01 septembre 2013

Bref retour sur la désintégration de l'Union soviétique






Par une formidable mobilisation médiatique, les
maîtres du chaos cherchent à faire passer pour une
évidence que la seule issue, pour échapper au goulag,
est de retourner à l a jungle. C'est une fois encore oublier
le passé, « l'anarchie industrielle et commerciale »,
comme disait Fourier, dont les inégalités, les exploitations
et les violences (qui demeurent aujourd'hui) ont
donné naissance au socialisme.
Ce n'est pas Marx qui, le premier, a dénoncé le
Capital.
Gracchus Babeuf, en juin 1791, flétrissait la loi Le
Chapelier qui interdit pendant trois quarts de siècle la
formation de syndicats ouvriers, comme « la loi barbare
dictée par le Capital ».
Ce n'est pas Marx qui a inventé la « lutte de
classes ».
En 1833 (Marx avait quinze ans), Pierre Leroux, qui
fut Saint-Simonien, écrivait : « La lutte actuelle des
prolétaires contre la bourgeoisie est la lutte de ceux qui
ne possèdent pas les instruments de production contre
ceux qui les possèdent. »
Ce n'est pas Marx qui a démystifié le premier les
mensonges de la liberté. L'abbé Lamennais écrivait en
1838 : « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui
opprime et la loi qui libère. »
Auguste Blanqui, au lendemain du deuxième écrase-
ment du socialisme, celui de la Commune de Paris, tient
le même langage : « On reproche au communisme
d 'être le sacrifice de l'individu et la négation de la
liberté. Et au nom de qui cette arrogante supposition ?
Au nom de l'individualisme qui, depuis des milliers
d'années, assassine en permanence et la liberté et
l'individu. Combien sont-ils, dans notre espèce, les
individus dont il n'a pas fait des ilotes et des victimes ?
Un sur dix mille peut-être ? Dix mille martyrs pour un
bourreau! Dix mille esclaves pour un tyran! et l'on
plaide pour la liberté ! Je comprends : quelque sinistre
escobarderie embusquée derrière une définition. L'oligarchie
ne s'intitule-t-elle pas démocratie,  le parjure
honnêteté, regorgement modération? »
Aujourd'hui, les mêmes politiciens, semblables à
notre journaliste du 15 juillet 1789, font commencer
l'histoire de ce qu'ils appellent « la révolution russe du
19 août 1991 » en 1991, afin d'enterrer pêle-mêle la
perestroïka de Gorbatchev, la « doctrine Brejnev » sur
la « souveraineté limitée », la terreur stalinienne, mais
aussi Lénine, la révolution d'Octobre, Karl Marx, et,
en bloc, le socialisme.
Non, cette histoire non plus n'a pas commencé ainsi.
Historiquement, le socialisme est né au 19e  siècle.
Dans toute société où les hiérarchies féodales du sang
étaient remplacées par les hiérarchies de l'argent,
l'économie de marché devint le seul régulateur des
rapports humains. Une jungle proliféra où les plus forts
dévoraient les plus faibles.
De là naquit l'idée d'un autre régulateur économique
et social, le plan, destiné, selon Marx, « à donner à
chacun tous les moyens économiques, politiques et
culturels de développer pleinement toutes les possibilités
humaines qui sont en lui, afin que chaque enfant
qui porte en lui le génie de Mozart puisse devenir
Mozart ». Telle était la définition du socialisme par ses
fins, la socialisation des instruments de production n'en
étant qu'un moyen.
Ce critère est non-économique : il s'agit de faire de
l'économie un moyen pour atteindre cette fin et, pour
cela, de rompre avec la logique du marché, qui est
principe de toute aliénation du travail et de l'homme.
Marx ne réduisait pas le mouvement de l'histoire à
celui de l'économie, qui en est, avec le capitalisme,
devenu le moteur. Lorsque son gendre Paul Lafargue
prétendait résumer sa pensée dans un livre intitulé Le
Déterminisme économique, il répondait : « Si c'est cela le
marxisme, moi, Marx, je ne suis pas marxiste. »
Le dépassement des contradictions du capitalisme
exigeait en effet de rompre avec le déterminisme aliéné
et aliénant de l'économie libérale. Cela impliquait
qu'une révolution a plus besoin de transcendance que
de déterminisme.
