30 janvier 2012

L'affaire Knobelspiess



Lettre ouverte à Alain Peyrefitte, garde des sots et des peureux                                                        

   Pourquoi gardez-vous dans vos prisons un innocent nommé Roger Knobelspiess ?


Monsieur le sinistre, Vous devez en recevoir des lettres, chaque jour ! Des bien torchées, des bien polies, des bien hypocrites. Ça doit flatter votre suffisance naturelle. Ça doit conforter votre sentiment d'importance... Et si je vous écrivais, moi aussi ? Mais, j'hésite : à qui vais-je m'adresser ? Au sinistre de l'injustice ? Au garde des sots et des peureux ? A l'officialisateur du délit de « sale gueule », comme titrait « Libération » en juin 1980 ? A l’expulseur d'étrangers ? Au chantre des miradors ? Au champion de la mutation de magistrats ? A celui qui voudrait, selon Jacques Chirac, « rétablir le délit d'opinion de sinistre mémoire » ? Au « cacadémicien » qui joue volontiers les penseurs libéraux ? Au cabotin méprisant et auto-satisfait qui fait la roue devant les caméras de télévision ? A l'utilisateur de lignes de téléphone directes entre le ministère de l'information et la direction des journaux radio-télévisés ? Au soi-disant « spécialiste » de la Chine, à l'aveugle qui n'aperçut pas au pays de Mao la moindre violation des droits de l'homme ? A l'âne politique qui salua en ces termes le coup d'Etat de Pinochet : Allende et son entourage « croyaient qu'on pourrait concilier la dictature du prolétariat et la liberté... » ? Oui, vraiment, lequel de vos tristes masques distinguer ? Je n'ai de considération pour aucun d'entre eux. Des gens qui vous connaissent m'ont assuré qu'il vous arrive encore d'être humain... Comme vous cachez bien votre jeu ! Quel talent de dissimulateur ! Quel métier d'escamoteur ! Ainsi, il existerait un Alain Peyrefitte qui « se déboutonnerait » parfois, qui consentirait à écouter des vilains et des mamans, qui ne se prendrait plus pour la main de Dieu dans la culotte de l'Etat... Et on pourrait s'adresser à lui ? Pour autre chose que des courbettes ? Pour autre chose qu'une supplique ? Pour lui dire son fait entre « quat'zeux » ? On va bien voir... A moi Peyrefitte, deux mots ! Une question, plutôt : qu'est-ce que ça fait à un humain de prendre le risque d'être complice d'une erreur judiciaire ? Quand je dis « une », je pèse mes mots, je ne parle que de l'affaire Roger Knobelspiess, que j'ai examinée dans le détail. Mais, il est évident que Roger n'est pas le seul innocent en prison et que je peux très bien reprendre à mon compte l'interrogation de son avocat, Henri Leclerc : combien sont-ils parmi les quarante-deux mille prisonniers français « à n'avoir pas commis les actes pour lesquels ils sont châtiés » ? Mille ? Cent ? Combien sont-ils à crier leur innocence ? Qu'est-ce que ça vous fait, cher sinistre, de les entendre crier ? Qu'est-ce que ça vous a fait quand vous avez reçu par la poste, dans une lettre affranchie à 1,30 F, un des doigts du détenu Maurice Locquin ? C'était sa manière à lui de vous hurler son innocence. Ça vous a fait jouir ? Vous en redemandez ? Apparemment, ça vous amuse beaucoup, puisque, à ma connaissance, vous avez refusé de vous pencher sur le dossier de Locquin : en 1979, quand il vous a envoyé son doigt, il était à Clairvaux depuis six ans ; aujourd'hui il est à Melun. Merci pour le voyage ! Faudra-t-il qu'il vous envoie sa main entière pour que vous daigniez réviser son procès ? A moins que vous ne préfériez sa tête... (1) Sourd ou amnésique ? Je persiste et signe : qu'est-ce que ça vous fait d'être complice d'erreurs judiciaires ? Vous y prenez du plaisir ? Quand vous laissez sans réponse les protestations d'innocence de Roger Knobelspiess, Maurice Locquin, Daniel Debrielle, Guy Mauvillain et d'autres que je ne connais pas