30 mars 2013

Enseignement: pour une approche de l’Islam, par Luc Collès


  1. Le corpus
     1.1. Un texte de base : Promesses de l’Islam
    Pour cette approche des cinq piliers de l’islam, nous partirons d’abord de Promesses de l’Islam1, un ouvrage que Roger Garaudy a écrit en 1981 pour faire prendre conscience aux Occidentaux de la richesse culturelle et spirituelle suscitée par la foi musulmane.



     
    Né dans une famille athée en 1913, Garaudy s’est converti au protestantisme avant de devenir un membre éminent du Parti communiste français. Il en fut longtemps un fidèle compagnon de route, toujours présent à l’heure des grands défis, ce qui lui valut de connaître les affres de la déportation dans le désert d’Algérie au début de la Seconde Guerre mondiale parce qu’il avait créé un premier foyer de résistance dans le Tarn. En 1970, cependant, le PCF devait exclure le philosophe pour « révisionnisme droitier » : Garaudy s’était en effet opposé à l’intervention armée du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie et avait dénoncé l’alignement du PCF sur la politique de son grand frère moscovite.
    Douze ans plus tard, Garaudy franchit une nouvelle étape : il devient musulman. Son islam à lui n’est en rien celui des intégristes, mais plutôt celui des mystiques soufis. Entre 1975 et 1990, il recherche un nouveau système de références qui lui permettrait d’améliorer ses relations avec les hommes, la nature et Dieu. C’est dans cet esprit qu’il se tourne vers les cultures non occidentales et s’ouvre à l’islam.
    Mais, depuis 1996, Garaudy a radicalisé ses positions. Il est passé de la lutte contre l’ethnocentrisme occidental et le colonialisme à l’antisionisme et à l’antiaméricanisme.  Avec la parution de son ouvrage Les mythes fondateurs de la politique israélienne, il a perdu beaucoup de sa popularité auprès des Occidentaux. Ses propos ont choqué par leur remise en cause de l’ampleur de la Shoah.
    Néanmoins, nous sommes convaincus qu’il ne faut pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Même si nous ne pouvons en aucun cas suivre le philosophe dans ses dérives, nous pensons que Promesses de l’Islam est l’un des plus beaux ouvrages écrits sur la culture islamique. Le passage que nous avons choisi est représentatif de l’introduction dont il est issu. Dans celle-ci, Garaudy explique l’expansion fulgurante de l’islam par ses principes politiques, sociaux, philosophiques et scientifiques, principes qu’il développera dans le reste de son livre.
    L’extrait résume tous ces aspects. Garaudy y prétend que l’islam s’est répandu grâce à sa simplicité originelle, qui permettait à différentes croyances de se retrouver, et qui inspira les cinq piliers de l’islam, principes par lesquels les musulmans vivent communautairement leur relation à Dieu dans tous les domaines.
    Cette ouverture aux autres religions et la densité des informations dispensées dans cet extrait en ont motivé la sélection. Ce texte2 est également digne d’intérêt par sa similitude avec des passages d’autres ouvrages du même auteur : Comment l’homme devint humain3 et L’Islam habite notre avenir4. Le thème des cinq piliers est également distillé dans la partie de Biographie du XXe siècle5 portant sur l’Islam.
    (1) La deuxième remarque porte précisément sur cette nouvelle manière de vivre : si l’Islam a pu se répandre avec une telle puissance et une telle rapidité, dans toute l’Arabie d’abord puis de l’Océan Atlantique à la mer de Chine, c’est qu’il redonnait un sens à la vie à des peuples désorientés par la désintégration de leurs communautés, de leurs cultures et de leur foi.
    (2) Au principe de tous ces renouvellements, il y avait cette volonté de retrouver une foi primordiale : celle d’Abraham, celle qui se traduisait en des actes relativisant les hiérarchies, les richesses et les sagesses des hommes, et s’efforçant de réaliser le projet divin.
    (3) Le Coran reconnaissait l’authenticité des prophètes de la Bible comme messagers du même Dieu : les révélations de la Loi de Moïse et l’Evangile de Jésus étaient déjà la Parole de Dieu.
    (4) A l’égard des « gens du Livre », juifs et chrétiens, il est recommandé de « ne disputer avec les Détenteurs de l’Ecriture que de la meilleure manière (…)6 Dites : nous croyons en ce que l’on a fait descendre vers vous et en ce que l’on a fait descendre vers nous. Votre divinité et notre divinité sont une, et nous Lui sommes soumis » (XXIX,46). Chacune de ces révélations, de ces « descentes » prophétiques, est un chaînon d’une même vérité divine, même si le message a été déformé. Un musulman honore Abraham, Moïse, Jésus (il existe même en Islam des « mosquées de Marie » et, dans la Libye du colonel Khadafi, on célèbre Noël, la naissance du « prophète Jésus », et on honore Marie).
    « Dites : nous croyons en Dieuà ce qui nous a été révélé,à ce qui a été révéléà Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus,à ce qui a été donné à Moïse et à Jésus,à ce qui a été donné aux prophètes de la part de leur seigneur.Nous n’avons de préférence pour aucun d’entre eux. »     (Coran II, 136)
    (5) Il ne saurait y avoir de dialogue authentique si l’on ne reconnaît pas dans le Coran (quelle que soit l’opinion qu’un non-musulman puisse avoir sur son origine) une scintillation  du divin.
    (6) Même les polythéistes, habitués à leurs pèlerinages à la Ka’aba7 de La Mecque, découvrirent au-delà de leurs divinités tribales, une foi qui les intégrait à l’universel, qui donnait un sens à leur vie et à toute chose, une loi à leur action.
    (7) Nul, en accueillant le message du Prophète, n’avait le sentiment de se renier, mais au contraire de redécouvrir, sous le fatras des superstitions, des rites ou des dogmes, au-delà des clergés prétendant régenter la foi et se substituant à Dieu comme détenteurs de la vérité, une foi et une voie qui leur rendirent l’espérance militante de transformer le monde.
    (8) Plus d’intermédiaires, c’est-à-dire de prêtres se faisant les instruments d’une fausse théocratie, non plus que de rois ou de princes se prétendant les lieutenants de Dieu sur la terre puisque Dieu Lui-même dictait Ses lois. Désormais, personne ne pouvait usurper le sacré.
    (9) Une foi rattachant l’homme à son origine et à sa fin, donnait un sens à sa vie, à partir des cinq « piliers » de l’Islam :
    (10) 1. La profession de foi déjà évoquée : pas d’autre divinité que Dieu ; Mohammed son messager. L’univers entier prenait ainsi un sens, l’absolu se révélant dans le relatif sous forme de « signes », de symboles. La nature et les hommes, tout comme la parole du Coran, étaient une apparition, une manifestation de Dieu. « Il n’y a aucune chose qui ne chante ses louanges, mais vous ne comprenez pas leur chant » (XVII,44).
    (11) 2. La prière est la participation  consciente de l’homme à ce chant de louange qui lie toute créature à son créateur. « Reviens en toi-même pour trouver toute l’existence résumée en toi ».