Le rôle social et politique des religions, à l'époque de
Marx, alors que régnait encore sur l'Europe l'esprit de
la Sainte-Alliance et la conception dualiste de la
transcendance, celle des théologiens de son temps, n'a
pas permis à Marx, devant ce réel « opium du peuple »,
de voir qu'il était une aliénation de la foi.
Cette limite historique, dans l'oeuvre des épigones,
qui répétaient les formules de Marx sans s'inspirer de sa
méthode, a pesé lourdement sur toute l'histoire du
socialisme. Elle a fait parfois de l'athéisme une composante
nécessaire du socialisme qu'elle a presque toujours
privé de sa dimension transcendante au profit
d'un prétendu « socialisme scientifique », oubliant
qu'une révolution peut être scientifique dans ses
moyens, mais qu'aucune science ne nous donne des fins
dernières.
Dans un pays comme la Russie de 1917, économiquement
distancée par les pays de capitalisme avancé,
comme l'Angleterre, les problèmes de l'instauration du
socialisme ont interféré avec les exigences du développement.
L'échec de cette tentative de socialisme étatique, et
non autogestionnaire (c'est-à-dire faisant participer
chacun, à des niveaux divers, aux décisions concernant
le sens et l'organisation de sa vie), ne découle pas
seulement de circonstances conjoncturelles telles que
l'héritage d'une économie retardataire ou un entourage
hostile — bien que cet encerclement ait contribué à la
naissance d'une dictature, comme en 1793 pendant la
Révolution française — mais d'une acception fausse du
socialisme, née des conceptions productivistes de l'Occident
depuis la Renaissance.
Aussi, ce qu ' il y a de pire dans le développement de ce
socialisme, ce sont ses emprunts aux postulats de base du
capitalisme, à la croyance occidentale en un modèle
unique de développement confondu avec la croissance
quantitative assurée par les sciences et les techniques de
l'Occident. En Russie, le régime nouveau présenta très
vite trois perversions fondamentales.
Marx avait formulé les lois de la croissance optima du
capitalisme le plus avancé de son temps, le capitalisme
anglais, en établissant une relation algébrique entre les
investissements destinés à la production des instruments
de production et ceux consacrés à la production des biens
de consommation. La seule théorie de la croissance,
selon Samuelson, qui ait vécu plus d'un siècle.
Des disciples dogmatiques firent de cette loi descriptive
du développement du capitalisme anglais du 19e  siècle
une loi normative du développement du socialisme russe
au 20e  siècle. Erreur fatale qui empêchait désormais de
penser le socialisme à partir de ses fins, et faisait un
dogme de la priorité absolue de l'industrie lourde,
reproduisant ainsi l'inhumanité de l'industrialisation
sauvage du début du 19e  siècle en Angleterre et en
France.
Dans les conditions de retard économique de la
Russie en 1917, puis de la reconstruction après les
ruines de la Seconde Guerre mondiale, la primauté de
l’impératif de croissance industrielle put apparaître
comme une nécessité historique pour n' être pas écrasé
par l'encerclement des puissances économiques.
Les ravages humains ne devinrent évidents qu'après
le décollage industriel (1937 et les grands procès), mais
furent occultés par la nécessité de faire face pendant la
guerre, et ne suscitèrent les premières révoltes, en
Hongrie puis en Tchécoslovaquie notamment, qu'après
la reconstruction.
La deuxième perversion consista à confondre socialisation
et étatisation.  Marx se moquait déjà de ceux qui
définissaient le socialisme par les nationalisations.
« Bismarck, disait-il, serait le plus grand socialiste de
l'Europe pour avoir nationalisé les postes ! »
Lénine, dans son dernier article dans la Pravda sur
« le mouvement coopératif», définissait la socialisation
comme création d'un réseau de coopératives autogérées. A
la campagne, disait-il, le passage durera plus de
soixante ans, et devra se réaliser sur la base d'expériences
réussies, sans anticiper sur la prise de conscience,
par les paysans, de la valeur du système.
Lorsque Staline prétendit collectiviser l'agriculture en
quelques mois et par voie autoritaire, il porta à cette
agriculture un coup dont, aujourd'hui encore, elle ne
s'est pas relevée.
