01 mars 2017

Marx et les luttes politiques (6). La question de l'Etat



Dans les statuts de l'Internationale. Marx avait inscrit
Autre livre de Garaudy sur le marxisme
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cette formule fondamentale : « La conquête du pouvoir
politique est devenue la tâche principale de la classe ouvrière.»
Cette tâche découlait de l'analyse de l’Etat commencée
par Marx dans ses oeuvres de jeunesse lorsque déjà
il définissait l'Etat comme une forme de l'aliénation.
Dans les Manuscrits de 1843 et de 1844, comme dans
La Question juive, l’Etat est défini comme une force issue
de la société et se situant au-dessus d'elle par une
aliénation croissante, comme Engels le soulignera dans
son livre sur Les Origines de la Famille, de la propriété
privée et de l'Etat.
L'Etat, sous sa forme démocratique bourgeoise, ajoute
à l'aliénation de fait une aliénation idéologique,
celle que constituent les illusions démocratiques. Marx
dans ses études sur La Question juive, en 1843, et dans
sa Critique de la philosophie dé l'Etat de Hegel, marquait
les limites de la libération politique exprimée par
la Déclaration des Droits de l'Homme et la signification
de classe de cette séparation radicale, abstraite, entre
la « Société civile » (avec ses rapports économiques de
propriété et les rapports d'exploitation et de domination
qui en découlent) et la sphère politique (avec son
égalité politique abstraite). " Toutes les suppositions de
cette vie égoïste continuent à subsister dans la société
civile, en dehors de la sphère politique mais comme propriétés
de la société bourgeoise."


Marx soulignait trois aspects essentiels de cette démocratie
bourgeoise.
1. Cette émancipation politique avec toutes les illusions
qu'engendre son abstraction a un caractère de
classe ; elle exprime les exigences profondes du développement
de l'économie capitaliste et de la société bourgeoise;
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2. Cette émancipation politique, si insuffisante soit-elle,
puisqu'elle laisse subsister sous l'abstraction de
citoyens égaux en droit, toutes tes inégalités résultant
des rapports de classe da capitalisme, constitue un progrès
remarquable par rapport au système féodal ;
3. Cette émancipation politique est liée, historiquement,
à use oppression sociale, car la bourgeoisie a
constitué son pouvoir d'Etat pour garantir les rapports
de classe du type capitaliste à la fois contre le passé féodal
et contre les non-possédants.
Marx concluait : «  l'émancipation politique c'est la
réduction de l'homme, d'une part au membre de la société
bourgeoise, à l'individu égoïste et indépendant, et
d'autre part au citoyen, à la personne morale.
L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque
l'homme a reconnu et organisé ses forces propres comme
forces sociales et ne sépare donc plus de lui la force
sociale sous la forme de force politique. »
L'émancipation politique, telle que l’a réalisée la
bourgeoisie dans sa lutte contre la féodalité, est une étape
et une étape nécessaire, (en dépit des illusions sur lesquelles
elle repose et des illusions qu'elle engendre) de
l'émancipation humaine à l'égard de toute aliénation,
émancipation que seul le socialisme peut réaliser.

L'Etat, sous toutes ses formes, est un Etat de classe.
Il est le produit de la lutte des classes. Il est l’instrument
d'exploitation de la classe opprimée. Son pouvoir
est d'autant plus répressif que la lutte des classes s'aiguise.
Il est toujours la forme de dictature d'une classe.
Il découle de là que le pouvoir de la classe ouvrière
doit nécessairement prendre la forme d'une dictature
du prolétariat C'est une thèse constante chez Marx.
Déjà lorsqu'il définissait son apport propre à l'élaboration
de la théorie de la lutte des classes, Marx rappelait
que cette théorie avait été formulée par les historiens
français de la Restauration et que son apport propre
consistait essentiellement à montrer « que la lutte des
classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat.»
Marx reprend constamment cette idée. Dans
un article de 1873, il écrit : « Lorsque la lutte politique
de la classe ouvrière prend une forme révolutionnaire,
lorsque à la dictature de la bourgeoisie, les ouvriers
substituent leur propre dictature révolutionnaire pour
briser la résistance de la bourgeoisie, ils donnent à
l'Etat une forme révolutionnaire et transitoire au lieu
de déposer les armes et d'abolir l'Etat. »
Dans sa Critique du programme de Gotha, Marx dit
avec une parfaite netteté : « entre la société capitaliste
et la société communiste se place la période de transformation
révolutionnaire de celle-là en celle-ci, à quoi
correspond une période de transition politique où l'Etat
ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire
du prolétariat. »
Déjà dans le Manifeste communiste, Marx après
avoir dégagé de sa grande synthèse historique la définition
de l'Etat comme organe de la domination de
classe, montrait que le prolétariat ne pouvait venir à
bout de la bourgeoisie sans d'abord s'emparer du pouvoir
politique et sans transformer l'Etat « en forme
d'organisation du prolétariat devenu classe dominante. »
Cette dictature du prolétariat est toujours une forme
de la domination de classe mais elle a ce caractère particulier
qu'elle est transitoire.