    (12) La prière intègre l’homme de foi à cette adoration universelle : en l’accomplissant, le visage tourné vers La Mecque, tous les musulmans du monde et toutes les mosquées dont la niche du mirhab8 désigne la direction de la Ka’aba sont ainsi intégrés, par cercles concentriques, à cette vaste gravitation des cœurs vers leur centre. L’ablution rituelle, avant la prière, symbolise le retour de l’homme à la pureté primordiale par laquelle, rejetant de lui-même tout ce qui peut ternir l’image de Dieu, il en devient le parfait miroir.
    (13) 3. Le jeûne, interruption volontaire du rythme vital, affirmation de la liberté de l’homme par rapport à son « moi » et à ses désirs, et en même temps rappel de la présence en nous-même de celui qui a faim, comme d’un autre moi-même que je dois contribuer à arracher à la misère et à la mort.
    (14) 4. Le zakat n’est pas l’aumône, mais une sorte de justice intérieure, institutionnalisée, obligatoire, qui rend effective la solidarité des hommes de la foi, c’est-à-dire de ceux qui savent vaincre en eux-mêmes l’égoïsme et l’avarice. Le zakat, c’est le rappel permanent que toute richesse, comme toute chose, appartient à Dieu, et que l’individu n’en peut disposer à sa guise, que chaque homme est membre d’une communauté.
    (15) 5. Le pèlerinage à La Mecque, enfin, non seulement concrétise la réalité mondiale de la communauté musulmane, mais, au-dedans de chaque pèlerin, vivifie le voyage intérieur vers le centre de soi-même.
    (16) Le thème central de l’Islam, en toutes ces manifestations, est ce double mouvement de flux de l’homme vers Dieu et de reflux de Dieu vers l’homme, diastole9 et systole du cœur musulman : « En vérité, nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons» (II, 156)
    (…)
    (17) Transcendance et communauté, n’est-ce pas la contribution que l’Islam peut aujourd’hui apporter à l’invention d’un avenir à visage humain, dans un monde où l’élimination du transcendant, la destruction de la communauté par l’individualisme et un modèle démentiel de croissance ont rendu le statu quo invivable, et impossibles les révolutions de type occidental.
                GARAUDY R., Promesses de l’Islam, Paris, Seuil, 1981, pp. 31-33.
    1. Des textes complémentaires
    Nous éclairerons les propos de Garaudy grâce à des extraits littéraires et à des documents sociologiques10.  C’est la raison pour laquelle nous qualifions cette approche d’intertextuelle. Il s’agit de mettre en rapport les uns avec les autres des textes portant sur un même item, de retrouver ci et là des échos communs.
    Les témoignages littéraires ont, dans l’ensemble, été rédigés par des musulmans.  Leur relation à leur foi et à leur communauté diverge, et c’est ce qui en fait l’intérêt. Parmi ceux-ci figurent des extraits d’œuvres d’auteurs maghrébins de langue française (Le Passé simple de Driss Chraibi et Les yeux baissés de Tahar Ben Jelloun) et des textes de jeunes issus de l’immigration maghrébine (Béni ou le paradis privé d’Azouz Begag, Journal « Nationalité : immigré(e) » de Sakinna  Boukhedenna et Le thé au harem d’Archi Ahmed de Mehdi Charef).
    Nous avons aussi eu recours à quelques extraits littéraires d’Occidentaux  portant sur l’islam ou sur leur foi catholique : La Guerre d’Algérie de Jules Roy, Le chemin de la perfection de Thérèse d’Avila... La comparaison de l’islam avec les valeurs laïques actuelles s’appuiera également, mais dans une moindre mesure, sur La Déclaration universelle des droits de l’homme.
    La lecture des textes littéraires sera confrontée à des documents sociologiques.  Les deux premiers ont été sélectionnés parce qu’ils ont été écrits par des musulmans et expliquent l’islam à des non-initiés :
  1. Guiderdoni Abd-al-H., « Filles d’Abraham », in Guetny J.P. (dir.), Actualité des religions. Islam : ce que vous devez savoir, hors série 6, 2001.
  2. Tawfik Y., Islam, Vérone, Liana Levi, 1997 et 2001.
    Les deux travaux suivants ont été rédigés par des personnes qui ne pratiquent pas l’islam mais travaillent au dialogue avec la culture arabo-musulmane :
  1. Foehrlé R., L’Islam pour les profs. Recherches pédagogiques, Paris, Karthala, 1992.
  2. Remacle X., Comprendre la culture arabo-musulmane, Bruxelles, CBAI et Vie Ouvrière, 1997.
    Nous avons également exploité l’article de Jomier J. « ISLAM – Les expressions de l’islam. B. La religion » dans l’Encyclopaedia  Universalis, Paris, 1996, pp. 685-686, ainsi qu’un petit livret rédigé par K. Gharbi pour les touristes européens qui voyagent dans le monde arabe, Voici la clef du monde arabe, Bruxelles, Swissair, 1990.
     2. Commentaire de l’extrait de Promesses d’Islam
     2.1. Une religion ouverte aux autres
    Garaudy insiste sur l’ouverture de l’islam aux autres religions monothéistes. Cette ouverture se justifie par une origine commune, l’apparition du monothéisme avec Abraham :
     (2) …retrouver une foi primordiale : celle d’Abraham
    Un Occidental pourrait être perturbé par ce mot « primordial », qui signifie aussi « important ».  Cette ambivalence peut être levée grâce à cet autre texte de Garaudy :
    Comme si l’Islam n’était pas, par vocation, la religion primordiale et première, celle qui naquit avec le premier homme, avec la première affirmation de la transcendance, celle qui reconnaît tous les prophètes, ceux de tous les peuples, celle qui a su intégrer et revivifier les cultures antérieures en les faisant se « ressouvenir » de Dieu.
    (Garaudy R., Biographie du XXe siècle. Le testament philosophique de R. Garaudy, Paris, Tougui, 1985, p. 303)
    Par son caractère originel, l’islam se présente comme une religion universelle, celle de la confiance en Dieu :
    Ainsi toutes les religions, à l'origine, sont « islam », c'est-à-dire, selon l'étymologie, « remise confiante » entre les mains de Dieu. […] Cette reconnaissance-là est le préalable non négociable du dialogue interreligieux dans la perspective de l'islam. Le mystère de la différence entre les religions demeure pourtant, et ne trouvera, en fin de compte, sa solution que lors du terme eschatologique : « Si Dieu l'avait voulu, II aurait fait de vous une seule communauté, mais II a voulu vous éprouver par le don qu'il vous a fait. Rivalisez entre vous dans les bonnes actions. Votre retour à tous se fera vers Dieu ; c'est alors qu’Il vous informera sur vos différends » (V, 48) 
    (Guiderdoni, Abd-al-H., « Filles d’Abraham », in Guetny J.P. (dir.), Actualité des religions, hors série n°6, 2001, p. 61)
    Un parallèle peut être réalisé ici avec le catholicisme dont on sait que la racine du terme, katholicos, signifie « universel ».
     Garaudy retrace ensuite la filiation de l’islam : texte de base (3).