La « socialisation des moyens de production » dans
un pays de capitalisme retardataire — en 1917, la classe
ouvrière ne constituait que 3 % de la population
active — conduisait à réaliser l'industrialisation non à
partir de coopératives autogérées mais « par en haut »,
c 'est- à - dire  par étatisation et centralisation. Le
« plan », au lieu d'être un instrument d'humanisation
de l'économie, d'orientation de la production en fonc-
tion des besoins humains et non du profit, devint une
institution hiérarchisée de manière quasi militaire, sans
« participation » de la base, où technocrates, bureaucrates
et membres de l'appareil du Parti détenaient tous
les pouvoirs et décidaient au nom des travailleurs, qui
n'étaient pas consultés, ou de manière purement formelle,
sans influence sur les directions centrales.
Cette conception du rôle de l'État est en contradiction
radicale avec celle de Marx. Marx donnait en
exemple de « la forme enfin trouvée » d'un État socialiste
la Commune de Paris, contraire exact de l'État
soviétique. La Commune était, dans sa visée, et sous
forme embryonnaire, autogestionnaire, fedérative et
non centralisée, sans parti unique : les proudhoniens y
détenaient la majorité absolue mais les blanquistes y
étaient présents. On y comptait un seul marxiste.
La troisième perversion majeure a consisté à confondre
la planification, qui n'a qu'un rôle d'orientation,
avec une méthode de gestion par en haut, déterminant
les investissements, les prix, les normes de production,
la distribution commerciale, les dévolutions de pouvoir,
à partir d'une bureaucratie centrale et des appareils
locaux désignés par elle.
Cette triple perversion a conduit l'économie au
chaos, et la liberté au cachot.
L'une des plus grandes erreurs des partis communistes
est d'avoir pris comme modèle d'organisation,
sous le nom de « centralisme démocratique », la brochure
de Lénine, « Que faire ? », qui préconisait une
organisation du parti de type militaire. Mais ses
disciples ont oublié qu ' il la concevait seulement pour la
clandestinité, face à une répression tsariste féroce.
Maintenir ce « communisme de guerre » dans le parti et
l ' Etat en temps de paix ne pouvait conduire qu ' à la
déchéance.
En ce qui concerne le coup d 'État criminel du 19 août
1991, on est en droit de se poser quelques questions sur
sa signification politique et sur ses auteurs, car sa
stupidité même est suspecte.
Le groupe des comploteurs est au sommet de l ' Etat et
de ses moyens de répression, dominant les ministères de
la Défense et de l'Intérieur, et tout l'appareil du Parti.
Or, des 180 divisions que compte l'armée soviétique, ils
n'en contactent que quinze, et n'en mobilisent que cinq,
avec ordre de ne pas tirer. E n même temps, comme
dans le plus extravagant scénario d'Hollywood — sans
doute L'Empire du mal, comme disait Reagan — ils
commandent à une usine de Pskov... 250000 paires de
menottes !
Du côté du ministère de l'Intérieur, aucune communication
téléphonique intérieure ou extérieure n'est
coupée, sauf celle de Gorbatchev.
Boris Eltsine revient de vacances quelques heures
avant le déclenchement du coup d 'État . Il n'est inquiété
ni à l'aéroport, ni chez lui . Il se rend au Parlement russe
et entre en conversation téléphonique avec le Président
Bush. Ses amis, les maires de Moscou et de Leningrad,
ont le même privilège.
Debout sur l 'un des tanks qui entourent le Parlement,
où peuvent à loisir le photographier les agences internationales,
i l appelle à une grève générale, que personne
ne suivra, et à des manifestations qui ne dépassent pas
Moscou.
Ainsi naît un héros de la résistance !
Également troublant est l'accueil officiel du grand
duc Wladimir à Saint-Pétersbourg (qui a repris son
nom allemand), par le maire eltsinien de la ville, le
7 novembre 1991, jour anniversaire de la révolution
d'Octobre. Eltsine, à Paris, rencontre l'héritier des
tsars, qui l'assure de son soutien.