mais que vous connaissez parfaitement, ça vous rassure sur votre pouvoir ? Devriez aller voir un « psy » ! Après quelques séances sur un divan, vous auriez peut-être moins tendance à refuser systématiquement toute révision de procès d'assises. La loi a prévu que l'erreur puisse se produire : l'article 622 du Code de procédure pénale précise, en autres cas, que le garde des Sceaux a toujours la possibilité de saisir le procureur général de la Cour de cassation et de demander la révision d'un procès « lorsqu'un fait nouveau de nature à établir l'innocence se révèle après la condamnation. » Si ledit garde des Sceaux a connaissance d'un fait nouveau et ne fait rien, s'il refuse la révision du procès, de quoi s'agit-il sinon de complicité délibérée d'erreur judiciaire ? De responsabilité à part entière, peut-être... ? En toute impunité, évidemment ! Vous êtes sourd. Je pourrais vous interroger, seulement : êtes-vous sourd ? J'affirme : vous êtes sourd. Malgré les apparences, malgré les deux pavillons superbes dont la nature vous a généreusement affublé. Vous êtes sourd ou vous faites semblant de l'être, ce qui revient au même. Vous faites le sourd. Vous faites semblant de ne pas entendre les cris de Roger Knobelspiess et de son Comité de défense (2). Pourtant, je sais que le premier livre de Roger, « Q.h.s., quartier de haute sécurité » (Stock), vous a été remis en mains propres. Je sais par qui et en quelles circonstances. Pourtant, j'ai lu que vous citiez « Q.h.s. » dans la longue bibliographie des « Chevaux du lac Ladoga ». Vous êtes amnésique. Ou vous faites semblant de l'être. Il me faut donc vous rafraîchir la mémoire. Voici les faits. Dans la nuit du 25 au 26 mai 1969, à Carsix (Eure), un pompiste nommé Monfort est victime d'un vol à main armée : un coup de feu est tiré par terre, huit cents francs sont subtilisés dans le tiroir-caisse. Roger Knobelspiess, d'Elbeuf, jeune homme de vingt et un ans, est sorti de la prison de Colmar quelques jours avant, le 20 mai exactement : il vient de purger trois ans pour vols. Il est le coupable idéal pour le hold-up de Carsix : le 4 mars 1972, sans aucune preuve décisive, devant la cour d'assises de l'Eure, le jury le condamne à quinze ans de prison ! Quinze ans de geôle pour huit cents francs volés : peut-on appeler ça de la justice ? Surtout quand on n'a pas réussi à établir la culpabilité du condamné... Voici d'autres faits. Le 16 janvier 1971, pendant que Roger est en préventive, son frère Jean est abattu par un commerçant de Beaumont-le-Roger (Eure). Depuis son appartement du deuxième étage, ce commerçant a entendu du bruit dans son magasin d'électro-ménager : on le cambriole ! Dans la rue, dans une voiture, bien éclairé par un réverbère, Jean Knobelspiess attend... Le commerçant, sans sommation, comme au stand, de son appartement tire cinq balles sur Jean ; deux mortelles : une dans le cervelet, une dans,le cœur. Jean ne menaçait en rien le commerçant. Il n'y avait pas légitime défense. C'était de l'assassinat pur et simple. Néanmoins, quatre ans après les faits, il bénéficiera d'un non-lieu ! Il se sera même entre-temps, en mars 1972, offert l'ignoble geste de venir narguer Roger, le frère de sa victime, en pleine audience d'assises. Vous appelez ça de la justice ? D'un côté, un supposé coupable vole huit cents francs : votre « justice » le condamne à quinze ans de réclusion criminelle ! De l'autre, un tireur d'élite (il l'était !) abat froidement un homme : votre « justice » ne lui fait même pas faire un jour de prison pour ce meurtre délibéré ! Je dis « votre justice », parce que, si vous n'étiez pas garde des sots et des peureux au moment de ces faits, vous étiez, avec un autre portefeuille ministériel ou à la tête du parti gaulliste, solidaire de ces dénis de justice. Ah ! elle est