La dictature du prolétariat a pour objet comme le
montrait déjà Marx dans Misère de la philosophie, de
mettre fin aux antagonismes de classe et, par conséquent,
de rendre inutile l'Etat lui-même. Mettre fin aux
antagonismes de classe qui engendrent l'aliénation de
l'Etat c'est préparer les conditions du dépassement de
l'Etat lui-même.
L'Etat n'est pas éternel. Il n'existait pas dans les sociétés
primitives, avant la naissance des classes. Il disparaîtra
avec la disparition des classes puisqu'il n'avait
d'autre objet que d'assurer une domination de classe.
Il n'est d'ailleurs pas exclu que le passage de la dictature
bourgeoise à la dictature du prolétariat s'opère
pacifiquement. Marx avait envisagé explicitement cette
possibilité du passage scientifique au socialisme dans
son discours d'Amsterdam du 8 septembre 1872. Après
le Congrès de l'Internationale à La Haye, où il avait
vigoureusement combattu Bakounine et les leaders opportunistes
des trade-unions britanniques, Marx prononça à
Amsterdam, à l'occasion de la clôture du Congrès,
un discours où rappelant que la conquête du pouvoir
par le prolétariat était la condition nécessaire du
passage au socialisme, il déclarait : « Mais nous n'avons
point prétendu que pour arriver à ce but les moyens
fussent identiques.
Nous savons la part qu'il faut faire aux institutions,
aux moeurs et aux traditions des différents pays ; et
nous ne nions pas qu'il existe des pays comme l'Amérique,
l'Angleterre, et, si je connaissais mieux vos institutions,
j'ajouterais la Hollande, où les travailleurs peuvent
arriver à leur but par des moyens pacifiques. »
Engels dans la Critique du programme d'Erfurt,en
1891, ne fera que commenter cette idée de Marx lorsqu'il
écrira : «  L'on peut concevoir que la vieille société
pourra évoluer pacifiquement vers la nouvelle, dans les
pays où la représentation populaire concentre en elle
tout le pouvoir, où, selon la Constitution, on peut faire
ce qu'on veut, du moment qu'on a derrière soi la majorité
de la nation ; dans les Républiques démocratiques
comme la France et l'Amérique, dans des monarchies
comme l'Angleterre, où le rachât imminent de la dynastie
est débattu tous les jours dans la presse, et où cette
dynastie est impuissante contre la volonté du peuple.
Mais en Allemagne, où le gouvernement est presque
tout-puissant, où le Reichstag et les autres corps représentatifs
sont sans pouvoir effectif, proclamer de telles
choses en Allemagne, et encore sans nécessité, c'est
enlever sa feuille de vigne à l'absolutisme et en couvrir
la nudité par son propre corps ».  
Mais quelle que soit la forme de ce passage, pacifique
ou violente, elle ne consistera pas en un simple
changement du personnel de l'Etat. La machine d'Etat
doit être brisée, alors que jusque-là « tous les changements
avaient abouti à perfectionner cette machine au
lieu de la briser. »
L'expérience de la Commune de Paris apporta à
Marx les éléments d'une conception concrète de la dictature
du prolétariat. Marx lui-même a souligné dans
sa préface du 24 juin 1872 du Manifeste Communiste
que cette expérience avait rendu caducs certains, passages
du Manifeste, « en particulier la Commune a
prouvé que la classe ouvrière ne peut pas simplement
s'emparer de la machine d'Etat toute faite et la faire
fonctionner à son profit. »
Dans sa lettre à Kugelman du 12 avril 1871, Marx
soulignera la continuité de sa pensée entre la thèse développée
dans Le 18 Brumaire et sa vérification expérimentale
dans la Commune de Paris.
Dans la Guerre civile en France, Marx souligne cette
originalité radicale de la Commune qui n'était pas une
république destinée seulement à supprimer la forme
monarchique de la domination de classe mais la domination
de classe elle-même.
En mettant fin à l'aliénation du pouvoir exécutif par
rapport à la représentation nationale et du Parlement
par rapport aux travailleurs et à la nation, elle réalisait
sous une forme originale, la démocratie la plus authentique,
non pas une démocratie pour les privilégiés, comme
la démocratie antique des Athéniens, qui n'était démocratique
que pour les propriétaires d'esclaves, ou
comme les démocraties bourgeoises ou seuls les privilèges
d'argent permettent l'exercice de la démocratie
pour les possédants. Mettant fin à l'aliénation de l'Etat
comme organisme dominant de la société, la dictature
du prolétariat est déjà, avant même l'extinction de
l'Etat, la forme la plus authentique de la démocratie :
« la liberté, écrivait Marx, consiste à transformer l'Etat,
organisme qui est mis au-dessus de la société, en un
organisme entièrement subordonné à elle. »

Roger Garaudy, Karl Marx, pages 278 à 284