29 juin 2017

Le marxisme et l'art. 7/ Pour une critique marxiste de l'esthétique de Hegel. Par Roger Garaudy



Ainsi peuvent se dessiner les grandes lignes
d'une critique marxiste de l'esthétique de Hegel :
 - 1/Marx reprend l'idée maîtresse de Hegel
(empruntée d'ailleurs par Hegel à Fichte) que
l'homme c'est la création continuée de l'homme
par l'homme. Mais, à la différence de Fichte et de
Hegel, Marx ne conçoit pas cet acte créateur sous
la forme abstraite et aliénée de création spirituelle,
de création de concepts, ni sous la forme individualiste
et romantique de création solitaire et arbitraire.
L'acte créateur de l'homme, dans la perspective
matérialiste de Marx, c'est le travail concret, un
moment de l'action réciproque de l'homme et de
la nature, où la nature impose à l'homme ses
besoins et où l'homme émerge de cette nature par
la production consciente de ses fins.
Ce travail concret est aussi un travail social,
constituant historiquement ses valeurs, la continuité
historique de ces valeurs et leur objectivité
sociale.
La création artistique est immanente à ce travail,
elle en est le moment suprême : celui de la
découverte de fins nouvelles. Elle n'est pas seulement
une production de l'esprit, mais une réalisation
de l'homme entier.
 - 2/Marx, à la différence de.Hegel, distingue
aliénation et objectivation . L’objectivation est
l'acte par lequel l'homme réalise, en produisant
un objet, ses propres fins, alors que l'aliénation
est la forme que prend cette objectivation dans
toute formation économique et sociale où règne le
système du marché, et, plus encore, dans tout
régime où la force de travail devient une marchandise.
Comme l'écrit Vasquez dans son livre Las
ideas estéticas de Marx, «l'objectivation a permis à
l'homme de s'élever du naturel à l'humain ; l'aliénation
inverse ce mouvement ». Ce sont de telles
conditions historiques qui ont entraîné la séparation
entre la conception de la fin, privilège des
classes dominantes, et la réalisation de ces fins,
réalisation pour laquelle deviennent des moyens
tous ceux qui ne possèdent pas les instruments de
production. De cette séparation fondamentale,
qui est un produit de la division en classes, naissent
toutes les autres : séparation de la conscience et
de la main, du projet et de l'exécution, du travail
manuel et du travail intellectuel, du travail et de
l'art.
 - 3/ Marx, à la différence de Hegel, ne considère
pas l'art seulement comme une forme de connaissance.
Pour Hegel l'art (comme l a religion d'ailleurs)
ne se distingue de la philosophie que par
sa forme et par son langage: il exprime, par images
ou par symboles, ce que la philosophie exprime
plus parfaitement par concepts.
Marx, précisément parce qu'il ne conçoit pas le
travail sous sa forme simplement abstraite de
production de concepts, mais sous sa forme concrète
de production de moyens nouveaux qui engendreront
de nouveaux besoins, ouvre à l'homme social
un horizon sans fin de création et de métamorphose.
Il peut découvrir ce qu'il y a de spécifique
dans l'art, à la fois dans son objet, qui n'est pas de
satisfaire un besoin particulier de l'homme mais
son besoin spécifiquement humain de s'objectiver
comme créateur — au sens même où Marx dira
dans le Capital que, dans le communisme, le libre
déploiement des forces créatrices de l'homme, délivré
du besoin physique, deviendra une fin en soi,
— et dans son langage , qui n'est plus celui du
concept exprimant toujours une réalité, un objet
ou un rapport déjà constitué, mais celui de la
« poésie » (au sens le plus profond) : le langage du
mythe qui exprime non une réalité déjà faite,
mais une réalité en train de se faire, inachevée, et
dans laquelle un avenir encore imprévisible est en
germe.

Roger Garaudy Extrait de "Marxisme du 20e siècle". L'illustration (l'arbre foudroyé de la Commune de Paris par DAUMIER) est extraite du livre de R.G "Comment l'homme devint humain"
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