    Les autres documents consultés vont dans le même sens, même s’ils insistent un peu moins sur Jésus et les Evangiles11. Allah correspond tout à fait au Dieu des chrétiens :
    « Allah » est bien le mot arabe pour dire « Dieu ». Il a été utilisé d'ailleurs durant toute la période pré-islamique par les Arabes, juifs ou chrétiens.
    (Foehrlé R., L’Islam pour les profs. Recherches pédagogiques, Paris, Karthala, 1992, pp. 16-17)
    D’ailleurs, Dieu étant créateur de toute chose, lui seul existe. Abd el-Kader, mystique musulman de la fin du XXème siècle, nous en donne un témoignage :
     Les noms sont multiples et pourtant l'Essence est une.
     Il n'y a là qu'Allah, nul autre.
    Le mot "nous" suggère une dualité; cependant l'Essence est une.
     Tu es Lui le Moi et Lui Toi : souviens-toi donc!
    Il répond si tu appelles; pourtant c'est Lui qui appelle : ainsi l'écho rend doubles la parole et la voix.
     Je suis l'Adorant, l'Adoré en toutes formes.
    C'est Moi qui suis Seigneur, c'est Moi qui suis esclave.
    (Emir Abdel Kader, Poèmes métaphysiques, trad. de l’arabe par Gilis, Paris, L’œuvre, 1983, p. 70, cité par REMACLE X., Comprendre la culture arabo-musulmane, Bruxelles, CBAI et Vie Ouvrière, 1997, p. 154)
    Cette origine commune, cette foi en un même Dieu explique la conduite ouverte de Mohammed  et l’appel du Coran à un dialogue interreligieux :  texte de base (4).
     Le soufi Abd el-Kader illustre cette ouverture :
     Tantôt tu Me vois Musulman. Quel Musulman :
    parfaitement sobre et pieux, humble et toujours suppliant!
     Tantôt tu Me vois courir vers les églises,
     serrer fort une ceinture sur mes reins.
     Je dis "au nom du Fils" après "au nom du Père"
     et par l'Esprit, l'Esprit-Saint : c'est là l'effet
     d'une quête et non d'une duperie!
     Tantôt dans les écoles juives tu Me vois enseigner.
     Je professe la Torah et leur montre le bon chemin.
     (Poèmes métaphysiques, op. cit.)
    Abd-al-H. Guiderdoni tempère un peu la tolérance vantée par Garaudy ; elle n’est pas de mise avec les hommes qui mettent une chose ou un être sur le même pied que Dieu :
    « Ne discutez avec Les gens du Livre que de la meilleure façon», conseille le Coran (XXIX, 46), pour ajouter quand même : « sauf avec ceux d'entre eux qui sont injustes ». Cette « injustice » (zhulm) est, dans le sens premier du mot,  un    « obscurcissement »  du cœur, une mauvaise foi congénitale qui empêche de reconnaître que tous les hommes ont le même Dieu. « Ô Gens du Livre, élevez-vous à une parole commune entre nous et vous : n'adorons que Dieu et ne Lui associons rien. Que nul d'entre nous ne prenne pour Seigneur quelqu'un d'autre que Dieu. » (III, 64).
    (Guiderdoni, Abd-al-H., op. cit.)
    Le silence de Garaudy s’explique du fait que celui-ci veut avant tout faire connaître l’Islam aux yeux des Occidentaux : texte de base (5).
    Il insiste sur l’ouverture de cette communauté, mais ne contredit pas le monothéisme intransigeant de l’islam décrit plus haut par Abd-al-H. Guiderdoni. Si les musulmans accueillent les polythéistes, c’est pour les convertir : texte de base (6).
    Le soufisme va encore plus loin dans l’ouverture et adopte avec Abd el-Kader une attitude relativiste :
    « S’il te vient à l’esprit que Dieu est ce que professent les différentes écoles islamiques, chrétiennes, juives, zoroastriennes, ou ce que professent les polythéïstes et tous les autres, sache qu’en effet Il est Cela, et qu’Il est, en même temps, autre que Cela. »
    (Abd-el-Kader, Le Livre des étapes, in Comment l’homme devint humain, op. cit., p. 216)
    Garaudy a pu englober sa foi chrétienne et ses préoccupations politico-sociales dans l’islam. Il généralise son sentiment à celui des premiers convertis : texte de base (7)
    Pour lui, la foi est d’abord le ferment de l’action et non un ensemble de dogmes, comme ceux que les théologiens du Moyen Age ont élaboré pour le catholicisme.  Ce point de vue rejoint celui d’Abd-al-H. Guiderdoni :
    […] Aux tribus juives que Mahomet rencontre lors de son installation à Médine en 622, le Coran reproche de cacher une partie de la révélation, et de prétendre à l'exclusivité de la grâce ; aux chrétiens, et en particulier à la délégation venue de Najran en 632, il reproche d'avoir ajouté, au message initial du Christ, la doctrine de l'incarnation et de la trinité.
    […] Ainsi, les musulmans deviennent la seule communauté restée fidèle à sa révélation, puisque le texte du Coran a été transmis par de nombreux compagnons et soumis à des recoupements.
    (Guiderdoni, Abd-al-H., op. cit.)
    Il est également séduit par le principe égalitaire de cette religion sans prêtre, sans pape, sans prince-évêque : texte de base (8)
    Cette recherche d’égalité, d’absence de clergé s’est aussi manifestée au sein du christianisme à travers différents phénomènes : la création du statut de prêtre-ouvrier, les communautés nouvelles, où des familles vivent leur foi dans le cadre du Renouveau charismatique12, etc.
     2.2. Les cinq piliers de l’Islam
    Pour Roger Garaudy, l’islam est une religion capable de rendre à la vie son sens, notamment par la pratique des cinq piliers : texte de base (1) et (9).
    Ceux-ci constituent des principes simples dont le sens est, d’après Roger Foerhlé, bien perçu par les fidèles :
    L’acte rituel n'est donc pas une pure formalité […]; bien au contraire, il est vécu comme une profonde expérience de Dieu et exprime une relation consciente avec lui. Il doit venir d'un coeur rempli de confiance en la présence et en la miséricorde de Dieu.
    (FOEHRLÉ R., L’Islam pour les profs. Recherches pédagogiques, Paris, Karthala, 1992, p. 63)
     a. La profession de foi
     Le premier de ces piliers est la profession de foi : texte de base (10)
    Celle-ci consiste à prononcer une phrase attestant la foi en un Dieu unique, annoncé par Mohammed :
    La formule de la shahâda : « J’atteste qu’il n’est pas de divinité en dehors de Dieu et que Muhammad est l’envoyé de Dieu », est à ce point caractéristique de l’islam, qu’il suffit de la prononcer pour être considéré comme musulman.
    (JOMIER J., « ISLAM - Les expressions de l’islam. B. La religion », in Encyclopaedia  Universalis, Paris, 1966, p. 685, a)
    Plus que la profession de foi catholique ou le credo récité à la messe, ce premier pilier de l’islam est vécu non seulement lors d’évènements comme le pèlerinage à La Mecque ou le décès :
    Cette formule est à la base d’invocations qui sont répétées au cours du pèlerinage ; et à l’heure de la mort, le croyant tient à la redire avec une spéciale ferveur.
     mais aussi au sein du quotidien :
    Elle est dite par le muezzin lors de l’appel à la prière, reprise par les fidèles sous une forme plus étoffée et sans cesse proférée dans la vie courante.
