transmis dans son approche aux textes sacrés.
Le site officiel de Taha Jabir Al-Alwani : http://www.alwani.net/
Note: * L’école du ‘aql met l’accent sur l’usage de la raison dans l’interprétation du Coran et de la Sounna ; tandis que l’école du naql s’appuie sur le savoir transmis dans son approche aux textes sacrés.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