belle « votre justice » ! Elle vous ressemble. Bizarre tout de même : deux verdicts parfaitement dégueulasses, totalement iniques contre la même famille... Depuis quatre ans que vous êtes sinistre de l'injustice, personne n'aurait attiré votre attention sur cette bizarrerie ? Vous pourriez difficilement le faire croire ! Ne serait-ce que parce que vous avez lu « Q.h.s. ». Et Roger y démontre très bien la machination dont il a été victime : « Pour disculper et blanchir l'honnête homme (il parle du commerçant meurtrier !), il fallait que Jean devienne le frère d'un dangereux criminel. Si ce n'est toi c'est donc ton frère... Le tableau devenait écrasant. » Roger n'invente rien : les notables et les bourgeois de l'Eure menèrent bel et bien, de 1971 à 1972, une campagne publique sur ce thème de la dénonciation d'une famille « dangereuse » : « les Knob ». Des pétitions en ce sens, soutenues par le maire de Beaumont-le-Roger, furent envoyées au préfet de l'Eure et publiées dans la presse locale. Fit-on mieux sous Pétain ? Un journal d'Evreux titra : « Foule nombreuse à l'enterrement d'un gangster mortellement blessé par un commerçant. » Et alla jusqu'à imprimer : « Le gangster Jean Knobelspiess sûrement achevé par ses complices. » Vous qui avez le cuir tellement sensible en ce qui concerne la presse, pourquoi ne traînez-vous pas ce journal-là devant vos tribunaux ? « Gangster », Jean Knobelspiess ? Chômeur, misérable, plutôt. Il avait des enfants qui crevaient de faim. Alors, pour qu'il puisse les nourrir, son père, de temps à autre, lui cédait une journée de ramonage. Ou il « faisait » les décharges publiques avec son frère Roger : il revendait la ferraille qu'ils y récupéraient. Ou encore, il fauchait « un kilo de patates » à sa propre mère, tout aussi pauvre que lui. Jean n'était pas plus gangster que Roger n'est coupable du hold-up de Carsix. Facile à démontrer. Même par vos services. Mais bien gênant pour leur réputation de prétendue infaillibilité... Le beau témoin à charge que voilà ! N'importe quel Rouletabille en herbe, n'importe quel Maigret en culottes courtes pourraient prouver que les charges retenues en assises contre Roger Knobelspiess ne tiennent pas. Au procès, le 4 mars 1972, le pompiste agressé est venu dire : « Je le reconnais, c'est lui ! » Pourquoi ne l'avait-il pas reconnu sur photo au lendemain de l'agression ? Pourquoi avait-il déclaré alors qu'il faisait nuit et qu'il lui serait impossible de reconnaître et son voleur et celui qui avait tiré par terre pour lui faire peur ? Pourquoi (ou sur suggestion de qui ?), dans ces conditions, le pompiste a-t-il reconnu Roger un an après les faits ? Il est vrai que, pour la confrontation, Roger lui fut présenté seul et après avoir été amené devant le témoin menottes aux mains ! Ce pompiste n'a d'ailleurs cessé de se contredire : une fois, il a déclaré que le tireur avait sorti un revolver de la boîte à gants de la voiture ; une autre fois, qu'il l'avait tiré de sa poche de pantalon. De même, dans un premier temps, il a prétendu avoir été attaqué par deux hommes armés ; mais, à l'audience, il n'a parlé que d'un seul : Roger ! Le beau témoin à charge que voilà ! Si Roger Knobelspiess a pu être condamné c'est parce qu'un certain François M., arrêté, a reconnu sa propre participation au hold-up de Carsix mais a aussitôt dénoncé et chargé Roger. Comme par hasard, ce délateur n'a pas été malmené par le témoin-pompiste... Comme par hasard, le pompiste avait fait son service militaire avec le frère de François M. La justice, évidemment, ne s'est pas intéressé à ce détail ! Pas plus qu'elle n'a mis en doute les accusations du pseudo-comparse de Roger. M. a en effet prétendu que la D.S. 19 qui avait servi pour le hold-up avait été volée par Roger. Manque de chance : le jour où elle a