11 janvier 2014

Théologie de l'hégémonie américaine, par Johan Galtung




Le président Taft en 1912 déclarait : « Je dois protéger notre peuple et
ses propriétés au Mexique jusqu'à ce que le gouvernement mexicain
 comprenne qu'il y a un Dieu en Israël et que c'est un devoir de lui obéir. »
Cette expression, souvent sous la forme du « Nouvel Israël de Dieu »,
apparaît fréquemment dans l'histoire américaine depuis le
Mayflower et la fondation de la colonie de Plymouth (1620).
Belle et puissante histoire : un peuple en exil, un petit peuple,
échappant à une domination répressive et à la recherche d'un nouveau
commencement.
Une alliance a été révélée sur le Mont Sinaï : Yahweh a donné aux
Juifs en exil le statut spécial de « nation la plus favorisée » : les Juifs
sont le peuple élu, avec une Terre promise. Ils ont ainsi un rôle très
important pour guider d'autres peuples.
Les Pères fondateurs des États-Unis, les puritains, peuple élu
depuis des siècles et lisant un seul livre : la Bible, se considéraient
comme un « peuple élu » sinon par Yahweh du moins par son successeur
le Dieu Chrétien.
Pourquoi cette terre ne serait-elle donc pas la terre promise et ne
seraient-ils pas aussi la lumière et le guide d'autres peuples puisqu'ils
étaient le peuple élu de Dieu ?
Mais la terre promise n'était pas déserte !
L'idée fondamentale, c'est que Dieu aide le peuple élu et que son
succès ne montre pas seulement qu'il était juste aux yeux de Dieu,
mais aussi que les moyens employés pour obtenir ces succès étaient
justifiés.
De même que l'Ancien Testament fournissait une métaphore
convenant aux premiers Américains dans leurs relations avec la
population indigène, ces puritains à leur tour, ont fourni une métaphore
pour les Israéliens dans leur rapports avec les Palestiniens.
Ainsi allait de soi de former un front contre l'Islam.
La conviction d'être le peuple élu est si bien intériorisée que cette
conviction que les États-Unis sont la nation plus proche de Dieu
qu'aucune autre, s'exprime dans le slogan imprimé sur chaque dollar
: « In God we trust » (nous avons confiance en Dieu).
Le pays le plus proche de Dieu est aussi le représentant de Dieu sur
la terre avec les trois caractéristiques majeures de Dieu : l'omniscience,
la toute-puissance et la bienfaisance. Concrètement cela
signifie une surveillance électronique dans le monde entier deceux
que l'on soupçonne d'être les porteurs du mal. Il appartient aux
États-Unis, seuls, de savoir qui entre dans cette catégorie. Il n'y a
pas de Cour d'Appel puisque les États-Unis ont le monopole de ce
jugement. Ainsi s'exerce un pouvoir culturel, un pouvoir économique
et un pouvoir militaire sous la direction du Pentagone et de
la CIA.
« L'empire du Mal » mérite donc d'être bombardé jusqu'à être
ramené à l'âge de pierre, c'est un devoir.
Quelle religion pourrait être supérieure à la foi judéo-chrétienne ?
Quelle idéologie peut être supérieure au libéralisme conservateur
sous sa forme capitaliste ?
Aucune Institution supranationale ne peut être au-dessus des États-
Unis. Ceci vaut pour les Nations Unies à moins que cette organisation
ne soit un moyen pour les États-Unis d'exercer leur bienfaisante
influence sur le monde entier. Dans la hiérarchie des Nations,
les États-Unis occupent le sommet, entourés par ce qui constitue le
centre du monde : les alliés qui satisfont au moins à 2 de ces 3 caractéristiques:
* une économie de libre marché ;
* la foi dans le Dieu judéo-chrétien ;
* et de libres élections.
A l'autre pôle de ce monde, situé entre le Bien et le Mal, l'Empire du
Mal est constitué par les pays qui n'ont ni une économie de libre
marché, ni une foi judéo-chrétienne, ni une démocratie de type
américain.
Les Etats-Unis ont une alliance avec Dieu, d'autres nations ont une
alliance avec les États-Unis définie par des rapports de soumission
de la périphérie au centre, des nations occidentales aux États-Unis
et des États-Unis à Dieu.
Telle est la théologie sous-jacente à la politique mondiale des États-
Unis.

Johan Galtung, « La politique étrangère des États-Unis sous son
aspect théologique», Institut sur les conflits globaux et la coopération.
Article n° 4,1987

Annexe du livre de Roger Garaudy « Les Etats-Unis avant-garde de la décadence »
Editions vent du large, 1997, pages 201 à 203