    (JOMIER J., op. cit., p. 685, a)
     Driss Chraïbi en fait remarquer la difficulté :
    « Pour ce qui est du premier commandement, tout le monde croit en Dieu bien que le " Marocain moyen " n'en respecte pas les corollaires : on peut jurer et être parjure, mentir, être adultère, boire. Mais la foi est sauve et Dieu Très-Puissant et Très-Miséricordieux.
    (CHRAIBI D., Le passé simple, Paris, Denoël, 1954, p. 209)
    Garaudy, quant à lui, met en exergue le regard porté sur le monde qui découle de cette foi : texte de base (10)
    Ce passage peut être mieux compris par un autre extrait du même auteur où ce dernier explique l’adoration universelle, monde animal, végétal et minéral compris, pour le Créateur du monde ainsi que la liberté qu’a reçue l’homme d’y adhérer ou non :
    A tous fut révélé le même message : celui de la soumission à la loi du Dieu unique.
    Cette loi est celle de toute la création : une pierre dans sa chute, un arbre dans sa croissance, un animal dans ses instincts, sont « soumis » à la loi de Dieu : « Notre Seigneur est Celui qui a donné à chaque chose sa forme et sa loi, et qui l’a guidée jusqu’à son plein épanouissement. »  (LXXVII, 1-3)
    L’homme seul a le privilège redoutable de pouvoir désobéir : « Nous avons proposé ce mandat (de la foi, de la liberté et donc de la responsabilité. R. G.) aux cieux, à la terre, et aux montagnes. Tous ont refusé de l’assumer ; tous ont tremblé de le recevoir. Seul l’homme a accepté de s’en charger, mais il est injuste et ignorant ». ( XXXIII, 72.)
    S’il devient « Musulman », c’est-à-dire s’il répond inconditionnellement à l’appel de Dieu, selon l’exemple d’Abraham « le père de la foi » (XXII, 78) par son acceptation de la guidance de Dieu et par son suprême sacrifice, il le devient par un acte volontaire, libre, responsable.
    (GARAUDY R., Biographie du XXème siècle. Le testament philosophique de Roger Garaudy, Paris, Tougui, 1985, p. 303)
    Un passage de Foerhlé exprime les mêmes idées, peut être de façon plus compréhensive pour les élèves :
    […] le Coran parle du penchant naturel de toute la création à se tourner vers Dieu, et plus spécialement des êtres humains. Cette religiosité « naturelle » de la création a été encadrée et approfondie depuis Adam, par Dieu, à travers les paroles de ses prophètes et de ses messagers.
    (FOEHRLÉ R., op. cit., p. 69)
    La remise confiante entre les mains de Dieu, la « soumission » à sa volonté, se retrouve aussi chez des catholiques. Donnons ici l’exemple d’une prière du père Charles-Eugène de Foucault (1858-1916), explorateur et missionnaire français :
    Mon Dieu, mon Père, je m'abandonne à Vous, faites de moi ce qu'il vous plaira. Quoi que vous fassiez de moi, je Vous remercie. Je suis prêt à tout, j'accepte tout, pourvu que Votre volonté se fasse en moi, en toutes vos créatures. Je ne désire rien d'autre que mon Dieu. Ce m'est un besoin d'amour de me donner, de me remettre entre Vos mains sans mesure, avec une infinie confiance, car Vous êtes mon Père.
    (SIMONART, J., Apprendre à prier, Louvain-la-Neuve, Claire-Vision, 1994, p. 4)
     b. La prière
    C’est dans cet état d’esprit que Garaudy conçoit la prière en tant que communion avec la nature et tous les musulmans : texte de base (11)
    Comme les mystiques espagnols du XVIe siècle, tels que Sainte-Thérèse d’Avila (1515-1582) ou Saint Jean de la Croix (1542-1591), la prière, centre de toute vie spirituelle, se réalise par la rencontre avec soi-même :
     « Reviens en toi-même pour trouver toute l’existence résumée en toi ». […] 
    Ce qui importe avant tout, c’est d’entrer en nous-même pour y rester seul à seul avec Dieu.
    (Sainte Thérèse d’Avila, Le Chemin de la perfection, Retoux et Beauchesne, ch. 28)
    Car c’est dans cette rencontre intime avec Dieu que les fidèles se rejoignent : texte de base (12)
    Comme la messe des catholiques ou les offices dans les communautés contemplatives, la prière est un acte qui se vit, en autres, en société. L’article que J. Jomier a publié dans l’Universalis rend compte de cet aspect :
    À partir de la puberté et sous quelques autres conditions, de pureté légale notamment, le musulman est tenu d'effectuer cinq prières quotidiennes, qui forment l’essentiel de la liturgie de l’islam. Elles peuvent être dites en commun ou en privé mais les postures du corps et les formules sont soigneusement  précisées. […]
    Décemment vêtu, purifié par les ablutions, le fidèle se tourne vers La Mekke (sic)(vers la Kaaba, plus précisément). Il délimite un coin de sol pur et exprime son intention de prier. […] Les cinq prières obligatoires de la journée se situent a l'aube […], à midi […], au milieu de l'après-midi […], dans le temps qui suit le coucher du soleil […] et dans la nuit noire, avant de s'endormir […].
    Il existe sur ce sujet un grand nombre de prescriptions juridiques. […]
    Chaque vendredi, tous les hommes doivent se retrouver à la mosquée pour la prière de midi, qui est précédée d'une récitation de Coran et d'un sermon. Cette observance est très suivie ; et à la campagne, dans les pays pratiquants, presque tous les hommes se rassemblent. Cette prière, qui a un aspect social extrêmement important dans la vie musulmane, est présidée par un imam qui a fait en général des études coraniques ; pourtant n'importe quel musulman compétent pourrait prendre sa place, l'islam étant une religion de laïcs sans sacerdoce. Pour les deux grandes fêtes de l'année, jour des Sacrifices et fin de ramadan, une prière spéciale réunit les hommes après le lever du soleil. L'affluence est alors énorme, si bien que parfois on célèbre la prière en plein air, à la sortie de l'agglomération.
    […] La prière du vendredi n'est obligatoire que pour les hommes, qui peuvent y venir quels que soient leurs sentiments intérieurs, leur ferveur ou leur indifférence (un peu comme les chrétiens d'Occident qui vont à une «messe d'anciens combattants »).
    (JOMIER J., op. cit., p. 685,b et p. 686, a.)
    D’après le protagoniste du Passé simple, la prière tombe en désuétude au Maroc :
    « En ce qui concerne les prières, seules les personnes âgées les font. Encore que ce soit pour la plupart d'entre elles une habitude ou un manifeste.