Gorbatchev a repensé le socialisme à partir de ses
fins * pour changer fondamentalement les moyens. I l ne
s'agit pas d'un rapiéçage ou d'un simple changement
des structures, comme le suggère le mot perestroïka. Je
traduirais plutôt perestroïka par renaissance : une société
qui se repense à partir de ses principes.
Cette ouverture a rendu possible la levée de peuples
entiers, en Pologne, en Hongrie, en R D A , en Tchécoslovaquie.
Même si un si vaste mouvement pour un
socialisme à visage humain est inévitablement parasité
par des pêcheurs en eau trouble ou des provocateurs, le
sens profond de la crise est clair : il s'agit d'une révolte
déclenchée par Gorbatchev contre la triple perversion
du socialisme.
I l a échoué.
Mais cet incontestable échec ne doit pas nous
conduire à idéaliser pour autant l a jungle du marché
sauvage.
Le monde de 1' « économie de marché » compte, en
Europe, dix-sept millions de chômeurs, et, aux États-
Unis, vingt millions d'indigents.
Les premières déclarations faites par Eltsine, sans
consulter personne, sont spectaculaires, encore qu'inquiétantes
pour les autres républiques et gênantes pour
ses partisans de l'extérieur. Elles indiquent que les
frontières des républiques peuvent être révisées, que
toutes les armes nucléaires d'Ukraine seront transférées
en Russie, que l'activité du Parti est suspendue, et que
six journaux sont interdits.
Étrange début pour un ordre démocratique !
A partir de là, certains objectifs fondamentaux peuvent
être atteints. D'abord, en finir avec la perestroïka
de Gorbatchev, qui tentait depuis cinq ans (avec trop
de louvoiements et de lenteur, c'est vrai) d'articuler,
dans l'économie, le marché et le plan, afin de rompre
avec la planification centralisée et despotique, sans
pour autant tomber dans la jungle d'un marché sans
entrave. Le libéralisme sauvage y rappelle l a théorie du
renard libre dans le poulailler libre, avec polarisation de
la richesse par une minorité, et chômage pour des
multitudes.
Boris Eltsine, depuis deux ans, s'est prononcé pour
une économie de marché à l'américaine. L'hallucinante
braderie de siècles d'histoire révèle chaque jour davantage
l'ampleur de la trahison contre un grand peuple.
A en juger par l'absurdité dérisoire de l'entreprise du
« coup d'Etat » et par l'immensité de ses conséquences,
à en juger surtout par ses bénéficiaires, on est en droit
de se demander s'il s'agissait vraiment d'un complot, ou
d'une mise en scène.
Quelle que soit la réponse à notre question, le résultat
est là : une restauration du capitalisme. Je dis « restauration
» du capitalisme comme on appelle « restauration
de la monarchie » le mouvement de 1815.
La Révolution française avait commis ses crimes : la
Terreur jacobine, les corruptions des thermidoriens, la
dictature de Napoléon, mais la monarchie restaurée ne
se contente pas d'abattre les statues de Napoléon et de
Robespierre, elle abat aussi celles de Rousseau, de
Voltaire, de Diderot. Elle veut rayer de la mémoire des
Français le « siècle des Lumières » et tous les aspects
positifs de la Révolution, comme aujourd'hui l'on ne se
contente pas de renverser les statues de la décadence
stalinienne, mais celles de Marx et des fondateurs du
socialisme. On feint d'oublier les orgies anciennes du
capitalisme, la tyrannie des tsars de la Russie, qu'on
appelait alors « la prison des peuples » à cause de la
persécution exercée contre les minorités ethniques et
tout mouvement de liberté.
Car, pour mettre fin à la perestroïka qui tentait de
restaurer le socialisme en combattant ces perversions,
on veut restaurer le capitalisme sous le pseudonyme
rajeuni d ' « économie de marché ».
Pour affaiblir les résistances possibles, la méthode la
plus sûre était de désintégrer l'ancienne Union soviétique
en déchaînant des nationalismes, au risque de
réveiller de vieux démons.
La désintégration de l 'Union soviétique s'est achevée
de telle manière, avec le complot de Minsk par Eltsine
et ses deux compères, que tout se passe comme si la
mise en scène du « complot » du 19 août était la
préparation de celui du 10 décembre, la réalisation en
deux étapes d'une seule entreprise : en finir avec la
perestroïka — qui était une tentative de réforme du
socialisme —, et hâter la restauration du capitalisme.