été dérobée, en janvier 1969, Roger était encore en cellule à Colmar ! La justice, « votre justice », évidemment, ne s'est pas non plus attardée sur ce détail-là ! Décidément, elle a bien œuvré « votre justice » ! Pour le soir du hold-up, Roger avait un alibi en béton : il était au bal, à soixante kilomètres de Carsix. Deux de ses sœurs et son beau-frère en ont témoigné. « Alibi de tribu », a dit « votre justice ». Mais a-t-elle recherché d'autres témoins ? Il devait quand même y avoir d'autres gens que les Knobelspiess à ce bal ! Pourquoi n'avoir pas tenté de vérifier ? C'est que « votre justice » ne voulait pas savoir. Elle tenait « son » coupable. Elle écartait tout ce qui risquait de l'innocenter. Roger a donc eu tout à fait raison d'intituler son nouveau livre « l'Acharnement ou la volonté d'erreur judiciaire » (Stock). Car il y a bien eu volonté d'erreur. A preuve, le cas de X. Quarante-huit heures après le hold-up de Carsix, les gendarmes trouvent dans la voiture de X., une D.S. 19, un poste de radio en provenance de la voiture volée, une autre D.S. 19, qui a servi pour le hold-up. Ils trouvent également, dans une cache aménagée dans la boîte à gants, un sac en toile de jute. Dans ce sac, trente cartouches de 9 mm, du même calibre que la cartouche tirée lors du hold-up de Carsix. X. tente de reprendre le sac aux gendarmes, échoue mais réussit à s'enfuir. Le jour de la reconstitution du hold-up, il réussit une nouvelle fois à échapper aux gendarmes. En correctionnel, X. sera relaxé du vol du poste de radio que son propriétaire avait pourtant formellement reconnu ! Il est aujourd'hui en liberté. Il n'a jamais été inquiété ! Les événements concernant X. n'ont pas figuré au dossier d'assises de Roger ! C'est le juge d'instruction chargé du dossier de Carsix qui a lui-même fait cesser les recherches pour retrouver X. ! Or, il a été établi que la cartouche tirée à Carsix dans la nuit du 25 au 26 mai 1969 était de même origine et de même référence que celles utilisées pour une autre agression à Oissel le 29 janvier 1969 : à cette date Roger était en prison ! Or, il a été établi que ces cartouches ont été volées dans deux casernes de Rouen entre la fin de 1968 et janvier 1969 : à cette époque Roger était en prison ! Or, un spécialiste de balistique, le professeur Ceccaldi, a établi que c'est la même arme qui a servi à Oissel et à Carsix ! Ce qui entraîne une série de questions : pourquoi la justice, « votre justice », a-t-elle cru sur parole François M. et X. ? Pourquoi a-t-elle été clémente avec le premier et laxiste avec le second ? Qui M. et X. protègent-ils ? Par qui sont-ils protégés ? Sont-ils indicateurs de police, délibérément ou à leur corps défendant ? Qui les a manipulés dans cette histoire ? Ces questions sont à la fois évidentes et bien gênantes pour « votre justice ». Pourtant, un homme de robe a osé se les poser : l'avocat général qui avait requis quinze ans contre Roger. Et ces questions ont fait leur chemin en lui. Au point qu'il écrive lui-même à Roger le 7 janvier 1974 : « En 1973, j'ai parlé de vous à mon ancien procureur d'Evreux. J'ai adressé, moi-même, au ministre, votre demande de révision avec un avis favorable. » Vous avez bien lu : « Avec un avis favorable » ! Comme si cet avocat général avait fini par admettre qu'il avait fait condamner un innocent... Malgré cette démarche assez unique, le procès Roger Knobelspiess ne fut pas révisé. Le sera-t-il aujourd'hui ? Henri Leclerc, l'avocat de Roger, vient de vous envoyer une nouvelle « requête afin de révision ». Peut-on espérer ? Peut-on rêver que, soudain, le sinistre de l'injustice devienne un véritable ministre de la Justice ? En fait, vous détestez Roger. Ah ! s'il avait accepté de fermer sa gueule ! Ah ! s'il s'était comporté en douce victime meurtrie, en