    (CHRAIBI D., op. cit., p. 209)
    Jules Roy, lui, d’un point de vue extérieur, a été impressionné par cette prière réalisée au cœur du quotidien :
    Ils faisaient leur prière, matin et soir, tournés vers l'est. (...) Le Dieu des Arabes ne devait rien avoir de commun avec le Dieu des chrétiens qu'on visitait une fois par semaine, avec une chemise propre, une cravate et une certaine circonspection. Qu'était-ce donc que cet autre dieu que des bâtards en guenilles invoquaient en se prosternant en pleins champs et qui s'occupait d'eux dans les profondeurs de la création ?
    (ROY J., La Guerre d’Algérie, Paris, Julliard, 1961, p.23)
    Pour un musulman, prier en Europe sera une façon d’affirmer son identité, souvent  liée au pays d’origine :
    Oui, j'étais de ces gens qui font comme ça, qui lèvent les bras au ciel et se prosternent en direction de La Mecque. J'ai regardé la femme qui me questionnait ainsi, le jour même de mon entrée en France, dans un vestibule d'hôtel.
    (BEGAG A., Béni ou le paradis privé, Paris, Seuil, 1989, p. 16)
    Avant l’oraison, l’ablution est plus qu’un réflexe d’hygiène ; c’est une préparation, une purification : texte de base (12)
      Ce rituel se pratique partout :
    A peine les provisions rangées, la mère fait sa toilette spirituelle d'avant-prière. Elle s'enferme dans la salle d'eau et se lave les bras jusqu'aux épaules, l'entrecuisse, le visage une fois, se rince les dents, repasse ses mains sur son visage et murmure "Allah akbar”.
    (CHAREF, M., Le thé au harem d’Archi Ahmed, Paris, Mercure de France, 1983, p. 131)
    Certains, musulmans ou non, ne voient pas ces gestes aussi positivement que Garaudy. Ils considèrent que cette pratique, comme les autres, est trop ritualisée :
    L’Islam a gardé la tendance ritualiste de cette époque. Tous les gestes du culte doivent être accomplis avec précision pour valider le rite. L'Islam a cependant ajouté la condition d'intention (la conscience personnelle de ce qu'on fait). Malgré tout, l'obsession du pur et de l'impur (comme dans le judaïsme) est générale dans le monde musulman. Sont impurs : les non-musulmans, les croyants après toute perte de "matière organique" (sang, sperme, urine, excréments), après perte de conscience, après avoir consommé un aliment interdit (porc, vin,...). En état d'impureté, il est interdit d'approcher des objets sacrés (spécialement le Coran!), d'accomplir les prières, de jeûner. Un non-musulman n'est pas supposé toucher le Coran en arabe, il peut seulement en lire la traduction qui n'est pas sacrée. Il faut accomplir certains rites.
    (REMACLE X., op. cit., p. 33)
    D. Chraibi est très critique à cet égard :
    Vous m'enseignâtes un jour le hadîth des ablutions : ablutionné il suffit d’un  tout petit pet, même non sonore, pour que l'on soit souillé et astreint à nouvelles ablutions. Amen, Seigneur, amen !
    (CHRAIBI D., op. cit., p.20)
    Du côté catholique, les rites ne manquent pas non plus. L’ablution existe sous la forme de l’eau bénite dont on se signe le front en entrant dans une église. L’alternance des postures de la prière musulmane rappelle celle des messes13, l’inclinaison de certaines communautés religieuses lors de la clôture d’un psaume par une formule14. La codification du contenu de la prière légale musulmane évoque le psautier, psalmodié dans les couvents et monastères, dont les passages sont attribués aux jours de la semaine et aux moments de la journée… Pour ce qui est de la prière personnelle, les prêtres n’imposent pas de paroles précises, ils se contentent de suggérer quelques pistes de démarches :
    Ne vous embarrassez pas de formules compliquées et de trop de mots. Exprimez ce que vous avez dans le cœur.
    La prière, au fil du temps, s'est toujours colorée de la riche diversité des sentiments profonds du cœur humain. […]. Elle prend par conséquent des formes diverses: elle peut être un simple cri, comme "Seigneur, prends pitié !". Mais elle peut être plus longue, ou chantée, seul ou en chœur. L'essentiel n'est pas là...
    L'essentiel, c'est de s'adresser en vérité à Dieu et de se mettre à son école. Je vous conseille de demander d'abord à l'Esprit de Dieu de venir à votre secours.
    (SIMONART J., op. cit., p. 5)
     c. Le jeûne
    Le jeûne diurne, qui est pratiqué durant tout le mois de Ramadan, se justifie par différentes raisons. Garaudy présente d’abord ce troisième pilier comme « une interruption volontaire du rythme vital » : document de base (13).
    Chraïbi partage ce point de vue : son protagoniste expose que le prophète Mahomet15 a institué ce jeûne pour que, entre autres, la vie, coupée un mois sur douze par un changement total d'habitudes, ne risque pas par sa monotonie de transformer les hommes en robots
    (CHRAIBI, op. cit., p. 210)
    La deuxième signification du Ramadan pour Garaudy est l’affirmation de la liberté de l’homme par rapport à son “moi” et à ses désirs : texte de base (13).
    Les musulmans consultés ont une perspective  proche mais un peu différente : ils ne recherchent pas la liberté, concept philosophique inclus dans la devise nationale française, mais visent à accueillir la parole divine. Ce mois est destiné à célébrer le souvenir de la révélation du Coran :
    Quand le Prophète Mohamed a prêché le jeûne c'était […] pour que cette abstinence d'aliments et de boissons, de jouissances vénériennes et autres, forge les caractères et les volontés et prédispose, en purgeant les corps et les cerveaux, à un état l'âme susceptible d'assimiler une élévation vers Dieu.
      (CHRAIBI D., op. cit., p. 210)
    En s'abstenant de toute nourriture, les jeûneurs se vident un peu d'eux-mêmes pour se préparer à accueillir la parole de Dieu. C'est en effet au cours de la vingt-septième nuit du mois de Ramadan, la « Nuit du destin », que le Coran est descendu sur le Prophète. Le premier jour du mois suivant est celui de la « Fête de la rupture du jeûne» ( 'ayd al-fîtr), ou « Petite Fête ».
    (GUIDERDONI, Abd-al-H., « Les cinq piliers de la foi », in Actualité des religions, hors série, 2001, p. 16)
    Cet accueil de la révélation divine concerne aussi d’autres aspects que l’abstinence de nourriture et de relation sexuelles durant la journée :
    Le mois du Ramadan est aussi un temps d'expiation, de révision de vie, de réconciliation avec les ennemis.
     (FOEHRLÉ, op. cit., p. 69)
    Confronté à une occidentalisation dans le monde arabe ou en Europe, le Ramadan prend de nouvelles dimensions : rejet des aberrations du libéralisme, affirmation identitaire16.
    Aujourd'hui, le jeûne du Ramadan prend une signification nouvelle, en tant que réflexion sur les abus de notre société de consommation. Il marque aussi l'entière solidarité de la communauté musulmane à travers le monde entier.
