21 mars 2013

Ma plus grande fierté..., par Roger Garaudy






Ma plus grande fierté est d'avoir conscience, à 84 ans, d'être resté fidèle aux rêves de mes vingt ans.
Seuls des plumitifs, marmonnant le "bréviaire de la haine", se sont acharnés à écrire "l'histoire de mes variations", en collectionnant les étiquettes : chrétien, marxiste, musulman, sans imaginer qu'on puisse changer de communauté -surtout lorsqu'elles vous excluent - sans pour autant changer de but.
Ma joie fut de sentir combien j'étais compris, au cours de ma vie et de ma lutte contre tous les intégrismes, par quelques uns des plus hauts esprits de ce siècle..
J'en apporte ici les témoins et les preuves.





Depuis Romain Rolland, qui ne célébra pas seulement la fraternité franco-allemande à travers son oeuvre majeure : "Jean Christophe" mais fit connaître la grandeur de Vivekananda et de Gandhi dans la construction de l'unité dumonde.
Sa lettre du 11 mai 1939, où il me félicite de "reprendre la mission de Jean
Christophe" pour charrier, comme une artère, toutes les forces de vie de l'une
à l'autre rive", ne reste pas seulement un tison qui me réchauffe aux heures des
plus haineuses attaques, mais aussi le fil conducteur de ma pensée et de mon
action depuis 60 années.
Dans cette recherche d'une "fissure pour la grâce" chez ceux de nos
compagnons communistes athées, je fus aidé par le plus éloigné pourtant de
mes convictions politiques : le Père Bruckberger, tenant, en 1938, à me faire
dialoguer avec Jacques Maritain et Georges Bernanos, en attendant de
m'apporter par ses lettres, (qu'en 41 l'on pouvait encore faire passer) une
chaleur d'amour dans le camp de concentration où mon compagnon de camp
et mon frère d'espérance, Bernard Lecache, fondateur de la LICA (devenue la
LICRA) m'aidait, par sa connaissance biblique juive, à faire à nos camarades
athées, internés dans le même camp, des cours clandestins sur "Les Prophètes
d'Israël" dont l'universalisme et la passion de la justice leur paraissaient
proches et fraternels.
Après la Libération, lorsque l'Abbé Pierre, lui député MRP et moi député
communiste, à la première Assemblée Constituante, nous sommes rencontrés,
une fraternité naquit dans notre lutte commune contre la répression de la
grève des mineurs. Depuis lors, nos routes étaient lointaines mais convergentes
dans un commun amour de la justice que renforçait chacune de nos
rencontres.
De la continuité de mes efforts témoignent les textes de mes plus lointains
adversaires politiques d'alors : François Mauriac ou le Général De Gaulle.
Grâce à la rencontre, à Genève, de Dom Helder Camara (alors Archevêque de
Récife au Brésil) pour la commémoration de l'Encyclique "Pacem In Terris" du
providentiel Pape Jean XXIII et du Concile de Vatican II, je créais "L'Institut
International pour le Dialogue des Civilisations" qui nous permit de fonder, au
Sénégal, dans l'île de Gorée, avec le Président Senghor : "L'Université des
Mutants" pour aider au développement "endogène" de l'Afrique, puis, en
Espagne, le seul musée évoquant la présence musulmane en Andalous.
Ce Musée fut inauguré, en 1987, sous la présidence conjointe de Dom Helder
Camara, du Directeur musulman de l'UNESCO : Mokhtar M'bow, avec un
merveilleux message inaugural de Yehudi Menuhin. Aujourd'hui encore, 10 ans
après, 100.000 visiteurs par an, venus du monde entier, y sont accueillis dès
l'entrée par le juif Maïmonide, le catholique Alphonse X le Sage, et le soufl
musulman Ibn Arabi.
A Paris, comme en témoignent les lettres de ce recueil, mon marxisme était
accueilli avec respect, et enrichi dans des polémiques cordiales avec Sartre sur
l'existentialisme et avec Lévi-Strauss sur le structuralisme.
Puis ce fut la grande aventure et la grande ouverture qui se développa avec le
dialogue chrétiens - marxistes que j'organisais dans le monde, du Canada et de
l'Amérique à l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie, avec les grands théologiens de
notre temps, en général experts au Concile Vatican II, comme le Père Chenu ou