mouton consentant et accablé ! Il serait déjà sorti de taule à grands renforts de remises de peine... Mais Roger n'a pas accepté le mensonge, l'erreur qui le salissait et lui volait sa jeunesse. Il a eu le courage de ne pas courber l'échiné, de crier son innocence. C'est ce courage que vous détestez. Vous et vos semblables. Vous et vos prédécesseurs. Roger : le grain de sable dans les rouages de votre machine à broyer des innocents. Roger ou l'effet boomerang. Vous détestez cette parole forte qui vous accuse dans « l'Acharnement » : « Trois cents « suicides » en prison ces cinq dernières années, et combien de centaines de grévistes de la faim, de mutilés et d'automutilés ? Combien d'innocents ? Combien d'injustices ? En cinq ans, cent cinquante bavures policières et meurtres commis par la police, sur n'importe qui, cautionnés par le maintien de l'ordre. » Vous détestez cette voix qui vous éclabousse : « Je n'ai pas cessé de clamer mon innocence, pas arrêté de me battre, de vouloir convaincre, de puiser mes forces comme un obsédé au fond de mon désespoir. J'ai crié, des milliers de fois écrit, témoigné de l'indifférence où je reste, cuisant dans ma propre douleur. Condamné à tort et condamné depuis douze ans à toujours revivre intérieurement mon procès. (...) Je ne me remettrai jamais de cette erreur. » Vous détestez la prise de conscience de Roger. Quand il comprend : « La prison d'aujourd'hui est un centre d'essai pour régime social dur. » Quand il précise : « Aujourd'hui s'installe et s'ajoute le code « Sécurité et liberté », restauration implacable de la protection des immuables privilèges. » Quand il stigmatise votre rôle : « Soumettre le peuple pour l'intérêt, non vital, de la minorité privilégiée. » Vous pensiez avoir écrasé définitivement un « petit zonard de rien du tout » et le voilà qui se met à vous montrer du doigt ! La victime regarde son bourreau dans les yeux ! Le miséreux n'a plus peur devant le riche ! C'est peut-être ce qui vous emmerde le plus chez Roger : qu'il soit un enfant de la misère et qu'il n'en ait pas honte ! Pis : qu'il vous en tienne pour responsable ! « Ma délinquance, c'est vous ! (...) », s'écrie-t-il. Vous le riche, le sans-problème, le normalien supérieur-énarque devenu logiquement et sans risque sinistre « cacadémicien ». Il vous empêche de dormir ce petit pauvre ! Vous voudriez bien pouvoir le cacher, l'escamoter. Vous et vos semblables qui prétendez avoir fait de la France un paradis, qui affirmez avoir aboli la misère. Vous voudriez bien qu'il se taise, qu'il ne parle plus de la zone d'Elbeuf, de son enfance, de ses poux et de ses galoches de bois, de son père alcoolique, de la marmite de soupe populaire qu'il allait chercher dans la cour de la caserne des pompiers, pour sa famille, les soirs d'hiver. Il dérange votre confort et vos belles théories. Il brouille vos beaux discours électoraux. Il parasite vos apparitions angéliques à la télévision. Qu'il la boucle donc, ce petit con ! Qu'il ne dise plus : « Mon quartier de la misère, cette antichambre de la prison en moi à jamais » ! Qu'il cesse d'être la démonstration vivante de son affirmation : « L'œuvre de Zola est d'aujourd'hui » ! Qu'il disparaisse ! « Coupable de misère, de malchance, d'injustice » II ne disparaîtra pas. Nous sommes de plus en plus nombreux à y veiller. Et vous devrez encore l'entendre. Par exemple vous raconter ses fêtes de fin d'année à la Cité des Ecameaux, le « Chicago » d'Elbeuf : « A Noël, les vieux, ils nous disaient : Si les voisins vous demandent ce que vous a donné le Père Noël, vous répondrez des « Nanins-Bleus ». Je n'ai jamais su ce que cela signifiait : des « Nanins-Bleus ». (...) C'était cela nos Noëls,. On était à peine dans la vie que le désespoir et la cruauté nous fauchaient (...) Ma mère, elle cachait