    (FOEHRLÉ R., op. cit., p. 69)
    C’est aussi le cas pour les jeunes issus de l’immigration :
    Oh ! Ramadan je me mets à t'aimer, je te supporte car je dois leur prouver à eux, Dalila, Yamina et les autres que je suis traditionnellement  arabe. Je veux leur prouver qu 'en France nous sommes restés Algériens. Alors je jeûne pour montrer que je suis une musulmane et non une roumie de France. Alors je supporte la douleur, j'ai mal à la tête, j'étouffe, j'ai faim, mais je sens comme une fierté qui m'oblige à suivre en silence la norme musulmane.
    (BOUKHEDENNA, S., Journal « Nationalité : immigrée », paris, L’Harmattan, 1987, p. 83)
    Le Ramadan est aussi un rappel de la présence en nous-même de celui qui a faim, comme d’un autre moi-même que je dois contribuer à arracher à la misère et à la mort : document de base (13). La solidarité économique vécue dans le jeûne n’a pas échappé à l’ancien marxiste. Cet aspect n’est pas la projection des désirs de Garaudy ; Chraïbi et Jomier y font aussi référence :
    « Quand le Prophète Mohamed a prêché le jeûne, c'était pour que tous, riches et pauvres, jeunes et deux, souffrent pendant une période déterminée, de l'aube au crépuscule, de la faim dont souffrent éternellement et uniquement les pauvres; pour inciter tout le monde à garder en dépit de cette souffrance même un caractère égal en tout lieu et en toute circonstance.
 (CHRAIBI D., op. cit., p. 210)
    Le ramadân est aussi le mois où la faim rappelle aux riches l’existence des pauvres17.
    (JOMIER J., op. cit., p. 686,c)
    
    Rupture du rythme quotidien, affirmation de sa volonté pour s’ouvrir à la parole de Dieu, solidarité identitaire ou économique, tout cela évite un rapprochement trop rapide avec le Carême catholique – qui en Europe tombe en désuétude au contraire du Ramadan – ou avec des actions de solidarité18 trop ponctuelles et privées de référence explicite à une religion.
    Après avoir balayé quelques raisons de pratiquer de Ramadan, nous allons voir comment les musulmans vivent ce jeûne diurne. Garaudy n’en parlant pas, puisqu’il se concentre sur le sens des cinq piliers et non leurs modalités, le point de départ sera deux autres extraits du Passé simple de Driss Chraïbi :
    Le jeûne est généralement  admis dans les croyances et partout suivi comme un rite millénaire. C'est-à-dire qu'en dehors de ceux qui sont obligés de travailler tous les jours pour subvenir à leurs besoins, les gens paressent dans leurs lits jusqu'à midi et font ensuite des parties interminables de poker ou de loto, pour tuer le temps et tromper la faim. Les jeux de hasard sont interdits par la loi et le Ramadan est un mois de recueillement et de prières.
    (CHRAIBI, op. cit., p. 209)
    Jomier explique l’oisiveté diurne décrite dans Le passé simple par les fêtes nocturnes :
    Une atmosphère de fêtes familiales (limitées par les ressources restreintes des habitants de pays pauvres), de visites, de dîners, règne pendant la nuit.
    Le travail s’en ressent, car le jeûne diurne, les veillées épuisent tout le monde. L’idée suivant laquelle il faudrait continuer de travailler reste alors tout à fait théorique, sauf dans des cas individuels.
    (JOMIER J., op. cit., p. 686,c)
    Comme il le mentionne, certains musulmans continuent de se rendre au travail ou à l’école. En voici le témoignage via une fiction de Tahar Ben Jelloun :
    Ce fut à ce moment-là que survint le mois de ramadan. Pour la première fois, je devais le faire, je n'étais plus une petite fille. (...) J'acceptai de faire plaisir à mes parents. Je me laissai réveiller, au milieu de la nuit, pour le repas d'avant le lever du soleil. (...) Des brûlures d'estomac me gênaient. Je me sentais lourde et j'arrivais à l'école à moitié endormie. Le troisième jour, je cessai de faire le jeûne et mangeai en cachette. Mon père n'en savait rien. Il ne fallait pas le choquer et lui faire de la peine. Il travaillait durement, le ventre creux, et rentrait extenué. Il avait la foi, quelque chose d'inébranlable. Une telle résistance forçait l'admiration.
    (BEN JELLOUN T., Les yeux baissés, Paris, Seuil, 1991, pp. 108-109.)
    Qu’il travaille ou pas, le musulman est fatigué par les fêtes et l’abstinence de nourriture. Toute personne ne participant pas au jeune devra redoubler de délicatesse envers les fidèles musulmans :
    Par délicatesse envers ceux qui pratiquent le jeûne, veillez à vous abstenir de boire, de manger, ou de fumer en leur présence. Privé de nourriture et d’eau pendant toute une journée on dit que le musulman serait irritable et on le comprend.
    (GHARBI K., Voici la clef du monde arabe, Bruxelles, Swissair, 1990, p.23)
    La privation d’autres plaisirs rend également plus difficile la maîtrise de soi, comme le montre ce passage du Passé simple :
    J'ai toujours vu mon père pendant ce jeûne d'une humeur particulièrement massacrante parce qu'il ne pouvait pas fumer. Il sortait faire un petit tour vers midi, rentrait et épuisait tous les sujets de conversation et toutes les occasions de dispute. Le soir, il redevenait le plus doux des hommes parce qu'il avait fumé et ne disait plus rien parce qu'il fumait jusqu'au matin.
    (CHRAIBI, op. cit., pp. 209-210)
    Nous conclurons ce petit tour d’horizon à propos du Ramadan en remarquant que cette forme d'ascétisme n'est nullement typique de l'Islam; bien d'autres religions la pratiquent, mais c'est sûrement la partie la plus visible, avec la prière, des pratiques islamiques. On peut en effet songer ici par exemple, à la mendicité des moines bouddhistes (même si le bouddhisme est plus une philosophie qu’une religion).
     d. L’aumône ou la purification des biens
     Garaudy aborde ce pilier par une précision terminologique:
     Le zakat n’est pas l’aumône.
    Foerhlé, qui connaît aussi bien l’islam que la culture occidentale et le christianisme, va dans le même sens. Cette réalité est en effet bien différente que ce que le terme  « aumône » fait surgir dans notre imaginaire européen :
    II est difficile de maintenir le terme « aumône », du moins sans explication. Tout lecteur, en voyant ce mot, s'imagine ces mains tendues dans nos rues, ou dans le métro, et les quelques sous qui trament dans un béret ou dans une sibille.
    (FOEHRLÉ, op. cit., p. 67)
      Garaudy définit ensuite le zakat par périphrase : document de base (14).
    Sa formulation insiste sur le sens religieux de ce pilier, sens qui s’oppose complètement à la conception du droit de propriété, fondement du capitalisme, comme l’exprime le dix-septième article de la Déclaration des Droits de l’Homme :
    1° Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété ;
     2° Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété.
    Comme pour le jeûne, Chraibi fait référence à la valeur occidentale de la recherche de maîtrise de soi. Cette valeur est aussi évangélique ; Jésus appelle au détachement des biens matériels19:
    De sorte que celui qui croit en Dieu, jeûne pendant le Ramadan, ignore le vin et le porc, fait ses cinq prières par jour et tire le diable par la queue, est presque automatiquement étiqueté saint, pourvu qu'il soit d'un certain âge, qu'il porte au cou un chapelet assez lourd et que sa barbe soit fournie.
    « Mon grand-père est un saint à titre posthume ; parce qu'il était pauvre, pieux et lunatique.
    (CHRAIBI D, op. cit., p. 209)
    Garaudy  poursuit dans un sens plus théologique et communautaire, plus proche de la perception musulmane. Le sens religieux du zakat mentionné par R. Foehrlé et Abd-al-H. Guiderdoni complète la présentation de Garaudy : il s’agit de purifier les biens détenus. R. Foehrlé mentionne aussi la fonction sociale de ce pilier, plus pragmatique qu’une signification communautaire.  Celui-ci est, entre autres, destiné à réduire les tensions :
    Relevons tout d'abord que le mot arabe zakat dérive du verbe zakke, qui veut dire purifier, nettoyer. Faire la zakat est un acte de purification de cette manière d'agir de l'homme qui consiste à accumuler des biens, créer des richesses ; cela conduit à des tensions sociales ou autres.20 
    (FOEHRLÉ R., op. cit., pp. 67-68)
    L'aumône « légale » ou « canonique » (zakah) vise à « purifier » le capital détenu pendant une année entière par la redistribution d'un quarantième aux pauvres, aux voyageurs et à d'autres «ayants droit» recensés par le Coran. Les biens indispensables, comme le domicile, ne font pas partie du capital sur lequel cette aumône est calculée21.
    Concernant la façon dont ce quatrième principe de l’islam est réalisé, Garaudy n’en parle pas. Nous pensons cependant que le sens du zakat sera mieux compris et ancré dans la mémoire des élèves si ceux-ci peuvent y accrocher des éléments concrets.
    Ainsi, R. Foehrlé mentionne à qui profitait la recette de ce pilier, qui s’est rapidement institutionnalisé :
    Ce partage des biens par le biais de l'aumône servait à secourir les malheureux, permettait le rachat des esclaves et aidait l'umma. Dès le VIIIème siècle, un impôt calculé de manière très juste remplaça le don individuel spontané.
    (FOEHRLÉ R., op. cit., pp. 67-68)
     Jomier affirme sa relative désuétude actuelle :
    À l'heure actuelle, très peu de pays l'ont conservée ; les musulmans fervents seuls continuent à se considérer comme obligés et font leurs dons en particulier.
    (JOMIER J., op. cit., p. 686,b)
    Chraïbi en donne une description très concrète et réaliste. On y voit quelles techniques sont utilisées par les riches22 pour contourner ce pilier de solidarité et comment l’aide aux mendiants semble vaine.
     «  Le quatrième commandement est défini par les lois suivantes :
    — un prélèvement de 2,5 % sur les biens doit obligatoirement revenir aux pauvres ;
     — ce prélèvement est annuel et doit être aussi précis que possible ;
     — les biens immeubles qui ne rapportent pas ne sont pas passibles de taux.
    « Au Maroc, on a adopté le jour de l'An Hégirien pour l'enrichissement des pauvres. En fait, j'ai toujours vu ce jour-là une distribution de pièces de monnaie, de figues et de dattes, faite surtout par les épiciers et les petits commerçants. Les riches prennent leurs précautions à l'avance, transformant leurs biens liquides en biens immeubles qui, de par la loi islamique, ne sont pas imposables. De la sorte, ils n'ont rien à donner à personne et n'auront pas de compte à rendre à leur conscience, ni à Dieu. Le Prophète n'a pas prévu cette escroquerie subtile.
    Bien plus, les immeubles et les terres acquis ainsi peuvent décupler de valeur en un minimum de temps. C'est l'une des raisons qui expliquerait les affaires miraculeuses.
    « Par ailleurs, il se peut que des pauvres réunissent ce jour-là une somme assez rondelette. Ils se retrouveront le lendemain mendiants, attendu qu'ils auront envoyé l'argent récolté dans leur douar pour s'acheter un lopin de terre ou du bétail.
    (CHRAIBI D., op. cit., pp. 210-211)
    Le zakat est donc un principe religieux visant à plus d’égalité sociale. Il précède de quelques siècles les organisations chrétiennes de solidarité, qui existaient au Moyen Age, et le système actuel des mutualités, syndicats, fonds de pensions… occidental. Mais dans la pratique, cette prescription est souvent contournée, surtout par ceux qui en ont le moins besoin : les riches.
     e. Le pèlerinage à La Mecque
    Le dernier pilier de l’islam est le pèlerinage à la Mecque, ville où Mohammed fit ses premières prédications. Comme pour la prière, Garaudy, qui décrit son expérience de ce pèlerinage dans Mon tour du siècle en solitaire23, y ressent l’unité de tous les musulmans dans la foi : texte de base (16)
    Les fidèles concernés par le pèlerinage sont ceux qui ont la possibilité physique et financière de l'accomplir. Celui-ci se déroule toujours au même moment :
    Chaque année, au début du mois de Dhu-1-Hijjah, le douzième mois du calendrier lunaire, deux à trois millions de pèlerins convergent vers le centre du monde musulman.
    Ce cinquième principe de l’islam comprend de nombreuses modalités, dont Abd-al-H. Guiderdoni décrit ici ce qui en est l’essentiel :
    Après avoir revêtu le costume rituel fait de deux pièces de tissu blanc et embrassé un état de sacralisation qui leur interdit de tuer le moindre être vivant, ils doivent tourner autour de la Kaaba, sur le sanctuaire de La Mecque, et courir entre les deux collines de Safa et Marwa, à l'imitation de Hagar, la femme d'Abraham, quand elle vit son fils Ismaël sur le point de mourir de soif. Puis, le 8 du mois, ils quittent La Mecque pour stationner, lors de l'après-midi du 9, sous le soleil brûlant de la plaine de Arafat. Enfin, le 10, jour de la « Fête du sacrifice» ('aydal-adha), ou « Grande Fête», ils commémorent le sacrifice d'Abraham, et refusent symboliquement les tentations diaboliques en jetant des cailloux sur trois stèles qui représentent Satan.
    (GUIDERDONI, Abd-al-H., op. cit., p. 16)
    Le témoignage du protagoniste du Passé simple mentionne d’autres motivations qu’une conversion intérieure ou la communion avec tous les musulmans : l’occasion d’un voyage et l’accession à un statut social honorable.
    « Le pèlerinage à La Mecque est prétexte aux Marocains riches pour visiter les pays du Proche-Orient. Je cite le cas de mon père qui est resté trois ans absent; soi-disant pour se recueillir sur la Kaaba, la sainte Pierre Noire. A son retour, venant du Hedjaz, il distribua des dattes de Médine et du bois de santal à ses proches et amis, heureux d'avoir même un grain de poussière du pays saint. Ma mère lèche encore une de ces fameuses dattes, la vingt-septième nuit du Ramadan, la Nuit du Pouvoir où " anges et démons fraternisent sur les gazons tapissés de pétales de rosés, au paradis ". Mon père tendit sa dextre en un geste magnanime et tout le monde la baisa et la baise encore en gratifiant son possesseur du titre honorifique de Haj, c'est-à-dire un type qui a été à La Mecque. Par la suite, il devait nous apprendre que la presque totalité de sa fortune avait fondu dans les tripots de Damas et du Caire. Mais il s'est réellement recueilli sur la Kaaba et a donc droit à son titre. Louange à Dieu très-haut, père de l'univers et roi du Jugement dernier!