le Père Rahner, ou protestants comme Jurgen Moltman le "théologien de
l'espérance" ou le Pasteur Hromadka, figure de proue du christianisme dans les
pays de l'Est.
Au centre de tout cela : Jésus, sur lequel le Père Carré, en un recueil
retentissant, pose aux personnalités les plus diverses la question : "Pour vous,
qui est Jésus-Christ ?".
De la réponse que je lui donnai, et qu'il publia largement, j'ai pu écrire, en 1997
: "Cette réponse date d'une époque où j'étais un dirigeant communiste. Je suis
aujourd'hui musulman et je n'éprouve pas le moindre besoin d'y changer un
seul mot."
Les témoins, parmi tant d'autres, dont j'invoque, dans le présent reliquaire, le
témoignage écrit, ne se sont pas trompés sur la continuité de mon combat : pas
plus Dom Helder Camara, dont le fidèle amour est une grande force, que le
Père Chenu, l'Abbé Pierre ou le théologien Leonardo Boff qui ont préfacé les
ouvrages du musulman que je suis.
Certes, ce ne fut pas sans difficultés avec une presse au service de la "pensée
unique".
Le Parti dont j'étais membre depuis 33 ans et l'un des dirigeants depuis 20 ans,
m'exclut, en 1970, lorsque je déclarai :
"L'Union Soviétique n'est pas  un  pays  socialiste".
Certains chrétiens s'émurent lorsque j'écrivis :
"Le Christ de Paul n'est pas  Jésus !"
Certains musulmans n'aimèrent pas que je dise :
" L ' islamisme  est  une maladie  de  l ' Islam " , et moins encore que j'affirme,
recevant le "Prix Faycal":
"J'entre en Islam  avec  la Bible sous un bras et le " Capital " de Marx sous
l'autre."
Tout cela donna lieu à des polémiques vives mais courtoises.
Il en fut autrement lorsque je déclarai [Dans le livre "Les mythes fondateurs de la politique israélienne", interdit en France - NDLR]:
"Le Judaïsme est une religion que je respecte. Le sionisme est une politique
que je combats."
Alors un lobby sioniste, prétendant parler au nom de tous les juifs, appela la
police et la justice.
J'avais pourtant précisé qu'il s'agissait exclusivement de politique, d'une
politique israélienne colonialiste qui pouvait servir de détonateur à une
troisième guerre mondiale. En effet, cet Etat, qui se prétend titulaire d'une
donation signée : DIEU, viole systématiquement les lois internationales
(notamment les condamnations des Nation-Unies) grâce à l'appui
inconditionnel des Etats-Unis. Il menace la sécurité de tous les Etats voisins en
occupant illégalement leurs frontières et en visant à leur désintégration, avec
l'approbation vociférante des plus sectaires. En 1982 l'année de l'invasion du
Liban où furent assassinés 20.000 civils libanais, et massacrés les Palestiniens de
Sabra et de Chatila, Elie Wiesel écrivait : " Comme  juif  appartenant  à l a
génération traumatisée qui est la nôtre, je suis totalement solidaire de ce qui
se passe en Israël. Ce que fait Israël, Israël le fait en mon nom aussi. " (Paroles
d'étranger.-1982). (Exemple typique de l'équation menteuse : Juif = Sioniste)
Et ceci se traduit par le mépris de "l'autre" :
Bernard-Henri Levy, par exemple, pousse à son terme la haine de la culture
française. Dans son livre : "L'idéologie française", unissant dans un même
mépris Voltaire et Péguy, il écrit : "C'est toute la culture française .... q ui
témoigne de notre ancienneté dans l'abjection." (p. 61) et qui fait de la France
: " la patrie du national - socialisme . " (p. 125)
Puis c'est le tour de l'Allemagne tout entière proclamée par un certain
Goldhagen : " un peuple de tueurs !"
Goethe comme Wagner, Thaelman comme Karl Barth devenant sans doute les
fondateurs de la Gestapo, comme Voltaire et Péguy ceux de la milice !
Après quoi, avec le film américain : "The Nazi Gold", c'est tout le peuple suisse
qui est rendu complice de l'infamie de certains de ses banquiers.
De cette colonisation spirituelle, comme du colonialisme tout court de la
politique israélienne, tous les peuples se sentent ainsi menacés, comme en
témoigne la traduction en 21 pays de mon livre "Les mythes fondateurs de la
politique israélienne" dénonçant le danger d'une guerre à l'échelle mondiale.