le beurre et le fromage, parce que si l'un de nous tombait dessus, il ne connaissait que sa propre faim. » Ils étaient neuf enfants, les « Knob ». Et pour vous, Peyrefitte, ça se passait comment Noël ? Vous devriez nous raconter ! Roger a raison : « Eux là-haut, ceux qui nous gouvernent, ceux qui savent tout, ils s'en branlent de ça. » Claude Mauriac a raison : Roger est coupable. Il le dit dans sa préface à « l'Acharnement » : « Coupable de misère. Coupable de malchance. Coupable d'injustice. » Et Roger en écho, quelques pages plus loin : « Que répondre à ceux qui justifient tout de l'ordre établi, qui parlent de délinquance, de violence urbaine et qui ne voient pas la misère, l'injustice économique ? Eux, ils sont pour la peine de mort. » Eux, c'est vous : le sinistre de l'injustice, le fantassin du giscardisme en campagne. Roger vous désigne : « J'ai gardé les lettres de la chancellerie qui signent la responsabilité de mon désespoir. » Roger vous apostrophe : « II y a treize ans qu'aucune révision de procès n'a été accordée dans ce pays en dépit de tous les innocents qui défraient la chronique judiciaire. » Roger nomme votre commandeur : « Savez-vous le nombre de lettres que j'ai envoyées au président de la République, qui ne daigna jamais me répondre ? » Roger n'est pas un saint, Roger est un homme. Un homme juste : il n'a jamais contesté sa première condamnation, ses trois ans de prison pour vols. Un homme blessé : il n'a plus confiance dans la justice de son pays, dans « votre justice » ; et il fait la grève de l'instruction sur une autre affaire, il ne veut pas qu'on le traite en « récidiviste » ; il veut d'abord qu'on reconnaisse son innocence dans l'affaire de Carsix. Roger n'est pas un saint : un moment en cavale, il a pensé à venger son frère, à « tuer ce chien galeux de commerçant ». Il raconte en des pages bouleversantes, dans « l'Acharnement », comment il y a renoncé : « Au moment où je poussais la porte de son magasin, il vient vers moi, gentil et offert. Nous étions seuls. Personne dans la rue. Ma main serrait l'arme dans la poche de mon imperméable... Etait-ce possible ? Il était serein, il était l'archétype même de la courtoisie. Quand il s'adressa à moi : « Vous désirez, monsieur ? », j'ai compris. (...) J'ai mesuré que j'appartenais à la vie, et je ne pouvais pas tuer. » Roger est reparti après lui avoir demandé s'il avait des rasoirs Philips à trois têtes... Quelle leçon, cher sinistre ! Roger est un homme humain, lui. Pas un violent. « La violence, dit-il, je la laisse à l'Etat, à M. Giscard d'Estaing qui, en guillotinant pour gagner deux cent mille voix, est le premier à donner l'exemple de la criminalité en France. » A Giscard et à Peyrefitte, son chien savant. Chien savant, complice d'erreurs judiciaires, bourreau, despote, amnésique : et vous réussissez encore à vous regarder dans votre glace, monsieur le sinistre de l'injustice ? « En France, avez-vous dit un jour à la télévision, vous avez le droit de penser ce que vous voulez. » Merci, vous voyez, j'en fais bon usage. Je m'octroie même un autre droit : celui de dire et d'écrire ce que je pense. Cela s'appelle la liberté d'expression. Mais, pour quelqu'un qui a été ministre de l'Information, c'est peut-être un droit qu'il faudrait abolir... Elle vous dérange, la liberté d'expression : celle de Roger dans ses livres, celle des journalistes. La preuve : le 7 juin 1980, dans une lettre au « Monde » vous écriviez : « Je n'ai pas l'habitude d'exiger quoi que ce soit des journalistes en qui je respecte des esprits libres » ; à la suite de quoi, cinq mois après, vous faisiez poursuivre « le Monde » ! C'est votre côté girouette. Votre côté mesquin. Votre côté Peyrefitte-le-petit. C'est Peyrefitte-le-petit qui risque de refuser de réviser le procès de Roger Knobelspiess. Peyrefitte-le-mesquin. Peyrefitte-le-jalouseux, comme on dirait au Québec. Car vous être jaloux ! Jaloux du talent de Roger. Pensez donc ! Pour obtenir vos succès de librairie et votre entrée à l'Académie française, il vous a fallu avoir recours à des « nègres », ainsi que le « Canard enchaîné » l'a révélé à propos de « Quand la Chine s'éveillera ». Mais, malgré ce stratagème, personne ne s'est jamais pâmé devant vos qualités d'écriture... Pour Roger Knobelspiess, par contre, voilà que Claude Mauriac parle de « littérature » et de « cri admirable ». Eh oui ! L'écrivain c'est lui. Le talent, c'est lui : dans la lignée de François Villon et de Jean Genet. Vous, vous n'en avez que le déguisement et les apparences : un habit vert, un dérisoire habit vert. Vous n'êtes qu'un « écrivaniteux » ! (3) Vous avez une épée : grand bien vous fasse : Roger n'a qu'un stylo, mais il sait s'en servir. Ecoutez plutôt. Après un « parloir », il parle d'amour, de sa compagne : « J'ai vu Helyett cet après-midi. Je me découvre, je suis émerveillé d'être amoureux. Cela, depuis deux ans... Je tremble, pourvu qu'il ne lui arrive rien. C'est fou comme nous sommes bouleversés, comme elle est douce et belle rebelle contre la mort... paysage humain de nouveau monde. Je suis amoureux fou archidélié. Et c'est rassurant, je pourrai encore vivre malgré ce qu'ils m'ont fait... Et vivre avec elle, intensité d'une étoile sous un ciel noir qui se lève dans la chaleur d'un soleil humain. En écrivant ce livre, pour toi et moi, ce soir j'espère. Je t'aime. Pensez à nous lecteurs, bonsoir mes juges de l'infamie ! » II faut sortir Roger Knobelspiess de taule tout de suite : pour réhabiliter un innocent, pour sauver un homme et libérer un écrivain. Je pense à toi, Roger. Je ne vous salue pas, monsieur le sinistre. Je ne vous saluerai pas tant qu'il y aura un seul innocent dans vos prisons. (1) Maurice Locquin vient juste de terminer une nouvelle longue grève de la faim. Merci encore, monsieur le sinistre ! (2)

Comité de défense de Roger Knobelspiess : « Esprit », 19, rue Jacob, 75006 Paris.
Font, entre autres, partie de ce Comité :

Roland Agret, Guy Bedos, Alain Bombard, Marie Cardinal, Jean-Pierre Faye, Raymond Forni, Michel Foucault, Roger Garaudy, Jacques Higelin, Michel Hermon, Bernard Lavilliers, Maxime Le Forestier, Thierry Le Luron, Claude Manceron, Denis Manuel, Alexandre Minkovski, Yves Montand, Simone Signoret, etc. (3) Le mot « écrivaniteux » est une expression du Québécois Sol.
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Un procès d'assises, c'est toujours plus ou moins sordide. On y déballe sans vergogne toutes les faiblesses et toutes les turpitudes de l'espèce humaine. Pour tout dire, ça vole rarement très haut... Il faudra pourtant faire une exception et marquer d'une pierre blanche le procès qui s'est déroulé au palais de justice de Rouen entre le 26 et le 30 octobre 1981. Dans le box, cinq inculpés, appelés à répondre de neuf hold-up ou tentatives de hold-up. Au nombre de ces prévenus : Roger Knobelspiess. Il a reconnu les faits. Et il a aussitôt contre-attaque. Oui, il n'est pas rentré de permission le 21 octobre 1976. Oui, il a organisé des vols à main armée pendant sa cavale. Mais... Jean Valjean du XXe siècle Terrible « mais ». Aux jurés, Knobelspiess a dit : « Ce que j'ai fait pendant mon évasion était maladroit. Mais c'était le désespoir. » En effet, qui n'aurait été désespéré d'avoir été condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour un vol de 800 F qu'il n'a pas commis ? Qui, à la place de Knobelspiess, victime d'une erreur judiciaire, serait rentré de permission ? Guy Bedos l'a écrit à la cour et Henri Leclerc, l'avocat de Knobelspiess, a lu sa lettre : « Mesdames et Messieurs les jurés, réfléchissez bien. Si vous