    (CHRAIBI D., op. cit., p. 211)
    Le pèlerinage est aussi une réalité catholique. On songe aux nombreux pèlerinages mariaux qui sont vécus avec ferveur par une frange limitée de la population, mais qui ont aussi des côtés critiquables, essentiellement un aspect commercial qui contraste avec la pauvreté du Christ.
    Les pèlerinages catholiques revêtent aussi d’autres formes. La randonnée vers Saint-Jacques de Compostelle, en Espagne, connaît un certain succès auprès des jeunes et des moins jeunes, en recherche de spiritualité, de beaux paysages et de rencontres intéressantes. Une multitude de formules sont présentées aux adolescents, par exemple aider des personnes handicapées à se rendre à Lourdes. Ces voyages spirituels ne se déroulent plus forcément sur des lieux traditionnels de pèlerinages  mais trouvent leur intérêt dans le ressourcement vécu tout au long du voyage. C’est le cas des Journées Mondiales de la Jeunesse, de la marche des Rameaux, des marches et prières en montagne.
     f. Pour conclure
    Si les sept Sacrements catholiques sont des événements lors desquels Dieu se donne à l’homme, les cinq piliers de la foi musulmane se situent dans un autre registre, celui de l’attitude quotidienne. Cette omniprésence des pratiques religieuses dans la vie de tous les jours rappelle à l’homme qu’il n’existe pas sans Dieu : cf. Garaudy, texte de base (17)
    Al Aquili, au Xe siècle, avait déjà cette vision du temps en rapport avec Dieu :
     Le temps n'est que flux et reflux.
     La vie, que douceur et amertume24.
    Bien sûr, de l’idéal musulman ou laïc à la pratique, il y a un fossé que Chraïbi nous rappelle :
    " Liberté, Egalité, Fraternité : devise aussi rouillée que la nôtre ", vous me comprendrez sans doute. Néanmoins, au fur et à mesure de mes pas, j'ose espérer qu'elle se décapera, se fourbira, retrouvera cet éclat et ce pouvoir de séduction que les livres m'ont susurrés.
    (CHRAIBI, op. cit., p. 212)
    Ces valeurs religieuses se retrouvent, au fondement du monothéisme biblique : le Sermon sur la montagne, en effet, parle longuement de la triade prière-aumône-jeûne ; quant aux pèlerinages, ils représentent une valeur importante de l’Ancien Testament.
    (JOMIER J., op. cit., p. 685, a)
     3. Parcours didactique
     3.1. Une première séquence : remue-méninges sur l’islam

    Nous proposons de commencer le parcours par un remue-méninges portant sur les représentations. Il

    s’agit de voir ce que les termes « islam » et « autres religions » évoquent pour les élèves. D’une part,
    cette activité permetta au professeur de connaître  ce que ceux-ci savent ou pensent sur le sujet25.

    D’autre part, ce questionnement les motivera  et constituera la base d’un  apprentissage à long terme.

    Les préjugés pourront être ainsi explicités, démontés ou étayés.

    Les élèves qui le souhaitent pourront venir, l’un après l’autre, inscrire un mot clé au tableau et l’expliquer à la classe. Le professeur prendra  note de ces mots afin de réutiliser ces informations lors de l’évaluation finale. Il pourra clôturer l’activité en écrivant et expliquant lui-même une notion. Ces mots seront laissés au tableau durant tout le parcours.
    La classe réalisera ensuite un nouveau remue-méninges, cette fois sur le thème de l’attitude de l’islam face aux autres religions. Le professeur organisera alors une recherche sur le sujet dans des quotidiens ou des hebdomadaires.
    Les élèves recevront enfin un extrait de Garaudy : document de base de (1) à (8). Après avoir éclairci la notion de “foi primordiale” et de “religion primordiale” grâce à un autre passage du même auteur (Biographie du XXe siècle, Le testament philosophique de Roger Garaudy, Paris, Tougui, 1985, p. 303), le professeur divisera la classe en trois groupes. Les élèves vérifieront les dires de Garaudy, le premier groupe à l’aide de l’article écrit par R. Foehrlé, le deuxième à l’aide de celui rédigé par Guiderdoni et le troisième grâce aux citations d’Abd el-Kader. Les membres de chaque groupe se répartiront les paragraphes à traiter. Cette activité durera une dizaine de minutes.
    Cette petite séquence se clôturera par un retour aux mots évoqués lors du remue-méninges du début. Les élèves auront ainsi l’occasion de compléter ou de corriger leurs conceptions préalables.
     2. Une deuxième séquence : les cinq piliers de l’islam
    Répartis en équipes, les élèves choisiront un des cinq piliers et synthétiseront, sous forme de plan, les informations contenues dans tous les extraits que nous avons fournis plus haut, en dehors du texte de Garaudy.
    Les élèves découvriront ensuite un extrait du Passé simple, écrit par Driss Chraibi (pp. 207-212). Ce passage nous livre la composition que le héros rédige pour passer son bac. Celle-ci doit porter sur la devise française – Liberté, Egalité, Fraternité – mais dévie vers les cinq piliers de l’islam.
    Après une première lecture, les élèves diront ce que ce texte évoque pour eux, les éléments qui leur plaisent particulièrement, etc. Ils reliront une deuxième fois l’extrait afin de compléter leur synthèse sur le pilier choisi.
    La classe découvrira enfin le texte de Garaudy à propos du même thème : texte de base de (9) à (23). Chaque groupe rédigera alors sa synthèse sur le pilier choisi et viendra la présenter aux autres. Les élèves veilleront à introduire un maximum de parallèles avec le christianisme et avec la charte des Droits de l’Homme.
    Ce type de démarche intertextuelle engage les élèves à prendre une part active dans la compréhension de la religion qu’ils découvrent. Elle est à la fois conceptuelle  et interculturelle.
    Elle est d’abord conceptuelle parce qu’on cherche à postuler des hypothèses interprétatives de sens, à passer de la subjectivité à l’objectivation de traits culturels. L’élève interprète d’abord les faits islamiques en fonction de sa propre culture puis, en mettant les textes en rapport les uns avec les autres, il parvient progressivement à avoir une certaine idée de leur perception par un musulman. Il ne s’agit pas de rechercher une véritable acculturation (« penser comme un musulman »), mais simplement de développer un certain savoir-faire permettant de comprendre d’autres manières de penser et d’agir.
    Cette démarche est aussi interculturelle  par la confrontation de points de vue différents. Dans une classe culturellement mixte, les élèves sont appelés à interagir entre eux. Mais, de toute façon, un dialogue aura lieu avec Garaudy et les auteurs qui s’expriment à travers les extraits étudiés.
     
    Luc Collès 

     

    Professeur ordinaire
    Université catholique de Louvain
    Département d'Etudes romanes
    luc.colles@uclouvain.be