Le déchaînement des nationalismes est étroitement
lié à cette opération : lorsque les projets d'avenir
refluent, le passé émerge et le nationalisme resurgit. Il
est alors facile, et démagogique, de désigner « l'autre »
comme le bouc émissaire de tous les malheurs.
L'exemple typique est celui des Etats baltes, dont
l'indépendance a été si hâtivement reconnue. Les
politiciens^ et les médias à leur service, ont fait croire
que ces Etats avaient été de paisibles démocraties
dévorées en 1940 par Staline.
L'actuel président lituanien, M . Landsbergis, a nié
jusqu'au début de septembre 1991 avoir réhabilité des
criminels de guerre nazis. Or les centres Simon Wiesenthal,
à Los Angeles et à Jérusalem, révèlent, le 5 septembre,
que ces fascistes lituaniens étaient intégrés, en
unités spéciales, dans l'armée d'Hitler. Ils se consacraient
à l'extermination des Polonais, des Russes, des
Juifs et des Gitans. Un tiers sont encore en vie. Ils ont
été réhabilités, même après avoir avoué des meurtres
collectifs ( Le Monde , 7 septembre 1991), par M . Landsbergis
qui, dans le territoire lituanien à forte présence
polonaise, a supprimé les organes d'autogouvernement
et les a remplacés par des gouverneurs dont l'action est
telle que les Polonais de ces régions les appellent des
gauleiters, comme au temps de l'occupation hitlérienne.
En Ukraine, à côté des nationalistes modérés présidés
par le poète Ivan Drech, les nationalistes traditionnels,
dirigés par Stepan Jmara, ont décidé d'intégrer « tous
ceux qui ont combattu les Rouges », y compris ceux qui
l'ont fait aux côtés des nazis. Les populations du midi
de la France ont fait l'expérience de la férocité, pendant
l'Occupation, des exactions de « l'armée Vlassov »,
constituée par des Ukrainiens.
La Croatie n'est devenue un Etat que par la volonté
d'Hitler, qui en confia la direction au fasciste croate
Ante Pavelich, chef des oustachis. Le mouvement nationaliste
croate, comme le révélait Le Monde du 13 septembre
1991, sous le titre « La Légion noire », utilise
des mercenaires français pour « nettoyer les villages
serbes ». L' u n d'eux se déclare « national socialiste et
fier de l'être ». On arbore dans les campements les
portraits d'Ante Pavelich.
En Azerbaïdjan, à la frontière de l'Iran, et, à un
moindre degré, en Ouzbékistan, les gouvernements ne
parviennent plus à endiguer la montée des courants
islamistes intégristes.
Les encouragements aux nationalismes conduisent
ainsi, non à une démocratisation de la vie des républiques,
mais à la formation de nouveaux totalitarismes
dont la contagion en Europe risque de déstabiliser tous
les Etats. En Espagne, les nationalistes catalans et
basques invoquent déjà l'exemple lituanien. Qu'en
sera-t-il, en Grèce, d'un État macédonien ? En Italie, du
Tyrol et du Haut Adige? Ou encore en Irlande du
Nord?
L'aveuglement des dirigeants occidentaux nous
conduit une fois de plus au chaos.
Politiciens et affairistes occidentaux n'ont vu, dans
l'implosion du monde soviétique, que l'ouverture d'un
immense marché. C'est penser le monde avec un siècle
de retard et sans tenir compte de leurs échecs, comme
au temps où l'Angleterre et la France se partageaient la
dépouille de l'Empire ottoman. Toutes leurs créations
d'alors portent à présent des noms de massacres : Irak
et Palestine, Syrie et Liban, Serbie et Croatie.
Le danger est aujourd'hui accru, car l'occasion
historique perdue de renoncement progressif au
nucléaire, proposé par Gorbatchev lorsqu'il avait
encore le pouvoir d'en concerter le contrôle avec les
Etats-Unis, peut laisser des possibilités nucléaires apocalyptiques
aux mains d'irresponsables tyranneaux.

ROGER GARAUDY

LES FOSSOYEURS Un nouvel appel aux vivants
Copyright© L'Archipel, 1992.
pages 48 à 59