Cette menace est de plus en plus ressentie par tous les peuples par l'infiltration
d'un lobby de la haine dont la direction est à Brooklyn et les exécutants
mercenaires à Hébron.
Cette politique colonialiste menaçant le monde est aujourd'hui la plus
dangereuse provocation à l'antisémitisme. C'est pourquoi la dénonciation de la
politique actuelle d'Israël fait partie intégrante de notre lutte permanente
contre l'antisémitisme.
Heureusement des juifs du monde entier refusent cette usurpation israélienne.
En Israël même, des héros osent dénoncer ces mythes malfaisants, comme le
Professeur Zimmerman de l'Université hébraïque de Jérusalem ou Israël
Shahak retraité de la même Université.
Aux Etats-Unis le Rabbin Elmer Berger, qui vient de mourir, et qui fut le
Président de la Ligue pour le judaïsme aux Etats-Unis fonda la revue :
"Alternative au Sionisme". Il le fit en plein accord avec le Rabbin Moshe
Menuhin (le pére du grand musicien Yehudi Menuhin) qui dénonça le
nationalisme et le militarisme agressif du "sionisme" dans son livre :
"Décadence of Judaism". Il prévoit prophétiquement les provocations et les
dangers de cette politique. Mon livre n'est que l'actualisation de ses lucides
prévisions.
Une dépêche d"'Associated Press" du 10 août 1996, consacrée à la mort du
Rabbin Elmer Berger, nous apprend que le Rabbin "était d'accord pour écrire la
Préface d'un livre français : "Les mythes fondateurs de la politique israélienne"
Au temps de la première invasion du Liban Pierre Mendés-France et Nahum
Goldman (Président du Congrès juif mondial) protestèrent contre le massacre.
Aujourd'hui, Finkelraut, qui m'attaqua si violemment lorsque je dénonçais les
mythes fondateurs de cette politique, considère comme une "catastrophe" le
retour de "l'apartheid" sous Natanyahu, et un collectif d'intellectuels juifs parmi
lesquels Vidal-Naquet et Jacques Derogy dénient au gouvernement israélien le
droit de parler au nom de tous les juifs lorsqu'il mène sa "politique suicidaire"
(Le Monde 13 août 1997). Ils rappellent que le juriste Daniel Jacoby salue cette
vague de résistance en estimant que " la diaspora a été trop longtemps à l a
remorque du gouvernement israélien sur le problème de la pai  . "
Quelles que soient les injures haineuses qui m'ont été adressées par certains de
ceux qui aujourd'hui ont le courage de se dresser contre cette politique de
guerre (sur laquelle j'ai eu le tort d'avoir raison trop tôt en en déterrant les
racines) je considère fraternellement les auteurs de cette première résistance
comme des alliés dans la lutte contre la guerre dont nous sommes menacés.
Si je publie aujourd'hui les lettres de quelques uns des plus illustres
représentants de la culture de ce siècle comme mes "Témoins", c'est pour
montrer que je n'ai pas à me défendre d'un "antisémitisme" que je considère
comme un crime. Je l'ai prouvé en étant toute ma vie (comme en témoignent
ces lettres) l'organisateur du "dialogue des civilisations".
Pas plus que je n'ai à me défendre de mes adhésions critiques à des
communautés différentes pour essayer toujours de les convier à viser le même
but d'unité humaine. Sur cette continuité de Romain Rolland à l'Abbé Pierre,
en passant par le Père Chenu, Sartre, Levy-Strauss, De Gaulle, Mauriac, Dom
Helder Camara, nul n'a émis le moindre doute en s'adressant à moi, quelle que
soit mon "étiquette" du moment, pour travailler ensemble à la même oeuvre
d'unité humaine sans "Elus" ni "Exclus".
Ces lettres, et bien d'autres, furent mes "tisons" aux heures les plus glaciales de
60 années de lutte pour l'unité humaine contre tous les "bréviaires de la haine".
Puisse leur lecture aider des milliers d'autres, au delà des mensonges qui
pervertissent la culture et l'histoire, à multiplier, pour le siècle qui vient, des
"Réseaux de résistance au non-sens."

Roger Garaudy
Introduction du livre « Mes témoins », Editions « A contre-nuit », 1997,
Pages 5 à 10

Pour se procurer le livre "Mes témoins", deux liens parmi d'autres: