Roger Garaudy, Promesses de l'islam, Paris, Seuil, 1981, 180
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— Si les bonnes intentions faisaient de bons livres, nul doute que nous nous
trouverions, ici, en face d'un « très bon livre ». Mais, disons-le d'emblée, M.
G. procède d'une manière qui ne risque guère de convaincre ses lecteurs ; ou
plutôt disons que les thèses soutenues par l'A. auront toutes les chances
d'emporter l'adhésion des convaincus d'avance. Par contre, si l'on recherche la
cohérence de l'analyse, l'objectivité, la clarté et la lucidité ; encore plus
le respect de la dimension historique dans l'analyse des problèmes, on a toutes
les chances de « rester sur sa faim », et de refermer cet ouvrage, certes pétri
de bonnes intentions, avec le sentiment que les « promesses » de M. G. n'ont
pas été remplies. L'A. part de postulats sur lesquels on ne le chicanera pas :
le « modèle occidental » de croissance et de civilisation a abouti à une série
d'interrogations et d'impasses : économiques, sociales, politiques,
culturelles, morales (encore que l'A. ait eu trop tendance à « noircir le
tableau »). Devant ce « mal développement planétaire », il faut chercher des
remèdes qui ne assortissent pas uniquement au domaine du matériel : nos
sociétés doivent « sauver leur âme » ; et les solutions du développement et de
l'industrialisation ont fait faillite à beaucoup d'égards. « Un nouvel ordre
culturel mondial, c'est le passage de l'hégémonie occidentale à la concertation
planétaire pour redéfinir un projet humain » (p. 21). La solution, R. G. l'a
découverte dans un retour à ce qu'il considère comme les deux pôles
indivisibles de l'Islam : « la transcendance (c'est-à-dire au moins la
possibilité permanente de rupture avec les dérivés du passé et du présent, et
de la création d'un avenir inédit) et la communauté (c'est-à-dire la conscience
que chacun de nous est personnellement responsable de l'avenir de tous les
autres... » (même page). C'est là que nous adresserons notre reproche essentiel
à l'A. : pour mieux plaider sa cause, il a recours à un véritable « amalgame »,
faisant fi de l'histoire, de l'esprit d'analyse, du sens critique. Au gré de
ses besoins, il « navigue » des principes à la réalité, et contraint ses
lecteurs à un véritable parcours sinueux, où tout est placé pêle-mêle, où tout
l'héritage de l'Orient est subtilement baptisé « Islam ». M. G. reproche aux «
orientalistes » (tous frappés du sceau d'infamie d'avoir été les serviteurs
zélés du colonialisme) d'avoir forgé une image faussée de l'Islam ; et il n'a
pas tout à fait tort. Encore fallait-il ne pas pécher par l'excès inverse, en
se « choisissant » un Islam sur Revue de l'Histoire des Religions, cc-3/1983
Notes bibliographiques 343 mesure, qu'il se garde bien de définir, au
demeurant, car sinon tout son bel édifice risquait de s'écrouler. Il y aurait
de longues pages à écrire pour énumérer les contradictions de l'A. et ses
affirmations contestables. On se limitera à quelques brèves remarques : il
n'est pas sain de désigner sous le même vocable d' « Islam » un ensemble
d'idées-forces relevant d'une révélation et d'une tradition sacralisée ; et les
formes qu'ont prises, au gré des circonstances, les sociétés dites musulmanes,
formes qui, bien souvent n'eurent que de très lâches rapports avec le donné
traditionnel (et ceci n'est évidemment pas propre au seul Islam) ; et la réflexion
de savants et de philosophes ; et la problématique du monde arabe contemporain.
Cet « amalgame » conduit notre auteur à des aberrations : une image « idéalisée
» du proto-Islâm où les schismes et les « trop humains » intérêts sont
recouverts du manteau de Noé ; les poncifs classiques sur la dynastie umayyade
responsable des déboires de la Communauté ; les conquérants arabes présentés
comme des libérateurs de populations opprimées, et les protagonistes d' « un
renversement d'un système social périmé » (p. 39) ; une contre-vérité criante :
« Si la guerre n'est pas exclue, elle n'est acceptée que pour la défense de la
foi lorsque celle-ci est menacée, et non pas pour la propagation de la foi par
les armes » (p. 40) ; l'Islam ramené, quand les besoins de la cause l'exigent,
à un idéal né des aspirations irréalisées de mystiques et de moralistes, à tel
point qu'on se demande si Islam et Soufisme ne sont pas synonymes ; les
sciences profanes, souvent développées au grand dam des théologiens, présentées
comme les sciences islamiques, alors que celles-ci sont opportunément «
oubliées » par l'A. ; l'affirmation que la poésie arabe contemporaine (y
compris celle de poètes chrétiens) est « islamique » ; l'amalgame pays
arabes/oPEP/Islâm ; la fréquente comparaison des réalisations historiques de
l'Occident avec les principes (fort idéalisés au demeurant) de l' Islam. Est-ce
loyal ? Et l'on pourrait multiplier les exemples. En fait, l'A. n'aura guère
innové par rapport aux thèses apologétiques qui ont cours dans certains milieux
musulmans, et qui font bon marché de la vérité historique ou, plus exactement,
choisissent dans l'histoire ce qui est à leur convenance. Il aurait fallu
distinguer « Islam idéal » et « Islam vécu », comme on le dirait d'ailleurs
pour n'importe quelle religion ou doctrine. Et pourtant comme on est d'accord
avec M. G. lorsqu'il aspire à dénoncer les impostures qui ont longtemps eu
cours sur la religion musulmane, comme on souscrit à son appel, sincère, au
dialogue des civilisations et à s' « enrichir de nos mutuelles différences ».
Pour ce faire, il aurait peut-être fallu ne pas offrir un tableau manichéen, un
paysage en noir (Occident) et blanc (Islam) ! On attendait mieux de M. G. qui
est, à l'accoutumée, mieux inspiré et plus critique.
[compte-rendu]
Revue de l'histoire des religions Année 1983 200-3 pp. 342-343
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« A partir d'une véritable mutation culturelle rendue possible par un dialogue de civilisations, nous réapprendrons, en relativisant notre culture occidentale et en retrouvant ce qu'il y a de vivant dans les cultures non occidentales, à concevoir et à vivre de nouveaux rapports avec la nature, avec les autres hommes, avec l'avenir de la foi », écrit Roger Garaudy. C'est un plaidoyer généreux, humain par sa ferveur et scientifique par sa rigueur et sa démonstration. Tel est cet ouvrage qui met l'homme au centre de ses préoccupations et les complémentarités culturelles au fil de sa perspective. Л a complètement démonté toute la mystification sur laquelle vit encore l'Occident non débarrassé de son œdipe colonial à l'égard de l'Islam. Celui-ci est traité dans ses aspects culturels et sociaux beaucoup mieux sans doute que ne l'aurait fait un musulman lui-même. Roger Garaudy fait passer, sans le déformer, un message souvent inaccessible aux non-musulmans, en ayant magistralement recours aux matériaux culturels et dialectiques occidentaux. La méthode didactique qu'il emploie en fait aussi une œuvre « pédagogique ». C'est dire que cet ouvrage n'est pas seulement utile aux Occidentaux auxquels il s'adresse, mais aussi aux musulmans eux-mêmes. La rencontre de ceux qui le liront n'en sera que plus aisée.
Roger Garaudy, Promesses de I'Islam
[compte-rendu]