aviez été condamnés par erreur, êtes-vous sûrs que vous auriez regagné le pénitencier dont vous seriez l'infortuné pensionnaire ? Moi, j'aurais fait bien pire que ce que vous avez à juger. » Et Roger Garaudy est venu dire à la barre : « Sous Hitler, pendant trois ans, j'ai connu l'enfermement, les humiliations, les coups. Et je me suis dit : voilà un homme qui vit depuis dix-sept ans là dedans. Alors je me suis demandé : serais-je rentré au terme d'une permission de sortie ? Je le dis tout net : non. J'aurais choisi l'illégalité avec tout ce que cela comporte. » Etonnant moment où se dévoile l'engrenage judiciaire : Knobelspiess est d'abord coupable d'avoir été innocent ! Inoubliable instant où cet homme, qui devrait être broyé, a le courage d'élever le débat : « Moi, je ne suis pas ici pour demander des circonstances atténuantes. Après douze ans d'erreur judiciaire, je viens en accusateur ». Et la Justice de devoir accepter l'accusation de Knobelspiess. Et le président du tribunal, Guy Léger, de devoir faire piteusement mea culpa au nom de la justice : « Que vous soyez innocent ou coupable dans cette agression, je n'ai pas à en juger. Il appartiendra à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui détient ce dossier de révision de se prononcer à ce sujet. Mais, ce que je puis dire, et je le dis avec force, c'est que ça ne valait pas quinze ans. J'approuve vos réactions. Innocent ou pas c'était une peine très exagérée. » Du jamais vu : un président ouvrant l'audience par une plaidoirie maladroitement apaisante en faveur de l'accusé. Et ledit accusé, Jean Valjean du XXe siècle, se faisant procureur du glaive et de la balance. Parlant mieux avec ses tripes qu'un sociologue avec son vocabulaire savant et sophistiqué : « La prison c'est insupportable quand on est coupable, mais c'est inimaginable quand on est innocent. » Et le président passant aux aveux : « C'est le procès du désespoir d'un homme, ai-je lu dans un journal à propos de cette affaire. Je pense que ce n'est pas exagéré... » Et le procureur se taisant, parce qu'il ne doit pas être vraiment fier d'être là... Oui, du jamais vu. Parce que c'est le procès de la justice que réussit à faire Knobelspiess. D'une certaine justice « Alain Peyrefitte ». Les gens de robe n'en peuvent mais devant le terrible réquisitoire de « l'innocent », devant le cri de Knobelspiess : « Je viens devant vous en civil. C'est un peu une façon de falsifier les choses. J'aurais voulu comparaître devant vous revêtu du droguet des prisonniers. Peut-être auriez-vous compris ce que je suis : depuis des années, je ne fais pas l'amour, je me masturbe, je ne sais plus ce que c'est le soleil, je n'ai plus vu la mer. » Knobelspiess dans le box est manifestement à la hauteur de l'écrivain Knobelspiess, de l'auteur de « Q.h.s. » et de « l'Acharnement » : fier, juste, solide, rebelle. En d'autres temps, on eût dit : droit comme un bois de justice ! Frédéric Pottecher est en larmes Roger Knobelspiess est bouleversant. Les témoins sont bouleversés. Frédéric Pottecher est en larmes. Denis Manuel poignant : « C'est nous tous qui envoyons en prison ceux qui ont la malchance de devoir y aller. L'opinion publique est répressive parce qu'elle est mal informée. » Marie Cardinale impressionnante : « J'aimerais que mes enfants, élevés avec tous les privilèges et avantages de ma classe, la bourgeoisie, puissent m'écrire des lettres pareilles à celles que j'ai reçu de lui. » Claude Manceron solidaire : « Je me porte caution puis... demain, quand il sortira, nous l'aiderons... » Demain, quand il sera libre... Liberté pour Knobelspiess : c'est ce qu'il réclame depuis des années : c'est ce que nous réclamons. C'est ce qu'il aura peut-être enfin obtenu quand ces lignes paraîtront. Demain, c'est aujourd'hui. Roger, es-tu libre ?